L’ EUROPE, LE MODELE ET LA PUISSANCE

L’ EUROPE, LE MODELE ET LA PUISSANCE

Car, c’est le destin même de l’Union européenne qui se joue ici. La tâche est immense. Il ne s’agit pas seulement de sauver l’euro. Encore ne faut-il pas lui sacrifier le contrat social qui fonde la démocratie en Europe. Or, c’est le risque que prennent les architectes de la nouvelle gouvernance de l’eurozone. Pris dans la logique intergouvernementale et dans l’urgence, ils n’intègrent pas la donne politique européenne dans son ensemble: gouvernance, modèle social soutenable et puissance de l’eurozone. Car sans modèle social commun, la démocratie ne résistera pas à la crise qui s’approfondit en Europe. C’est en cela que la bataille de l’euro est vitale pour la possibilité même de la démocratie en Europe. C’est en cela que la construction de la nouvelle Eurozone est l’affaire des citoyens. Elle doit marquer la première étape vers l’émergence d’un véritable « démos » européen sans lequel il n’est pas de fédéralisme possible. L’Etat-nation révèle son impuissance constitutive à réguler un capitalisme désormais globalisé et à affronter seul des défis géopolitiques comme la montée en puissance de la Chine et le recul hégémonique des USA et comme l’instabilité au Moyen-Orient, en Asie Centrale ou en Afrique. Il perd sa légitimité démocratique et ouvre ainsi un champ aux populismes voire, paradoxe absurde, aux nationalismes.

Quant à l’UE, faute d’intégration politique, elle reste désarmée devant la crise systémique du capitalisme occidental et devant les mêmes menaces stratégiques. Pourtant, l’UE constitue dorénavant la seule possibilité pour l’Europe de peser sur le cours des choses dans un monde en plein chambardement. Reste cependant à lui assigner un projet fédérateur, qui fasse sens pour les citoyens. Réguler le capitalisme de marché à l’échelle du continent pour fonder un modèle social commun et accéder à la puissance est la vocation de l’UE. La puissance est nécessaire pour affirmer les intérêts et les valeurs partagés par les Européens, à travers leur modèle de développement, dans un monde multipolaire dominé par des puissances continentales émergentes. Le modèle social est, par excellence, l’atout stratégique immatériel de l’UE dans son rapport au monde. Il donne à l’Europe sa singularité et son visage. Mais, il est aujourd’hui menacé dans ses fondements par l’absence d’un projet politique ambitieux et par la crise. Malgré les avancées sur le front de la gouvernance de l’euro, la crise persiste en Europe. Sous l’effet de la crise et des politiques d’austérité et de compétitivité qui ont à court terme un effet déflationniste, le chômage, la précarité et les inégalités s’accroissent et la crise financière menace à nouveau. Le système économique s’enraye et si les politiques tentées jusqu’ici ont évité le pire, elles s’avèrent impuissantes à renverser la spirale déflationniste qui s’amorce. Trois dangers menacent.

Le premier demeure la désintégration de l’eurozone. Une réaction des marchés à une nouvelle crise bancaire ou à la résistance des populations aux politiques déflationnistes dans les pays de la périphérie (PIIGS) peut tuer l’euro. La rupture de l’eurozone lézarderait le marché unique et aurait raison de l’unité de l’UE. Le second danger est l’urgence sociale elle-même. A partir d’un certain seuil de chômage combiné avec un recul de la protection sociale, elle pourrait susciter des mouvements sociaux et amener au pouvoir des gouvernements autoritaires pour imposer le retour à la stabilité politique interne. Ainsi se trouveraient remises en cause la démocratie en Europe et, par voie de conséquence, l’unité de l’UE. Le troisième danger tient à ce que l’Allemagne qui, pour le moment s’en sort mieux, dicte au reste de l’eurozone une politique d’austérité budgétaire et de déflation salariale qui conduirait à une déflation « à la japonaise » et qui accroitrait la divergence économique constatée depuis une décennie au sein de l’eurozone, entre le Nord et le Sud. Le déséquilibre politique qui s’en suivrait entre la France et l’Allemagne mettrait en péril l’unité de l’UE.

Deux réactions interpellent: d’un côté la réticence des politiques à prendre le relais des forces de marché, en particulier de la finance malgré la faillite avérée de cette dernière, dans la stratégie de sortie de crise. Ils y jouent leur crédibilité et leur légitimité. De l’autre, la prostration d’une opinion européenne inhibée devant la complexité du politique et dont la capacité d’agir collective est corrodée par l’individualisme et le matérialisme exacerbés du capitalisme de marché. Ce double point est capital. Le caractère inédit de la crise prend de court élus et citoyens. La plupart des analyses restent conventionnelles voire superficielles et renvoient à des clichés: pour ou contre le capitalisme, pour ou contre l’Europe, pour ou contre le «tout au marché». Rien de vraiment efficace n’en sort au plan des politiques économiques. Or, ce qui se joue aujourd’hui en Europe, c’est la possibilité même de la démocratie face à la fois à la gravité de la crise et à la complexité de la gouvernance européenne. Toute réflexion sur le sujet commence pourtant par une bonne compréhension de la crise. En saisir les origines lointaines et les circonstances immédiates, le scénario de déroulement et le nouveau contexte international, est un préalable à la recherche de solutions.

 

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