KANT : De la logique formelle à la logique transcendantale

KANT De la logique formelle à la
logique transcendantale

DES ORIGINES DE LA LOGIQUE FORMELLE 

 RHETORIQUE, SOPHISTIQUE ET DIALECTIQUE PLATONICIENNE 

Vouloir remonter aux origines de la logique dans son sens de « tout ce qui est conforme aux règles de la cohérence et du bon sens » 18, n’est pas chose aisée, même si « on peut trouver les racines de certains problèmes logiques dans la langue quotidienne. »19 Car, si nous considérons que la logique porte sur les règles du raisonnement juste et que, bien évidemment, ce raisonnement est un fait de la pensée traduisible au moyen d’un langage, alors nous pourrons en déduire que la logique a une origine aussi lointaine que celle de l’apparition de la pensée rationnelle. Souleymane Niang, dans la préface à l’œuvre Logique pour philosophes de Souleymane Bachir Diagne, écrit à ce propos : « En vérité cette préoccupation, ce souci de formulation des lois de la pensée d’application universelle à partir des mêmes hypothèses, ce souci apparaît aussi loin que l’on remonte dans l’histoire des hommes. »20 Cependant, l’objet de notre présente étude c’est la logique formelle, c’est-à-dire la logique en tant que science et non pas telle qu’employée dans le langage quotidien par tous les hommes depuis leur origine21. Mais, si nous considérons que la logique est à la pensée ce que la grammaire est à la langue, et qu’elle (la grammaire) n’a vu le jour que lorsque certains spécialistes ont commencé à identifier et à manipuler les règles qui régissent la langue ; alors nous pourrons aisément conclure que la logique (en tant que science), n’a vu le jour que lorsque les règles qui régissent nos raisonnements ont commencé à être identifiées et manipulées. Vu sous cet angle, il serait peut-être plus aisé de retrouver, dans l’histoire, les traces de ce qui pourrait être une origine de la logique formelle. Il suffira donc de chercher les premières manifestations d’une tentative d’identification et/ou de manipulation des règles du raisonnement. Ainsi, conventionnellement, c’est Aristote qui est « souvent considéré comme l’inventeur de la logique »22 et « rien n’existait avant lui en la matière »23 . 18 Petit LAROUSSSE, éd. Larousse, Paris, 1992, p. 608. 19 Maarten Bullynck, Histoire(s) de(s) Logique(s) Formalisation, mécanisation et calculabilité, Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, in http://ufr6.univ-paris8.fr/Math/sitemaths2/spip/IMG/pdf/LH_Partie_1.pdf, Consulté et téléchargé le 21 Juillet 2016, page 1. 20 Diagne Souleymane Bachir, Logique pour philosophes, Préface de Souleymane Niang, les Nouvelles Éditions Africaines du Sénégal, Dakar, 1991, p. i 21 Depuis que les Hommes existent, ils tiennent des raisonnements pouvant être qualifiés de « logiques ». 22 Jean Pierre Belna, Op. Cit., p. 7. 13 Cependant, il nous faudra aller bien au-delà de la période 384-322 AV JC24 pour chercher les traces d’une quelconque logique. Car « ce sont en effet les problèmes suggérés par la réflexion sur l’art du dialogue qui ont conduit Aristote à la logique. »25 Or, ces problèmes découlant de « l’art du dialogue », tirent leurs origines de la confrontation qui a eu lieu entre sophistique, rhétorique et dialectique platonicienne. Voilà pourquoi c’est par ces éléments que débutera notre recherche d’une possible origine de la logique. 

