La poste : Une entreprise de services 

La poste : Une entreprise de services 

 La Poste gère des contraintes évolutives fortes. Certes, la réforme de son statut et la libéralisation progressive de son marché sont des évolutions récentes. Mais, de tout temps, l’opérateur postal s’est accommodé des évolutions de la demande et des évolutions technologiques. Le risque est aujourd’hui plus élevé, étant donné les enjeux et les exigences que suscite l’ouverture à la concurrence de son marché : « Des entreprises de petite taille peuvent donc assez rapidement devenir des concurrents dangereux sur des segments de marché très ciblés, et par définition rentables, où les prix sont supérieurs aux coûts, puisque ce sont ces niches qui permettent de financer les activités déficitaires dans le cadre du principe de péréquation géographique. » [Boulaud (2000), p.27] Il incombe à La Poste de réagir, et l’innovation peut le lui permettre. Toutefois, en a-t-elle les moyens ? En quoi son héritage historique constitue-t-il un atout ? Primo, l’opérateur postal, tributaire de son héritage historique, délivre des prestations de service à travers une organisation, un réseau et des métiers. Secundo, il s’inscrit dans le fil d’une tradition d’innovations, tant technologiques que de service. Tertio, il s’apparente à un système bureaucratique théoriquement imperméable aux logiques d’innovations locales.

Une entreprise de services organisée par métiers et en réseau

La Poste est une entreprise qui délivre des prestations de service dans les domaines du courrier, du colis et des services financiers. La réalisation des prestations est répartie entre des fonctions commerciales, des fonctions de production et des fonctions supports, chacune organisée et intégrée dans un réseau territorial. C’est à travers ce réseau que La Poste assume encore aujourd’hui des missions d’intérêt général : celles-ci influent certes sur ses activités, mais elles ne le privent pas pour autant d’être une entreprise qui se doit d’être économiquement viable. 

Courrier, colis ou services financiers : des prestations de service ?

 Selon son cahier des charges et en vertu de la loi du 2 juillet 1990, La Poste a deux objets principaux. 1. D’une part, « offrir le service du courrier, à savoir tout service de collecte, de transport et de distribution d’objets de correspondance et de marchandises » 57 . 2. D’autre part, « offrir, dans le respect des règles de la concurrence, des prestations relatives aux moyens de paiement et de transfert des fonds, aux produits de placement et d’épargne, à la gestion des patrimoines, à des prêts d’épargne-logement et à tous produits d’assurance. La Poste gère le service des chèques postaux et, pour le compte de l’État, la Caisse nationale d’épargne (…). » .L’activité de courrier de l’opérateur est, elle-même, segmentée en six grandes familles de produits et services : 1. les correspondances, i.e. lettres, cartes postales et envois recommandés ; 2. le marketing direct ou courrier publicitaire adressé ou non adressé ; 3. la messagerie (colis et paquets) ; 4. l’export (flux de lettres et de paquets à destination de l’étranger) ; 5. les autres produits ou tout service nouveau tel la collecte et remise du courrier pour les entreprises, la prestation d’affranchissement. ; 6. la presse et les franchises. Si, historiquement, La Poste – qui relève statutairement du domaine de l’État – a toujours été classée dans le secteur tertiaire, la question de son appartenance au secteur des services n’est pas pour autant évidente. En ce qui concerne les services financiers, il est certain que l’interface entre le prestataire (A) et le client financier (B) est le lieu de réalisation de la prestation du service à la fois en fonction des souhaits du client, en fonction des compétences du prestataire et en fonction des supports physiques (C)59 – les produits financiers. La distinction est donc ténue entre des produits financiers et les services financiers, si l’on ne souligne pas l’importance de la relation de service qui définit la prestation et qui en permet la co-élaboration avec le client en fonction d’un portefeuille d’alternatives possibles – combinaison de produits financiers – qui sont mis à la disposition du conseiller financier. Toutefois, l’ambiguïté se réduit également lorsque l’on considère les composantes intrinsèques de certains produits financiers qui rendent ces produits non aliénables et difficilement stockables, renforçant d’autant la nature servicielle du service auquel ils sont associés. Cette distinction entre produit et service est toutefois plus délicate dans le domaine du courrier. Par définition, à travers la vente du timbre, de la lettre pré-affranchie, du colis pré-affranchi ou de tout autre type d’affranchissement qui représente le support physique du service (C), La Poste en tant que prestataire (A) s’engage à acheminer les objets de correspondance et les marchandises de son client (B). Sans le client (B), ce service n’existerait pas, du moins théoriquement. La délimitation est pourtant mince lorsque l’on considère le système de production que La Poste a dû mettre en place pour réaliser la prestation, rendant le processus de production de la prestation relativement industriel. Elle est encore plus étroite si l’on considère les composantes intrinsèques d’un service postal : le support physique (C) accorde une matérialité et un caractère stockable à ce service. La périssabilité du service au moment de sa production n’est qu’hypothétique dans la mesure où l’affranchissement, de par sa matérialité, rend la prestation stockable et aliénable. Sans doute, La Poste rend-elle un service en transportant l’objet de correspondance à destination. Cependant, le support physique qui représentera cette prestation peut être en lui-même considéré comme un produit. Si l’on continue de considérer que La Poste a pour principal métier d’offrir des prestations de services dont le support physique est lui-même constitué de produits, il convient de ne pas négliger le débat qui pourrait naître de cette définition. Pour éviter toute ambiguïté, la qualité servicielle des prestations postales qui font l’objet de la présente étude ne manquera pas d’être précisée. En revanche, les vocables d’offre de produits et de services pour La Poste continueront d’être utilisés, accordant ainsi à certains supports physiques d’une prestation la qualité de produit. 

