La Méthodologie de la théorisation enracinée

Interdisciplinarité et démocratie

Les actions collectives et particulièrement les mouvements sociaux ont été étudiés par plusieurs chercheurs, depuis différentes disciplines et approches théoriques et méthodologiques (Fillieule et al., 2010). En effet, selon Filleule, Agrikoliansky et Sommier « la sociologie des mouvements sociaux constitue aujourd’hui un champ bien distinct des sciences sociales, à l’intersection de la science politique, de la sociologie et de l’histoire contemporaine moderne» (Fillieule et al., 2010, p. 7). Nous partageons cette opinion, mais à notre avis, à l’intersection, nous devons ajouter la communication. En effet, nous allons utiliser plusieurs concepts qui proviennent de la sociologie et nous recourrons à des exemples historiques et politiques. Le mouvement social est une forme politique plus courante dans les contextes démocratiques (Tilly, 2006). De là vient notre association du concept de mouvement social à celui de culture démocratique.

Le mouvement des citoyens en général a été protégé par plusieurs pactes et conventions comme un droit fondamental des sociétés démocratiques sous la forme principale du « droit à la manifestation », par exemple, dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’ article 21 certifie que le droit de réunion pacifique est reconnu. Tandis que la Commission européenne des droits de l’homme des Nations unies a affirmé en 1979 que « le droit de réunion pacifique est un droit fondamental dans une société démocratique et [ .. . ] [et est] l’un des fondements de pareille société. Comme tel, ce droit couvre à la fois les réunions privées et les réunions sur la voie publique» (Fillieule et Tartakowsky, 2013, p. 56). Finalement, nous pouvons dire que mouvements sociaux et la démocratie sont deux concepts qui ont été interreliés dans l’ensemble des théories dédiées à l’étude de l’ organisation sociale. Cependant, nous pensons que le concept de communication est un ajout important à ce duo: La communication n’ est pas la perversion de la démocratie, elle en est plutôt la condition de fonctionnement. Pas de démocratie de masse sans communication et par communication, il faut entendre certes les médias et les sondages, mais aussi le modèle culturel favorable à l’échange entre les élites, les dirigeants et les citoyens (Wolton, 2008, p. 143). Nous nous sommes appuyée sur cette idée de Wolton (2008) pour expliquer l’importance d’incorporer la communication dans la relation entre démocratie et mouvement social.

Action collective et mouvement social

Les recherches sociologiques abordent plusieurs concepts souvent mobilisés dans les études sur les actions collectives. Nous pouvons parler de ressources, de stratégies d’action (Pierru, 2010), des éléments cognitifs liés à la perception du mouvement (Contamin, 2010), des effets sur les mobilisés (Chabanet et Giugni, 2010), ou des dimensions affectuelles ou psychosociales liées aux actions collectives (Sommier, 2010). Néanmoins, les aspects les plus communs pour notre perspective théorique sont liés à deux thèmes fondamentaux, la politique (Fillieule et al., 2010; Guay, 2005; Orfali, 2011) et les médias (Acrimed, 2007; Juhem, 1999; Neveu, 1999a, 1999b, 2010). Ces lectures ont nourri le choix des trois dimensions qui nous intéressent dans notre recherche: la principale, liée aux aspects sociaux, et les deux contextuelles, soit la dimension médiatique et la dimension politique. De prime abord, nous présentons le concept d’« action collective » d’ Alain Touraine (1978), fondateur des études sur les mouvements sociaux : comme l’ action d’une collectivité ou d’un groupe placé en relation avec des partenaires ou adversaires sociaux dans un cadre historique déterminé.

Ce concept nous apporte trois idées fondamentales pour analyser la problématique de la pyrrhotite en Mauricie. En premier lieu, l’ idée de collectivité, que constitue le regroupement de victimes. En second lieu, la relation des victimes avec des partenaires ou adversaires que sont les politiciens (municipaux, provinciaux ou fédéraux). En troisième lieu, l’ idée d’un contexte historique déterminé, nous permet d’ établir une relation entre l’évolution du phénomène et l’ importance du cadrage. Cependant, nous trouvons plusieurs éléments dans les définitions de Melucci, Sévigny, Maheu et Gagnon, qui complètent le concept d’ action collective de Touraine (1978) : Je défmis l’action collective comme l’ensemble des conduites conflictuelles dans un système social. Une action collective implique la lutte de deux acteurs dont chacun se caractérise par une solidarité spécifique et s’oppose à l’autre pour l’appropriation et la destination de valeurs et ressources sociales (Melucci, et al, 1978, pp. 37-38). En plus des idées de la solidarité et des conduites conflictuelles, Melucci et ses collègues apportent un nouveau raisonnement. Ainsi, l’ action collective comprend également les conduites qui cassent les normes institutionnalisées dans les rôles sociaux, qui débordent les règles du système politique et/ou qui attaquent la structure de rapport de classe d’une société (Melucci et al., 1978).