 RHETORIQUE ET SOPHISTIQUE 

Au Ve siècle av. J-C, la Grèce connut une transformation politique majeure. En effet, C’est à Athènes qu’apparut la première forme de démocratie. Ce terme est composé de deux mots grecs à savoir « demos » qui veut dire « peuple » et « Kratos » qui veut dire « pouvoir ». Donc littéralement il désigne le pouvoir du peuple. C’est-à-dire qu’avant cette transformation politique, le pouvoir n’était pas détenu et exercé par le peuple mais par une seule personne (tyrannie) ou par une élite issue des familles les plus puissantes (oligarchie). Il est à noter que cette transformation politique majeure ne se fit pas brusquement. Elle fut le résultat d’un processus de réformes engrangées par trois grandes figures de l’histoire politique d’Athènes : Solon26, Clisthène27 et Périclès28. Le premier se fit remarquer par trois innovations majeures que sont : l’Ekklésia (assemblée de 6000 citoyens29 qui votent les lois) ; la Boulée (assemblée de 400 citoyens qui préparent les lois) ; et enfin l’Héliée (tribunal composé de 6000 citoyens). C’est donc sous son impulsion que le droit de vote fut accordé aux citoyens et que l’égalité fut, elle aussi, instaurée au sein de l’Ekklésia.30 Le deuxième personnage est resté célèbre pour avoir instauré « l’isonomie »31 c’est-à-dire une égalité des citoyens en termes de droits et de devoirs. Il est aussi celui qui réforma l’Ekklésia pour en faire le pouvoir souverain qui légifère et exécute les lois. Le troisième personnage cité est celui qui instaura une indemnité versée aux citoyens siégeant à l’assemblée : c’est ce qu’on appelle le « misthos ». Par ailleurs, il limita le pouvoir de l’aristocratie. Dans ce nouveau contexte né de cette série de réformes, le « régime démocratique de la cité provoque l’apparition d’une nouvelle nécessité, celle de savoir parler, de tenir son bout 26 Solon (638 av JC – 558 av JC) est un homme d’État, législateur et poète athénien. Il fait partie des sept sages de la Grèce antique. 27 Clisthène (565 av JC – 492 av JC) est un réformateur et homme politique athénien. 28 Périclès (vers 495 av JC – 429 av JC) est un homme d’État, orateur et stratège athénien ayant vécu durant « l’âge d’or » de cette cité. Il a tellement marqué son époque que certains historiens s’accordent à nommer la période où il vécut « le siècle de Périclès ». 29 Citoyen : étymologiquement, le terme vient du latin « civis » qui désigne celui qui a le droit de cité. De manière plus précise, le terme désigne tout résidant d’une Cité-État grecque qui dispose du droit de vote dans les assemblées publiques et qui participe aux décisions de la cité, relatives à son administration. 30 Clayton Peterson, Socrate et les sophistes, Cours 2, PHI 1901, Université de Montréal, 9 octobre 2012, p. 2. 31 Isonomie : ce terme est composé de « iso » qui renvoi à l’idée d’équilibre, d’égalité et « nomos » qui veut dire normes. Donc le terme désigne une situation dans laquelle tous les citoyens sont égaux sur le plan de droits politiques et judiciaires. 15 dans un débat.» 32 Car, « La démocratie athénienne est caractérisée par le fait que les décisions politiques (exécutives, législatives et pénales) sont soumises au vote. »33 Et « Les citoyens doivent donc être en mesure de convaincre le public de leurs projets à l’Ekklésia ou encore de leur innocence à l’Héliée. »34 C’est donc avec l’avènement de la démocratie que la ῥηηοπικὴ (rhêtorikê) fit son apparition. C’est un terme composé de « rhêtor » qui veut dire « parler » et « ikê » qui signifie « l’art de ». La rhétorique est donc étymologiquement « l’art de parler ». Celui qui maîtrisait cet art avait toutes les