LA QUETE DEMESUREE DE LA FORTUNE DANS BEL-AMI DE GUY DE MAUPASSANT

LA QUETE DEMESUREE DE LA FORTUNE DANS BEL-AMI DE GUY DE MAUPASSANT

LA PEINTURE SOCIALE DANS BEL-AMI 

Contrairement à ses contemporains, dans Bel-Ami Maupassant s’intéresse à la politique et au contexte historique, sa peinture sociale reste à l’arrière-plan de l’histoire. BelAmi donne cependant une idée assez précise de la société parisienne du temps. Ainsi, Paris la toile de font du roman, est une ville en pleine prospérité, une ville riche qui exprime bien haut ses appétits de puissances et de jouissances. Les hommes qui modèlent son visage sont des 12M-C, Carlier, A, Couprie, J, Debosclard, M, Erre, E, Eterstein, C, Jaques, Jean-Pierre, Lesot, A, Levy, AD, Rachmuhl, Itinéraires Littéraires XIXe Siècle. Tome I et II, Paris, Hatier, 1988. 8 arrivistes. Ils utilisent, pour paraitre et s’imposer, tous les trafics et toutes les facilités qu’autorise le règne du plus fort et du plus malin. En effet, Maupassant a connu, la vie étroite du jeune provincial, épris d’indépendance puis celle de l’écrivain Inexpérimenté apprenant durement son métier. Il a rêvé tout haut, comme le héros du conte Une Soirée : « Quelle vie on pourrait mener dans cette ville au milieu des artistes ! Heureux les élus… » 

