La simulation de symptômes: le rôle de la motivation

Le mensonge est décrit de façon générale dans la littérature comme étant un acte délibéré ayant pour but de tromper une personne en l’amenant à croire quelque chose qui est faux aux yeux de l’émetteur du mensonge (Zuckerman, DePaulo, & Rosenthal, 1981). Même si cette pratique est perçue publiquement comme un acte répréhensible, la plupart des gens mentiraient dans le quart de leurs interactions avec autrui (Vrij, 2000). Mentir semble être une option valide dans différents contextes. Alors que plusieurs mensonges sont produits dans le but de faciliter nos interactions sociales (Spence et al., 2003), certaines personnes utilisent le mensonge afin d’obtenir un gain personnel ou afin d’éviter une conséquence fâcheuse (Vrij, 2002). La simulation de symptômes fait partie de cette seconde catégorie de mensonge et représente un enjeu majeur au sein de la société. Considérant l’accessibilité des informations concernant les divers symptômes psychiatriques (Conroy & Kwartner, 2006) et l’augmentation du nombre de verdicts de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux (Jansman-Hart, Seto, Crocker, Nicholls, & Côté, 2011), la simulation est une problématique importante en Amérique du Nord. Des études américaines estiment d’ailleurs le coût engendré par la simulation au niveau des prestations d’invalidité à plusieurs centaines de millions de dollars (Chafetz & Underhill, 2013; LoPiccolo, Goodkin, & Baldewicz, 1999).

Malgré une littérature abondante sur le sujet, la communauté scientifique a émis certaines préoccupations sur la validité externe des résultats concernant la détection de la simulation de symptômes psychiatriques (Rogers, 2008). Effectivement, lors d’expérimentations conduites auprès d’étudiants, un facteur ‘ pouvant menacer la généralisation des résultats est la différence entre le niveau de motivation des participants qui sont appelés à feindre des symptômes dans le cadre d’une étude expérimentale et celui des personnes qui simulent dans le but de déjouer le système de justice pénale ou d’obtenir une importante compensation financière (Rogers & Cruise, 1998). Limité en temps et en ressources, le contexte d’un essai doctoral ne permettait toutefois pas la comparaison entre ces populations. Ainsi, la présente étude a pour but d’investiguer exclusivement la relation entre la motivation des étudiants qui participent aux expérimentations sur la simulation et leur performance à cette tâche .

Simulation
Abordée dans plusieurs œuvres littéraires, la simulation a depuis fait l’objet d’un vaste nombre d’études. Une description exhaustive de la simulation et des individus qui adoptent ce comportement permet d’introduire les différents modèles explicatifs élaborés au fil des années et les deux principaux contextes affectés par cette problématique.

Historique
Avant d’explorer la simulation en profondeur, il est à préciser que ce phénomène est documenté dans notre société depuis de nombreux siècles. Il est possible de remonter jusqu’à la Bible pour être témoin d’un exemple de simulation, c’est-à-dire lorsque David simule la folie pour avoir la vie sauve et pour échapper au roi qui souhaitait sa mort (cité dans Chesterman, Terbeck, & Vaughan, 2008). De nombreux autres exemples parsèment la littérature. Dans l’Antiquité, Homère raconte l’épique histoire d’Ulysse qui a notamment feint la folie dans le but d’éviter de participer à la Guerre de Troie (cité dans Chesterman et al., 2008). Les œuvres de Shakespeare font aussi mention de ce type de tromperie puisque deux de ses personnages les plus célèbres en font l’usage, soit le personnage de Hamlet dans la pièce de théâtre du même nom, et celui d’Edgar dans la pièce Le Roi Lear. Portée au grand écran en 1975, l’adaptation du livre Vol au-dessus d’un nid de coucou a elle aussi fait connaître la simulation de symptômes à des millions de personnes grâce au protagoniste de l’histoire, interprété par Jack Nicholson. Se rapprochant davantage du contexte dans lequel on retrouve la simulation au 21 e siècle, le film raconte l’histoire d’un homme sain d’esprit qui fait semblant d’être fou pour être admis dans un hôpital psychiatrique plutôt que d’aller en prison.