chances de devenir un grand rhéteur (ou orateur) et d’avoir de l’influence sur les décisions politiques de sa cité. Ce qui fait que les jeunes athéniens avides de gravir les échelons politiques, voulurent à tout prix maîtriser cet art afin de posséder « le pouvoir de persuader par ses discours les juges au tribunal, les sénateurs dans le conseil, les citoyens dans l’assemblée du peuple et dans toute autre réunion qui soit une réunion de citoyens. » 35 La rhétorique, dès son origine, apparut comme un enjeu de pouvoir. C’est elle qui déterminait l’ascension sociale dans la nouvelle démocratie. Elle était l’art par excellence. Et si elle eut à occuper une place si importante dans la démocratie naissante, c’est en partie grâce à la fierté que ressentaient les grecs à l’égard de leur langue. Nul n’ignore, en effet, que les grecs se sentaient supérieurs face aux autres peuples qui étaient, pour eux, des barbares36. Car ils se considéraient comme des descendants de Deucalion qui avait été épargné par Zeus lors d’un déluge37. Et la langue grecque était pour eux la plus raffinée d’entre toutes vu que celle des barbares ressemblait plus à du balbutiement. Pour assurer la maîtrise de leur culture et de leur langue par les jeunes générations, un système éducatif dénommé paideia (παιδεία) fut mis en place. Ce fut un ensemble d’enseignements dans lequel on apprenait plusieurs arts dont la rhétorique. Cette dernière « n’était pas une matière parmi d’autres mais de loin la plus importante et jusqu’à un certain point la seule qu’on devait apprendre à l’école chez les maîtres orateurs. »38 32 In http://perso.univ-st-etienne.fr/bm29130h/pageperso/pdf/TER_Just_Canale.pdf, p. 1. 33 Clayton Peterson, Op. Cit., p. 4. 34 Ibid. 35 Platon, Gorgias, 452 c. 36 Terme signifiant, dans le contexte grec, « étranger ». 37 In http://mythologie.grecque.over-blog.fr/article-le-deluge-65851698.html 38 IJsseling Samuel, Rhétorique et philosophie. Platon et les Sophistes, ou la tradition métaphysique et la tradition rhétorique. In: Revue Philosophique de Louvain, Quatrième série, tome 74, n°22, Louvain, 1976, p. 199. 16 Dans ces conditions, devenir orateur était l’aspiration de tous les jeunes athéniens. Car, « La carrière d’orateur était la plus haute et la plus estimée. » 39 C’est elle qui permettait de faire partie de la classe dirigeante, d’être parmi les puissants. D’autant plus qu’« au moment où le pouvoir n’appartient plus à un seul homme mais dépend d’un consensus, obtenu lors d’assemblées au cours desquelles les orateurs semblables et égaux disposent d’un même temps de parole, la maîtrise du discours devient essentielle.» 40 C’est cette nécessité de maîtrise des règles du discours oral qui fit apparaître une « nouvelle classe de professionnel du discours »41 qui va s’approprier la rhétorique afin de l’enseigner aux plus offrants. Ces « professionnels » se feront nommer « sophistes ». Ce terme vient du grec « sophos » qui veut dire « sage ». Mais par extension, dans le contexte de la Grèce antique, il va désigner tout homme qui se déclare maître dans un domaine particulier, notamment celui du discours. Ces sophistes connurent rapidement le succès dans toute la Grèce. Ils devinrent des professeurs nomades, allant de ville en ville pour enseigner aux jeunes tout ce qui pouvait leur permettre de se distinguer dans ce nouveau contexte social né de la démocratie. Leur succès, peut donc s’expliquer par l’avènement du régime démocratique. À ce propos, Marc-Antoine Gravay écrit : « L’apparition du mouvement sophistique durant la seconde moitié du Ve siècle av. J-C coïncide avec l’expansion du régime démocratique en Grèce, en