La méthode intuitive et la géographie

La méthode intuitive et la géographie

Les pratiques d’enseignement fondées sur la méthode intuitive sont développées dès 1875 par Buisson. Elles sont ensuite reprises et développées au fil de différents articles de son Dictionnaire de Pédagogie. Dans les décennies suivantes, à l’entrée dans le Vingtième siècle, la conception de la géographie développée par Vidal de La Blache et les pratiques scolaires promues par Ferdinand Buisson semblent pouvoir se combiner aisément. Par contre au moment où Buisson coordonne son Dictionnaire de pédagogie le lien n’est pas évident entre les articles de géographie, en particulier les monographies d’États, et cette méthode d’enseignement pour la géographie.

Ferdinand Buisson et la méthode intuitive

Les expositions universelles sont à la fin du XIXe siècle des lieux de présentation des innovations dans le domaine de l’École . Ferdinand Buisson est responsable de l’organisation de la participation du ministère de l’Instruction à l’Exposition universelle de Vienne de 1873 . Il rédige un compte rendu de cette exposition dont un chapitre est consacré à la présentation de la méthode intuitive dont la leçon de chose, l’enseignement par l’aspect et les exercices d’intuition ne sont que des applications, que sa mise en œuvre :
Il faut distinguer sous le terme d’intuition deux idées que les maîtres confondent parfois : la méthode et les procédés. Les procédés sont plus généralement connus et admis que la méthode, et cependant ils ne valent que par elle. Ce qu’on appelle dans les programmes allemands exercices d’intuition, ce que les Américains ont nommé leçons de chose, ce que nous avons depuis peu inauguré en France, sous le nom d’enseignement par l’aspect, enseignement par les yeux, tout cela n’est qu’une application, la première, il est vrai, dans l’ordre des études, mais aussi la plus importante, — de la méthode intuitive prise au sens général. […]
A proprement parler, il n’y a qu’une question de méthode en pédagogie ; elle est universelle, elle embrasse toute l’éducation et a une influence décisive sur le développement des esprits.
Or c’est précisément sur cette manière générale d’entendre et de diriger l’éducation toute entière que l’exposition de Vienne fournissait des enseignements nouveaux qu’il ne sera pas inutile de recueillir. Une grande leçon s’est dégagée avec éclat de l’ensemble des expositions scolaires, ainsi que des votes du Jury : c’est que partout aujourd’hui l’esprit pédagogique subit une transformation profonde, partout il cherche le progrès dans la même voie, il tend à introduire dans tous les domaines les idées et les pratiques scolaires que désigne le mot relativement nouveau de méthode intuitive. […]
La méthode intuitive est inspirée par les propositions pédagogiques de Rousseau et enrichie par les expériences scolaires de Pestalozzi. Les références philosophiques sont exactement celles que Franz Schrader reprendra quelques années plus tard dans son article géographie du Dictionnaire. Cette méthode permet aussi d’exercer le jugement, de former la volonté et le sens moral des enfants :
[…] en France il était bien difficile de séparer l’Émile du Contrat social et d’en apprécier la partie pratique, abstraction faite de tout l’ensemble d’utopies politiques, sociales et religieuses auxquelles ce roman d’éducation servait en quelque sorte d’application chimérique. Les Allemands étaient plus à même que nous de faire le départ de ces éléments divers ; moins préoccupés de la portée générale des idées de Rousseau, moins passionnés par les débats ardents qu’elles soulevaient, ils purent donner plus d’attention à la question pédagogique et recueillir les vues justes éparses dans ce « rêve d’un visionnaire ».
Le plan d’éducation qu’ils en tirèrent avait pour caractère essentiel de substituer l’observation des choses à l’étude des mots, le jugement à la mémoire, l’esprit à la lettre, la spontanéité à la passivité intellectuelle. L’innovation qui en résultait dans la pratique pouvait se ramener aux points suivants : exercer avant tout les sens de l’enfant, pour les rendre plus forts, plus souples, plus délicats ; exercer ensuite son jugement en le guidant sans lui imposer des idées toutes faites, en lui faisant peu apprendre et beaucoup trouver ; exercer sa volonté, soit comme attention, soit comme force de caractère, en lui donnant l’occasion de se former, et au besoin de se réformer elle-même : exercer son sens moral, en lui faisant tirer de sa propre expérience la notion de devoir et même l’idée religieuse.
La mise en œuvre à l’École de cette méthode d’enseignement ne relève pas pour le pédagogue Buisson du préceptorat rousseauiste ou des techniques de l’enseignement individuel. Pour Buisson qui est aussi directeur de l’enseignement primaire, la méthode intuitive se doit d’être conduite dans le cadre de l’enseignement simultané. La méthode participerait ainsi de la généralisation de la scolarisation de la jeunesse, politique systématisée quelques années plus tard par le ministère Jules Ferry. Pour Ferdinand Buisson il s’agit de faire bénéficier les enfants du peuple d’une méthode précédemment réservée à ceux qui pouvaient bénéficier d’un précepteur éclairé.

