La naissance d’un enfant et les transformations de la solidarité familiale intergénérationnelle

La naissance d’un enfant et les transformations de la solidarité familiale intergénérationnelle

La solidarité familiale intergénérationnelle initiale

Si la solidarité intergénérationnelle se transforme avec la naissance d’un enfant, la forme qu’elle peut prendre est toujours en partie déterminée par la solidarité qui préexiste à la transition. Pour voir distinctement comment la solidarité familiale intergénérationnelle évolue dans ces circonstances qui modifient la famille et ses relations, nous avons d’abord tracé un portrait de ce qu’elle était avant la transition, au moins un an avant l’annonce de la naissance prochaine du premier enfant. Tel que mentionné au deuxième chapitre, la solidarité s’insère toujours dans une structure qui peut plus ou moins prédisposer à entretenir un certain type de relation, à privilégier certains modèles et à adopter certaines pratiques plutôt que d’autres. Si plusieurs conditions structurelles peuvent influencer la solidarité familiale intergénérationnelle, l’espace physique dans lequel elle s’insère est communément le premier déterminant considéré: est-ce que les membres de la famille doivent parcourir de longues distances pour se rencontrer? A priori, nous pouvons supposer que la distance géographique entre les lieux de résidence des futurs parents et grands-parents a une incidence sur la solidarité familiale intergénérationnelle. En clarifiant d’abord jusqu’où les variations de cet aspect structurel s’accompagnent de différences significatives dans l’expérience de la solidarité familiale intergénérationnelle avant la transition, d’autres considérations et particularités des relations intergénérationnelles observées se dégagent et nuancent par la suite le jugement sur l’importance de la proximité géographique entre les lieux de résidence. Des regroupements ont été formés ici par rapprochement de situations rencontrées dans les témoignages des participants pour constituer des La naissance d’un enfant et les transformations de la solidarité familiale intergénérationnelle 78 catégories. Celles-ci émergent du terrain de recherche et ainsi, ne rendent pas compte de l’ensemble des situations géographiques dans lesquelles peuvent s’insérer les relations intergénérationnelles. 