particulier à Athènes. »42 Mais les raisons de ce succès sont aussi à chercher du côté du mouvement d’ensemble qui avait lieu à cette même époque : la sécularisation de la culture grecque, plus précisément le passage des explications mythiques du monde, à celles rationnelles. Aux VIe et Ve siècle av J-C, la culture grecque connût une révolution sans précédent. Celle-ci est la conséquence du fait que certains penseurs aient décidé d’abandonner les récits mythiques des poètes tels Homère et Hésiode, comme seule source d’explication du monde, pour essayer d’interroger, d’investiguer dans la nature elle-même afin d’y trouver des réponses. Ces réponses devaient se baser sur les facultés propres de l’homme, notamment sur la raison. C’est ce que l’on nomme le premier rationalisme, et qui correspond à la première manifestation de la philosophie en tant que discours rationnel qui porte sur le monde. C’est à la suite d’une insatisfaction de ces réflexions sur la nature que les sophistes, puis Socrate, vont opérer un tournant vers 17 C’est cela qui fait en sorte qu’ils aient choisi « d’être des éducateurs professionnels, étrangers itinérants qui font commerce de leur sagesse, de leur culture, de leurs compétences (…). »44 Ils vont donc, par leur démarche et le nouveau contexte ainsi crée, jouer le rôle qu’était celui des poètes: être les principaux éducateurs de la Grèce. Outre leur talent d’éducateur, ils étaient aussi dotés d’une grande habileté pour tout ce qui avait trait à la gestion de la vie privée ainsi qu’à la gestion d’un État. Et Cassin Brunschwig explique que « cette double maîtrise a sa source unique dans la maîtrise du langage, sous toutes ses formes, de la linguistique (morphologie, grammaire, synonymique) à la rhétorique (étude des tropes, des sonorités, de l’à-propos du discours et de ses parties). » 45 Ainsi, on peut constater que la naissance de la démocratie a fait que « le pouvoir appartient en dernière instance à ceux qui sont les plus efficaces dans le maniement du verbe »46 . Ce qui peut laisser penser qu’à cette époque, la tyrannie et l’oligarchie ont été remplacées par une « aristocratie de la parole »47. En ce sens, les sophistes étaient les mieux placés pour prendre le pouvoir et on comprend mieux pourquoi ils peuvent valablement être qualifiés de maîtres de la Grèce. Cependant, il faut souligner que « malgré l’unicité de leur appellation, les sophistes ne peuvent être regroupés sous une école. »48 Autrement dit, il faudrait considérer la sophistique moins comme un mouvement homogène que comme un ensemble disparate de professeurs ayant des méthodes et des objectifs différents. Cela, dans la mesure où ces sophistes venaient d’horizon différent et chacun rivalisait de talent pour avoir le plus de jeunes gens à éduquer49 .

 DIALECTIQUE PLATONICIENNE 

Avant de parler de la dialectique telle qu’elle fût employée par Platon, il serait d’abord important de se pencher sur ses origines. En effet, Platon n’est pas l’inventeur de la dialectique. Et sur la question, deux auteurs antérieurs à lui s’en disputent la paternité : Héraclite d’Éphèse76 et Zénon d’Élée77 . Concernant le premier personnage chez qui on pourrait trouver une origine de la dialectique, l’histoire retient de lui sa théorie du devenir universel : tout change, tout est en perpétuel mouvement et il n’y a rien de stable. Une métaphore résume cette pensée en ces termes : « On ne peut pas entrer une seconde fois dans le même fleuve, car c’est une autre eau qui vient à vous ; elle se dissipe et s’amasse de nouveau ; elle recherche et abandonne, elle s’approche et s’éloigne. Nous descendons et nous ne descendons pas dans