La séparation et le divorce fortement conflictuels

La rupture conjugale: trois composantes à l’étude 

L’adaptation psychologique suivant une rupture conjugale

Tel que mentionné précédemment, la rupture conjugale demeure un stresseur important dans la vie d’un individu. Plusieurs études font ressortir un potentiel plus ou moins élevé de perturbations reliées à la rupture conjugale. La documentation nous apprend que le processus d’adaptation qui favorise chez l’individu l’acceptation de 1′ échec conjugal demeure un processus dynamique et évolutif. En ce sens, le deuil de séparation requiert un ajustement et une réorganisation de sa vie interne et externe : réaménagements de · ses attentes, de ses émotions, de sa vision de soi et du monde.

Les résultats de recherches antérieures confirment la présence de composantes affectives et cognitives comme indices prévisionnels en regard des différentes étapes du processus d’adaptation post-rupture (Froiland et Hozman, 1977; Arnato, 1991). Les composantes affectives font référence à la multitude de sentiments ressentis au cours du divorce. Les ex-partenaires démontrent des sentiments de tristesse, de rejet et de colère. De leur côté, Lévesque (1998) et Allain et Lussier (1988) ajoutent à cette liste l’angoisse, la solitude, la frustration et la vengeance, la diminution de l’estime de soi et l’insécurité vécue dans toutes les sphères de la vie de l’individu. Selon les auteurs, plus les liens ont été forts entre les conjoints au cours de l’union, plus le chemin sera ardu dans la déconstruction du lien affectif après le divorce.

La déconstruction de ce lien implique une réorganisation au niveau de l’identité de la personne qui est différente de celle acquise au cours de l’union. Cela explique le fait que l’adaptation à la séparation va se faire- de façon relativement aisée pour certains, alors que chez d’autres, on notera des affects dépressifs variables et intenses, de la tristesse prolongée aux sentiments profonds de désespoir.

Les composantes cognitives sont vues comme étant des attributions de responsabilités et de blâmes adressés à 1′ autre partenaire. En général, les attributions sont représentées comme des inférences causales, faites dans un contexte privé ou public, de nature spontanée ou délibérée (Harvey et al., 1978). Elles s’appliquent aux sphères relationnelle et personnelle des partenaires. Ce processus inférentiel donne non seulement une signification aux comportements des conjoints mais permet également d’ expliquer les conflits au sein de la relation conjugale et après la dissolution de cette relation (Lutzke et al, 1996).

À ce jour, plusieurs ouvrages rendent compte de nombreuses catégorisations pour définir 1′ adaptation dans un processus de rupture conjugale, ce qui contribue à rendre le concept relativement ambigu. Ainsi, la théorie des rôles, le bien-être psychologique, la satisfaction face à la vie, la capacité à développer des relations intimes, les stratégies de « coping », le concept de l’estime de soi et enfin, l’efficacité personnelle sont autant d’éléments utilisés dans la définition de 1′ adaptation et rendent sa signification complexe. Toutefois, malgré les controverses suscitées par ces positions, il serait bon d’en .définir quelques unes.

Déjà en 1956, Goode définissait l’adaptation à la rupture conjugale comme une période de déséquilibre qui signifie chez l’individu une perte au niveau des rôles, des modèles et des relations sociales. Pour leur part, Priee et McKenry (1988) considèrent la personne bien adaptée au divorce comme étant celle qui cesse tout contact avec l’ ex-conjoint en s’engageant dans une nouvelle union.

Kitson et Raschke (1981) soulignent de leur côté qu’une personne bien adaptée à la séparation a appris à développer une identité indépendante de celle qu’elle avait antérieurement et qu’elle assume de façon adéquate et fonctionnelle différents rôles inhérents à ses responsabilités quotidiennes.

Dasteell (1982) a interviewé 161 personnes séparées ou divorcées. L’auteur relève deux aspects importants pour l’adaptation au divorce: le premier constitue un processus de distanciation vis-à-vis l’ex-conjoint, ce qui amène chez l’individu des sentiments de peine et de dépression reliés à la perte. Le deuxième aspect fait état de la construction du concept de soi et de l’acquisition de sa propre efficacité à l’intérieur du processus d’adaptation. Il est davantage relié au concept d’autonomie affective avant le divorce. Les individus ayant appris à développer des habiletés de partage sans pour autant devenir dépendants de leur conjoint semblent mieux s’adapter au divorce. En conclusion, l’auteur souligne que le stress entraîné par la rupture est conséquent au processus d’apprentissage de nouvelles habiletés qui peuvent favoriser un plus grand sentiment d’estime de soi.

