La maltraitance des enfants et des adolescents, rôle du chirurgien-dentiste

Généralités sur la maltraitance chez l’enfant et l’adolescent

D’après la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) (1999) « La maltraitance de l’enfant s’entend de toutes les formes de mauvais traitement physiques et/ou affectifs, de sévices sexuels, de négligence ou de traitement négligent, ou d’exploitation commerciale ou autre, entrainant un préjudice réel ou potentiel pour la santé de l’enfant, sa survie, son développement ou sa dignité dans le contexte d’une relation de responsabilité, de confiance ou de pouvoir. » Cette définition est basée sur le terme « mauvais traitement », nous pouvons alors nous questionner sur la limite entre le bon et le mauvais traitement et la limite entre maltraitance et méthodes éducatives. Une fessée est-elle considérée comme un mauvais traitement ? Ou bien tirer les cheveux ? Une claque ?
Deux claques ? Certains traitements, s’ils sont justifiés, appartiennent aux méthodes éducatives et non à la maltraitance ?
Hormis des situations graves de maltraitance, il est difficile de distinguer clairement et précisément la maltraitance de la non-maltraitance. La loi du 10 juillet 2019 relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires prône une autorité parentale sans violences physiques ou psychologiques. La maltraitance reste mal connue dans la société et dans le monde professionnel. Elle est citée dans les faits divers comme un évènement ponctuel et face auquel les professionnels de santé sont démunis pour résoudre ce problème.
Historiquement, le XXème siècle a été marqué par un intérêt grandissant pour l’enfant, leur droit, leur développement, et leur place dans la société.
Bien traiter un enfant c’est satisfaire ses besoins fondamentaux (manger, dormir, être propre sur soi mais aussi recevoir de l’amour et avoir un sentiment de sécurité) autrement, on peut parler de danger.
Ce qui constitue la maltraitance est la négligence de ses besoins fondamentaux, la systématisation de la brutalité infligée sous prétexte de méthode éducative et le caractère excessif des actes par rapport à l’âge et aux capacités de l’enfant (gifler un bébé), par rapport aux circonstances (humilier un enfant), par rapport à la confiance et au besoin d’amour (terroriser un enfant ; arracher son jouet favori).

La maltraitance psychologique

La maltraitance psychologique est une maltraitance émotionnelle permanente et récurrente dans le but de nuire à la santé et au développement affectif de l’enfant ou de l’adolescent. On accorde moins d’attention à cette forme de maltraitance comparé aux maltraitances physiques et sexuelles. Il est difficile de définir la limite entre éducation avec des méthodes non violentes et maltraitance psychologique.
Cette maltraitance consiste à persuader l’enfant qu’il n’est pas légitime, qu’il est sans valeur, mal aimé, considéré seulement en cas de besoin. Cela comprend l’humiliation, les menaces d’abandon et de coups, les insultes, les cris, le harcèlement, l’exploitation ou la corruption de l’enfant, provoquant peur et sentiment de danger.
A tout âge, la maltraitance psychologique peut se traduire par une discontinuité des interactions, humiliations répétées, insultes, exigences excessives, emprise, injonctions paradoxales. Chez le nourrisson, la maltraitance psychologique généralement exprimée par un défaut d’attachement peut avoir pour conséquence des troubles des interactions précoces.