Deux réseaux et une organisation en ciseaux pour vendre et réaliser les prestations

 Dans la mesure où La Poste veut assurer son développement, elle se doit de vendre ses prestations. Or une entreprise de services qui veut se développer a généralement recours à un réseau de distribution : c’est souvent le seul moyen de gagner des parts de marchés, de rentabiliser des dépenses publicitaires importantes, de faciliter la promotion et la mobilité de la main d’œuvre, et surtout à travers tout cela, de réaliser des économies d’échelle et des économies d’envergures. C’est d’ailleurs ce que recommandent Pierre-Yves Leo et Jean Philippe (1991) qui estiment que le fonctionnement en réseau est le seul moyen d’accéder à des économies de taille. C’est pourquoi, lorsque l’on parle de réseau postal, la première image qui vient à l’esprit est celle du réseau commercial : le réseau de bureaux de poste dénommé également « réseau grand public » (et depuis 2007 « l’Enseigne »). Pourtant, le réseau postal, au sens de l’économie des réseaux, ne devrait pas correspondre au réseau des bureaux de poste dans la mesure où il n’a pas véritablement de fonctionnement en réseau. C’est davantage le réseau de production postal qui, à travers ses centres de collecte, de tri et de distribution connaît un véritable fonctionnement en réseau, chaque nœud du réseau étant connecté aux autres nœuds. Il s’agit de faire correspondre 220 000 points de dépôt avec 27 millions de foyers ou entreprises destinataires, soit 5 940 milliards de relations possibles. La Poste bénéficie ainsi de deux réseaux distincts : un réseau de production et un réseau de distribution commerciale. Mais il est parfois difficile de distinguer l’un de l’autre, à la fois parce que jusqu’à récemment, plusieurs bureaux de poste – et tout particulièrement les bureaux de poste distributeurs – assumaient à la fois des fonctions de production et des fonctions commerciales, et parce que le pilotage hiérarchique et territorial des activités de production et des activités de vente était identique. Même si les réformes intitulées « Nouvelle déconcentration opérationnelle » (NDO) et « Responsabilisation du management » (RDM) mises en œuvre en 2001 et 2003, ont réorganisé les activités de La Poste et leur pilotage, il importe de présenter l’organisation qui existait auparavant dans la mesure où les observations préludes à la présente étude sont antérieures à l’achèvement de ces deux réformes. Si l’organisation de La Poste est toujours aussi complexe dans la mesure où se mélangent et se côtoient une organisation par fonction (Direction des ressources humaines, Direction financière, etc.), une organisation par produit (Direction de l’innovation et du développement des e-services, Direction du courrier, etc.), une organisation par processus de production (Direction de l’ingénierie et de la production courrier), une organisation par entité juridique (Sofipost), ou une organisation par clientèle (Direction de l’exploitation des services financiers), il est plus opportun de dresser un aperçu de l’organisation se limitant aux deux structures qui régissaient le fonctionnement de l’entreprise jusqu’en 2003 : une structure fonctionnelle avec, au niveau du siège social, des directions de métiers (courrier, colis, services financiers et réseau grand public) et des directions supports (ressources humaines, stratégie, finances) ; et une structure plus opérationnelle avec un réseau d’exploitation piloté géographiquement. La structure opérationnelle qui prévalait jusqu’en 2003 était une organisation par implantation géographique en charge de la vente et de la réalisation de la quasi-totalité des prestations postales. Elle était divisée en cinq échelons territoriaux successifs : siège social, délégation, direction départementale, groupement, établissement. Hiérarchiquement, le directeur délégué rapportait directement au directeur général, le directeur départemental (DLP) au directeur délégué, le directeur de groupement (DGP) au directeur départemental, et le