UNE PEINTURE DE LA VIE PARISIENNE

Après le succès fulgurant d’Une Vie, publiée en 1883, Guy de Maupassant replonge dans le roman et qui dit roman dit donc histoire. Celle de Bel-Ami n’est pas qu’une simple œuvre racontant la réussite d’un homme détestable, elle est avant tout une plongée réaliste dans le milieu journalistique, politique et financier du XIXe siècle. Avec Bel-Ami, inutile donc de se documenter longuement sur le contexte (quoiqu’il aide surement davantage pour comprendre au mieux la société parisienne de cette époque), comme le prétend Thomas Pavel, qui émet l’hypothèse que l’œuvre aide à mieux comprendre la société de laquelle elle émerge : À chaque époque, les réussites du roman sont infiniment plus ambitieuses que celles du besoin de bien écrire et de bien raconter. La littérature s’interroge sur des sujets autrement profonds, et, pour divergentes qu’elles puissent paraître, les formes que le roman a prises au cours de son histoire n’en sont pas moins liées ensemble par la permanence de cette interrogation.14 De ce fait pour dénoncer ce prisme infernal où chacun mord l’autre, se disputant sans arrêt le meilleur scoop, Maupassant invente un personnage, Georges Duroy, et c’est à travers lui que toutes les fissures et les banalités de son époque vont apparaître à la surface. Ainsi, la société de la seconde moitié du XIXe siècle dépeint par le romancier est une société dénaturée, au sens propre. Convaincu de la supériorité de la culture, elle rompt avec ses origines, contre la nature authentique appréhendée comme sauvage, elle modèle une nature à son image, sur laquelle elle exerce pleinement sa volonté de maitrise comme en témoigne les soirs dans les rues de Paris à travers les escapades de Duroy et de Clotilde de Marelle. Mais le décor qui sert de cadre à cette société n’est pas le seul à être dénaturé à fortiori, quand il est de la ville le peuple qui le compose l’est aussi. Dans cette société règnent les apparences et tous jouent un rôle. 13 Guy, de Maupassant, Contes et Nouvelles, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, éd. Gallimard, T. P, P. 987. 14Thomas, Pavel, La pensée du roman, France, Editions Gallimard, Collection nrf, 2003, P. 412. 9 Toutefois, à la lecture de Bel-Ami, l’auteur invite à partager avec ses personnages la découverte des différents lieux qu’offre la capitale des années 1880. Il assiste alors en spectateur aux diners et aux plaisirs dont jouissent les protagonistes et plus particulièrement Duroy. Tous les lieux en vogue sont cités, les Folies Bergère, la rue du Faubourg Montmartre, les cafés célèbres le café riche ou le café anglais, qui se trouvent tous les deux sur le Boulevard des Italiens. Les soirées se terminent généralement au cabaret de la Reine blanche, boulevard que fréquente Clotilde de Marelle qui apprécie de se retrouver au milieu « du peuple ». La vie mondaine est montrée à travers des séances d’escrimes ou de partie de campagne. Deux lieux tels que le bois de Boulogne, très fréquenté en cette fin de siècle, sont des endroits très présents dans le récit où les personnes les plus en vue jouissent du plaisir de se monter : Quand Georges Duroy parvint au boulevard, il s’arrêta encor, indécis sur ce qu’il aller faire. Il avait envie maintenant de gagner les Champs-Elysées et l’avenue du Bois de Boulogne pour trouver un peu d’air frais sous les arbres.15 Maupassant fait preuve ici d’un talent de peintre impressionniste, il favorise « l’impression » et abandonne la précision des contours. Ce qui évoque chez le lecteur certains tableaux des maitres en la matière. Or cette apparente tranquillité plaine de couleurs, le souci d’esthétisme avec lequel Maupassant a voulu rendre ces scènes, ne peuvent masquer l’arrière-plan de cette toile impressionniste correspondant à un univers de corrompu par l’argent. Les possibilités qu’offre cette vie parisienne sont régies par l’argent qui détermine loisirs et plaisirs. Tous les personnages tels Duroy ou Walter, faisant partie