La maltraitance physique

La maltraitance physique est définie par l’OMS comme des actes infligés aux enfants et adolescents entrainant des dommages corporels ou risquant d’en entrainer.
Cette forme de maltraitance se divise en deux parties selon l’OMS : les châtiments corporels sévères et les châtiments corporels modérés.
Les châtiments corporels : Les châtiments corporels comprennent :
Les coups : Le syndrome de l’enfant battu est un des syndromes de la maltraitance. Ce syndrome concerne des enfants qui présentent des lésions à répétition de la peau, du squelette ou du système nerveux. On peut trouver aussi de multiples fractures récentes et/ou anciennes ainsi que des traumatismes crâniens, des lésions viscérales graves avec preuve de coups répétés.
Les morsures : Les morsures sont causées par d’autres enfants ou adultes dans le cadre d’une forme inappropriée de sanction. Les morsures rentrent aussi dans le cadre de la maltraitance sexuelle qui touche plus fréquemment les adolescents.
Le secouement : le secouement est une forme de maltraitance courante. Cette forme de violence concerne les nourrissons. La majorité des nourrissons secoués sont âgés de moins de neuf mois. Les victimes de secouement risquent des hémorragies intracrâniennes, des hémorragies rétiniennes, des fractures cunéennes des principales articulations et des extrémités. L’OMS décrit les décès d’environ un tiers des nourrissons secoués. La majorité des survivants décriront des séquelles à long terme comme des retards mentaux, une infirmité motrice, cérébrale ou une cécité. L’empoisonnement intentionnel est une forme rare de maltraitance physique mais il est important de le citer car il est à risque très élevé de morbidité et mortalité. L’empoisonnement peut entraîner des troubles du métabolisme, des symptômes gastro-intestinaux, des maladies hémorragiques et des symptômes neurologiques.
Les brûlures : Les brûlures peuvent être causées intentionnellement par des cigarettes ou par des objets chauds appliqués sur le corps de l’enfant. En intra-orales, elles peuvent être causées par une ingestion forcée d’aliments chauds ou caustiques.
La noyade est une forme de maltraitance physique difficile à distinguer de la noyade accidentelle ou d’une mort naturelle soudaine. Cette maltraitance concerne généralement les jeunes enfants ou nourrissons. L’étranglement.
On peut ajouter à la liste le syndrome de Münchhausen par procuration : Ce syndrome constitue une pathomimie, c’est-à-dire un trouble factice. Il faut comprendre le mot «factice» comme «fabriqué» et non comme « faux ». C’est la production de symptômes chez un enfant, fabriqué par un adulte. L’adulte profite ainsi des bénéfices secondaires de la maladie à travers son enfant. Le syndrome de Münchhausen par procuration fait partie des maltraitances physiques graves, où le système de soins est instrumentalisé. Les symptômes décrit au corps médical sont souvent organiques (malaise, troubles neurologiques ou digestifs) mais peuvent également être psychiatriques. Ces symptômes sont falsifiés et entretenus par l’adulte. Il s’en suit des examens diagnostiques pouvant aller jusqu’aux examens invasifs, et parfois jusqu’au traitement plus ou moins invasifs à la demande de l’adulte.

Lésions de la langue

Les hématomes sublinguaux peuvent être le signe d’une maltraitance physique, mais peu de cas ont été décrits. La découverte d’un hématome sublingual sans explication concrète doit nous faire penser à de la maltraitance physique et nous pousser à rechercher d’autres symptômes, il faut éliminer le diagnostic différentiel qui est la ranula ou kyste mucoïde pour les glandes salivaires accessoires.
Une ranula est un kyste bénin contenant des muqueuses de la glande salivaire sublinguale, causée par une rupture ou un blocage du canal salivaire.
Mehra et coll. ont décrit dans la littérature le cas d’une petite fille de 2mois se présentant en  consultation pour une lésion buccale en expansion. Les deux parents présents ce jour-là expliquent que «l’égratignure» a été remarquée pendant le repas suite aux cris de l’enfant.
Plusieurs constatations sont faites ce jour de consultation : l’enfant gargouillait mais refusait de manger, la petite fille avait des difficultés à avaler et à respirer. Un examen clinique révèle la présence de sang dans sa salive ainsi qu’un hématome sublingual. Les praticiens relèvent plusieurs lésions telles qu’une déchirure du frein lingual, une contusion linéaire sur l’abdomen et deux ecchymoses sur le côté droit de sa poitrine.
En urgence la patiente a dû être intubée. Une radiographie du thorax a été prescrite et a montré de multiples fractures des côtes en phase de cicatrisation. Une étude du squelette a également permis de détecter des fractures métaphysaires du fémur et du tibia. Les parents n’ont pu expliquer aucune fracture.
L’étiologie de l’hématome sublingual a été présumée être un traumatisme car aucune cause médicale ne pouvait expliquer la lésion.
Une petite fille de 6 ans, en bonne santé générale, présente une lésion sous la langue : une vésicule de 3cm de diamètre sur le côté gauche du plancher buccal, non indurée. Aucun antécédent de traumatisme, et aucune anomalie congénitale n’ont été constatés. Une exérèse totale de la lésion ainsi qu’une analyse histopathologique a confirmé un kyste du canal salivaire ou un ranula de type rétention.

Troubles du comportement

L’enfant ou l’adolescent maltraité décrit un changement de comportement. Toute modification de comportement habituel de l’enfant n’ayant pas d’explication concrète doit attirer l’attention. L’enfant maltraité n’a plus le même rapport avec le contact physique, il peut être méfiant, se montrer craintif, replié sur lui-même, avec un évitement du regard.14 L’enfant peut décrire des comportements extrêmes : une agressivité, un rejet extrême ou au contraire il peut rechercher un contact ou affection sans discernement avec une gentillesse excessive. Il semble inquiet et peureux de ses parents et de rentrer au domicile. L’enfant peut développer des troubles du sommeil, cauchemars, ou des troubles alimentaires.
Dans certains cas, l’enfant pose des mots sur sa souffrance et accuse ses parents. Le refus fait partie intégrante des comportements suspect de maltraitance. Il peut s’exprimer au niveau corporel tel que le refus de prendre soin de son corps, refus d’hygiène ou à contrario un lavage obsessionnel et compulsif. Il peut s’exprimer dans la sphère relationnelle (refus de grandir, refus de voir une personne sans raison). On peut également le retrouver au niveau scolaire avec un refus ou une phobie scolaire.
Durant la consultation, les responsables peuvent également nous alerter : Le parent peut s’imposer pendant la consultation et parler à la place de l’enfant, il a un comportement intrusif.
Il peut ne pas se soucier de l’enfant et être indifférent (pas de geste ni de parole). Il peut avoir une proximité corporelle exagérée et surjouée avec l’enfant.
Le représentant de l’enfant va tenter de donner une explication incohérente face aux lésions de l’enfant, ou contradictoire, ou parfois il n’en donnera aucune. Il essaiera de dissimuler les lésions ou de protéger la personne responsable. Devant le professionnel de santé, l’adulte va minimiser ou contester les symptômes ou les dires de l’enfant. Il aura une attitude agressive ou sur la défensive. Le comportement va être extrême, soit en refusant des investigations médicales sans raison valable, soit en ayant une attitude d’hyper-recours aux soins.

Diagnostic des signes de maltraitance psychologique

La maltraitance psychologique ou émotionnelle infligée aux enfants est la forme la plus répandue et la plus difficile à identifier. Les violences psychologiques infligées aux enfants et aux adolescents comprennent des actes d’omissions et des actes de commissions. La maltraitance psychologique est perçue comme de la violence psychologique lorsque des actes d’omission ou de commission infligent un préjudice au bien-être de l’enfant. Ces violences morales vont être répétées et interprétées par l’enfant avec pour conséquences une détresse émotionnelle et/ou un comportement inadapté.
Cette forme de maltraitance est la plus déclarée en France selon les appels du 119. Cependant, elle est difficile à identifier, et souvent passe inaperçue lorsque d’autres formes de mauvais traitements coexistent.
Troubles du comportement :La maltraitance psychologique interfère avec le développement de l’enfant. Les conséquences sont liées à des troubles de l’attachement et des troubles du développement affectif et cognitif. On note également des problèmes d’éducation, de socialisation et des comportements perturbateurs. Une étude sur des orphelins roumains privés sévèrement d’affection a montré de graves effets sur la fonction exécutive et la mémoire ainsi que sur l’attachement. L’étude montre également des troubles psychologiques et psychiatriques. Il a été démontré que les mauvais traitements infligés dans les trois premières années de vie avaient des répercussions profondes car la croissance du cerveau et des systèmes biologiques ont lieu pendant cette période.

Table des matières

Introduction
I.Généralités sur la maltraitance chez l’enfant et l’adolescent 
1. Les différents types de maltraitance 
1.1. La maltraitance physique
1.1.1. Les châtiments corporels
1.1.2. Sévérité des violences physiques
1.2. La maltraitance psychologique
1.3. La maltraitance sexuelle
1.4. La négligence
2. Aspect épidémiologique
2.1. Prévalence
2.1.1. Epidémiologie à l’échelle mondiale selon l’OMS
2.1.2. Maltraitance physique
2.1.3. Maltraitance sexuelle
2.1.4. Signalement
2.2. Sous-estimation de la maltraitance
3. Facteurs de risque selon l’OMS
3.1. Caractéristiques de l’enfant maltraité
3.2. Caractéristiques liées à son environnement
3.3. Facteurs de risques liés à l’enfant
3.4. Facteurs de risques liés à l’auteur
II.Rôle du chirurgien-dentiste dans le diagnostic
1. En première ligne face à la maltraitance
1.1. De par sa spécialité
1.2. De par sa consultation caractéristique
2. Diagnostic des signes de maltraitance physique 
2.1. Les lésions intra-orales
2.1.1. Lésions traumatiques
2.1.2. Lésions des lèvres
2.1.3. Lésions des muqueuses
2.1.4. Lésions de la langue
2.1.5. Caractéristiques des lésions
2.2. Les lésions extra-orales
2.2.1. Lésions cutanées
2.2.2. Lésions des os de la face
2.2.3. Troubles du comportement
2.2.4. Quand suspecter une maltraitance physique ? Par National Institute for Health and Care Excellence (N.I.C.E)
3. Diagnostic des signes de maltraitance psychologique
3.1. Définition
3.2. Troubles du comportement
3.3. Quand suspecter une maltraitance psychologique? Par National Institute for Health and Care Excellence
4. Diagnostic des signes de maltraitance sexuelle
4.1. Signes cliniques oraux de la maltraitance sexuelle
4.2. Troubles du comportement
4.3. Quand suspecter une maltraitance sexuelle ? Par National Institute for Health and Care Excellence
4.3.1. Infections sexuellement transmissibles
4.3.2. Grossesse
5. Diagnostic des signes de négligence
5.1. La négligence
5.2. La négligence bucco-dentaire
5.3. Quand suspecter une négligence ? Par National Institute for Health and Care Excellence
5.3.1. Les besoins fondamentaux
5.3.2. La malnutrition
5.3.3. La supervision
6. Diagnostic différentiel 
6.1. Diagnostic différentiel de la maltraitance physique
6.1.1. Diagnostic différentiel des lésions extra-orales
6.1.2. Diagnostic différentiel des lésions intra-orales
6.2. Diagnostic différentiel de la maltraitance sexuelle
6.3. Diagnostic différentiel de la maltraitance psychologique
6.4. Diagnostic différentiel de la négligence bucco-dentaire
III.Rôle du chirurgien-dentiste dans la prise en charge
1. Réglementation
1.1. Textes de loi
1.2. Certificat médical initial
1.3. Secret professionnel et dérogation
1.4. Prise en charge pluridisciplinaire
2. La consultation 
2.1. Au cours de l’entretien avec l’entourage de l’enfant
2.2. Au cours de l’entretien avec l’enfant
3. Conduite à tenir
3.1. Quand ?
3.2. A qui ?
3.2.1. La transmission d’information préoccupante au CRIP
3.2.2. Signalement au procureur de la République
3.2.3. Récapitulatif
3.3. Comment signaler ?
3.3.1. La rédaction d’une information préoccupante/ d’un signalement
3.3.2. Suites administratives et judiciaires
IV.Cas clinique décrit dans la littérature
Conclusion 
Annexe 1
Annexe 2
Bibliographie

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