ce fleuve, nous y sommes et nous n’y sommes pas. » 78. Ce changement perpétuel a pour fondement une lutte, une guerre éternelle entre les éléments antagonistes qui constituent l’univers. Pourtant cette guerre entre les contraires, en lieu et place d’un chaos, fait naître un accord, une harmonie dans tout l’univers. Pareille conception peut se résumer dans cette assertion : c’est de la lutte des contraires que naît l’harmonie.79 Dans son mémoire de maîtrise intitulé La notion de dialectique : de Platon à Marx, Babacar Diouf estime que « l’originalité de ces thèses de Héraclite ont fait admettre qu’il était l’inventeur de la dialectique, en tant que celle-ci serait une logique de la contradiction […] »80 Mais il précise quelques lignes plus bas que « reconnaître dans l’œuvre d’Héraclite le commencement de la dialectique, c’est en donner une interprétation rétrospective, qui rencontre un certain nombre d’objections. »81 Ces objections sont précisément au nombre de deux. La première est que le terme « dialectique » n’existe pas dans le vocabulaire d’Héraclite lui-même. C’est dans cette optique 76 Héraclite (vers 554 av JC – 541 av JC) est un philosophe de la Grèce antique originaire de la ville d’Éphèse. Il fut l’un des plus illustres présocratiques et le principal opposant de Parménide sur la question de la nature de l’Être. Sa pensée va beaucoup influencer ses contemporains mais aussi toutes les générations qui vont suivre. 77 Zénon d’Élée (490 av JC – 430 av JC) est un philosophe de la Grèce antique. Il fût surnommé « le Palamède », ce qui signifie « habile dialecticien ». Il est le plus connu des disciples de Parménide et aurait été, selon Diogène, son amant. Il aurait aussi été le maître de Périclès. 78 Alfred Fouillée, Extraits des grands Philosophes, Librairie Delagrave, 1938, p. 25. 79 Diogène Laërce, Tome 2, Op. Cit., p. 165-166. 80 Babacar Diouf, La notion de dialectique : de Platon à Marx, mémoire de maîtrise encadré par Sémou Pathé GUEYE, Dakar, Université Cheikh Anta Diop, année universitaire 2003-2004, p. 16. 81 Ibid. 25 que le même auteur précise encore qu’ « il serait hasardeux d’avancer que l’idée existe indépendamment du mot. » 82 La seconde objection consiste en ce que tous les auteurs qui, à la suite d’Héraclite, ont fait usage de la dialectique, se sont positionnés contre la philosophie héraclitéenne. Il en est ainsi de Platon qui s’oppose à l’idée selon laquelle du changement peut naître une quelconque harmonie. Son disciple Aristote, quant à lui, va reprocher à l’éphésien son ignorance du principe de contradiction83 . À propos du second personnage à qui on pourrait attribuer la paternité de la dialectique, Hegel affirme : « Le trait spécifique de Zénon, c’est la dialectique. Il est le maître de l’école éléatique en qui le penser dur de cette école est devenu le mouvement du concept en soi-même (…) il est l’initiateur de la dialectique. »84 Mais selon Paul Janet « la dialectique dont Zénon d’Élée fût, dit-on, l’inventeur, n’était qu’un grand art de discussion »85. De plus, il semblerait que sa pensée ne soit pas tout à fait originale et qu’il ait repris presque dans son entièreté les thèses défendues par son maître Parménide86 . Ce dernier aurait été le premier à affirmer le principe d’identité87 à travers cet aphorisme célèbre: « l’être est, le non-être n’est pas. »88 Pour comprendre cette citation, il ne faut pas perdre de vue que pour le fondateur de l’éléatisme89, il existe une grande différence entre l’opinion et la raison. C’est cette dernière qui, selon lui, permet d’avoir accès à la 82 Babacar Diouf, Op. Cit., p. 16. 