L’acteur social, le discours et le cadrage

En 1998, Alain Touraine parlait de la nécessité d’un changement dans la compréhension du démocratique, comme comprenant l’ensemble des garanties institutionnelles du droit de tout un chacun à se construire comme sujet, et par sujet, il entend « [ … ] la construction de l’ individu (ou du groupe) comme . acteur, par l’association de sa liberté affirmée et de son expérience vécue, assumée et réinterprétée. Le sujet s’exprime aussi par la reconnaissance mutuelle de l’ autre comme sujet » (Touraine, 1998, p. 33). L’acteur, que nous préférons appeler l’acteur social, est le centre de notre intérêt comme chercheuse. Pour compléter notre conceptualisation, nous serons alerte à saisir sa capacité à se construire dans la société, à construire la société, de même qu’à découvrir et construire (ou déconstruire) autrui. En considérant l’ acteur comme un être social et le contexte historique comme fondamental dans notre analyse, nous nous approchons de la conceptualisation de la construction sociale de Berger et Luckmann (2012).

En utilisant leur théorie, notre but est de souligner, à la fois historiquement et socialement, la pertinence de ce mémoire. Selon eux, le sujet, que nous appelons acteur social, est le protagoniste du processus d’ intériorisation de la réalité à travers une expérience historique. Ils n’abordent pas une situation d’ action collective, mais bien celle de la réalité en général. Cette théorie nous permet d’expliquer les processus qui lient nos dimensions (sociale, politique, médiatique) à la construction historique de la problématique à partir du discours. La caractéristique fondamentale d’un acteur social est sa capacité d’agir, d’ entreprendre une action. Depuis le point de vue de la communication, nous pensons à la possibilité de montrer cette capacité d’ agir à partir de l’étude du discours. À notre avis, le discours constitue le centre d’un mouvement social, raison pour laquelle le discours médiatique prend autant d’importance dans notre recherche. Ce discours permet aux acteurs de donner une signification à leurs actions face aux autres en expliquant leurs objectifs. Nous considérons que dans une action collective, l’ interaction entre les individus est ce qui permet de cristalliser la subjectivité, détachée du contexte (1′ « ici» et le « maintenant » pour Berger et Luckman (2012» , et ce qui permet l’échange des expressivités entre les individus.

Cet échange sert de tremplin pour aborder le dernier concept qui donnera sens à notre recherche dans le domaine de la communication. Ainsi, nous avons déjà mentionné à la section précédente notre intérêt pour le discours médiatique. Toutefois, nous attribuons beaucoup d’importance au discours quel qu’ il soit. Et c’ est la raison pour laquelle nous incluons aussi le discours public des politiciens, journalistes et autres figures publiques (dirigeants de la CAVP, experts, avocats, etc.). Finalement, l’ensemble du discours12 représente pour nous le discours social tel qu’ expliqué par Marc Angenot (Angenot, 1988; Angenot, Bourque, Duchastel, et Robin, 1984). En effet, cet auteur considère le discours social comme la production sociale de l’individualité. Angenot propose « le renversement classique des démarches historico-dialectiques : ce ne sont pas les écrivains, les publicistes qui« font des discours », ce sont les discours qui les font, jusque dans leur identité, laquelle résulte de leur rôle sur la scène discursive » (Angenot et al., 1984, p. 21). Pour lui, les discours construisent donc les figures publiques.

La Méthodologie de la théorisation enracinéel9 Depuis qu ‘en 1967 Glaser et Strauss (1967) ont « découvert » the grounded theory, elle a été appliquée par des chercheurs de plusieurs domaines, par exemple, la sociologie, l’ administration et la communication sociale. Le choix de la MTE comme méthodologie pour une recherche en communication, comme dans n’ importe quel domaine, suppose de tenir compte de plusieurs aspects, lesquels ne sont pas nécessairement évidents pour les néophytes. La MTE est une méthode aussi valable que les autres, mais son utilisation implique l’ application d’un processus différent d’une approche classique pendant la recherche. Cela signifie que le chercheur doit être capable de justifier chaque décision prise à l’ intérieur de la flexibilité donnée par laMTE. En faisant une recherche qualitative, quantitative ou mixte en communication sociale, nous pouvons encore employer laMTE, une chose n’empêchant pas l’ autre. C’ est la méthode « adopt and adapt » (Glaser, 2010).