Une autre étude élaborée par Spanier et Casto (1979) auprès de 50 personnes séparées et divorcées rend compte aussi de deux aspects qui se chevauchent et interagissent. Le premier aspect tient compte de la lutte engagée contre les pertes que représente la rupture; ces pertes font référence à la perte du mariage, du conjoint, du statut social et s’il y a lieu, des enfants. Le deuxième aspect réfère à la réorganisation et au changement de rôle ainsi qu’au gain de nouveaux statuts enclenchés par la séparation. Selon ces auteurs, la création d’un nouveau mode de vie devient un élément primordial pour l’adaptation globale de l’individu suite à une rupture conjugale.

Dans son étude portant sur la crise de rupture, Forest (1990) pousse son analyse en prenant en compte les dimensions de force et de puissance. Elle soulève 1’hypothèse que les affects reliés à l’impuissance sont susceptibles de générer chez l’individu une crise personnelle et de représenter un risque potentiel de détresse émotionnelle suivant une rupture conjugale. Pour mieux faire comprendre cette avancée, l’auteur explique que l’hostilité et l’agressivité générées par la rupture conjugale sont analysées non seulement comme des réponses à 1 ‘angoisse de séparation mais également comme des réactions d’impuissance vécues dans une recherche de contrôle et de domination sur autrui. L’auteur explore le vécu émotionnel d’une rupture conjugale auprès de 14 sujets à partir de cinq types de crise qu’elle reprend sur cinq niveaux de perte en y Lt:: associant à chacun un affect particulier: le premier niveau, la peur, est associée à la perte de sécurité; vient ensuite le sentiment d’injustice qui signifie la perte de droit ; le troisième, le sentiment de dévalorisation tient compte de la perte de valorisation ; le quatrième niveau correspond à la désillusion dans la perte de l’idéal et enfin, le sentiment d’impuissance est associé à la perte de pouvoir. >· ‘Les résultats de l’étude indiquent la prédominance d’une crise d’impuissance démontrée chez la moitié des sujets.

Une autre étude faite en 1990 par Kitson et Morgan définit trois aspects importants pour l’adaptation au divorce. Le premier aspect rend compte de l’état asymptomatique dans lequel un individu se retrouve concernant les sphères physique et mentale. Le deuxième aspect fait référence à la capacité de fonctionner de façon adéquate devant les responsabilités affective (famille), instrumentale (maison, aspects financiers) et sociale (loisir). Enfin, le troisième aspect examine la capacité de l’individu de développer une identité indépendante qui n’est pas liée à son statut de conjoint ou d’ex-conjoint. Pour ces auteurs, après deux ans de séparation ou de divorce, l’individu devrait normalement arriver à un fonctionnement adéquat.

Weiss (1977) relate deux variables importantes pour rendre compte de 1′ adaptation suite à une rupture conjugale. La première est la capacité de l’individu de retrouver une identité stable et cohérente. Cette identité peut différer de celle avant la séparation selon les réaménagements au niveau relationnel et social qu’implique la rupture. La seconde variable, qui chevauche la première, fait référence à la reprise d’un mode de vie stable et à la façon dont l’individu peut établir des rapports avec les. autres de façon adéquate. Les travaux de Weiss ont encouragé par la suite plusieurs chercheurs à tenir compte de ces deux variables dans l’étude de l’adaptation post divorce.

Bref, la revue de littérature souligne que l’adaptation demeure un processus dynamique soumis aux contraintes psychologiques, sociales et environnementales de l’individu. En regard de l’expérience post-rupture, l’adaptation sollicite chez l’individu de nouveaux aménagements personnels, relationnels et sociaux. Les recherches ont permis de mettre en évidence des modèles plus ou moins cohérents entre eux, où différentes stratégies adaptatives permettent à la personne de retrouver un état d’équilibre. L’adaptation dépend entre autres des expériences passées et présentes, de la perception de la situation, des ressources personnelles et familiales et du réseau social. L’adaptation suivant une séparation ou un divorce demeure un aspect à explorer dans notre étude.

