Jacqueline Delubac après Guitry

Jacqueline Delubac après Guitry

Jacqueline Delubac joua encore dans 11 films, soit un de plus qu’avec Guitry mais ceci en douze ans, alors que ses dix films avec Sacha avaient été réalisés en quatre années. Ses 11 films ne furent pas tous bons, bien qu’elle ait travaillé avec Pabst, L’Herbier et Maurice Tourneur qui ne possédaient plus, à cette époque, ni le talent de Guitry ni celui qu’ils avaient eu eux-mêmes autrefois. Il serait pourtant inexact de faire d’elle une « has been », au cours de la période qui suivit son divorce. Malheureusement, nous n’avons pu voir, faute de copies disponibles, ni Le Collier de chanvre (Mathot,1940) ni L’Homme qui cherche la vérité (Esway,1939), ni J’ai 17 ans (Berthomieu,1945) ni La vie est un jeu (Leboursier,1951). L’accroche-cœur (Caron 1938) Elle a rôle intéressant dans L’Accroche cœur dont les dialogues sont de Sacha. Malheureuse en amour, elle s’éprend d’un cambrioleur qui l’entraîne dans une fausse enquête destinée à retrouver les bijoux …qu’il vient de lui voler ! Elle comprend très vite que c’est un voleur mais, comme elle aime pour la première fois, elle se tait. Il finit par la quitter et elle se suicide dans le film, ce qui n’est pas le cas dans la pièce originale. C’est donc un rôle intéressant et sombre. Elle y est pathétique et douloureuse malgré la chanson d’Henri Garat qu’elle murmure avec effort. Ils sont assis, en pyjama, sur la banquette d’un wagon lit et il lui chante « Sur la mu-sique du train Quel beau dé-part de refrain En suivant le mou-vement, On ajoute gen-timent : Je t’aime Un peu, beaucoup, passionnément ; Et elle complète, souriante, malicieuse et mutine mais pratiquement sans voix car elle n’est ni Yvonne Printemps, ni Geneviève de Séréville, ni même Lana Marconi, « Ou pas du tout ! ».

Dernière jeunesse (Musso, 1939)

Elle y est tout à fait bouleversante dans un rôle inattendu et nuancé où elle (Marcelle) rencontre Georges (Raimu) qui est âgé, riche et solitaire. Mais elle ne l’aime pas et il le sait. Elle le trompera et il la tuera. Vecchiali commente : « Delubac compose …avec cette élégance dosée qui la caractérise. Elle n’est pas sublime ni mythique, elle est réelle, rieuse elle a le goût de la vie tout en sachant que le bonheur lui a tourné le dos à jamais209 ». Raimu vient de tourner La Femme du Boulanger (Pagnol, 1938), autre exemple de ces couples incestueux si chers à l’avant-guerre. L’idylle se termine ici par le meurtre de la « femme mauvaise » selon la tradition machiste. Jacqueline Delubac est sensuelle et pathétique comme Viviane Romance ou Ginette Leclerc qui jouaient alors ces rôles de femmes prolétaires et réalistes que Guitry n’aurait jamais pu lui offrir. C’est un bon rôle pour elle. 

Jeunes filles en détresse (Pabst, 1939)

Elle n’est plus dirigée, hélas, par le brillant réalisateur de La Rue sans joie (1925) ou de Loulou (1928), qui a désormais un peu perdu la main. Le film aborde un sujet social, celui de la misère éventuelle des enfants de parents divorcés. Un peu influencé par les évènements récents de 1936, mais précautionneux, Pabst donne la parole à des jeunes filles distinguées qui organisent une révolution de patronage et remonteront ensuite jusqu’au ministre débonnaire qui connaît leurs parents. Portant renards, robes longues ou smoking blanc étincelant comme Marlène, elle joue le rôle d’une mère un peu trop prise par son métier de chanteuse et briseuse de ménages. Obéissant aux lois des jeunes révoltées de salon (la très jeune Micheline Presle en fait partie), elle renonce à son amant pour leur faire plaisir et s’occupera dorénavant de sa fille qui avait voulu se suicider. C’est un rôle insipide, sans méchanceté aucune, qui lui donne l’occasion d’un défilé de robes dignes de Quadrille. On sent que Pabst a vu les films de Guitry et en a retenu les aspects les plus superficiels. « J’étais complètement dépaysée quand j’ai tourné Jeunes filles en détresse et les films suivants210 », dit-elle « J’avais des textes totalement différents de ceux de Guitry » On le conçoit sans peine.

La Comédie du Bonheur (L’Herbier, 1940)

J DELUBAC employée de maison 210 Jacqueline DELUBAC, Sacha Guitry cinéaste, op.cit. ,p.114. 232 La Comédie du Bonheur ou Jacqueline devenue bagagiste. Pour Jacqueline Delubac, c’est une réussite exceptionnelle. Elle y est entraînée dans une farandole façon Règle du jeu à travers le décor tout blanc d’une vieille pension de famille où on a demandé à l’actrice de théâtre qu’elle est de jouer le rôle d’une femme de chambre, afin qu’elle tente de rendre sa joie de vivre à un jeune homme dépressif. Quand elle ne frotte pas le carrelage avec frénésie, elle se livre finement à la séduction sur commande du beau Louis Jourdan. Actrice peu passionnée par son métier, elle a en effet accepté de jouer la comédie dans la réalité et non sur scène, ce que lui propose un riche banquier un peu délinquant (Michel Simon) qui veut offrir des partenaires à tous les êtres malheureux en amour. Elle restera pourtant fidèle à son mari, acteur lui aussi, avec lequel elle était brouillée (L’Herbier a-t-il pensé à Sacha ?) et recommencera à l’aimer. Les leçons de Guitry en ont fait une très bonne actrice. Elle est beaucoup moins élégante que dans les films du Maître mais elle est plus naturelle. Elle est aussi décontractée que dans Topaze. Volpone (Maurice Tourneur, 1940) Elle est plus contestable dans Volpone où elle joue, sans convaincre, une jeune femme effarouchée et pleurnicheuse, à des années-lumière de la brillante journaliste de Quadrille qu’elle est sans doute dans la réalité. Fièvres (Delannoy 1941) Elle interprète le rôle d’une peste redoutable dans Fièvres où elle oblige le pauvre Tino Rossi à se faire moine pour lui échapper. Selon Geneviève Sellier, elle joue une riche garce de la ville qui s’oppose à la garce prolétaire et campagnarde incarnée par Ginette Leclerc dans le film. Sous Vichy, dit Geneviève Cellier, « la femme qui désire est dangereuse211 » et Tino Rossi préfère la vierge dont son Ave Maria de Schubert célèbre les vertus. C’est le second rôle de garce de Jacqueline 211 Noël BURCH et Geneviève SELLIER, op. cit., p.102. 233 Delubac mais celui-ci est bien moins nuancé que celui de la jeune fille de Dernière Jeunesse.

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