La qualité de l’eau et des milieuxaquatiques

La qualité de l’eau et des milieux aquatiques

Les contrats de rivière demeureront inefficaces si chacun interprète, selon ses propres critères, les prescriptions techniques qu’ils contiennent.Dans ces conditions, avant d’engager de nouvelles politiques publiques destinées à « la reconquête de la qualité de l’eau », il convient peut être de s’interroger sur la perception de la qualité chez les principaux usagers et gestionnaires des milieux aquatiques. Qu’entendentils par qualité et quels indicateurs privilégient-ils aujourd’hui ? L’objectif de ce chapitre 9 est d’analyser la manière dont les acteurs de l’eau définissent et perçoivent l’évolution de la qualité de l’eau et des milieux aquatiques dans le bassin versant de la Saône en fonction de leur niveau géographique d’intervention et du groupe social auquel ils appartiennent 

Les responsables de la politique de l’eau dans le bassin de la Saône ont majoritairement une vision normative et technique de la qualité

Pour les acteurs de bassin , la qualité correspond de manière générale à une combinaison de normes, lesquelles sont perçues comme étant de plus en plus sévères et trop nombreuses. Une division s’opère chez les acteurs de bassin au sujet de l’évolution de la qualité des milieux aquatiques. Elle s’améliore pour les uns et se dégrade pour les autres. Or, ces acteurs possèdent à peu de choses près les mêmes informations. 

La qualité : une combinaison de normes

Les responsables de la politique de l’eau dans le bassin versant de la Saône définissent la qualité comme une combinaison de normes qu’ils doivent respecter ou faire respecter le cas échéant afin de ne pas être sanctionnés (par les électeurs, les tribunaux, les médias). Les normes de qualité n’ont pas cessé de s’étoffer sous la pression des usagers et sous l’influence de la communauté scientifique. Selon les acteurs de bassin, cette évolution provoque divers dysfonctionnements au sein des organisations et, contrairement à ce que souhaite le législateur, elle accroît l’attentisme des administrations et des collectivités. En effet, afin de réduire leur exposition aux risques de poursuite, une partie des administrations et des collectivités aurait tendance à s’engager « à reculons » dans des démarches contractuelles tout en cherchant à obtenir des garanties des niveaux hiérarchiques supérieurs : il s’agit d’une forme de déresponsabilisation vers le haut. Par ailleurs, les maîtres d’ouvrages d’études et de travaux doivent désormais concevoir des tableaux de bord lourds et évolutifs à cause de la profusion de paramètres à suivre. Certaines collectivités sont en mesure de le faire, d’autres ne le peuvent pas sans l’appui de structures intercommunales spécifiques. Les interviewés regrettent d’ailleurs que les Syndicats Intercommunaux d’Aménagement (SIA) en charge de l’entretien et de l’aménagement des cours d’eau soient « trop nombreux »399 pour qu’une « structure porteuse » unique s’impose. Selon les acteurs de bassin rencontrés, même si les négociations entre élus permettent généralement d’aboutir à la création d’un SIA à l’échelle du sous bassin, les luttes de pouvoir entravent l’application des décisions prises au niveau du bassin de la Saône400. De ce fait, les acteurs de bassin disent être obligés de faire beaucoup de « pédagogie » auprès des élus locaux, qu’ils jugent volontiers entreprenants mais relativement incompétents. Il est vrai que, de la gestion des affaires scolaires à celle des déchets, les élus ruraux sont sollicités sur des questions parfois très pointues au sujet desquelles ils n’ont pas toujours été formés401. Les acteurs de bassin reconnaissent toutefois que les dossiers qui concernent l’eau sont de plus en plus techniques à cause de la cathédrale juridique qui s’est édifiée autour des normes. Cela les oblige à avoir de plus en plus recours aux experts. De manière croissante, universitaires et bureaux d’étude alimentent leur réflexion aux plans juridique, économique et environnemental. Il faut dire que les acteurs de bassin sont peu enclins à se faire une idée in situ de l’état écologique d’un cours d’eau et jugent, à quelques exceptions près, la démarche « démagogique » . En l’absence de visites sur le terrain, certains responsables de bassin travaillent exclusivement sur les dossiers. D’autres entretiennent des contacts fréquents avec les gestionnaires locaux.

