La mixité sociale, une affaire de perception

La mixité sociale, une affaire de perception

L’homogénéité des profils socioéconomiques, accompagnée d’outils efficaces à la prise de décision collective, limite les coûts de prise de décision. Les coopérateur.rice.s n’ont pas tout à fait conscience de cette facilité à prendre des décisions rapidement grâce à leurs similitudes. Il.elle.s souhaiteraient davantage de mixité sociale à La Cagette. Quelques discussions informelles avec des coopérateur.rice.s m’ont amenée à penser que tou.te.s n’avaient pas la même définition de mixité sociale. Certain.e.s parlaient des « arabes » ou « musulmans » qui vivent dans le quartier Figuerolles – quartier prioritaire de la ville, limitrophe de La Cagette – et d’autres évoquaient les classes moins favorisées. Dans cette partie, nous analyserons les mots que les coopérateur.rice.s mettent derrière la notion de mixité sociale, les tentatives de mise en place de facteurs favorisant la mixité à La Cagette et ailleurs et ce que les structures en ont retenu.

La mixité sociale selon les membres de La Cagette 

Les coopérateur.rice.s ne sont pas tou.te.s d’accord quant à l’ambition de mixité sociale. Nous allons chercher à connaître les rapports qu’entretiennent les coopérateur.rice.s de La Cagette avec la notion de mixité sociale.

« Penses-tu qu’il y ait de la mixité sociale à La Cagette ? Pas tant que ça, on n’est plus sur certaines catégories, des bobos, c’est quand même l’économie sociale et solidaire pour ne pas faire de cliché, qui ont plus ou moins des métiers dans le social, des classes populaires » .

« C’est quoi pour toi la mixité sociale ? Je mettrai de la mixité sociale sur beaucoup de multinationalité, une mixité socioprofessionnelle. Avoir une mixité sociale représentative de notre ville. C’est-à-dire que s’il y a 10 % de chômeurs dans la ville, eh bien dans notre structure il faut 10 % de chômeurs et pas 2 %. On est un microcosme et les coopérateurs de La Cagette ne représentent pas la mixité qu’on peut trouver à Montpellier et plus dans notre quartier » .

« Mélanger des gens qui ont des niveaux culturels, de revenu, d’âge différents » « Y a des maghrébins qui viennent à La Cagette mais c’est une frange éduquée. Mais les pauvres ils s’en foutent de nous ils ont Lidl et du chocolat à 60 centimes, nous on aura jamais le chocolat à 60 centimes. Tant qu’on aura pas une grande taille on n’aura pas de mixité sociale » « Je me suis aussi un peu branché avec le comité solidarité parce que pour moi il y a aussi un problème : il n’y a pas de diversité à la cagette on ne peut pas dire ça. Il n’y a pas de musulmans, il n’y a pas de femmes voilées, il y a très peu de personnes de couleurs, il y a beaucoup d’hommes, dans les membres je crois qu’il y a une majorité de femme mais dans les membres actifs je pense qu’il y a pas mal d’hommes. Dans les postes de responsable et de référent des comités encore plus d’hommes. Ça c’est vraiment des problématiques qui quand le projet sera un peu plus pérenne, structuré, posé il faudra peut-être reposer un peu des questions sur la mixité. Je fais partie des gens qui militent pour qu’il y ait une  sixième valeur qui soit inscrite dans les valeurs de La Cagette : la valeur de solidarité. Et que à travers cette valeur on s’ouvre sur le quartier car on est entourés de personnes en difficulté, de migrants, il y a à côté de nous des associations qui travaillent avec ces publics-là. On essaye, on voit des tentatives mais finalement on n’est jamais disponible, les salariés ne sont pas investi dans ces choses-là ou très peu, concrètement parce qu’ils ont d’autres choses à faire mais du coup ça montre que ce n’est pas une priorité puisque concrètement on n’arrive pas à mettre en œuvre des relations pour arriver à plus de mixité, que la société Cagette sois plus représentative des membres de la société française et des personnes vivant en France » .

Leur définition de la mixité sociale dénote l’importance avant tout de représenter proportionnellement les caractéristiques socioéconomiques des habitants de notre pays. L’hétérogénéité des catégories socioprofessionnelles des coopérateur.rice.s semble importante pour certain.e.s, mais tou.te.s s’accordent à dire qu’il manque de mixité ethnique à La Cagette. Cette mixité ethnique est très présente dans le quartier Figuerolles mais pas dans la coopérative installée dans ce quartier. La Cagette est elle perçue comme « un truc de bobos gauchistes » ? Ne fait-elle pas assez parler d’elle à grande échelle ? Se contente-t-elle du bouche à oreille qui nourrit l’entre-soi?