Elle se caractérise par son approche inductive. Nous pouvons ajouter qu’ elle est une méthode qui sert à apprendre sur le monde qui nous entoure et à développer les théories pour le comprendre (Charmaz, 2014). Cependant, le respect de la procédure, de même que l’adaptation du chercheur à la réalité du terrain sont des éléments essentiels dont il faut tenir compte pour utiliser la MTE. Sans tenir compte de ces deux éléments, nous faisons tout juste du «jargonizing » (Glaser, 2009). À cause du « jargonizing » (Glaser, 2009) beaucoup des chercheurs prétendent travailler avec la MTE en utilisant des mots comme enracinement ou enracinée, mais sans comprendre ni appliquer la MTE. Le «jargonizing » est d’ ailleurs un des éléments qui crée de la confusion quant à l’ utilisation de la MTE (Guillemette et Luckerhoff, 2009). Toute recherche qualitative doit avoir un certain enracinement, mais toutes n’ utilisent pas nécessairement la grounded theory (Glaser, 2010).

Position épistémologique

Avant de définir notre position épistémologique, nous devons expliquer que nous sommes d’accord avec Pourtois, Desmet et Lahaye (2006) quand ils affirment que le champ épistémique ne doit pas être normé par quelques postures univoques, que les sauts d’une approche à l’autre sont, non seulement possibles, mais enrichissent singulièrement la connaissance. Dans notre recherche en général, nous nous situons à partir du modèle de l’ interactionnisme symbolique, un modèle largement utilisé dans les recherches en communication. Le terme interactionnisme symbolique a été introduit par Herbert Blumer. « Pour l’interactionnisme, les phénomènes sociaux n’ont pas d’ existence hors de la conscience des hommes dans la concrétude de leurs relations. Il n’est de sciences sociales que d’ interprétation» (Le Breton, 2004, p. 171). En plus, à partir de cette perspective épistémologique, l’ individu interprète les significations des actions des autres. Cela veut dire que le chercheur doit interpréter les données d’une manière cohérente, mais en maintenant une relation stricte avec le terrain. Par ailleurs, nous trouvons pertinent d’ ajouter à notre position épistémologique deux courants philosophiques. Nous parlons, d’abord, de la phénoménologie, en tant que courant qui prône d’ être fidèle à la réalité qui se présente, ou aux éléments qui apparaissent dans notre conscience. Fondée par Edmund Husserl et développée ensuite par Heidegger, une de ces idées est la critique du positivisme. Finalement, l’herméneutique, le deuxième courant philosophjque en question, parle de l’ interprétation des textes. Son objectif est d’obtenir une interprétation valable et commune de la signification d’un texte (Dreier et Kvale, 1984). Elle implique que les résultats d’une recherche soient en partie le fruit des interactions entre le chercheur et son objet de recherche (Labelle, Navarro-Flores et Pasquero, 2012).

Table des matières

Sommaire
Liste des tableaux
Liste des figures
Remerciements
Introduction
Une recherche interdisciplinaire
Chapitre 1 – Problématique et cadre conceptuel
1.1. Mise en contexte
1.2. Pertinence de notre étude
1.3. Quel est notre objectif? D’où viennent nos données?
1.4. Une problématique depuis trois dimensions
1.5. Les concepts sensibilisateurs
1.6. Interdisciplinarité et démocratie
1.7. Action collective et mouvement social
1.8. L’acteur social, le discours et le cadrage
Chapitre 2 – Méthodologie générale
2.1. La Méthodologie de la théorisation enracinée
2.2. Position épistémologique
2.3. Avant de choisir notre approche méthodologique
2.4. Développement méthodologique de notre recherche
2.5. Comment expliquer notre choix méthodologique: les six principes sauveurs
2.6. Pourquoi la MTE ?
Chapitre 3 – Résultats
3.1. Sondage effectué par la CA VP
3.1.1. Questionnaire et échantillon
3.1.2. Analyse secondaire des données du sondage
3.1.3. Résultats
3.2. Revue de presse
3.2.1. Description du corpus
3.2.2. Plan d’analyses
3.2.3. Résultats quantitatifs
3.2.4. Plan d’analyse qualitative
3.2.5. Résultats qualitatifs
3.2.6. Conclusions ……
3.3. Les entretiens qualitatifs
3.3.1. Plan d’analyse
3.3.2. Résultats
3.3.3. Les sinistrés de la pyrrhotite
3.3.4. Étapes d’un désastre
3.3 .5. Mouvement collectif et CAVP
3.3 .6. La pyrrhotite et la politique
3.3 .7. Fonctionnement de la CAVP
Chapitre 4 – Discussion et Conclusions
4.1. Le retour aux résultats
4.2. Limites
4.3. Ouverture
Bibliographie
Articles de presse cités
Annexes
Annexe 1. Questions du sondage réalisé par la CA VP
Annexe 2. Revue de presse. Acteurs par années

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