La rupture fragile par clivage

La rupture fragile par clivage

Approche globale et approche locale 

Dans tous les cas, très proche de la pointe de fissure, une zone très sollicitée communément désignée par « la zone d’élaboration » ou « la Process Zone » en anglais apparait. Dans la zone d’élaboration, Les déformations sont très élevées et la pointe de la fissure initialement très aiguë s’émousse. Cet émoussement fait que les contraintes ne deviennent pas infinies comme dans les solutions de Williams en élasticité ou les solutions 𝐻𝑅𝑅 (Hutchinson, 1968; Rice and Rosengren, 1968) en élasticité non linéaire permettant de reproduire la plasticité en chargement monotone. Même pour un cas SSY, la zone d’élaboration se développe. Le détail des contraintes et déformations est par contre dépendant du régime de plasticité. Cela peut rendre difficile l’emploi de l’approche globale de la rupture pour décrire les cas de 𝐿𝑆𝑌 les plus extrêmes. Figure 3 : Champ de contraintes en amont de la pointe d’une fissure en fonction du régime de chargement Figure 4 : Comportement global d’une structure fissurée. La zone plastique est représentée en gris. L’approche globale est nécessaire dans la description de la rupture et très pratique à exploiter dans les applications industrielles mais présente aussi quelques limitations. En effet, il est maintenant établi que la ténacité est une grandeur qui dépend de la taille de l’éprouvette (Size effect) principalement dans la zone de transition ductile-fragile. Cette dépendance à la géométrie soulève le problème de la transférabilité des mesures de ténacité sur éprouvettes aux structures industrielles. En outre, les 16 dimensions des éprouvettes nécessaires pour pouvoir mesurer sa ténacité selon les normes en vigueur sont parfois très grandes de sorte qu’elles deviennent impraticables. En effet, dans le régime de plasticité généralisée, les mesures classiques 𝐾𝐼 ,𝐽 ne sont plus valides et ne peuvent pas être interprétées comme la ténacité du matériau. Une nouvelle approche dite approche locale de rupture est développée à la fin des années 80. Cette approche permet de quantifier la rupture à partir d’une échelle plus fine du matériau. Dans le cadre de cette approche, la modélisation de la ténacité est basée sur un critère local de rupture déduit des résultats expérimentaux. Un modèle à bases micromécaniques est proposé à partir de ce critère local et utilise des paramètres qui ne dépendent a priori que du matériau. Ces paramètres dits locaux nécessitent une approche hybride entre simulation et expérimentation pour pouvoir les identifier. Par conséquence, une approche locale nécessite deux ingrédients : (𝑖) Un modèle micromécanique décrivant les phénomènes de rupture mis en jeu (𝑖𝑖) La connaissance parfaite du champ de contraintes et de déformations devant une fissure stationnaire ou une fissure qui se propage. L’utilisation de cette approche est devenue populaire pour l’étude de l’influence de certains phénomènes sur la ténacité e.g. l’effet de la géométrie sur la transférabilité de la ténacité (Sumpter, 1993) et l’effet de préchargement à chaud (Roos et al., 1998; Moinereau et al., 2003, 2006; Bordet et al., 2006). Dans le cadre de ce chapitre, on s’intéresse à la rupture fragile par clivage i.e. rupture transgranulaire. Le clivage transgranulaire est caractérisé par une séparation des plans atomiques les plus denses dans les grains contrairement à la rupture intergranulaire qui est caractérisée essentiellement par la séparation des grains entre eux qui est souvent causée par la ségrégation de certaines impuretés le long des joints de grains. Les deux types de rupture conduisent à des vitesses de propagation très grandes : 1660 m/s. La rupture intergranulaire est considérée comme le mode naturel de rupture dans les métaux purs (Cottrell, 1989) (Cottrell, 1990a, 1990b) tandis que le clivage est le mode préférentiel dans les aciers ferritiques aux basses températures. 