En contexte de proximité géographique

Quatre relations intergénérationnelles entre les enfants adultes et leurs parents, avant que les premiers aient leur premier enfant, s’inscrivent dans un contexte de forte proximité géographique, c’est-à-dire où la distance entre les résidences des uns et des autres peut être aisément franchie en quinze minutes ou moins en voiture. Josée F. et Denise F. Josée F. et Denise F. habitent à moins de cinq minutes l’une de l’autre et la proximité de leur résidence est intentionnelle et planifiée. Lorsque le frère ainé de Josée a décidé de vendre sa maison unifamiliale située dans le même quartier que ses parents, Denise et son conjoint ont fortement insisté pour que Josée l’achète et s’établisse près d’eux : Ils voulaient que je reste proche d’eux autres. Pis même, c’est eux autres qui ont poussé beaucoup pour que mon frère me vende la maison. Ils ont beaucoup insisté (rires)! (Josée F.) Non seulement Josée et Denise vivaient très près, mais elles travaillaient également au même endroit. Josée y travaillait à temps plein avant la naissance de son fils, tandis que sa mère y était employée à temps partiel. Elles se voyaient alors presque tous les jours en semaine, au travail, et tous les dimanches soirs pour le souper familial – rencontre qui a un caractère sacré pour Denise. Malgré qu’elles pouvaient se voir en personne plusieurs fois par semaine, compte tenu de la proximité des résidences et le fait qu’elles travaillaient au même endroit, les appels téléphoniques étaient également très fréquents, presqu’à tous les jours. À cette époque de leur relation, leurs appréciations respectives de leur sociabilité étaient en décalage : Josée trouvait que c’était beaucoup, tandis que sa mère aurait aimé la voir plus souvent. D’ailleurs, si Josée apprécie vivre près de ses parents, elle trouvait toutefois difficile de gérer la spontanéité de leurs visites : Ce que j’aimais peut-être moins des fois du fait qu’ils habitent proches, surtout avant d’avoir [mon fils], c’est qu’ils arrivaient un peu n’importe quand chez nous. Sans appeler, ils passaient dans la rue, ils prenaient une marche, ils arrêtaient. T’sais, des fois, on a le goût… On est « relax », pis on n’a pas nécessairement le goût. (Josée F.) Denise considère qu’elle et son conjoint étaient relativement disponibles durant l’année précédant la naissance de leur premier petit-enfant, puisque son conjoint était déjà à la retraite et qu’elle ne travaillait que quelques heures chaque jour. Sachant que leurs enfants étaient plus contraints par leur emploi du temps, même s’ils n’avaient pas encore d’enfant, Denise et son conjoint offraient régulièrement leur aide pour les rénovations et les travaux ménagers. Si elle considère que l’aide et le soutien offerts à ses enfants relèvent 79 en quelque sorte d’un devoir parental, et reconnait ainsi les engagements normatifs qui la lient à ses enfants, Denise n’a toutefois pas d’attente de soutien de leur part, et refuse même que ceux-ci leur offrent de l’aide, car ils estiment que ce n’est pas encore leur tour : […] des fois, ils nous offraient, mais on disait : « t’as tes choses à faire toi aussi ». Ça fait qu’on se débrouillait nous-mêmes. Eux autres, ils ont des choses, ils sont jeunes, ils commencent dans la vie. (Denise F.) Annie C. et Yvette C. L’orientation principale des pratiques de soutien peut toutefois aller en sens inverse, des enfants adultes vers les parents, avant la naissance du premier enfant. C’est le cas d’Annie C. et Yvette C., qui elles aussi résidaient à proximité l’une de l’autre, à moins de dix minutes en voiture. Si au décès de son conjoint, Yvette n’était pas encore vraiment acceptée dans la famille32 , Annie ne pouvait concevoir qu’elle se retrouverait soudainement sans famille. Pour Yvette, Annie et son conjoint étaient son premier recours et son point de repère; ils l’aidaient dans ses travaux d’entretien, lui préparaient des repas, l’accompagnaient à ses rendezvous et s’occupaient déjà de ses finances personnelles. Annie avait d’ailleurs plus de temps pour s’occuper d’Yvette à cette époque, car sa mère n’était pas encore atteinte par la maladie d’Alzheimer. Puisqu’Yvette était déjà assez âgée, Annie n’avait aucune attente de soutien, et elle trouvait tout à fait normal de donner sans nécessairement recevoir. À la retraite depuis plusieurs années, Yvette avait déjà beaucoup de temps libre et allait souvent rendre visite spontanément à Annie, qui elle, en étant travailleuse autonome, passait beaucoup de temps à préparer ses projets professionnels et à planifier ses rendez-vous à son domicile. Annie a beaucoup de respect pour cette femme joyeuse, positive, encourageante, mais elle acceptait ses nombreuses visites surtout parce qu’elle sentait le grand besoin d’attention d’Yvette. Annie s’assurait d’être disponible pour Yvette, au détriment de son conjoint qui accorde plus d’importance au maintien de leur intimité familiale.