83 Le principe de contradiction désigne la relation d’exclusion mutuelle qui existe entre deux jugements, telle que la vérité de l’un entraine la fausseté (ou non-vérité) de l’autre. Aristote, dans son œuvre De l’interprétation, en a énoncé la formulation explicite en ces termes : « Appelons contradiction l’opposition d’une affirmation et d’une négation » (De l’interprétation 17a 31). Il la reformule dans Métaphysique, livre Γ, comme étant l’impossibilité qu’un « même attribut appartienne et n’appartienne pas en même temps au même sujet et sous le même rapport. » 84 Hegel, leçons sur l’histoire de la philosophie, traduction de P. Garniron, tome 1, Vrin, Paris, 2004, p. 133. 85 Paul Janet, Essai sur la dialectique de Platon, édition électronique réalisée par Jean Alphonse, Chicoutimi (Québec), 06 Juin 2015, p. 10. 86 Parménide d’Élée (vers la fin du VIe siècle av JC – Milieu du Ve siècle av JC) est un philosophe grec de l’antiquité. Sa théorie sur l’unicité de l’Être fût fortement combattue à son époque. 87 Règle de la logique classique qui affirme que A est A. Autrement dit il énonce que ce qui est, et donc qu’une chose est ce qu’elle est. Par exemple, si nous voyons un chat devant nous, et s’il y a d’autre chat en même temps, aucun d’eux ne serait ce chat que nous voyons. 88 Alfred Fouillée, Op. Cit., p. 34. 89 Doctrine philosophique promu par l’école d’Élée. Les tenants de cette école insistent sur l’unité immobile de l’être et tiennent la connaissance sensible pour illusoire. 26 « vérité infaillible qui ne trompe jamais »90. Tandis que l’opinion n’a aucune valeur vu qu’elle nous plonge dans un « monde de fantômes »91. Ainsi donc, seul le monde de la raison est vrai dans la mesure où « dans celui-ci, ni le mouvement, ni la pluralité, ni rien de ce que nos sens nous montrent, n’existe d’aucune façon. » 92 . Le disciple de Parménide va entreprendre de défendre son maître contre ses détracteurs. Et la tactique adoptée est celle consistant non pas à démontrer que la thèse de son maître est vraie, mais que c’est celle de ses adversaires qui ne peut l’être. C’est ce pour quoi Janet affirme que : « la dialectique de Zénon est un instrument de défense, une arme. » 93 Ainsi, là où Parménide affirme l’unicité de l’Être, Zénon s’attèle à nier la pluralité de l’Être. C’est ce pourquoi Proclus en déduit que : « Parménide s’attachait à la dialectique rationnelle conformément au caractère de son esprit, et se bornait à des propositions rationnelles » 94 à l’inverse de Zénon qui « pratiquait une sorte de dialectique secondaire dont le rôle est [premièrement], de reconnaître quelles sont les hypothèses qui se détruisent elles-mêmes » 95. Deuxièmement, il s’agira de reconnaître « quelles sont celles qui sont détruites par d’autres propositions, soit dans leurs conséquences soit comme principes contraires au principe posé »96 . Enfin, « quelles sont celles qui sont détruites par les conséquences qu’elles amènent, soit qu’elles unissent les contradictoires […] ou seulement les contraires […] »97 À travers ces lignes, on comprend que la dialectique zénonienne était moins une méthode de recherche de la vérité qu’une technique de réfutation qui consiste à démontrer la fausseté de la thèse adverse. Il l’utilisait donc, non pas pour découvrir des vérités nouvelles, mais juste pour défendre « sa » vérité, en réduisant ses adversaires au silence. Ce qui sera tout à fait différent de l’emploi qu’en feront Socrate et Platon. Janet dit également que si cet art de la discussion (ou art de la réfutation) « inauguré par Zénon avec un grand éclat »98 a été nommé dialectique, c’est « soit parce que Zénon discutait en interrogeant et en répondant, c’est-à-dire par dialogues (διαλογοιϛ), soit que l’on voulût exprimer par là le caractère discursif (δια) de cette dialectique qui marche de conséquences 90 Paul Janet, Op. Cit, p. 13. 