Description du clivage 

La rupture par clivage est un mode de rupture fragile brusque qui conduit à une ruine extrêmement rapide des structures. Le clivage se manifeste par une séparation des plans atomiques du réseau cristallin préférentiellement dans les plans les plus denses e.g. {100} pour les aciers ferritiques. Chaque séparation fait apparaitre un plan de clivage. Sur le faciès de rupture, les plans de séparations forment des marches car le clivage traverse des grains et des obstacles microstructuraux localement désorientés. Finalement, le faciès de clivage est caractérisé par un aspect brillant et s’oxyde vite à l’air ambiant. Figure 5 : Schématisation des étapes de clivage dans les aciers ferriques dans le bas de la transition (Lower Shelf DBT) (1) (2) (3) 17 Figure 6 : Fissure de clivage arrêté obtenue sur d’essais arrêtés sur des éprouvettes entaillées (Lambert-Perlade et al. 2004) Pour la plupart des aciers de construction dans la zone de transition ductile-fragile, le clivage peut être amorcé à partir des défauts microstructuraux et souvent à partir des inclusions dures (Rosenfield et al., 1983). Le clivage peut être décrit en trois étapes (Curry and Knott, 1978; Knott, 1980, 1989). La première étape est l’apparition d’une microfissure suite à la rupture d’une particule dure (carbures de quelques microns) (slip-induced cracking). Ensuite la microfissure se propage selon le plan du clivage de la matrice en traversant l’interface particule/matrice, et finalement la microfissure se propage dans le grain voisin en traversant l’interface grain/grain. La première étape est appelée germination, la deuxième est appelée la propagation particule/grain et la dernière est appelée propagation grain/grain (Figure 5). On désigne souvent par l’évènement critique du clivage, l’étape parmi ces trois dernières étapes qui peut déclencher la rupture de la structure. La contrainte associée à un évènement critique est appelée la contrainte de clivage. De nombreux auteurs ont montré que la germination est l’évènement critique à des basses températures tandis que la propagation est l’évènement critique pour des températures élevées (Martin-Meizoso et al., 1994; Lambert-Perlade et al., 2004). Par ailleurs, la fissure amorcée peut tout à fait être arrêtée par un obstacle microstructural comme illustré pour l’étape (3). On parle alors d’un arrêt de fissure de clivage (Figure 6). Dans la suite on s’intéressera aux différents modèles de la littérature qui permettent de calculer la contrainte de clivage.

La contrainte de clivage

 La contrainte de séparation 

Dans un réseau cristallin parfait, une manière de quantifier la contrainte nécessaire pour séparer deux plans atomiques est basée sur un critère énergétique. En effet, il suffit pour cela que le travail effectué par la contrainte locale durant cette séparation soit supérieur au travail nécessaire pour rompre la liaison entre les atomes de ces deux plans (Figure 7). Cette énergie représente l’énergie de cohésion atomique (Bond energy) communément appelée : l’énergie de surface 𝛾𝑠 (~1𝐽/𝑚²). On peut exprimer alors : 𝜎𝑠𝑒𝑝𝑎𝑟𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 = √ 𝐸𝛾𝑠 𝑏0 ≈ 𝐸√ 𝛾𝑠 𝐸. 𝑏0 ≈ 𝐸√ 1 1011. 10−9 ≈ 𝐸 10 (2.2) Avec 𝑏0 la distance interatomique (quelques nanomètres) et 𝐸 le module de Young. On présente une démonstration de cette équation dans l’annexe A (§A. La contrainte de clivage). Figure 7 : Contrainte de séparation des deux plans atomiques Cette formule prédit un niveau de contrainte de séparation de plans atomiques très élevé (environ 20 𝐺𝑃𝑎 pour les aciers) par rapport à la contrainte de clivage mesurée dans les essais (de 1000 à 3000 𝑀𝑃𝑎 pour les aciers). En effet, il est inévitable pour créer le clivage de rompre des liaisons atomiques des grains. Or cette liaison est extrêmement solide et nécessite des contraintes énormes pour la rompre. L’équation (2.2) exprime le fait qu’il est très improbable que seul le chargement extérieur puisse engendrer ce niveau de contrainte afin de déclencher le clivage. Par conséquence, le clivage nécessite la présence des concentrateurs de contraintes dans le matériau. Un mécanisme possible concentrateur de contraintes est l’empilement des dislocations sur un obstacle microstructural e.g. précipité, joint de grain ou la présence de microfissures. Autrement dit, à cause de mécanismes irréversibles très hétérogènes à l’échelle microscopique, des microfissures sont engendrées dans le matériau et peuvent se propager lorsque la contrainte locale atteint une valeur critique (Mudry, 1987). 

