La convergence Afrique-Eurasie, chronique d’une collision différentielle

La convergence Afrique-Eurasie, chronique d’une collision différentielle

Le domaine méditerranéen doit sa configuration actuelle et sa géodynamique complexe à la convergence entre les plaques Afrique, Eurasie et autres microplaques, imputée à l’ouverture de l’océan Atlantique suite au démantèlement de la Pangée lors du dernier cycle de Wilson (Figure 1.1 A). En effet, l’ouverture de l’océan nord atlantique au Crétacé inférieur (Figure 1.1 B) provoque d’abord le déplacement vers l’Est de l’Ibérie et sa rotation antihoraire. Puis, alors que l’océan sud atlantique s’ouvre à son tour au Crétacé supérieur (Figure 1.1 C), la plaque africaine cesse sa translation parallèle à la limite avec la plaque eurasienne pour converger vers cette dernière. Ce mouvement relatif général de l’Afrique vers une Eurasie stable (par convention) s’exprime par une rotation antihoraire dont le pôle se situe au large de l’Afrique de l’Ouest, au niveau des îles Canaries. Les reconstructions cinématiques remontant jusqu’à l’Oligocène (35 Ma) indiquent un mouvement convergent globalement orienté NS (DEWEY et al., 1989 ; Figure 1.2). La configuration de la Téthys alpine, océan étroit intercalé entre les plaques africaine et eurasienne (Figure 1.1 B), a favorisé la collision différentielle qui affecte la mer Méditerranée d’Ouest en Est à partir de 30-35 Ma (JOLIVET & FACCENNA, 2000). Actuellement, le domaine occidental en est déjà au stade final de l’orogenèse, voire de l’extension post-collision, tandis que le domaine oriental subit toujours la subduction.

Chaînes et bassins de Méditerranée occidentale : de la subduction à la collision

 Au niveau de la Méditerranée occidentale et centrale, la convergence a produit l’édification de deux ceintures majeures, respectivement les Alpes-Bétiques sur le segment septentrional de la mer Méditerranée, et les Apennins-Maghrébides sur son segment méridional. Ces deux ceintures se sont développées de façon diachrone au Cénozoïque. En effet, si la chaîne alpine s.l. débute sa phase de subduction dès le Crétacé inférieur, la chaîne apennine s.l. ne la commence que lorsque la première en est déjà au stade de la collision intercontinents (ca 45-50 Ma). Un changement important de la cinématique se produit à l’Eocène terminal (30-35 Ma), alors que le mouvement absolu de l’Afrique se réduit de moitié à la collision des deux plaques (JOLIVET & FACCENNA, 2000). Un bloc regroupant les microplaques d’Alboran, du massif des Kabylies, des monts Peloritains et de Calabre (AlKaPeCa, défini par BOUILLIN et al., 1986 ; Figure 1.3), se déplace depuis l’Est et entre en collision avec la plaque ibérique. La Téthys alpine entre en subduction sous la future chaîne Apennins-Maghrébides immédiatement après, ce qui varie selon les auteurs du Crétacé supérieur à l’Oligocène supérieur (FACCENNA et al., 1997 ; DOGLIONI et al., 1999b ; LUSTRINO et al., 2009 ; Figure 1.4 A). Vers 30 Ma, l’extension d’arrière-arc débute dans le bassin Liguro-Provençal, accompagnée de son cortège de manifestations volcaniques calco-alcalines (FACCENNA et al., 2004). Celle-ci se propage ensuite vers le SW jusqu’en Alboran. Dans le même temps le front de subduction recule (DEWEY et al., 1989 ; LONERGAN & WHITE, 1997 ; JOLIVET & FACCENNA, 2000 ; ROSENBAUM et al., 2002 ; FACCENNA et al., 2004) et une première croûte océanique se forme dans le bassin Liguro-Provençal, esquissant une proto-Méditerranée occidentale (Figure 1.4 B). Ce retrait du front de subduction marque une rotation horaire dans sa partie occidentale (≈ 10° pour les Baléares) et antihoraire dans sa partie orientale (≈ 45-60° pour la Corse-Sardaigne) selon un pôle situé approximativement au niveau du golfe de Gênes (SPAKMAN & WORTEL, 2004 ; GATTACCECA et al., 2007). La migration opposée des arcs de Calabre et de Gibraltar vers le SE et le SW (respectivement) créée finalement les deux autres bassins majeurs de la Méditerranée occidentale, la mer Tyrrhénienne à l’Est et la mer d’Alboran à l’Ouest. L’extension cesse en Alboran vers 7-8 Ma (FACCENNA et al., 2004 ; Figure 1.4 C) et la subduction n’est aujourd’hui plus active qu’au niveau de la chaîne des Apennins où elle décline à son tour (Figure 1.4 D). BILLI et al. (2011) résument l’évolution fini-cénozoïque de la Méditerranée occidentale à un cycle de Wilson de petite échelle : (1) une subduction vers le Nord de la plaque africaine depuis 35 Ma, produisant de l’extension en arrière-arc ; (2) à partir de 15 Ma, l’arrêt de la subduction se propage depuis l’Ouest (mer d’Alboran) vers l’Est (mer Tyrrhénienne) le long de la frontière de plaques ; (3) vers 8-10 Ma, la déformation compressive est de nouveau enregistrée d’Ouest en Est en domaine d’arrière-arc, ce qui conduit à l’inversion tectonique des bassins formés durant la période d’extension ; (4) la subduction des anciens domaines d’arrière-arc devient désormais possible.