91 Ibid. 92 Ibid. 93 Idem. p. 15. 94 Proclus, comm in parm, ed. cousin, tome 4, p. 111. 95 Ibid. 96 Ibid. 97 Ibid. 98 Paul Janet, Op. Cit., p. 18. 27 en conséquences (έξακολοςθείρ), et en ajoutant les propositions les unes aux autres (ζς νθέζει λογων). »99 Mais au lieu de s’inscrire uniquement dans des spéculations vaines sur le langage ou sur l’être et sa nature, ou encore sur l’origine du monde et sa composition, Socrate va inaugurer une nouvelle ère consistant en un retour à l’homme. Il va s’inscrire dans une perspective autre que celle de la dialectique parménidienne ou Zénonienne. Il va faire de la dialectique une méthode systématique de recherche de la vérité. C’est une méthode consistant en un retour sur les facultés de connaissance de l’homme. Cela, dans le but de faire une analyse « de ses forces, de ses formes [de pensée], de ses procédés […] »100 Cet emploi de la dialectique par Socrate répondait à une double nécessité : mettre fin à l’hégémonie des sophistes et mettre fin aux vaines spéculations dans lesquelles s’empêtrait la philosophie avec sa tentative de connaître l’origine du monde et sa nature. Cette double nécessité avait sa source dans un seul objectif : la vérité. La dialectique, telle qu’utilisée par Socrate dans les dialogues platoniciens, est devenu un art de l’interrogation. Car le but qui lui était assigné n’était pas d’enseigner ou de défendre un quelconque savoir, mais de questionner tous les savoirs afin d’en dévoiler les insuffisances. C’est ainsi que Platon met en scène un Socrate parcourant Athènes et entamant des discussions au gré des rencontres. À chaque fois son but était le même : pousser jusqu’à ses derniers retranchements tout individu qui se targuait d’être maître dans un domaine précis. Et en cela, il agaçait ses interlocuteurs, il les mettait dans l’embarras. Car, en usant ainsi de la dialectique, il faisait en sorte qu’ils dévoilent au grand jour leurs contradictions et leur ignorance. Socrate, selon les écrits de Platon, était aussi adroit que les sophistes dans l’art du discours. Pour preuve, il arrivait à leur tenir tête, à les tourner au ridicule et même à l’emporter malgré tous leurs artifices. Mieux, il faisait lui-même usage des artifices employés par les sophistes. Donc, en plus de la dialectique, il usait souvent des méthodes sophistiques. Si bien qu’il fût souvent associé à eux. C’est dans cette optique que Janet affirme : « on a quelques fois confondu Socrate avec les sophistes »101, dans la mesure où « la sophistique était la philosophie dominante au temps de Socrate »102 et que « tous les esprits en étaient imprégnés, 

Table des matières

REMERCIEMENTS
AVERTISSEMENT
INTRODUCTION
SECTION 1 DES ORIGINES DE LA LOGIQUE FORMELLE
PREMIERE PARTIE RHETORIQUE, SOPHISTIQUE ET DIALECTIQUE PLATONICIENNE
CHAPITRE 1 RHETORIQUE ET SOPHISTIQUE
CHAPITRE 2 DIALECTIQUE PLATONICIENNE
DEUXIEME PARTIE FORMALISATION DE LA LOGIQUE PAR ARISTOTE
CHAPITRE 1 LA LOGIQUE SELON ARISTOTE
CHAPITRE 2 POSTERITE DE LA LOGIQUE ARISTOTELICIENNE
SECTION 2 DE LA LOGIQUE KANTIENNE
PREMIERE PARTIE DU STATUT DE LA LOGIQUE CHEZ KANT
CHAPITRE 1 CONCEPTION KANTIENNE DE LA LOGIQUE
CHAPITRE 2 DE LA NECESSITE D’UNE AUTRE LOGIQUE
DEUXIEME PARTIE DE LA LOGIQUE TRANSCENDANTALE
CHAPITRE 1 LA LOGIQUE TRANSCENDANTALE DANS LE SYSTEME KANTIEN
CHAPITRE 2 LA LOGIQUE TRANSCENDANTALE APRES KANT
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
INDEX NOMINUM
INDEX RERUM

 

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