La contrainte de clivage 

En élasticité linéaire, (Inglis, 1913) a montré qu’un trou elliptique, dans une plaque fine sans épaisseur (i.e. en contraintes planes) et infinie dans le plan, joue le rôle d’un concentrateur (amplificateur) de contrainte. En effet, son analyse lui a permis de calculer la contrainte dans la pointe A du grand axe de l’ellipse (Figure 8) et de montrer qu’une fissure (𝜌 = 𝑏 2 /𝑎 → 0) conduit à un champ de contrainte infinie sur cette pointe. Figure 8 : la singularité du champ de contrainte à la pointe A d’une ellipse selon (Inglis 1913) 19 Ce résultat montre que la rupture d’une structure fissurée est automatique puisque aucun matériau ne peut supporter une contrainte infinie. Ceci contredit la réalité expérimentale qui montre qu’une fissure s’émousse en plasticité et n’est jamais infiniment aiguë comme on l’a supposé dans le modèle. Néanmoins, supposons que la fissure soit émoussée à un certain rayon de l’ordre de la distance interatomique 𝑏0 de l’équation (2.2). Sous l’hypothèse 𝑎 ≫ 𝑏 on peut écrire : 𝜎𝐴 = 𝜎∞ (1 + 2 𝑎 𝑏 ) ≈ 2𝜎∞ 𝑎 𝑏 = 2𝜎∞√ 𝑎 𝜌 = 2𝜎∞√ 𝑎 𝑏0 (2.3) Afin de déclencher le clivage, il suffit que 𝜎𝐴 = 𝜎𝑠𝑒𝑝𝑎𝑟𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛. En remplaçant dans l’équation (2.3), la contrainte 𝜎∞𝑓 nécessaire à appliquer est donnée par : 𝜎∞𝑓 = √ 𝐸𝛾𝑠 4𝑎 (2.4) En ce sens 𝜎∞𝑓 est une contrainte de clivage et la formule précédente (2.4) est une approximation de cette contrainte. Malgré le fait que l’analyse précédente semble, jusqu’à un certain point simplifiée et approximative, les simulations utilisant un modèle atomistique de (Gehlen and Kanninen, 1969) ont conclu à une contrainte de clivage qui a une forme très proche de l’équation (2.4). Dans ce qui suit on présente la méthode de Griffith qui permet de retrouver la même forme que l’équation précédente d’Inglis. (Griffith, 1921)s’inspire des travaux d’Inglis et calcule une formule théorique de la contrainte nécessaire à la propagation d’une fissure de taille 2𝑎 dans une plaque infinie dans le plan et d’épaisseur 𝐵 (Figure 9). Griffith considère la conservation des énergies mises en jeu lors d’une avancée hypothétique incrémentale 𝑑𝑎 de la fissure. Plus précisément, pour que la fissure avance, il est nécessaire que la variation de l’énergie élastique stockée 𝑑𝐸𝑒 pendant cette avancée soit supérieure ou égale au travail 𝑑𝑊𝑠 nécessaire à la création de deux surfaces 2𝐵𝑑�

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