chef d’établissement au directeur de groupement. L’organisation était en ciseaux dans la mesure où un directeur départemental dépendait hiérarchiquement du directeur délégué, mais comme il supervisait les activités du courrier, du colis et des services financiers, son activité dépendait également des directions fonctionnelles correspondantes du siège social. Ces ciseaux se répétaient plus ou moins 165 mécaniquement dans les échelons inférieurs en fonction des métiers qui pouvaient être rattachés ou non aux directeurs de groupement et aux chefs d’établissement. Dans un bureau distributeur, l’activité du bureau était ainsi conçue à la fois par la Direction du courrier et par la Direction des clientèles financières et du réseau grand public. La principale mission des échelons territoriaux était de piloter et/ou de mettre en œuvre les activités opérationnelles. Sans mission purement opérationnelle, la délégation était un échelon avancé du siège avec un rôle de pilotage et d’impulsion : « Elle veille à la cohérence des politique et des actions mises en œuvres sur le terrain avec la stratégie de l’entreprise. » [Darrigrand et Pelissier (1997), p.16] Remplaçant les directions régionales, les huit délégations60 devaient préciser les objectifs de leur territoire, recenser les besoins des services départementaux, répartir les moyens et suivre la réalisation des objectifs ainsi que les résultats obtenus par chacun des départements qui les composent. À un niveau inférieur, « le département est l’échelon territorial à vocation opérationnelle générale dont les objectifs à atteindre sont prévus dans un contrat de gestion annuel. Il agit en liaison avec les groupements postaux, en leur apportant le soutien et l’expertise de ses services. Chaque département est divisé en autant de groupement qu’il y a de bassins postaux. » [Darrigrand et Pelissier (1997), p.16] La direction départementale était également responsable du développement commercial des services et bénéficiait de délégations budgétaires dans plusieurs domaines. Ultime échelon avant l’établissement, le groupement était « chargé de l’animation (notamment des forces de vente) et de la bonne affectation des ressources sur son territoire en fonction des objectifs fixés dans son contrat d’action et de progrès annuel » [Darrigrand et Pelissier (1997), p.16]. Le groupement était organisé en trois pôles : 1. « commercial », composé d’une force d’animation des ventes (un animateur par secteur pour les services financiers et le courrier grand public) et de quelques conseillers spécialisés en patrimoine et en immobilier ; 2. « organisation », avec un rôle d’expertise et d’assistance sur l’organisation du courrier (distribution et traitement du courrier) et du grand public (guichet et services supports au guichet). On y retrouve notamment les vérificateurs qui sont chargés de contrôler le bon équilibre de travail entre chaque tournée ; 3. « gestion », avec la gestion des ressources humaines, le contrôle de gestion et le suivi des objectifs. Enfin, au niveau local, l’établissement, que ce soit un centre de distribution, un centre de tri ou un bureau de poste, « constitue la cheville ouvrière de l’organisation postale, la structure de base sur laquelle repose tout l’édifice » 61 . Il est toujours en charge de la réalisation des activités opérationnelles et de la vente des prestations courrier et/ou colis. Si cette structure territoriale a subsisté à la suite des réformes NDO et RDM, elle a été réorganisée par métier : une structure entièrement indépendante pour chaque métier – services financiers, réseau grand public, courrier et colis – avec, chacun, ses propres échelons nationaux, territoriaux et locaux. Peut-être l’objectif de ces réformes était-il d’atténuer les conflits qui pouvaient exister dans une organisation territoriale qu’aucun métier ne contrôlait et où chaque direction de métier avait davantage un statut de direction fonctionnelle que de direction opérationnelle.

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