La diététique et la nutrition : d’Hippocrate à Galien

La diététique et la nutrition : d’Hippocrate à Galien

La diététique hippocratique

La diététique naît du questionnement de la relation de l’homme à l’aliment. Ce point départ, nous le retrouvons dans la médecine antique grecque. Dans cette période qui commence traditionnellement en 776 av. J.-C. et se termine en 323 av. J.-C., l’aliment est un composant du régime ou de la diète, qui signifie étymologiquement le « genre de vie ». Pourtant, les références à la diététique dans la médecine avant le VI siècle av. J.-C. sont rares. Par exemple, la diététique comme traitement des maladies internes est, contrairement à la pharmaceutique et à la chirurgie, absente des œuvres homériques . C’est à partir du Vème siècle av. J.-C. que nous trouvons dans les œuvres pythagoriciennes un intérêt relatif à la relation entre l’homme et les aliments. D’une part, les interdits alimentaires qu’ils fixaient avaient des significations culturelles et religieuses et, d’autre part, la critique qu’ils faisaient de tout abus dans l’ordre de la nourriture avait à la fois valeur de précepte moral et de conseil pour la santé. Cette réflexion pour les philosophes pythagoriciens était centrée sur l’homme, ce qui constitue une exception pour les philosophes contemporains tels que les Milésiens, Thales, Anaximandre et Anaximène dont la préoccupation première était plus centrée sur l’univers que sur l’homme. Cette attention accordée à l’homme, nous pouvons la considérer comme une évolution des centres d’intérêt de la recherche philosophique entre le VIème et le Vème siècle av. J.-C. Parmi les auteurs pythagoriciens, nous trouvons Alcméon, à la fois philosophe et médecin. Il a donné la définition la plus ancienne dont nous disposons de la santé et de la maladie: « la santé résulte de l’équilibre et du mélange des qualités constitutives de l’homme (humide, sec, chaud, froid…); la maladie par contre était causée par la prédominance de l’une entre elles » .  La nutrition préscientifique « )! médecine hippocratique des Vème et IVème siècles av. J.-C., dont Hippocrate est l’auteur le plus connu. En effet, la médecine hippocratique a donné une nouvelle place à l’homme dans l’univers. A travers cette nouvelle conception de l’homme et de la médecine, la diététique a trouvé une place centrale, dont l’influence a perduré à travers les siècles. Une analyse de cette conception nous permettra d’élucider diverses manières dont les médecins hippocratiques abordaient la diététique au sein de cette nouvelle médecine. Avant la période hippocratique, l’homme se définissait par ses relations avec les dieux, en opposant ses faiblesses à la sagesse divine. La médecine hippocratique écarte toute intervention divine dans la maladie humaine et situe l’homme dans l’univers qui l’entoure. L’ensemble de la pensée hippocratique se trouve dans une soixantaine d’œuvres qui constituent le Corpus Hippocratique. Nous retrouvons dans cette compilation deux conceptions opposées de la médecine. Il existe, d’une part, une médecine anthropologique, philosophique et dépendante de la cosmologie, à savoir une médecine qui a besoin de partir d’une connaissance préalable de la nature humaine. D’autre part, il y a une médecine autonome, correctement définie et indépendante de la philosophie qui est considérée comme la source de la connaissance de la nature de l’homme. Autrement dit, d’un côté nous avons une médecine qui part d’une conception établie de la nature de l’homme et qui relève d’un savoir philosophique, et de l’autre côté, il y a une médecine qui substitue à ces catégories de nature humaine, des catégories obtenues par l’observation raisonnée. La diététique, considérée par les auteurs de l’époque comme une véritable découverte3 , fait partie essentiellement de ces deux conceptions mais avec des approches méthodologiques distinctes, qu’il convient de détailler.