Et pourtant, depuis sa création, La Cagette manifeste une grande ambition de mixité sociale. Sur le site internet de la coopérative comme dans les discours des coopérateur.rice.s – peu sont ceux qui n’en ont rien à faire – La Cagette se déclare en lutte contre les inégalités alimentaires : « permettre à chacun.e d’améliorer son alimentation quels que soient ses moyens et ses convictions » est un des arguments du site internet pour faire valoir sa volonté d’inclusion. Le pari est loin d’être gagné selon un ancien salarié. La quête de mixité sociale s’est faite en grande partie par les produits et leurs prix. Le but était de laisser la possibilité à celles et ceux qui ont l’habitude de consommer des tomates en hiver de les acheter en hiver à La Cagette. Tout en gardant des bas prix, essentiels pour que les consommateur.rice.s fassent le choix d’acheter leurs produits à La Cagette et tolèrent de participer au fonctionnement du magasin trois heures toutes les quatre semaines. Au départ, les droits d’inscription étaient ouverts aux personnes bénéficiaires des minimas sociaux pour une cotisation de 5€ quand la cotisation pour les autres était de 25€. Aujourd’hui l’entrée au sociétariat, qui est un passage obligatoire pour être coopérateur.rice, comprend l’acquisition de 10 parts sociales soit 100€ par personne « dont une part minimum le jour de la souscription. La Cagette laisse chacun.e libre de fixer le délai dans lequel elle.il est capable de parvenir à une souscription de 100€» . Selon cet ancien salarié, il y a eu une ouverture au départ puis un retour sur un entre-soi qui s’est cristallisé. La seule ouverture actuelle selon lui ce sont les collectes qu’il considère comme de la charité. Il y aurait un manque d’engagement politique. L’outil de la coopérative ne serait pas utilisé comme outil de lutte sociale : c’est un supermarché avec peu de pauvres, d’ouvrier.e.s et d’employées. L’inclusion sociale lui laisse un sentiment d’échec : « on a pensé que l’assortiment de produits suffisait ». Il est important de travailler le collectif avec des individus de tous horizons et de tout type de bourse pour réellement changer le système d’approvisionnement dominant à grande échelle.

Comprendre pourquoi d’autres publics ne fréquentent pas La Cagette 

La mixité sociale a été recherchée par des membres du comité solidarité suite à la connaissance des statistiques démontrant l’homogénéité des profils et l’absence de certaines catégories. Trois ateliers ont été menés par une bénévole accompagnée d’une travailleuse sociale d’un centre social du quartier. Ces ateliers sont nés du constat du manque de mixité sociale au sein de coopérateur.rice.s. A partir de ce constat, le comité solidarité avait comme objectif de se mettre en lien avec les associations du quartier. Le service Imagin’air, qui est un service de Gammes, travaille avec un public bénéficiaire du RSA (revenu de solidarité active) pour un accompagnement social global. Des personnes participent à des ateliers collectifs hebdomadaires, d’autres bénéficient d’un accompagnement individuel bimensuel. L’équipe d’Imagin’air a décidé de proposer ces ateliers à deux groupes déjà existants et participant à des ateliers du service Imagin’air : un groupe participant à l’atelier bien-être et alimentation et un groupe participant à l’atelier recyclage et environnement .

« Je trouvais ça intéressant, puisque La Cagette disait qu’il n’y avait pas de mixité sociale, déjà on pouvait comprendre pourquoi. Pour Imagin’air, c’était le fait de sensibiliser à un autre mode de consommation et pour la cagette l’avantage c’était de savoir pourquoi la mixité sociale ne fonctionnait pas. […]

Toutes ces solutions alternatives, souvent elles concernent que des gens qui sont déjà bien convaincus. J’ai fait partie de jardins partagés et d’une asso de commerce équitable et en fait on ne prêche que les convaincus donc c’est intéressant de savoir pourquoi on n’arrive pas à sensibiliser les gens qui ne sont pas concernés par un autre mode de consommation. Il me semblait aussi que la cagette voulait montrer que ça concernait tout le monde, et pas que les bobos ou des gens qui ont une certaine éducation, montrer qu’il est possible de s’ouvrir. Cette réalité on peut la retrouver dans les AMAP, à la ruche qui dit oui, un peu partout » .

Le groupe ayant participé à ces ateliers était constitué de 16 personnes : 13 femmes de la Cité Gély et 3 hommes, tou.te.s bénéficiaires du RSA et de l’accompagnement du service Imagin’air. Les objectifs de ce partenariat pour le centre social étaient de faire émerger un sentiment d’utilité chez les personnes accompagnées, participer à un projet collectif, développer du lien social, penser un autre mode de consommation.

Table des matières

Introduction
1. Quelle mixité sociale à La Cagette et comment expliquer que cette mixité soit relativement limitée ?
1.1. Mixité économique plus que culturelle
1.2. Pourquoi sont-il.elle.s là ?
1.3. Pourquoi est-ce plus simple de créer un mouvement avec des profils homogènes ?
2. L’homogénéité des profils socioéconomiques est-elle le prix à payer afin de limiter les coûts de prise de décisions collectives ?
2.1. Dans les instances de décisions, cette homogénéité des profils socioéconomiques est amoindrie grâce à des déterminants sociaux qui favorisent l’implication
2.2. Les causes de la pérennisation des coopérateur.rice.s dans les comités
2.3. Les causes des départs des coopérateur.rice.s
2.4. Les prises de décision au consentement : une manière de contourner des coûts de décisions collectives et les conflits
3. La mixité sociale, une affaire de perception
3.1. La mixité sociale selon les membres de La Cagette
3.2. Comprendre pourquoi d’autres publics ne fréquentent pas La Cagette
3.3. Les tentatives mises en œuvre pour favoriser la mixité sociale
Conclusion

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