La Crise de Salinité Messinienne 

Si la convergence entre les plaques Afrique et Eurasie est à l’origine de la formation du domaine méditerranéen, elle contribue également à le clore progressivement. De fait, la Méditerranée a déjà connu un épisode d’isolement qui a conduit vers 6 Ma à son assèchement total. Connue sous le nom de Crise de Salinité Messinienne, cette crise environnementale majeure résulte de la fermeture des connections entre l’océan Atlantique et la mer Méditerranée au niveau de l’arc de Gibraltar. Elle sert de niveau-repère dans la chronologie récente du domaine méditerranéen. En effet, l’évaporation intense a occasionné le dépôt d’une importante couche d’évaporites dans les bassins profonds et marginaux (Figure 1.5) et produit une surface d’érosion marquée sur tout le pourtour méditerranéen. encement, sa durée et ses modalités. Nous nous contenterons ici de présenter les trois stades d’évolution proposés par le consensus du CIESM (2008) : (1) de 5,96 à 5,6 Ma, début de la crise et première phase évaporitique. Synchrone sur l’ensemble de la Méditerranée, cette première phase ne s’exprime cependant que dans les environnements peu profonds tels que les bassins marginaux. Des alternances de gypse et de marnes y forment des dépôts d’une quinzaine de cycles, témoignant de changements périodiques de salinité. La baisse de niveau marin n’est toutefois pas substantielle et la séquence marque vers le haut un retour global à des profondeurs d’eau moindres ; (2) de 5,6 à 5,55 Ma, apogée de la Crise de Salinité Messinienne. La réduction des échanges entre l’Atlantique et la Méditerranée, probablement occasionnée par l’action conjointe de la tectonique et de changements climatiques, provoque une chute drastique du niveau marin. L’importante érosion qui en découle incise profondément le littoral et affecte les bassins évaporitiques formés lors de la première étape. Dans les bassins abyssaux, une importante couche d’évaporites (halite et potasse) se dépose au-dessus du gypse resédimenté ;  (3) de 5,55 à 5,33 Ma, dépôt des évaporites supérieures et Lago Mare. Les dépôts antérieurs sont recouverts d’abord par du gypse de formation plus superficielle, puis par plusieurs évènements discrets d’évaporites d’eau douce, reconnus sous l’appellation de Lago Mare. La base du Zancléen (et donc du Pliocène) marque le retour à des conditions de pleine mer vers 5,33 Ma, suite à un ennoiement brutal lié à la réouverture du détroit de Gibraltar. 