Le deuil suivant une rupture conjugale 

Plusieurs auteurs ont comparé le phénomène d’adaptation au divorce ou à toute perte survenant dans la vie d’un individu à celui du deuil (Bohnannon, 1970 ; Froiland et Hozman, 1977; Germain, 1997; Kessler, 1975; Weiss, 1977; Wiseman, 1975). S’appuyant sur la théorie selon laquelle les sentiments ressentis suite au deuil du conjoint sont les mêmes que ceux ressentis lors de la rupture conjugale, leurs études effectuées auprès d’adultes en deuil et de personnes séparées tracent de façon évidente cette similitude. Ces auteurs décrivent le processus du divorce sous l’angle de différentes étapes à franchir dans le temps.

Bohannon (1970) introduit six expériences distinctes. La première étape rend compte du divorce émotionnel. Il est davantage centré autour du problème de la détérioration du mariage et des différents sentiments ressentis suite à la rupture. La deuxième étape, le divorce légal, signifie que se séparer exige une redéfinition des habitudes de vie en un ensemble de règlements légaux. Vient ensuite le divorce économique qui tient compte de la gestion des fonds accumulés au cours de la vie conjugale. La quatrième étape fait référence au divorce coparental. L’auteur tient compte des différentes conciliations au niveau de la garde et des droits d’accès à l’enfant. A cet effet, les rôles parentaux doivent être clairement établis. La cinquième étape appelée le divorce social implique des réajustements au niveau de la sphère sociale comme les amis et la vie sociale. Enfin, le divorce psychique tient compte d’une autonomie adéquate et d’une vision positive de soi et du monde en général. En conclusion, les auteurs affirment que l’ordre et l’intensité des étapes peuvent être différentes selon chaque individu.

Pour Wiseman (1975), la réalité du divorce se découpe en . .cinq étapes. Ces étapes font référence à: 1) la négation, 2) la perte et la dépression, 3) la . colère et l’ambivalence 4) la réorientation de l’identité et du style de vie et 5), l’acceptation et l’intégration de la perte. Selon l’auteur, cette intégration permettra à l’individu de se rendre disponible à d’autres engagements amoureux.

De son côté, Kessler (1975) propose un modèle qu’il définit sur sept stades: 1) la désillusion, 2) l’érosion, 3) le détachement, 4) la séparation physique, 5) le deuil, 6) la seconde adolescence et enfin 7) la réorganisation. L’auteur conclut que le deuil suivant une rupture conjugale demeure un travail long et difficile puisqu’il englobe plusieurs sphères de la vie de l’individu.

Weiss (1977) décrit deux phases nettement distinctes qui se répercutent sur une période de deux ans. La première, qu’il nomme période de transition, est dominée par la désorganisation, la dépression, une agitation incontrôlable et le désir d’échapper à la détresse. Par la suite, l’individu reprend un certain contrôle et apprend à remettre de l’ordre dans sa vie. La seconde phase que Weiss (1977) appelle la période de rétablissement en est une où l’individu retrouve un mode de vie relativement cohérent. Il donne l’impression de mieux vivre mais des périodes d’ambivalence viendront quelque fois perturber le processus d’intégration de la rupture, plus particulièrement si l’individu est confronté à des événements stressants.

De leur côté, Froiland et Hozman, (1977) adaptent le modèle du deuil élaboré par Kübler-Ross au contexte du divorce. Les deux repères cliniques qu’ils décrivent relèvent des aspects affectifs et cognitifs. Au niveau affectif, on retrouve divers sentiments tels la colère, la tristesse et le rejet. Au niveau cognitif, l’individu nie la rupture et veut revoir l’ex-partenaire. Les auteurs découpent le processus de deuil en cinq étapes. Chacune de ces étapes est mesurée à 1′ aide de sous-échelles incluant plusieurs indices. La première étape, la sous-échelle «acceptation de la rupture 1 », mesure les aspects qui ont trait au refus et à la négation vis-à-vis la séparation. La sous-échelle, appelée «absence de colère», avec un indice d’agressivité servant d’indicateur de mesure pour vérifier les éléments de colère, évalue la seconde étape. Pour la troisième étape, la sous-échelle «acceptation de la rupture II » constitue un indicateur du marchandage du divorce. La quatrième étape est évaluée à l’aide des indices de dépression, d’anxiété, de problèmes cognitifs et de réactions émotives et somatiques. La dernière étape que Froiland et Hozman (1977) nomment «l’adaptation» est mesurée à partir de plusieurs indices tels la reconstruction de la vie sociale et la satisfaction face à la vie. Bref, des facteurs de nature affective et cognitive jouent un rôle majeur dans toutes les étapes du deuil du divorce.