de ce décor parisien sont à l’affut du profit. Rappelons que dés l’incipit du roman l’argent prend place au cœur des préoccupations de Duroy qui ne sait comment s’en procurer : « Lorsqu’il fut sur le trottoir, il demeura un instant immobile, se demandant ce qu’il allait faire. On était au 28 juin, et il lui restait juste en poche trois francs quarante pour finir le moi »16 Maupassant nous peint une vie parisienne où l’argent règne donc en maitre, où l’art est réduit au stade de valeur marchande (la galerie de tableau de Walter apparait comme un investissement financier et Walter se flatte de les acquérir, à un moment opportun, à des artistes miséreux).Telle est la vision sociale propre au Paris de 1880, ou l’affairisme et l’évolution sociale de la classe moyenne se développent à une vitesse fulgurante. Par ailleurs, Pour Balzac, c’est l’intérêt, qui développe en l’homme ses penchants mauvais, et non la Société qui loin de le dépraver, comme l’a prétendu Rousseau, le perfectionne, le rend meilleur. Même s’il porte le même jugement sur l’argent, Maupassant 15Guy, de Maupassant, Bel-Ami, Paris, Flammarion, 1999, PP. 46-47. 16 Ibid, P.45. 10 s’inscrit en faux contre cette conception de la société qui bonifie. Chez lui au contraire, au nom des lois sociales, morales et arbitraires, la société altère les relations humaines, détourne les mœurs et modes de vie simples, dévie les instincts premiers. Ce sont autant de crimes de lèse-nature, existantes dans cette société européenne. Bien des personnages maupassantien ne sont en effet que des marionnettes qui, jouant sans cesse la comédie, déambulent dans un univers de toc, où seuls comptent l’apparence et le rang social et dont la nature originelle est pervertie. Dans cet espace dénaturé où il peine à trouver sa place, le véritable artiste est un être en souffrance qui se perçoit comme un étranger qui lutte par tous les moyens pour réussir. Notons aussi que Bel-Ami est un document extraordinaire sur l’immense creuset parisien, sur les réalités économiques de l’époque, sur la valeur de la monnaie, sur les salaires, les fortunes, le cout des denrées nécessaires ou superflues…Depuis, le prix d’un « bock » ou d’une courtisane jusqu’à celui d’un tableau de maitre, nous y trouvons le barème pratique d’un parisien de 1880 et nous suivons l’évolution chiffrée d’une réussite. Dès les premières pages on trouve ce thème de l’argent (celui qu’on rend à Duroy), menue, monnaie et celui qu’il soupçonne dans « Le gilet des bourgeois »17. L’argent est le seul producteur de plaisirs, le seul intermédiaire qui rend possible le désir et il est accumulé avec passion. En outre, à travers le personnage de Walter, Maupassant nous fait découvrir les milieux du journalisme et de la haute banque, sur fond de scandale politico-financier. A la réussite s’oppose, dans le roman, la vanité de l’homme. Maupassant, de son œil satirique, dénonce toutes les bassesses de son époque en dressant une critique acerbe du journalisme qui prend ici l’allure d’un monde corrompu étroitement lié à la politique. Dans le roman, le journal La Vie française est décrit pareil à un lieu fermé où les valeurs sont absentes. De plus, la description qui est faite des locaux du journal renvoie à une dimension théâtrale où chacun donne l’illusion du travail, les journalistes mis en scène sont caractérisés par leur malhonnêteté, ce qui apparaît comme un dénominateur commun à la presse. Cette absence de valeurs qui définit cet univers particulier trouve son équivalent dans la société parisienne de cette fin de siècle. Maupassant veut donc donner le reflet d’un monde ordinaire où foisonnent des arrivistes. Il met l’accent sur la superficialité des êtres qui s’adonnent aux plaisirs de la capitale, qui assistent aux spectacles peu recommandables des Folies Bergère, où se réunissent toutes les classes sociales. Le bois de Boulogne sert de faire valoir aux arrivistes qui exhibent un luxe frivole à l’image d’une société invivable sans argent. 

