La gestion de l’eau face à la réalité anthropologique

La gestion de l’eau face à la réalité anthropologique

Dépasser les blocages actuels d’une gestion locale de l’eau La crise de l’eau dans le delta n’est pas intrinsèquement liée à la disponibilité quantitative de l’eau. Cette section tente d’aborder la question de la crise de l’eau dans le delta du Sénégal. 1.1. Une crise de l’eau dans le delta Parallèlement à la maîtrise de l’eau douce, une crise de l’eau est observée dans le delta du Sénégal. Cette situation de crise est moins liée aux aspects quantitatifs, mais qualitatifs d’une part (développement des plantes d’eau douce et des algues, nappe phréatique salée, etc.). D’autre part, cette crise est aussi, en partie, le résultat d’un relatif échec de la gestion de l’eau (MIETTON et al., 2008) et des sols dans le delta du Sénégal. Le facteur primordial d’explication de cette situation semble être la gouvernance qui, paradoxalement, a fait d’importants progrès avec la mise en place d’institutions et d’organisations à différentes échelles (OMVS1 , DGPRE2 , SAED3 , OLAG4 ) pour prendre en charge les dimensions spatiales et les préoccupations socioéconomiques des différentes parties prenantes (agro-industries, eau potable, agriculture irriguée, etc.). La non prise en compte des échelles explique les problèmes rencontrés dans la gouvernance de l’eau. L’échec d’une gestion locale et d’une politique sectorielle (BRUN, LESSERRE, 2007) de l’eau (douce et salée) a été à l’origine de crises récentes, et cela bien que la ressource fut disponible ces dernières années (COLY, 2003 ; MIETTON et al., 2008). Ces crises résulteraient d’une mauvaise adéquation spatiotemporelle et multiscalaire (du local au global et inversement) des ressources et des besoins. La gestion ayant toujours été axée sur l’offre (KAMARA, 2009), ces difficultés traduisent un déséquilibre multidimensionnel (temps, espace, quantité, qualité, etc.) entre l’offre et la demande dont une étude structurelle territorialisée doit être faite. Si le territoire du delta du Sénégal peut être envisagé comme un système, il faut aussi souligner que le concept de système est largement a-spatial, et doit être complété par une réflexion sur le géosystème voire le géo-anthroposystème, sur les lieux et sur les rapports qu’entretiennent les attributs occupant les différents points de l’espace. Cette analyse peut être faite à travers une cartographie déployée à partir de la combinaison d’un Système d’Information Géographique (SIG – PANTAZIS, DONNAY, 1996) et d’une base de données géoréférencée (MARTIN, 2003, 2008.a) et à différentes échelles (locale, sous bassin versant, bassin versant, nationale). Ce faisant, les différentes variables (débit, population, demande, etc.) envisagées sont abordées dans le temps de façon multiscalaire. Il en est de même tant pour l’offre que pour la demande (pointe de crue horaire, débit moyen journalier, niveau d’eau saisonnier, demande de pointe, etc.) ; cette approche doit permettre d’établir des bilans quantitatifs et qualitatifs, comme une typologie spatiotemporelle des besoins et une caractérisation de l’offre (MARTIN, 1991). 