Une proximité géographique discontinue : le cas de Julie A. et Monique

A. Le contexte résidentiel de la relation entre Julie A. et Monique A. avant l’annonce d’une première naissance est particulier. Monique et son conjoint étaient alors propriétaires d’une maison dans une ville située à environ deux heures de Québec, mais ils étaient aussi locataires d’un appartement à Québec, dans lequel ils résidaient environ une semaine sur trois, en raison d’obligations professionnelles de son conjoint qui travaillait alors à temps partiel. Malgré que les parents de Julie vivaient assez près de chez elle durant leurs séjours périodiques à Québec, leurs rencontres restaient assez rares. La fréquence des rencontres semblait convenir à Julie, mais sa mère n’était pas du même avis: Ma plus jeune fille avait ses amis, ses occupations, pis je la voyais moins souvent le temps que je vivais à Québec. Ça l’adonnait jamais. […] Mon dieu, moi je l’ai vu environ 10 fois en trois ans, alors c’est pas beaucoup. C’était vraiment peu… (Monique A.) En raison de certaines tensions entre sa mère et son conjoint à l’époque, Julie allait principalement visiter ses parents les semaines où ils résidaient dans leur maison située hors de la ville de Québec. Elle allait y passer quelques jours lorsque son conjoint allait visiter son père. Ainsi, chacun visitait séparément leurs parents : Mon beau-père, je le voyais moins souvent, parce que c’était plus mon conjoint qui y allait, parce que moi j’arrêtais [dans la ville située à mi-chemin entre Québec et le lieu de résidence de son beau-père] voir mes parents. (Julie A.) Les rencontres avec leur belle-famille respective étaient donc plutôt rares. Alors que Monique et son conjoint étaient prêts à rendre service à leur fille, Julie souligne qu’elle s’arrangeait pas mal toute seule ou qu’elle avait plutôt tendance à embaucher quelqu’un quand il fallait réparer quelque chose. Julie ne s’est jamais vraiment sentie proche de ses parents, ce qui attriste beaucoup Monique. La distance émotionnelle de sa fille a toujours été une épine dans [son] pied, pour celle qui aurait tant souhaité entretenir une relation aussi forte et fusionnelle avec Julie qu’avec sa fille ainée. Pour Monique et Julie, la proximité géographique intermittente n’avait que peu d’effet sur les modalités et la fréquence des contacts et des échanges, l’influence de celle-ci étant nettement atténuée par la faible proximité affective. En contexte d’éloignement géographique et de potentiel élevé de déplacements Trois relations intergénérationnelles entre les enfants adultes et leurs parents, avant que les premiers deviennent également parents, s’inscrivaient dans un contexte d’éloignement géographique, mais où la distance entre les résidences des uns et des autres pouvait être franchie en moins d’une demi-journée. Les déplacements pouvaient ainsi être facilement planifiables, peu longs et relativement peu coûteux. 83 François D. et Jean-Pierre D. Tous les deux natifs de Québec, François D. et sa conjointe ont décidé d’aller s’établir dans une petite ville de région située à deux heures de Québec, quand une opportunité d’emploi pour celle-ci s’est présentée. Bien qu’ils aient décidé d’y acheter une propriété, François indique que leur établissement : c’était plus pour essayer, mais on n’est jamais vraiment parti de Québec. À cette époque, François venait assez régulièrement à Québec, dès qu’[il] avait le temps, pour voir ses amis, mais aussi pour visiter ses parents. Jean-Pierre D. et sa conjointe allaient également lui rendre visite au moins une fois par mois pour le plaisir ou pour lui donner un coup de main : T’sais, je pense à [François], il n’est pas manuel pour 30 sous. Moi, je ne le suis pas, mais il est 10 fois pire que moi. On y allait pour faire la peinture ou… c’est nous qui la faisait, la peinture. […] Faire de la nourriture, ça, on l’a fait souvent. Quand on descendait à [petite ville de région], on leur faisait de la bouffe, ils avaient un grand congélateur. On leur faisait des tourtières, des pâtés, de la sauce à spaghetti, etc. Quand on partait, ils avaient du « stock » pour trois semaines/un mois (rires). (Jean-Pierre D.) Non seulement ses parents lui rendaient des services, mais ils lui ont également prêté de l’argent pour le « cashdown » de la maison. Mais au-delà de ces aides concrètes, la relation entre François et ses parents repose sur l’affection et des affinités partagées : […] si ça ne « feelait» pas, j’allais jaser à ma mère. Je voulais jaser de politique, j’allais voir mon père. C’était des amis beaucoup. Ben, c’est encore ça. (François D.) Bien que leur relation soit étroite, Jean-Pierre se décrit comme n’étant pas le genre de parent à vouloir absolument [ses] enfants dans la rue à côté. Pour lui, la distance qui le séparait de son fils n’était pas un problème, surtout qu’étant à la retraite, il était disponible pour se déplacer. Par ailleurs, les nombreux appels téléphoniques, trois ou quatre fois par semaine, leur permettaient de garder contact malgré l’éloignement. Les contacts et les échanges de François et sa conjointe étaient nettement plus importants avec ses parents qu’avec ses beaux-parents; les seconds vivaient non seulement encore plus loin, mais étaient également moins disponibles, puisqu’encore en emploi à temps plein, et moins proches affectivement. 

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