Pour les acteurs locaux, la qualité des milieux aquatiques était meilleure avant

Les critères de qualité sont variables et à l’origine d’une information erronée

 Pour les acteurs locaux, la qualité des milieux aquatiques était meilleure il y dix, vingt ou trente ans. Toutefois les critères de qualité sont variables et, bien souvent, ceux-ci sont à l’origine d’une information erronée. Par exemple, la couleur de l’eau est régulièrement citée par les riverains interrogés au bord de l’Azergues, de la Mouge et de la Reyssouze comme un paramètre déterminant. Bien qu’une eau colorée réduise la photosynthèse, ce serait au contraire une source de dégradation relativement mineure. De la même manière, certains acteurs locaux interrogés à Vésines se sont réjouis de la transparence de la Saône. Selon les Services de la Navigation (subdivision de Mâcon), cela constituerait plutôt un signe inquiétant lié à une diminution du plancton407. La perception de l’évolution de la qualité des milieux aquatiques par les acteurs locaux est nettement moins optimiste que celle qui prévaut parmi les acteurs de bassin : 12 acteurs locaux observent une amélioration de la qualité des milieux aquatiques tandis que près de la moitié (41 individus) constate l’inverse. Plus du tiers ne se prononce pas, faute peut être de n’avoir jamais réfléchi à la question (31 individus)

La rivière n’est plus un « espace pratiqué »…l’utilité de la rivière s’estompe

La rivière n’est plus un « espace pratiqué »409 au quotidien, pas même par les agriculteurs, trop pressés et ne maîtrisant plus les techniques d’entretien des berges ou les droits qui sont les leurs. Elle est aussi devenue moins utile compte tenu de l’augmentation de la population urbaine et de l’évolution des modes de vie. « Avant, la rivière appartenait à tout le monde » explique un maire410 . « Chacun, ajoute-t-il, pouvait venir prélever du bois mort sur les berges pour le chauffage et je vous garantis que les branches étaient régulièrement ramassées ! Quand du sable et des graviers affleuraient, on les récupérait à la pelle. Le débroussaillage aussi était fait manuellement par les agriculteurs, mais ils n’étaient pas seuls puisque la commune possédait des prairies : les charges étaient divisées. […]. A l’époque, les gens savaient bien que l’on n’allait pas entretenir la rivière pour eux ».La vocation industrielle des cours d’eau comme l’Ognon ou la Lanterne s’estompe aux dépens des activités de loisirs tels que le kayak. Cela traduit un double mouvement : une déresponsabilisation progressive des usagers traditionnels des rivières et une réappropriation par le milieu associatif et les syndicats d’aménagement des cours d’eau. L’entretien des cours d’eau et la gestion des ouvrages hydrauliques s’en trouvent modifiés puisque, contrairement aux agriculteurs notamment, les citadins et les néo-ruraux fréquentent ponctuellement les rivières. Nombreux sont ceux, en particulier les élus, les pêcheurs professionnels et les agriculteurs, à indiquer que ce changement de vocation des milieux aquatiques est perceptible. Ils opèrent une distinction entre « les citadins qui profitent de la rivière » et les « ruraux qui en profitent peu, mais la subissent beaucoup, tout au long de l’année, du fait des inondations… » (un élu)411. Ainsi un agriculteur, interviewé il est vrai en pleine période d’inondation, déclare : « je préfèrerais que l’Ognon n’existe pas ! » 412. De fait, comme en Seine ou en Loire, le jardinage des milieux naturels et la culture du risque ont semble-t-il fortement régressé (GENIN BONIN, 2002). C’est pourquoi, a contrario, les Vésinards (habitants de la petite commune de Vésines, Ain) passent pour d’irréductibles gaulois aux yeux des acteurs de bassin. En caricaturant un peu, les Vésinards en viendraient presque à revendiquer un droit à être inondés. De fait, l’insularité temporaire qui caractérise le village lors des crues réactive des solidarités occultées, en temps normal, par des dissensions exacerbées entre clans familiaux. Les inondations participent à la production de l’identité villageoise et, mieux, à la paix sociale. Deux constats s’imposent donc. D’abord, vouloir les réduire en édifiant des digues reviendrait à déconstruire ce que la culture du risque a entretenu. Ensuite, les stratégies de gestion retenues par l’individu par rapport à la qualité des milieux sont choisies en fonction des normes intériorisées, propres au groupe auquel on s’identifie (RATIU, 1999). Médiatrice naturelle, la « Grande Saône » s’invite régulièrement dans les foyers et participe à l’histoire commune des familles.

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