Platon et le souci de soi

En même temps qu’Hippocrate, Platon considère que le régime n’est pas un art originaire, il est une inflexion de la médecine2 . En effet, Platon affirme qu’à l’époque d’Asclépios ou de ses premiers successeurs, la médecine existait déjà car, au moyen des remèdes et des opérations on guérissait maladies et blessures. On ne se préoccupait pas de la diététique, parce que la manière de s’alimenter et de réaliser de l’exercice était conforme à la nature3 . C’est alors que l’homme en s’éloignant de la vie « rude et saine » des anciens temps peut devenir malade. Dès lors, le régime doit accompagner les longues maladies. Ainsi, la diététique est devenue une composante de la médecine au moment où le régime comme manière de vivre s’est séparé de la nature. Dans cette perspective, rectifier une diète ou un genre de vie est fondamental pour soigner la maladie, thèse qui est reprise par Platon qui en fait une exigence morale. La morale de Platon repose en grande partie sur les règles d’une diète bien entendue. En effet, il fait du régime une préoccupation morale et politique, quand, par exemple, des excès dans le régime ou le temps dédié à son corps empêchent l’individu de mener une vie politique normale4 . La diète pour Platon n’a pas pour finalité de prolonger la vie ni d’augmenter les performances, mais plutôt de la rendre utile et heureuse dans les limites qui lui ont été fixées. Le régime ne doit pas limiter les conditions de vie, il doit pouvoir s’adapter et permettre aux individus d’affronter des situations différentes : la diététique devient ainsi un « art stratégique »5 . L‘individu ne suit pas passivement les conseils des médecins, il réalise une pratique réfléchie de soi-même et de son corps, au sein de laquelle la diète doit être raisonnable sous le principe d’une juste mesure pour s’ajuster aux circonstances et aux moments. Elle doit être aussi affaire de pensée, de réflexion et de prudence. Le régime s’adresse à l’âme et lui inculque des principes, contrairement aux médicaments, ou des opérations qui agissent de l’extérieur sur le corps et que le patient subit. En effet, le régime devient du même coup un « art d’exister ». Il doit être géré par chacun qui ainsi devient le maître de son genre de vie.

Aristote et la théorie biologique de la nutrition 

Contemporain d’Hippocrate, Aristote propose ce que nous pourrions appeler aujourd’hui une théorie physiologique de la nutrition et cela à partir de ces théories « biologiques ». En effet, la biologie nait à partir des quelques œuvres d’Aristote, comme le souligne Cuvier : « Il semble que la science soit sortie toute faite du cerveau d’Aristote. […] Il n’a laissé que bien peu de choses à faire aux siècles qui sont venus après lui.» La nutrition occupe une place centrale dans cette conception de la biologie. Elle apparaît dans la Physique d’Aristote : la nutrition est la fonction principale de l’organisation générale des vivants et une fonction principale de l’âme. En effet, Aristote considère la physique comme l’étude des phénomènes qui se déroulent dans la nature visible et c’est à partir d’elle qu’il établit des principes fondamentaux. Cette physique concerne les êtres naturels et leurs mouvements (kinesi), et particulièrement le changement (métabole), à savoir le déplacement, l’accroissement et le décroissement, la modification qualitative ou altération, la génération de l’être naturel et sa destruction. Nous pouvons donc considérer la physique comme une philosophie de la nature qui concerne l’étude du changement (métabole) 3 . Dans De Anima4 Aristote explicite une définition de la vie: « La vie telle que je l’entends consiste à se nourrir soi-même, à croître et à dépérir » . Un vivant est, pour Aristote, un être naturel qui possède en lui-même deux principes : l’âme comme principe de vie, qui confère une forme à la matière, et le mouvement. Parmi les facultés de l’âme, la faculté nutritive se situe au premier plan : « C’est donc de l’aliment et de la génération que nous devons d’abord parler. En effet, l’âme nutritive appartient aussi aux êtres animés autres que l’homme, elle est la première et la plus commune des facultés de l’âme, et c’est par elle que la vie appartient à tous les êtres. Ses fonctions sont la génération et l’usage de l’aliment. » La reproduction et la perpétuité des espèces sont la cause finale de la nutrition. Ainsi, l’âme nutritive se confond avec l’âme génératrice7 . Le rôle nutritif est au fondement du vivant. Il s’agit d’une base sans laquelle aucun être mortel ne pourrait subsister.

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