LA RÉALITÉ CONTRAIGNANTE DE L’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE

LA RÉALITÉ CONTRAIGNANTE DE L’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE

L’UNIFICATION DES STIPULATIONS CONTRACTUELLES PAR LES RÈGLEMENTS D’EXEMPTION

Si les règlements d’exemption par catégories étaient réellement des instruments exclusivement incitatifs, on ne devrait pouvoir dire à propos des règlements 123/85 et 1475/95  qu’ils constituent la « charte » de la distribution automobile. Or, c’est précisément en ces termes que se trouvent régulièrement présentés les textes relatifs aux contrats de distribution de véhicules automobiles 581. De façon plus générale, les différents règlements adoptés sur la base de l’article 81§3 582 ont généralement été analysés comme opérant une unification des contrats spéciaux entre entreprises à travers la définition de véritables « contrats-type ». Ce caractère trop contraignant et le risque d’asphyxie ayant été dénoncés par de nombreux opérateurs économiques, les autorités communautaires ont décidé d’adopter une nouvelle approche en matière d’exemption. 239. Quelle est la nature juridique des règlements d’exemption ? C’est la première question qu’il convient de se poser pour aborder le caractère contraignant de cet instrument au regard des contrats qui y sont soumis. Un règlement d’exemption est un règlement adopté, contrairement au règlement de droit commun qui sont adoptés par le Conseil, par la Commission. L’article 211 du Traité CE (ancien article 155) prévoit que la Commission européenne « exerce les compétences que le Conseil lui confère pour l’exécution des règles qu’il établit ». La Commission ne dispose donc pas dans ce domaine de pouvoirs propres et, en conséquence, c’est le Conseil qui habilite la Commission à adopter un règlement d’exemption, même si en pratique les règlements d’habilitation du Conseil sont proposés par la Commission en vertu de sa solide connaissance des conditions de concurrence. Cette habilitation a été donnée par l’intermédiaire de plusieurs règlements. Le règlement d’habilitation le plus utilisé est sans doute le règlement 19/65 583 qui concerne les accords dits « verticaux ». C’est sur la base de ce texte qu’a d’abord été adopté le règlement 67/67 qui visait les accords d’exclusivité d’achat et de distribution qui a ensuite été remplacé par deux règlements distincts : les fameux règlements 1983 et 1984/83. Mais ce règlement d’habilitation a aussi permis l’adoption du règlement concernant les accords de franchise 584 et ceux concernant la distribution automobile 585 et les accords relatifs aux transferts de technologies 586. Le Conseil a habilité la Commission à exempter certains accords de coopération entre entreprises par le règlement 2821/71 en date du 20 décembre 1971 587. Sur cette base, la Commission a adopté les règlements relatifs aux accords de spécialisation et de recherche et développement. Afin de refléter la réalité des règlements d’exemption, d’analyser d’abord l’édiction de « contrats-type » à laquelle aboutissaient les règlements « ancienne formule » (I) avant d’envisager la récente mutation de ces règlements (II). I – L’édiction de « contrats-types » par les règlements « ancienne formule » 240. Comment de tels instruments, a priori non contraignants, parviennent à exercer une influence aussi marquée sur le contenu des contrats conclus en matière commerciale ? Pour le comprendre, il faut commencer par une étude de la structure des règlements d’exemption (A), qui seule permet de déterminer dans quelle mesure cet instrument peut, en pratique, constituer une « matrice contractuelle » 588 dans le domaine des contrats entre entreprises (B), s’éloignant ainsi considérablement de sa vocation incitative.