LES CLASSES SOCIALES ET LE PEUPLE DANS BEL-AMI

Avec Balzac la notion de « classe sociale » fait véritablement son entrée en littérature. En effet, les personnages, sont appréhendés dans les romans de Balzac, d’avantage comme des représentants de leurs classes que comme des individus originaux. A l’ exception de quelques marginaux, comme Vautrin ou de quelques ambitieux qui gravissent les échelons de la société comme Rastignac, (dans Le père Goriot) les personnages qui peuplent les œuvres de la Comédie Humaine sont conditionnés dans leurs comportements et leur psychologie par leur origine sociale. Cette manière d’illustrer un ensemble de lois sociales et tout à fait caractéristique des romans réalistes et naturalistes. Mais alors que le réalisme se cantonne plus souvent à l’observation des couches bourgeoises, le naturalisme étant plutôt son étude aux classes populaires. Maupassant consacre ainsi l’essentiel de son œuvre au petit peuple de la campagne ou de la ville ou au monde de la petite bourgeoisie. La haute bourgeoisie et l’aristocratie sont notoirement absente de ses œuvres, à l’exception de Bel-Ami et de son dernière roman, Notre Cœur. En effet, le milieu urbain, tel que Maupassant le fait apparaître dans Bel-Ami, se présente comme un univers impitoyable où l’ambition, l’arrivisme priment sur toute autre forme de désir. Les rapports sociaux, les liaisons, les alliances y sont toujours conditionnés moins par l’attitude désintéressé, l’inclination que par le souci constant d’amasser de l’argent, de se promouvoir socialement, et le plus souvent aux dépens d’un tiers. 18 Ferdinand, Brunetière, Revue des Deux Mondes, Juillet 1885, WWW.alalettre.com. Consulté le 15 /12/2016 à 12h 25mn. 12 Ce qui amène Antonia Fonyi à écrire : « Le mariage et l’héritage restent les deux moyens principaux de s’enrichir : dans un univers où tout est distribué d’avance, on ne peut acquérir que des biens appartenant à autrui. »19 Quoiqu’il en soit, en ce siècle où la bourgeoisie triomphante médiatise toutes les classes, l’effritement des valeurs anciennes au profit des valeurs bourgeoises se poursuit au point qu’une lecture attentive des œuvres maupassantiennes permet de contester le mot « seul » dans la remarque de Goldmann : L’œuvre de Balzac constitue la seule grande expression littéraire de l’univers structuré par les valeurs conscientes de la bourgeoisie individualisme, soif de puissance, argent, érotisme qui triomphent des anciennes valeurs féodales de l’altruisme, de la charité et de l’amour 20 De même que dans le monde rural l’apprêté aux gains n’est que la partie visible des conflits sociaux urbain qui revêtant l’aspect d’un iceberg. Néanmoins, si toutes les classes ont les mêmes aspirations, tiennent les même discours, les moyens d’arriver différent d’un monde à l’autre. Des analyses lexico- sémantiques et narratives de l’œuvre permettent de découvrir les enjeux qui sou tendent leur structure de surface « Néanmoins, si le roman Bel-Ami décrit la haute bourgeoisie parisienne il le fait de manière à remettre en cause cette idée de classe dominante qu’est la bourgeoisie » Charles Castella21 , dans son étude sur les structures sociales chez Maupassant, a remarquablement analysé la déchéance progressive de la bourgeoisie au cours du siècle. Ainsi, l’auteur nous présente un jeune arriviste qui, parti du bas de l’échelle sociale, parvient à en gravir tous les échelons avec une rapidité et une facilité déconcertantes. En ce qui concerne la dimension philosophique du personnage, on pourrait dire qu’au début, lorsque Duroy est pauvre il s’attache aux pensées d’égalités sociales. Il a une vision critique du monde où les pauvres ont moins d’opportunités de s’en sortir. Ces pensées sont fondées sur ses propres expériences. Il défend l’idée d’égalité lors du premier dîner, organisé, par les Forestiers, pour sa présentation sociale, où il donne son avis sur les conditions de vie des gens en Algérie quand Norbert de Varenne affirme que les hommes intelligents se font une place dans le monde et les autres succombent parce que c’est la loi sociale : Ce qui manque le plus là-bas, c’est la bonne terre. Les propriétés vraiment fertiles coûtent aussi chères qu’en France et sont achetées, comme placements de fonds, par des Parisiens très riches. Les vrais colons, les pauvres, ceux qui s’exilent faute de pain, sont rejetés dans le désert, où il ne pousse rien, par manque d’eau. 22 19 Antonia, Fonyi, Maupassant, 1993, Editions Kimé, P. 63. 20 Lucien, Goldmann, Pour une sociologie du roman, nrf, Gallimard, 1964, P. 53. 21 Charles, Castella, Structures romanesque et vision sociale chez Guy de Maupassant, Paris, Nizet, 1973. 22 Guy de Maupassant, op.cit., p. 68. 13 Cet extrait nous montre que Du Roy est un homme conscient des injustes conditions des pauvres, car il en est un il a de l’empathie pour ces gens, à travers lesquels il se voit, qui sont marginalisés et condamnés à vivre dans de mauvaises conditions. Pourtant cette croyance va disparaître au fur et à mesure qu’il monte dans l’échelle sociale. En effet, Bel-Ami rend compte du profond déclin d’une classe sociale bourgeoise longtemps considérée comme dominante. De plus, il présente des membres de la haute bourgeoisie qui sont eux même des arrivistes. Ainsi, les Walters sont issus de la petite bourgeoisie. Quant à l’aristocratie, la seule véritable caste aux règles immuables elle est presque absente, car le roman montre bien qu’elle a perdu sa place au sein de celle des classes dominantes. Le roman de Maupassant semble donc remette en question cette idée selon laquelle les individus sont conditionnés par la classe à laquelle ils appartiennent de telle sorte qu’il se distingue de l’univers de Zola et annonce les désillusions proustiennes. Cependant, l’auteur de Bel-Ami s’offre, dans la meilleure tradition réaliste, de présenter des tableaux. Ainsi c’est avec la technique propre au roman qui peint une évolution rapide du personnage, que Maupassant peint la fausseté et les tromperies de cette société du XIXe siècle à travers le personnage de George Duroy placé dans le milieu de la presse .

Table des matières

 Introduction
Première partie : Bel-Ami un roman de son temps
I: La peinture sociale dans Bel-Ami
II: Bel-Ami un héros parvenu
Deuxième partie : l’apport l’littéraire
III : La démarche stylistique
IV : Les techniques narratives
Conclusion
Bibliographie
Table des Matières

 

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