Des objectifs d’autosuffisance alimentaire à prendre en compte

Historiquement, le rapport entre les groupes ethniques formant « sociétés » qui peuplent le delta est aussi fondé sur une maîtrise traditionnelle et une domestication progressives (AUBRY, 2004) de ce territoire. Le processus de contrôle total et d’appropriation de l’eau en circulation, lui, est récent (KAMARA, 2010) et est fondé sur une logique occidentale et moderne. Il se traduit par des aménagements et la modification du delta et de son estuaire (GANNETT et al., 1979), par le développement d’une agriculture irriguée et l’augmentation des prélèvements d’eau pour les besoins urbains et ruraux, par l’augmentation de la densité de certains végétaux aquatiques et, plus globalement, par la montée en puissance de problèmes environnementaux (MICHEL, BARUSSEAU et al., 1993 ; KANE, 1997). Cette liste, non limitative, de transformations et de conséquences, plus ou moins positives, montre bien que le delta du Sénégal appelle une gestion fine des évolutions en cours, tant dans l’espace que dans le temps. C’est à la construction de cet outil et à son acceptabilité sociale que cette thèse est vouée, afin de pouvoir passer d’une habitabilité traditionnelle de cet espace à une gestion plus productive et moins conflictuelle appelée par les impératifs définis par les pouvoirs publics sénégalais. D’un côté, l’atteinte des objectifs « d’autosuffisance alimentaire » et la lutte contre la pauvreté sont devenues les chevaux de Troie de l’aménagement et de la maîtrise hydrauliques dans le delta. Sur les plans politique et spatial, ces objectifs économiques se traduisent par le développement d’une irrigation privée de grande envergure (2 500 ha dans le cadre du PDMAS1 , 48 000 ha prévus par le MCA2 ), par la mise en œuvre de programmes de développement agricole (GOANA3 , PNAR4 ) et par la mise en œuvre d’un nouveau schéma hydraulique devant prendre en compte, à terme, la nouvelle configuration économique du delta. D’un autre côté, la baisse, voire la fossilisation de la nappe des sables quaternaires autour de Dakar  ou de la nappe de Trarza au niveau d’Idîni située à une soixantaine de kilomètres de Nouakchott (CÔTE, 2011) du fait d’une surutilisation des ressources pose des problèmes d’alimentation en eau potable des capitales sénégalaise (Dakar, au sud du delta du Sénégal) et mauritanienne (Nouakchott, au nord). À partir de là, les stratégies des différents États riverains du fleuve Sénégal sont orientées vers le delta du Sénégal autant pour l’alimentation en eau potable des centres urbains que pour le développement d’une agriculture capable d’assurer l’autosuffisance céréalière des populations. À ce titre, une meilleure gestion des ressources en eau constitue une base certaine pour amorcer un développement multiéchelle dont les communautés locales et l’État du Sénégal pourront bénéficier. Ceci passe par une bonne connaissance et une évaluation du système de gestion de l’eau dans le delta du Sénégal. Les programmes de développement ont des incidences sur la gestion des ressources en eau dans le delta (augmentation de la demande, augmentation des débits et de l’hydraulicité des cours d’eau, extension spatiale des périmètres irrigués, problèmes écologiques et environnementaux – prolifération des plantes aquatiques, destruction d’habitats naturels –, etc.). Une évaluation de l’impact de ces programmes de développement permet de comprendre l’évolution à court, moyen et long terme des activités économiques modernes (et traditionnelles) et leurs incidences sur les ressources, les populations locales, bref sur le(s) territoire(s). Le développement se fera au détriment (ou en faveur) d’un certain nombre d’activités ou de populations d’où la nécessité du suivi à court et à long terme des ressources et des usages (indicateurs de suivi et tableaux de bord). Parmi les usages qui vont subir les conséquences de cette évolution, une attention particulière doit être accordée : – aux cultures traditionnelles sur berges et pluviales ; – à la croissance des populations urbaines et rurales corrélée à l’augmentation de la demande en eau potable, en produits agricoles céréaliers et horticoles, en loisirs (sports aquatiques, parcs d’oiseaux, etc.). La maîtrise de l’eau est analysée à travers le rythme de développement des infrastructures hydrauliques (barrages, digues, stations de pompage, etc.) et, donc, de maîtrise accrue des ressources en eau. Il faut souligner que seul l’affluent du Bafing est totalement contrôlé à travers le barrage de Manantali, sur la haute vallée (Fig. 1). Les ressources en eau issue des affluents du Bakoye et de la Falémé ne sont pas contrôlées. Le potentiel hydraulique de la vallée du Sénégal reste encore peu exploité ; le bassin du Sénégal laissant encore passer, par Bakel, ± 60 % des écoulements du fleuve (BARBIER et al., 2009). De ce fait, les projets de réalisation d’ouvrages hydrauliques sur la haute vallée sont nombreux (barrages de Félou, Golougo, Gouina, etc.), avec des fonctionnalités souvent différentes (hydroélectricité, eau potable, etc.), mais un objectif commun : la maîtrise totale de l’eau douce dans la vallée du Sénégal. 

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