La structure des règlements d’exemption par catégories 

Les règlements d’exemption par catégories « ancienne formule » revêtent dans l’ensemble une structure comparable. Beaucoup d’auteurs évoquent la fameuse distinction entre clauses « blanches » qui représentent les clauses non restrictives de concurrence et donc autorisées, les clauses « noires » qui sont strictement interdites et les clauses « grises » exemptables. Selon nous, cette présentation imagée ne reflète pas parfaitement la réalité, un peu plus complexe, de la structure des règlements d’exemption par catégories. 242. Tout d’abord, certaines clauses sont présentées comme étant nécessaires à l’exemption et n’entrent pas dans la catégorie des clauses blanches, noires ou grises. Il s’agit de clauses que l’on peut dire « obligatoires », dont la présence dans un accord est indispensable pour que les entreprises contractantes puissent bénéficier de l’exemption. Il convient de ne pas confondre l’énumération des clauses qui caractérisent le contrat en cause et celles qui, sans être des éléments constitutifs de la définition, doivent figurer obligatoirement au contrat. Les premières figurent en règle générale à l’article 1er des différents règlements 589 et ont permis au droit communautaire d’apporter une définition juridique à un contrat né de la pratique commerciale. L’article 1er du règlement 1475/95 concernant la distribution automobile vise ainsi « les accords […] dans lesquels une partie à l’accord s’engage vis-à-vis de l’autre à ne livrer, à l’intérieur d’une partie définie du marché commun : que à celle-ci, ou que, à celle-ci et à un nombre déterminé d’entreprises du réseau de distribution, dans le but de la revente des véhicules automobiles neufs déterminés à trois roues ou plus destinés à être utilisés sur la voie publique, et en liaison avec ceux-ci, leurs pièces de rechange ». Ce type de disposition ne prévoit pas le caractère obligatoire de certaines clauses mais se contente de donner une définition du contrat de distribution automobile à travers les obligations caractéristiques des parties. Les clauses que l’on dit « obligatoires » sont généralement introduites par la proposition suivante : « l’exemption n’est acquise qu’à condition… ». C’est ainsi que l’article 5 du règlement 1475/95 prévoit que l’accord doit comprendre l’engagement du distributeur à assurer l’entretien des véhicules vendus par une autre entreprise du réseau ou impose encore une durée minimale du contrat. Pour que deux entreprises qui concluent un accord portant sur la distribution de véhicules automobiles voient cet accord exempté, elles devront obligatoirement inclure dans celui-ci l’ensemble des clauses prévues à l’article 5 du règlement 1475. De la même façon, le règlement 4087/88 relatif aux accords de franchise indique dans son article 4 que, pour prétendre être exempté, un accord doit impérativement laisser la possibilité au franchisé de se livrer à des importations parallèles et doit imposer à celui-ci, entre autres, d’indiquer sa qualité de commerçant indépendant. 

La transformation d’un instrument incitatif en « matrice contractuelle »

Les expressions décrivant l’influence exercée par les différents règlements d’exemption sur le contenu des contrats entre entreprises sont aussi variées qu’elles sont représentatives. Certains auteurs, nous l’avons vu, parlent de véritables « matrices contractuelles » 593, d’autres évoquent la constitution de « contrats-types » 594 tandis que certains emploient l’expression de « prêt à porter réglementaire » 595. Il apparaît effectivement, que contrairement aux directives adoptées dans le domaine contractuel, les règlements d’exemption n’unifient pas plus qu’ils n’harmonisent les droits nationaux applicables aux contrats mais exercent leur influence sur les contrats eux-mêmes. C’est un fait remarquable : le droit communautaire parvient à opérer une véritable unification des dispositions contractuelles sans passer par le prisme de l’harmonisation des législations nationales applicables à ces dernières. C’est sans doute pour cette raison que la Commission européenne dans sa communication relative au droit européen des contrats 596 ignore totalement l’ensemble des règlements d’exemption par catégories. En effet l’annexe I qui est consacrée à « l’acquis communautaire important dans le domaine du droit privé », ne fait à aucun moment référence à ces instruments et se concentre uniquement sur l’ensemble de directives qui exercent une influence sur les droits nationaux applicables aux contrats. Alors comment se peut-il que le droit communautaire touche les contrats eux-mêmes sans procéder à une harmonisation des législations nationales ? Le procédé est simple et s’apparente, selon certains, à une sorte de « chantage légal » 597: à travers ses clauses noires, grises et blanches, et contrairement aux déclarations de la Cour de justice, le règlement se transforme en contrat-type, toute déviation aux dispositions du texte engendre un risque de refus d’exemption, et donc la nullité du contrat et une amende.

Formation et coursTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *