LA RESPONSABILITÉ ET L’ACTION INDIVIDUELLE DES SEULS ÉTATS POUR LA LUTTE CONTRE LA PÊCHE INN

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Le droit de la mer coutumier de la mer et les premières codifications du droit international de la pêche maritime

Pour comprendre l’actuelle gestion des ressources halieutiques et les règles internationales en matière de droit des pêches qui s’y appliquent, il est essentiel de préciser le cheminement historique du droit des pêches. De la nature essentiellement coutumière de ce droit traditionnel (§. I.) qui évolue avec la volonté de conservation et d’exploitation des ressources, le droit international des pêches s’affirme et finit par être codifié au sein du droit de la mer conventionnel et des accords spécifiques (§. II.).

L’utilisation du droit coutumier

Les activités halieutiques ont toujours été encadrées par des actes juridiques. La pêche comme la navigation, l’une permettant l’autre, s’inscrivent parmi les activités maritimes les plus anciennes. Le droit de la mer contemporain est marqué autant, sinon plus, par la pêche que par la navigation57 même si la mer a longtemps été considérée, avant tout, comme une route puisque la croyance en un réservoir inépuisable de poissons dominait alors58.
Préambule « Conscients que les problèmes des espaces marins sont étroitement liés entre eux et doivent être envisagés dans leur ensemble », Nations Unies, Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (avec annexes, acte final et proces̀-verbaux de rectification de l’acte final en date des 3 mars 1986 et 26 juillet 1993), Montego Bay, le 10 decembré 1982, Nations Unies, Recueil des Traités 1994, Vol. 1834, 1-31363.
Si Francisco de Vitoria au XVème siècle confondait le droit général et le droit naturel qui interdisait l’appropriation privative des mers59, c’est à un conflit de pêche que le droit international doit le principe fondamental et fondateur de liberté des mers. Posé par Grotius (1583-1645) dans son Mare liberum » publié en 1609, il s’opposait à l’ordonnance du roi Jacques 1er d’Angleterre interdisant aux étrangers l’accès aux pêcheries de la mer du Nord60.
Dès le XIXème siècle, les règlementations internes puis internationales (avec des accords bilatéraux ou multilatéraux) se développent. Toutefois, les conventions sur la pêche conclues à cette époque concernaient davantage les pêcheurs et leur comportement que les poissons et leur capture61. Les ressources marines étaient supposées inépuisables. Néanmoins même à l’époque de Grotius, quelques voix se faisaient entendre pour exprimer des craintes quant à l’épuisement des ressources ; ainsi William Welwood écrivait en 1613 que « la pêche peut se tarir si tout le monde s’y livre sans contrôle 62». Il réfuta les arguments de Grotius en faisant observer que la liberté de pêche qu’il avait défendue avait conduit à une surexploitation des ressources halieutiques, et plus précisément, le hareng (clupea harengus) le long des côtes de l’Écosse.
A cette époque, la mer est un lieu d’interaction pour les transports, le commerce ou encore pour les conflits. C’est en 1856, avec l’abolition de la guerre de course au Congrès de Paris qu’émerge l’idée du droit de la mer63. À la fin du 19ème siècle, l’introduction des engins à vapeur sur les bateaux de pêche et pour le transport des prises vers les marchés intérieurs a pour conséquence d’accroitre considérablement les capacités de pêche. En Europe, la Grande-Bretagne dispose alors de la flotte de pêche la plus large. Elle conduit une politique libérale par le biais du British Sea Fisheries Act de 1868 qui enlève toutes mesures restrictives à la pêche64. Cependant, quelques années plus tard, avec les préoccupations liées à l’épuisement de la plie (pleuronectes platessa) dans le sud de la mer du Nord, l’association anglaise National Sea Fisheries Protection Association créée en 1882 décide de volontairement arrêter les activités de pêche autour de la zone de Helgoland65. Cette association considère aussi que la protection de la ressource ne peut s’effectuer que dans le cadre d’une coopération internationale. L’association organise ainsi une conférence en 1890 avec des experts de six États qui concluent que la recherche halieutique organisée n’existe pas encore, dû à un manque d’investissements dans cette science, et appellent à une plus grande régulation internationale de la mer du Nord66. C’est après quelques initiatives des autorités allemandes, néerlandaises et scandinaves67 que la Conférence internationale pour l’exploration de la mer, réunie Kristiania en 1901, reconnait les risques de surexploitation (et de pollution) des mers68. L’année suivante, le Conseil international pour l’exploitation de la mer (CIEM) est établi69. Celui-ci est chargé de l’étude des stocks de pêche de la zone Atlantique Nord-Est70.
Les objectifs du CIEM sont doubles. D’une part, l’étude de la migration et de la fluctuation des stocks de morue et de hareng au nord de la mer du Nord et d’autre part, l’étude de la surpêche qui
affecte à cette époque les poissons plats71 (turbot, sole, etc.) au sud de la mer du Nord72. Après la première guerre mondiale, la percée scientifique confirme l’existence d’un lien de cause à effet entre les méthodes de pêche et l’épuisement des stocks.
Des années plus tard, des signes visibles de surpêche dans l’exploitation des espèces de l’Atlantique Nord-Est apparaissent avec la chute des captures de l’industrie baleinière. Ceci pousse la Société des Nations (SDN) à demander à un groupe d’experts présidé par Léon-José Suarez, un rapport sur la situation des pêcheries73. Ce rapport, achevé en 1927, fait le constat d’un appauvrissement des ressources en partie dû au principe général de la liberté de pêche et donc à une absence de gestion conjointe ou nationale des espaces marins d’où sont extraites les ressources. Léon-José Suarez met la communauté internationale devant ses responsabilités en énonçant que « le plus grand attentat contre la liberté de pêche c’est de l’exercer de telle sorte que s’épuisent ses richesses… »74. En plus de lancer un cri d’alarme, le rapport propose des mesures concrètes comme le contrôle rationnel des exploitations fondé sur une base régionale, la désignation de zones à exploiter en alternance et la détermination de moyens efficaces de surveillance et d’application des mesures75. Cet avertissement ne sera suivi d’aucun effet immédiat76. Cependant, l’entreprise de codification du droit international des pêches commence et s’organise les années qui suivent, sur fond d’intensification des activités de pêche et par la volonté des États d’installer une emprise sur les ressources halieutiques, à l’instar des ressources terrestres.

L’affirmation et la consécration de règles codifiées et dédiées au droit des pêches maritimes

Les enjeux économiques et territoriaux pour l’exploitation des ressources halieutiques et minérales, avec la perspective de mise en valeur des fonds marins, engendrent un besoin accru d’une codification internationale du droit de la mer77. On entend ici par codification « l’opération de conversion de règles coutumières en un corps de règles écrites, systematiquement regroupées »78. De multiples règles sont à l’époque en vigueur et propre à chaque État sans vraiment de formulation au niveau international, ni sur l’étendue des territoires, ni sur les usages. En 1927, cette tendance à une plus grande responsabilité des États sur les ressources atteint un degré de maturité suffisant en faveur d’un règlement international et donc pour qu’une codification du droit de la mer soit exprimée dans les discussions officielles de la Société des Nations.
L’évolution de la société internationale conduit une majorité d’États à demander un droit de regard sur l’exploitation des ressources en mer que seuls peuvent mener un petit nombre d’États, étant donné les capacités techniques et financières nécessaires79. Les débats portent principalement sur l’extension de la mer territoriale, qui ne doit pas se faire unilatéralement, l’augmentation des moyens d’actions des États pour la police de sûreté, douanière et sanitaire, la protection de la navigation maritime, les recherches scientifiques et l’exercice exclusif de l’utilisation des produits végétaux ou minéraux issus de la pêche, concomitant à l’évolution des conditions de la vie moderne80.
C’est ainsi que la première conférence pour la codification du droit international, tenue à La Haye en 1930 sous les auspices de la Société des Nations, inscrit à l’ordre du jour la question de la mer territoriale et la zone contigüe81. La Conférence renonce à l’adoption d’une convention en raison des désaccords des participants sur la largeur de ces espaces et les droits y afférents tels que la reconnaissance du droit d’exercer des contrôles douaniers ou autre sur la zone contigüe à l’État riverain82. Par ailleurs, dans le rapport final, 13 projets d’articles, qui traduisent une certaine entente sur de nombreux aspects du sujet, deviendront la base de futurs travaux. La conférence qui portait sur « les eaux territoriales » et non sur la règlementation de la pêche donne toutefois lieu à un vœu sur la « protection de la pêche » et à la naissance de la formule « patrimoine commun » pour qualifier ces ressources83.
Durant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), les relations internationales et les prises de décisions sur le droit international des pêches maritimes sont gelées. Cette période va constituer en quelque sorte un moratoire de fait pour les principales pêcheries de l’époque. Cette guerre provoque cependant un bouleversement politique et économique. Les mutations technologiques inédites vont transformer profondément le milieu marin et la manière d’y accéder. D’une part la technologie a permis la conception et la réalisation de moyens de transport maritime de taille et de capacité importantes avec une plus grande durée de navigation autonome en mer. D’autre part, ce développement a conduit à la mise en place d’instruments d’exploration et d’exploitation de la mer. Ces deux aspects ont eu une influence considérable pour ce qui est de la pêche maritime, conduisant au glissement d’une pêche principalement côtière à un développement considérable de la pêche hauturière qui va avoir comme conséquences d’étendre les intérêts des États vers des espaces plus vastes et plus loin des côtes pour leur activité de pêche. En parallèle, une logique juridique de préservation et d’appropriation des ressources halieutiques se développe dont va résulter un encadrement voire d’une limitation de la liberté de pêche84. Les risques liés à la surexploitation des ressources et les enjeux économiques inhérents commencent à être politiquement évoqués et juridiquement traduits.
Il faudra attendre la fin de la guerre, notamment avec la création des Nations Unies en 194585, pour que les processus relatifs à la négociation et à la codification du droit des pêches reprennent.
La proclamation du président américain Harry Truman, le 28 septembre 1945 fut la première manifestation d’une volonté politique et médiatique de s’approprier les ressources du sol et sous-
reconnaître des exceptions à la règle des trois milles ; d’autre part, les États en question eux-mêmes étaient d’avis que l’adoption d’une pareille règle serait arbitraire, et ne désiraient pas se contenter d’une situation spéciale attribuée par voie conventionnelle. L’idée énoncée au troisième point, à savoir l’acceptation d’une zone contiguë, a trouvé un assez grand nombre de partisans, mais n’a pu servir comme terrain d’entente entre les diverses parties » ; « La Commission s’est abstenue de se prononcer sur la question de savoir si le droit international en vigueur reconnaît ou non l’existence d’une largeur déterminée de la zone de mer territoriale. (…) mais (veut) concentrer ses efforts afin de parvenir à un accord qui fixerait, pour l’avenir, l’étendue de la mer territoriale. Elle regrette de devoir constater que ces efforts n’ont pas abouti. »  sol du plateau continental et celles des eaux territoriales86. Cet évènement impulse le mouvement d’appropriation nationale des ressources naturelles de la mer en distinguant un intérêt particulier de l’État riverain et en lui associant un pouvoir de règlementation des eaux adjacentes à ses côtes tant du point de vue de la protection des ressources biologiques que de l’exploitation de celles-ci. Les États-Unis revendiquent ainsi une modification du droit des pêches, pour créer en haute mer des zones de conservation des ressources halieutiques dont l’étendue n’est pas précisée et où l’État concerné peut décider unilatéralement d’imposer des règles à tous les navires venant y pêcher87. Avec la période des décolonisations, la mer, pouvant garantir le développement économique des nouveaux États car recelant des ressources exploitables, devient un enjeu stratégique pour les États en voie de développement et pour les États développés qui voient se réduire les zones maritimes sans juridiction88.
Des revendications unilatérales se multiplient au cours des années 1950 et 1960, dont la plus importante reste la déclaration de Santiago du Chili du 8 août 1952 du fait de son contenu et de sa portée. Cette dernière émane de trois États sud-américains riverains de l’océan Pacifique : le Chili, l’Équateur et le Pérou ; son objet est de règlementer la pêche et la chasse dans cet océan en exerçant leur « juridiction et souveraineté exclusive »89. L’objectif étant de contrôler l’accès aux pêcheries par extension de la mer territoriale jusqu’à 200 milles marins. Une grande partie des États latino-américains vont se rallier aux conceptions exprimées dans cette déclaration de Santiago. Face à ces extensions parfois qualifiées de « nationalisme maritime » 90, l’Assemblée générale des Nations Unies se lance dans un travail de codification du droit de la mer et organise la première conférence des Nations Unies sur le droit de la mer en 1958 à Genève. Étant donné l’étendue de la tâche, cinq commissions sont créées d’où émaneront quatre conventions signées le 29 avril 1958. Appelées Conventions de Genève, celles-ci se consacrent respectivement à la mer territoriale et la zone contiguë (entrée en vigueur en 1964 avec 52 parties), au régime général de la haute mer (entrée en vigueur en 1963 avec 63 parties)91 et au plateau continental (entrée en vigueur en 1964 avec 58 parties) puis à la pêche et la conservation des ressources biologiques de la haute mer (entrée en vigueur en 1966 avec 39 parties)92. Ce retard pour cette dernière convention, doublé du petit nombre de ratifications et d’adhésions (trente-neuf), illustre la réticence des États à son égard.
Ces conventions n’ont pas été ratifiées par plus d’une soixantaine d’État qui ont souvent émis des réserves. Leur succès est notamment limité par le non-accord des participants sur la largeur de la mer territoriale et donc les zones où la pêche côtière s’exerce. En effet, si la zone contigüe ne peut pas s’étendre au-delà de 12 milles à partir de la ligne de base93, les limites pour la mer territoriale n’y sont pas précisément énoncées. L’article 3 de la convention sur la mer territoriale et la zone contiguë énonce que « la ligne de base normale servant à mesurer la largeur de la mer territoriale est la laisse de basse mer longeant la côte, telle qu’elle est indiquée sur les cartes marines à grande échelle reconnues officiellement par l’État riverain ». Seul est précisé que si la distance entre les laisses de basse mer des points d’entrée naturels d’une baie excède 24 milles, une ligne de base droite de 24 milles sert de point de départ pour mesurer la largeur de la mer territoriale94. Diverses propositions s’opposent. Il est suggéré une limite maximale allant de 3 à 200 milles par des États comme l’Argentine, l’Uruguay ou le Brésil.
La notion de mer territoriale soumise à la souveraineté de l’État riverain qualifie désormais les intérêts économiques des nations côtières alors que jusque-là les produits de la pêche étaient disponibles pour tous, à l’exception parfois de bandes côtières réservées aux nationaux. Cette opposition d’intérêts entre d’un côté les États en faveur de la liberté des mers pour accéder sans contraintes aux ressources et la nécessité des autres de satisfaire en priorité leurs besoins de subsistance ou de développement95, entraine l’échec de la définition d’une limite juridique unique
l’étendue de la mer territoriale, réservée ainsi à la « juridiction exclusive » ou plutôt à la « compétence exclusive »96 de l’État riverain.
Suite à ce précèdent, quelques pays porteront leurs zones de pêches réservées à leurs riverains à 12 milles marins. L’Islande fut la première, suivie par la Norvège (1961) et le Danemark pour ce qui concerne les territoires autonomes du Groenland (1963) et les Îles Féroé97. Une situation source de conflits avec le Royaume Uni qui commettait selon les marines islandaise et danoise des infractions aux règlements des pêches. Les conflits en termes d’accès à la ressource sont à l’origine, encore aujourd’hui, d’activités de pêche INN, même si cette notion n’existait pas encore à l’époque. Tout dépend du point de vue dans lequel on se place. Une pêche est considéré illégale par un État qui a unilatéralement délimité sa zone de pêche et y a inscrit son droit. Certaines activités historiquement libres au-delà des zones sous juridiction sont dorénavant commises en violation des lois nationales dudit État. Toutefois l’activité non conforme est établie comme légitime pour l’État pêcheur qui ne reconnait pas nécessairement une zone de pêche nouvellement établie et de manière unilatérale. C’est le droit international et les accords régionaux qui permettent d’outrepasser cette problématique.
Après le règlement des différends, le Royaume-Uni signa des accords temporaires avec ces deux pays et obtient en raison des droits historiques nationaux la possibilité de pêcher98.
Pour cette première conférence sur la codification du droit de la mer à Genève, la volonté des États de disposer de quelques droits de pêche exclusifs au-delà de la mer territoriale n’a donc pas été satisfaite puisque les participants ne se sont pas mis d’accord sur la largeur de ces zones. D’autre part, la nature obligatoire du règlement des différends était mal acceptée à ce moment et par conséquent très peu, ratifié, symbole manifeste d’un désintérêt.
Toutefois, si la proclamation du président Truman sur la pêche du 28 septembre 1945 a sans doute joué un rôle politiquement déterminant sur l’appropriation de zones des pêches99, la Convention sur la pêche et la conservation des ressources biologiques de la haute mer adoptée à Genève le 29 avril 1958, marque en droit international une première étape pour la codification du droit international des pêches100. Cette convention reconnaît l’intérêt particulier des États riverains à la conservation des ressources biologiques et au maintien de la productivité de celles-ci dans toutes les parties de la haute mer adjacentes à leur mer territoriale. La possibilité de prendre des mesures nécessaires de conservation est mentionnée tout en ayant l’obligation d’y préciser les raisons scientifiques101. Dans ce contexte, l’État riverain peut adopter « unilatéralement les mesures de conservation appropriées pour tout stock de poisson ou autres ressources marines dans toute partie de la haute mer adjacente à sa mer territoriale, si des négociations à cet effet avec les autres États intéressés n’ont pas abouti à un accord dans un délai de six mois. »102. Cette convention insiste également sur la coopération des États lorsque les stocks de poissons sont partagés. Ce texte est significatif tant pour l’évolution des préoccupations environnementales que pour la persistance de schémas territoriaux puisque cette convention ne s’applique qu’aux parties adjacentes à la mer territoriale (et, qui plus est, sans être précise dans sa délimitation) : la haute mer.
Après Genève, l’Assemblée générale des Nations Unies avec la résolution 1307 (XIII) du 10 décembre 1958 convoque une deuxième conférence sur le droit de la mer afin d’examiner les questions qui n’ont pas reçu de solutions. L’Assemblée générale souhaite résoudre deux problèmes capitaux : la largeur de la mer territoriale et les limites des zones de pêches103. La deuxième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer (dénommée UNCLOS II en anglais) se tient en 1960. Toutefois, aucune décision de fond sur ces questions ne sera prise. La largeur de 6 milles marins de la mer territoriale, en y ajoutant une zone de pêche à 6 milles, suggérée par les États-Unis, avait été acceptée en commission mais n’a pas passé la majorité des deux tiers en séance plénière, et ce à une voix près104.
La remise en cause du droit de la mer née d’un double mouvement induit par les États du tiers-monde. Suite à la décolonisation, de nombreux États accèdent à l’indépendance et souhaitent désormais un droit d’accès aux ressources côtières précieuses support de la nouvelle économie. D’autres États maritimes, ceux ayant les capacités technique et financière pour exploiter les ressources, ne souhaitent pas que les principes juridiques évoluent afin de conserver une importante liberté de manœuvre en mer et craignent que l’évolution du droit des pêches ne restreigne le champ d’action de leurs pêcheurs hauturiers, ce qui aurait des répercussions importantes sur l’équilibre social des régions maritimes. Ces États défendent une politique conservatrice aussi bien pour l’accès à la ressource que pour sa conservation. En opposition, les États en développement cherchent à acquérir des droits exclusifs sur les ressources proches de leurs côtes afin d’en réserver l’exploitation à leurs nationaux105. Néanmoins, la préoccupation primordiale à l’époque est le partage territorial des mers en vue de répondre aux revendications de certains États très vastes et disparates en matière de souveraineté. Les conflits de la délimitation des frontières terrestres génèrent également des conflits de tracé de la frontière maritime.
La pression pour délimiter une mer territoriale à 12 milles marins devient de plus en plus grande. Au nom de considérations économiques, les États latino-américains soutenus par certains États asiatiques et nord-africains soutiennent largement la délimitation d’une mer territoriale à 12 milles marins. Les États en développement craignent de ne pouvoir profiter des ressources marines vivantes et non vivantes dont l’exploitation nécessite des moyens financiers et techniques importants que seuls les pays développés peuvent mobiliser. Dans ce contexte, certains États s’approprient des espaces maritimes de plus en plus larges pour tenter d’y exploiter les ressources, ou de les faire exploiter plus tard en échange d’une rente. Ceci remet en cause l’actuel droit de la mer et les activités historiques de pêche qui y prospèrent. La définition unilatérale ou multilatérale de frontières maritimes va se poursuivre jusqu’aux déclarations de Montevido (8 août 1970) et Lima (8 mai 1970) qui réunissent des États côtiers du sous-continent latino-américain, à quelques exceptions près (dont celle du Venezuela) et instituent une extension de la mer territoriale à 200 milles marins qui représentait à l’est du continent la limite de la zone poissonneuse générée par le courant de Humboldt106. La géopolitique de la région va en être impactée. À titre d’exemple, le Brésil étend à 200 milles nautique ses eaux territoriales, poussant les pêcheurs qui ne peuvent plus exercer leurs activités au large des côtes brésiliennes (ou de manière illégale au regard de la loi brésilienne) à se déplacer vers la France en Guyane107. En réponse, la France adopte la loi du 5 juillet 1972 relative à la conservation des ressources biologiques de la mer pour créer une extension de sa zone de pêche au large de la Guyane. La France porte à 80 milles nautique les lignes de base de la limite de la compétence française pour ce département d’outre-mer108. L’importance de l’industrie de la pêche française pour l’économie nécessitait des mesures de protection du stock de crevettes, principale ressource de cette zone géographique. Un choix politique d’extension de la zone de pêche pour limiter la pêche des navires étrangers. Chacune des déclarations précisent l’étendue maritime concernée. Des étendues considérables puisqu’elles vont de 50 à 200 milles, parfois plus et conduisent à une assimilation plus ou moins explicite, en fait ou en droit, de ces étendues à la mer territoriale109.
Des difficultés persistent pour préciser un contenu, voulu plus uniforme ou plus cohérent, destiné règlementer la pêche au-delà des eaux territoriales. La multiplicité des paramètres considérés (espèces pêchées, États pêcheurs, lieux de pêche, méthodes et actions de pêche directes ou concédées, etc.) ainsi que le consentement des États à coopérer ouvraient, bilatéralement ou multilatéralement, une voie conventionnelle aléatoire. De plus, l’enjeu économique considérable face aux exigences des grandes flottilles de pêche industrielle et l’absence de fondements juridiques unifiés de la notion de zone de pêche et sa largeur amènent la nécessité de créer un nouveau concept pour éviter l’installation d’un engrenage conflictuel110. Cette considération économique va donner naissance, lors de la troisième conférence des Nations Unies, au zonage maritime de la ZEE111.
L’initiative d’une refonte radicale du droit de la mer avec un focus sur les espaces marins au-delà des zones sous juridiction fut portée en 1967 par l’ambassadeur de Malte, Arvid Pardo, lors de la 22ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies où la déclaration de principes régissant l’utilisation pacifique des fonds marins et des océans au-delà des juridictions nationales fut adoptée. Son allocution expose en premier lieu les diverses caractéristiques géophysiques des fonds marins, les ressources qu’ils contiennent et les moyens pour les exploiter avec des progrès significatifs à venir. Puis, dans un second temps, l’ambassadeur évoque les problèmes posés par le cadre juridique actuel que les Conventions de 1958 n’ont pas résolus et qui risquent de s’accentuer avec le développement des nouvelles technologies112. Il en viendra dans un troisième temps à des propositions concrètes, dont l’introduction du concept de « patrimoine commun de l’humanité », un concept d’intérêts communs à l’humanité et supérieurs à celui des États individuellement. Un concept déjà pris en compte par d’autres traités internationaux comme le traité de l’Antarctique en 1959, réservé seulement aux activités pacifiques et gelant les prétentions territoriales, puis le traité sur l’espace atmosphérique en 1960 qui ne peut faire l’objet d’une appropriation nationale113. Il s’ensuit la création de la Zone internationale des fonds marins gérée par de l’Agence Internationale de Fonds marins AIFM (ou ISA en anglais) accompagnée d’un régime juridique de ces fonds et des activités d’exploration et pouvant mener plus tard à l’exploitation des ressources, même si aucun accord n’a aujourd’hui encore été donné par l’agence114. La question de la valorisation de ce patrimoine « commun », originellement destinée au développement des États, n’a pas encore été mise en pratique et pose à ce jour de nombreuses questions juridiques pour le droit de la mer. La mer commune » devient finalement un espace « partagé » où les droits de souveraineté et donc l’action de l’État côtier s’étendent toujours plus loin notamment grâce à la légitimation morale de la lutte contre la pêche INN (voir Partie II).
