La gouvernance comme outil de co-construction de commun

La gouvernance comme outil de co-construction de commun

La gouvernance dans les tiers-lieux relève de la mise en place d’un cadre dans un projet collectif. Plusieurs modèles de gestion sont possibles, mais ils font tous face à l’enjeu de l’implication des utilisateurs dans la communauté, dans la vie du lieu. Une gouvernance adaptée à la communauté évolue en même temps qu’elle.

La formalisation d’un projet collectif

Au départ des tiers-lieux, il y a souvent un collectif d’acteurs dans une volonté de partage d’un lieu. Cela peut provenir d’un réel désir de construire du commun, de monter un projet en particulier, mais aussi d’une mutualisation de locaux qui s’impose faute de moyens. Pour huit des dix entretiens réalisés, il y avait un groupe d’individus et/ou d’organisations préexistant à l’installation dans un tiers-lieu. Ces collectifs sont plus ou moins formels. Pour la majorité des structures interviewées, l’installation dans un lieu commun était le fait de plusieurs organisations désirant partager un lieu. Les objectifs étaient de mutualiser un espace assez grand pour pouvoir s’exprimer, et surtout de pouvoir collaborer, monter des projets ensemble, bénéficier de l’expérience des uns et des autres, faire et évoluer ensemble. Un autre cas d’entretien était à la base un EPN (établissement public numérique), qui a déménagé dans un endroit plus grand pour pouvoir élargir les activités proposées à la population. Pour une des interviews, un groupe d’amis a racheté une ancienne maison de retraite inoccupée pour s’y installer en habitat partagé. Ils avaient des velléités d’étendre ce projet à plusieurs activités même si rien était formalisé au début. Pour les deux structures sans communautés préalable, le projet s’est implanté d’abord et les porteurs ont ensuite lancé des appels à candidatures pour investir les différents espaces. Ces situations diverses ont toute mené à la définition d’une gouvernance du lieu, qui ne peut-être que partagée, même si ce partage est faible.

La gouvernance définit la gestion du lieu et le rôle de chacun dans ce processus : quelles sont les objectifs du lieu ? Les orientations stratégiques ? Les usages physiques et programmés ? Les moyens à allouer aux décisions prises ? Qui prend les décisions et sur quels sujets ? Ces questionnements jalonnent la formalisation d’un projet commun. Comme l’évoque une des personnes interrogées, “on arrive dans un lieu où on a à la fois des gens qui viennent du squat et à la fois des gens du milieu de l’entreprise. Ceux qui viennent du squat veulent dormir làbas, les autres sont là en mode c’est un lieu de travail… pleins de gens ont des volontés individuelles et on essaye de placer ça dans un collectif”. Le site collaboratif Movilab soutient que les tiers-lieux ont une approche intelligente de la gouvernance, car en plus d’un rapport transactionnel – le fait de payer pour occuper un espace et bénéficier de service – il y a également un rapport transformationnel dans la place que les différents usagers occupent dans la gouvernance. Participer à la gouvernance d’un lieu, c’est s’y investir et lui donner une trajectoire qui, dans la mesure du possible, collera au mieux aux besoins des bénéficiaires. On retrouve ici la dynamique du faire ensemble, du gérer ensemble. Les individus sont identifiés en tant que membre du tiers-lieu et c’est ce qui permet de faire communauté. Cette communauté émerge justement par le biais de la formalisation d’un projet collectif, lorsque les intérêts des membres convergent vers un intérêt commun. Cet intérêt commun est donc le tiers-lieu et sa vie quotidienne, et la gouvernance est un outil de sa co-construction.

Des modèles différents, des enjeux similaires

L’institution d’une gouvernance s’inscrit dans un cadre juridique. Selon une enquête réalisée en Nouvelle-Aquitaine par la Coopérative des Tiers-lieux, 57% des tiers-lieu sont administrés par une association, 12% par une coopérative, 12% par une collectivité locale et 20% sont privés. Le rapport de la Mission Coworking statue que la forme associative, la plus courante, est adaptée à des projets de tiers-lieux car souvent révélatrice d’une mentalité engagée (forme juridique ESS), et propice au développement d’une gouvernance inclusive (selon les principes associatifs, la gouvernance doit être démocratique). C’est également un cadre approprié à la formation d’une communauté. Néanmoins le rapport souligne une inclusion difficile des acteurs publics et potentiels partenaires économiques dans un modèle associatif. Les financements d’une collectivité à une association peuvent être soumis à conditions, et les interactions entre acteurs économiques et associations se cantonnent à des partenariats (mécénat, sponsoring…) mais ne vont pas jusqu’à l’investissement. Le modèle coopératif, étoile montante dans la gouvernance des tiers-lieux, permettrait d’aplanir ces difficultés en incluant plusieurs collèges de parties prenantes (salarié.e.s, usagers, collectivités, partenaires financiers…) dans la gouvernance. Cette forme est effectivement appropriée puisque les parties prenantes s’agrègent pour un intérêt commun, et chacun a un pouvoir de décision car une personne équivaut à une voix ; ce n’est donc pas le montant apporté par les sociétaires qui prime. De plus, la lucrativité limitée sous-tendue par la coopérative induit le réinvestissement des bénéfices dans l’activité du tiers-lieu. Une autre configuration observée est la gestion par une entité privée, qui commercialise des espaces de travail et des commerces dans un tiers-lieu. La gouvernance dépend alors de l’organisation interne de la société privée, et d’instances de discussions des décisions mises en place pour échanger avec les structures locataires. Enfin, certains lieux qu’on peut qualifier de tiers-lieux sont administrés par des entités publiques, notamment les EPN (établissement publics numériques) et les PIMMS (point d’information et de médiation multi-services).

Le rapport de la Mission Coworking met aussi en exergue l’enjeu d’un modèle économique souvent fragile auquel sont confrontés les tiers-lieux, surtout lorsqu’ils s’installent en zone rurale et que la communauté met du temps à se développer. La diversification des sources de revenus pour aboutir à une péréquation est une solution pour pérenniser les projets, mais le rapport préconise également l’hybridation des modes de gouvernance, avec une emphase sur les SCIC pour faire entrer au capital des partenaires publics et privés. Cette préconisation pose la question du détournement des tiers-lieux au profit de logiques économiques ou de récupération politique. Toutefois, on peut penser qu’un tiers-lieu aura une portée territoriale plus complète s’il est mûri en collaboration avec l’écosystème économique et public local. Le rapport conclut sur la garantie d’autonomie qui doit être faite aux porteurs de projets dans une gouvernance partagée, afin de de na pas entraver les dynamiques de la communauté dans son lieu de vie.

Parmi les entretiens, le cas d’une des structures correspond aux problématiques évoquées dans le rapport de la Mission Coworking, qui projettent de passer d’un modèle associatif à une SCIC, afin de se fondre au mieux dans son territoire. Les trois autres organisations associatives semblent satisfaites de leur forme actuelle, où la hiérarchie est plutôt horizontale et où les décisions sont segmentées par groupe de travail (pilotage, budget, communication…). L’entrée au conseil d’administration ou dans un groupe de travail se fait sur la base du volontariat (sauf pour un lieu qui impose l’entrée au CA d’une structure si elle exploite un espace), mais est directement corrélée au niveau d’implication des individus dans le lieu. Participer à la gouvernance, c’est participer à la vie du lieu. Quatre des entretiens portent sur une gestion privée, où la gestion est opérée par l’entreprise qui organise des comités ponctuels avec ses résident.e.s pour faire remonter leurs retours. Ce mode de fonctionnement est beaucoup moins impliquant car il n’y a pas de cadre, les locataires peuvent ne pas y participer. Les niveaux d’implication sont difficiles à coordonner, entre les locataires qui voudraient plus coconstruction et ceux qui en voudraient moins. De plus, ces lieux sont soumis à un turn-over des résident.e.s. Cette situation semble être un obstacle au développement d’un projet commun qui serait le tiers-lieu, et donc d’une communauté. Enfin, un des entretiens concerne une société anonyme publique locale, dont le mode de gouvernance est basé sur des réunions régulières avec le conseil d’administration composé d’élu.es, afin de déterminer les décisions stratégiques, qui sont ensuite appliquée par les salarié.e.s. Ces derniers prennent les décisions quotidiennes sans “autorisation”. Pourtant, cette gouvernance non partagée n’a pas entravé la naissance d’un sentiment communautaire.

Un enjeu commun à tous ces modèles est l’implication des utilisateurs dans le lieu, et si la gouvernance est un outil puissant pour déclencher la participation, elle n’est pas la réponse à tout.

Table des matières

Introduction
Préambule – Cadre théorique et définition des termes
I. Cadre théorique
II. Définitions
1. Tiers-lieux
2. Communauté
3. Impacts sociaux, utilité sociale
III. Description de la méthodologie
Partie I – Le rôle des dynamiques internes qui structurent la communauté d’un tiers-lieu dans la création d’impacts
I. La gouvernance comme outil de co-construction de commun
1. La formalisation d’un projet collectif
2. Des modèles différents, des enjeux similaires
3. Un processus en mouvement
II. L’hybridation d’usages pour accueillir la diversité des pratiques
1. Un lieu équipé au service d’utilisateurs variés
2. La liberté de l’appropriation
3. L’importance des espaces communs
4. La compatibilité des usages et des usagers
III. La collaboration comme essence des tiers-lieux
1. Les communautés collaboratives au cœur des nouveaux modes de travail
2. L’animation au service de la communauté
3. La sérendipité pour favoriser l’innovation
4. Une logique marchande à l’œuvre et un risque de l’entre-soi
Partie II – Les rapports externes de la communauté avec son environnement dans la création d’impacts
I. Une réponse locale à des besoins divers 39
1. Des besoins locaux pas forcément identifiés
2. Le tiers-lieu est le fruit de son territoire
3. Une implantation parfois opportuniste
II. L’inscription dans un écosystème d’acteurs locaux
1. Une logique de faire avec la ville
2. L’implication nécessaire des collectivités
3. Le lien avec les acteurs locaux
4. Un encastrement social parfois compliqué
III. Des espaces qui alimentent l’attractivité territoriale
1. Un atout économique
2. De l’animation du territoire
3. La volonté d’un développement durable
4. Une valorisation en construction et un risque d’instrumentalisation
Partie III – L’impact de la communauté sur les individus
I. Le développement d’un sentiment d’appartenance
1. Une instance de socialisation qui agit sur le bien-être
2. Un nouveau rapport au travail
3. Une appartenance corrélée au niveau d’implication
II. Un effet relatif sur les pratiques individuelles
1. Le partage de bonnes pratiques
2. Une conscientisation souvent informelle sur le temps professionnel
3. Une évolution des pratiques
III. Une nouvelle modalité d’expression citoyenne dans les tiers-lieux ?
1. La contribution des citoyens pour mieux vivre ensemble
2. Un cadre à l’expression citoyenne
3. Une confrontation à l’altérité à relativiser
Conclusion

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