Structure géologique profonde de l’orogène bético-rifain

 Terminaison occidentale des chaînes alpines méditerranéennes, l’arc de Gibraltar voit, de par sa position aux limites des plaques Afrique et Eurasie, se confronter à la fois l’édification orogénique et son effondrement. L’association de ces deux processus opposés dessine une structure en empilement de nappes qui, depuis la mer d’Alboran, se chevauchent et se déversent sur les littoraux espagnols et marocains pour former respectivement les Cordillères Bétiques et le Rif (ANDRIEUX, 1971). L’arc bético-rifain forme ainsi un ensemble étroit mais relativement symétrique où l’on retrouve du cœur vers la périphérie les caractères classiques d’un orogène : des zones internes métamorphiques (le domaine d’Alboran) qui chevauchent des zones externes peu métamorphiques, elles-mêmes charriées sur un socle préstructuré à l’Hercynien (Figure 1.6). Le détail des formations lithologiques sera abordé plus loin dans le Chapitre 2 ; nous nous intéresserons ici plutôt aux éléments de structure d’ordre lithosphérique. En effet, si la limite entre les plaques africaine et ibérique est marquée sur son côté atlantique par la faille transformante dextre Açores-Gibraltar (MCCLUSKY et al., 2003), la frontière méditerranéenne entre ces deux dernières est moins évidente. Les reconstitutions de la structure profonde de la mer d’Alboran s’appuient à la fois sur les données, nombreuses, de sismicité et de tomographie sismique. En mer d’Alboran, la large répartition d’une sismicité diffuse présente une structure complexe (BUFORN et al., 2004, et références incluses). Ainsi l’analyse des mécanismes au foyer des séismes peu profonds (< 40 km) traduit des mouvements décrochants, inverses ou normaux liés à la tectonique fragile active qui s’opère en surface. La sismicité intermédiaire (40 à 150 km) se répartit sur une bande méridienne étroite (50 km) à l’Ouest de la mer d’Alboran. Elle présente des axes de tension subverticaux et est interprétée par BUFORN et al. (2004) comme le reflet d’un panneau subvertical plongeant vers l’Est sous la mer d’Alboran. Enfin, les séismes très profonds (> 600 km) pourraient être selon les auteurs l’expression d’un fragment de lithosphère froide détaché en profondeur. L’ensemble reflète à la fois l’action de la convergence de l’Afrique et de l’Eurasie et une extension horizontale orientée en EW au niveau de la mer d’Alboran (Figure 1.7). Une anomalie de vitesse positive, imagée lors d’études de tomographique sismique menées en mer d’Alboran (Figure 1.8), semble confirmer la présence d’un panneau plongeant activement vers l’Est sous l’arc de Gibraltar (GUTSCHER et al., 2002 ; SPAKMAN & WORTEL, 2004).

Le programme TRANSMED I (FRIZON DE LAMOTTE et al., 2004) a été réalisé dans le but d’appréhender la structure géologique globale de la mer d’Alboran le long d’un transect NS qui part du bloc ibérique pour rejoindre le domaine saharien marocain (Figure 1.6). La combinaison des données de la littérature et des modélisations réalisées permettent de dessiner l’allure des structures lithosphériques sous l’arc bético-rifain (Figure 1.9). Le Moho s’avère ainsi presque plat à 32-34 km de profondeur sous la partie nord du transect. Il s’approfondit légèrement (38 km) à la limite entre les zones externes et internes des Cordillères Bétiques, avant de s’amincir presque de moitié sur le littoral andalous (jusqu’à 16 km sous la mer d’Alboran). De façon symétrique, la profondeur du Moho augmente de nouveau en arrivant au littoral marocain, passant rapidement de 18 à 32 km. Il reste ensuite plat à environ 35 km de profondeur, et ce jusque sous la Meseta marocaine. Si la base de la lithosphère se trouve à 140 km environ sous les Bétiques, sa profondeur est drastiquement réduite au niveau de la mer d’Alboran sous laquelle elle atteint un grand maximum de 50 km. A mesure que l’on évolue vers le littoral marocain, la profondeur de la base de la lithosphère augmente de nouveau, marquant un fort épaississement de cette dernière sous le Rif et son avant-pays (jusqu’à 180 km). Au sud du Rif, la base de la lithosphère remonte progressivement pour atteindre 70 km sous le HautAtlas. Il existe donc de grandes variations d’épaisseur dans la croûte et le manteau. A la lumière de ce transect, FRIZON DE LAMOTTE et al. (2004) mettent en évidence que les Bétiques et le Rif disposent d’une faible racine orogénique et d’une lithosphère amincie pour des systèmes orogéniques encore actifs récemment.

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