Cette impulsion d’extension des espaces maritimes mène à la convocation de la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer en 1973 qui achève ses travaux en 1982 par un texte considéré comme la « Constitution des océans » et sera suivie d’accords connexes. Si les deux premières conférences des Nations Unies codifient essentiellement les règles coutumières déjà existantes concernant la mer territoriale, la zone contiguë, la haute mer et les activités de pêche, la troisième conférence des Nations Unies va apporter une nouveauté majeure en droit de la mer en encadrant juridiquement la ZEE et le plateau continental ainsi que la notion de droits souverains sur certains des espaces maritimes donnant lieu au “nouveau” droit de la mer avec la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM).

Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I. LA CONSTRUCTION DES PRINCIPES ET PROCESSUS DE DROIT INTERNATIONAL MOBILISABLES CONTRE LA PÊCHE ILLICITE, NON DÉCLARÉE ET NON RÈGLEMENTÉE (INN)
TITRE I. L’ÉVOLUTION DU DROIT INTERNATIONAL DES PÊCHES MARITIMES VERS LE TRAITEMENT DE LA PÊCHE NON CONFORME
CHAPITRE I. LA GENÈSE D’UN PROBLÈME JURIDIQUE : LA PÊCHE ILLICITE, NON DÉCLARÉE ET NON RÈGLEMENTÉE
CHAPITRE II. LA RESPONSABILITÉ ET L’ACTION INDIVIDUELLE DES SEULS ÉTATS POUR LA LUTTE CONTRE LA PÊCHE INN
TITRE II. LE TRANSFERT DE COMPÉTENCES DES ÉTATS VERS LES INSTITUTIONS RÉGIONALES
CHAPITRE I. LE POSITIONNEMENT DES ORGANISATIONS RÉGIONALES SPÉCIALISÉES DE GESTION DES PÊCHES
CHAPITRE II. LA PRISE EN COMPTE DE LA QUESTION DE LA PÊCHE INN PAR LES ORGANISATIONS RÉGIONALES DE GESTION DES PÊCHES
CONCLUSION DE LA PARTIE I.
PARTIE II. LA MISE EN OEUVRE DU DROIT INTERNATIONAL DES PÊCHES EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LA PÊCHE ILLICITE, NON DÉCLARÉE ET NON RÈGLEMENTÉE
TITRE I. L’EXEMPLE D’UNE JURIDICITÉ PORTÉE PAR UN ORDRE JURIDIQUE MATURE : LE DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE
CHAPITRE I. L’APPLICATION ET L’APPLICABILITÉ DU CONCEPT DE PÊCHE INN DANS LA POLITIQUE INTÉRIEURE DE L’UNION EUROPÉENNE
CHAPITRE II. L’APPLICATION DES MESURES DE LUTTE CONTRE LA PÊCHE ILLICITE, NON DÉCLARÉE ET NON RÈGLEMENTÉE DANS L’ACTION EXTÉRIEURE DE L’UNION EUROPÉENNE
TITRE II. L’EXEMPLE D’UNE JURIDICITE PLUS « ALÉATOIRE » DU CONCEPT DE PÊCHE INN
CHAPITRE I. LES DIFFICULTÉS AUXQUELLES LA JURIDICITÉ EST CONFRONTÉE : L’APPORT DE LA JURISPRUDENCE INTERNATIONALE ET DES PROCESSUS COMMUNS ISSUS DES ORGP
CHAPITRE II. L’ACCÉLÉRATION DE LA JURIDICITÉ DU CONCEPT DE PÊCHE INN AU CONTACT D’AUTRES DROITS
CONCLUSION DE LA PARTIE II.
CONCLUSION PROSPECTIVE
TABLE DES MATIÈRES
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES ANNEXES

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