Les exercices de géographie dans les Dictionnaires de Ferdinand Buisson ;

La difficulté d’échapper au questionnaire et au calcul
Des exemples d’applications pédagogiques accompagnent les premières monographies géographiques publiées à la lettre A du Dictionnaire, d’Afrique à Australie. Ainsi, l’article Allemagne est suivi par un « questionnaire géographique » sur le mode catéchistique (mais sans les réponses), puis d’une série de « problèmes géographiques ». Ces deux rubriques correspondent à des approches fort contrastées. Les « questions géographiques » renvoient à des inventaires, des énumérations, à une connaissance factuelle, tandis que les « problèmes géographiques » se situent, au moins implicitement, dans le cadre d’une géographie problématisée, appliquée à la confrontation entre la France et l’Allemagne. L’objectif implicite apparaît néanmoins de façon transparente, le problème géographique consistant à suggérer des réponses qui visent à aider la France à combler ses retards sur l’Allemagne, sur le plan démographique, sur celui de ses infrastructures de transports et des échanges.

Questions géographiques
— 1. Sur la géographie physique. — De quel côté l’empire d’Allemagne a-t-il des frontières naturelles ? — Énumérer en partant du nord-ouest les États qui l’entourent. — Est-il plus ou moins peuplé, plus grand ou plus petit que la France ? — Climat.
En combien de versants se partagent les eaux de l’Allemagne ? — Quels sont les principaux bassins de chaque versant ? — Quelles sont les principales villes d’Allemagne situées sur : le Rhin ? — l’Elbe, etc. ? – Quels sont les principaux affluents coulant en Allemagne du Rhin, de l’Elbe ?
Quels sont les principaux ports de l’Allemagne ?
2. — Sur la géographie agricole et industrielle. — Quels sont les principaux produits de l’agriculture ? — Les eaux minérales les plus fréquentées ?
Quels sont les principaux centres manufacturiers ? — Qu’y fabrique-t-on ?
3. — Sur l’ethnographie. — Quelles sont les diverses races formant la population de l’Allemagne ? — Dans quelles contrées étrangères la langue allemande est-elle parlée ?
4. — Sur la géographie politique. — Quelles sont les religions suivies en Allemagne ? — Les attributions du gouvernement impérial ? — Les principales universités allemandes ? — De quels États se compose l’empire.
Les « questions géographiques » sont telles que les réponses ne peuvent être que des listes de mots, des informations factuelles. Aucune argumentation n’est attendue. Ce qui ne signifie pas que ces listes n’aient pas de sens. On voit bien ici qu’elles convergent vers une prise de conscience de la puissance de l’Allemagne. Il en est de même pour les « problèmes géographiques » qui suivent. L’objectif de connaissance est implicitement la comparaison de la France et de l’Allemagne. La technique consiste en une série de calculs. Est-ce une affirmation du caractère polyvalent de l’enseignement à l’école primaire, est-ce l’occasion aussi de souligner son caractère pratique ?

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