En 1972, Parkes et Brown ont étudié le deuil en élaborant un construit regroupant quatre dimensions : le déni initial, l’évitement compulsif de l’objet, la consolation et la construction d’une nouvelle identité. Les auteurs confirment que les personnes séparées et divorcées ont une expérience de deuil similaire à celles qui expérimentent la perte d’un être cher par décès. Tessier (1990) remet en doute l’étude de Parkes et Brown prétextant le manque · de cohérence en regard des items retenus. Il élabore sa recherche sur les conditions sociales inhérentes à trois situations maritales : la cohabitation, la séparation et le veuvage. En reprenant certaines dimensions de l’étude de Parkes et Brown (1972), Tessier évalue l’intensité du deuil selon les dimensions suivantes : réactions initiales, recherche compensatoire de l’autre, évitement compulsif de l’autre, dépression et construction d’une nouvelle· identité.

Les conclusions de 1′ étude démontrent que les endeuillés par séparation ne connaissent pas les mêmes expériences affectives que ceux des endeuillés par décès du conjoint. L’auteur explique ces résultats par le fait que l’insatisfaction maritale amène souvent un désinvestissement affectif qui atténue en quelque sorte le travail d’adaptation au deuil. Il suggère de tenir compte de cette· atténuation puisqu’elle peut influencer de façon plus ou moins importante le cheminement de la personne en deuil de séparation. Enfin, pour Germain (1997), le deuil se résume à cinq étapes: la première débute par l’intégration d’une nouvelle situation de vie; l’individu devra en effet intégrer la perte d’une relation, d’un équilibre, d’un idéal. Par la suite, l’individu est appelé à séparer le conflit conjugal des responsabilités parentales. Vient ensuite la capacité pour la personne de faire face à l’ampleur de la réorganisation post-rupture : réaménagement matériel, éducatif, affectif, social et fmancier. A cela s’ajoute la capacité de tolérer les résonances de l’autre avec ses propres résonances personnelles et d’assumer une coparentalité, pour le« meilleur intérêt de l’enfant».

Table des matières

Introduction
Présentation de la problématique
Chapitre 1 :La rupture conjugale: trois composantes à l’étude
1.1 L’adaptation psychologique suivant une rupture conjugale
1.2 Le deuil suivant une rupture conjugale
1.3. L’attachement
1.3 .1 L’attachement et la rupture conjugale
Chapitre II : La séparation et le divorce fortement conflictuels
2.1 Les relations conflictuelles post rupture : rouage complexe et mouvante typologie
2.2 La séparation et le divorce fortement conflictuels et le syndrome d’aliénation parentale: similitudes et opposition
2.3 La typologie du syndrome d’aliénation parentale d’après Gardner
2.3.1 La théorie explicative du syndrome d’aliénation parentale: l’approche psychodynamique
2.3.2 La théorie explicative de la séparation et du divorce fortement conflictuels l’approche systémique
2.3.3 Une définition de l’approche systémique
2.3.4 L’individu: un système autonome dans un tout unifié
2.3.5 Le phénomène d’homéostasie pour comprendre la famille
2.3.6 Trois types de fonctionnement familial
Chapitre III: La démarche méthodologique
3.1 Démarches préliminaires et considérations éthiques
3.1.1 L’approche objectiviste versus constructiviste: un choix à faire
3 .1.2 Les objectifs de la recherche
3.1.3 La cueillette de données
3.1.4 Échantillonnage
3.1.5 Les critères de sélection
3 .1.6 La procédure d’entrevues
3 .1. 7 Les limites de 1′ étude
Chapitre IV: Analyse des résultats
4.1 L’adaptation suivant une séparation ou un divorce
4.1.1 Les problèmes de nature interne
4.1.2 La colère et la frustration
4.1.3 Le sentiment de tristesse
4.1.4 La.solitude
4 .1. 5 L’estime de soi et la confiance en soi
4.1.6 La détresse émotionnelle
4.1.7 Les problèmes psychologiques
4.1.8 La grossesse précoce
4.2 Les problèmes de nature externe
4.2.1 Les relations au niveau des rôles
4.2.1 Les attributions de responsabilités et de blâme
4.3 Le deuil
4.4 L’attachement
4.5 Antécédents familiaux
4.5.1 L’alcoolisme
4.5.2 La violence conjugale, familiale
4.6 Les événements marquants
Chapitre V: Discussion des résultats
5.1 Discussion des résultats selon les trois composantes à l’étude
5.2 Propositions d’intervention
Conclusion

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