À l’origine, le terme anglais malingerer, équivalent de « simulateur» en français, était utilisé pour décrire les personnes qui prétendaient être malades afin de se soustraire du service militaire obligatoire. Aujourd’hui, les motifs sont nombreux pour faire usage de la simulation. Il fut entre autres démontré que pratiquement n’importe quel trouble physique ou psychologique peut être exagéré ou simulé (Halligan, Bass, & Oakley, 2003). Que ce soit dans le but de frauder, à des fins artistiques, ou simplement sous la forme la plus bénigne comme la répandue excuse « pas ce soir chéri, j’ai mal à la tête », nul n’a besoin d’être un acteur de talent pour feindre certains symptômes. Une étude qualitative sur l’absentéisme illustre la banalité de ce type de mensonge, en obtenant des résultats qui montrent que près du trois quarts des employés d’un hôpital qui avaient pris un congé maladie n’étaient pas réellement malades ce jour-là (Haccoun & Dupont, 1987). L’attitude générale de la société semble équivoque sur le sujet. Plusieurs sondages publics montrent qu’en cas de poursuites pour préjudice corporel, les gens considèrent qu’il est parfois acceptable de feindre afin d’obtenir un gain secondaire (Halligan et al., 2003 ; Iverson, 2003 ; Robinson, Shepherd, & Heywood, 1998; Rowatt, Cunningham, & Druen, 1998). Selon la Social Security Administration, le nombre de demandeurs d’invalidité aux États-Unis a d’ailleurs augmenté de 40% entre 1989 et 1995 (Griffin, Normington, & Glassmire, 1996). Considérant ces résultats, il est à se questionner si la simulation est socialement acceptée. D’ailleurs, les avocats admettent ouvertement qu’ils enseignent à leurs clients des techniques qui leur permettront d’obtenir une compensation financière maximale lors d’un litige pour lésions corporelles (Bury & Bagby, 2002; Lees-Haley, English, & Glenn, 1991). Désormais reconnu comme étant une problématique au sein du système de santé et du système juridique, il serait primordial de définir avec plus de précisions les termes associés à la simulation.

Définitions
La simulation est décrite dans le DSM-V (American Psychiatrie Association, 2013) comme une production intentionnelle de symptômes physiques ou psychologiques inauthentiques ou grossièrement exagérés, motivée par des incitations extérieures telles qu’éviter des poursuites judiciaires ou obtenir des compensations financières. Ce type de comportement doit être soupçonné en présence des manifestations suivantes: un contexte médico-légal, une discordance importante entre la souffrance ou l’incapacité rapportée par le sujet et les résultats objectifs de l’examen, un manque de coopération au cours de l’évaluation diagnostique, et la présence d’une personnalité antisociale. Le DSM-V ne reconnaît pas la simulation comme étant un diagnostic, mais plutôt comme une condition qui doit attirer l’attention du clinicien. D’un autre côté, on retrouve la tromperie dans les critères diagnostiques de la personnalité antisociale.

Resnick (1997) propose de diviser les simulateurs en trois grands groupes: (1) ceux qui font de la simulation pure, c’est-à-dire qu’ils feignent des symptômes qui n’existent pas du tout, (2) ceux qui font de la simulation partielle, c’est-à-dire les gens qui exagèrent des symptômes réels ou font état de symptômes déjà vécus, mais pour lesquels ils sont en rémission, et finalement, (3) ceux qui font une fausse attribution, c’est-à-dire les personnes qui associent de façon frauduleuse des symptômes vécus à un évènement ne lui étant pas réellement lié. Généralement, la simulation est caractérisée par l’endossement d’un nombre élevé de symptômes positifs, tels que des hallucinations, par rapport au faible nombre de symptômes négatifs, tels que l’émoussement affectif (Conroy & Kwartner, 2006). La personne qui simule aura aussi tendance à donner des réponses approximatives face aux questions des intervenants et à répondre par l’affirmative lorsque la suggestion de nouveaux symptômes lui est proposée. En entrevue, elle tentera de prendre le contrôle en attirant l’attention du clinicien sur les symptômes dont elle prétend souffrir (Cornell & Hawk, 1989). Dans une étude menée auprès de prévenus, trois facteurs furent associés à un profil de simulateur: être jeune, avoir un diagnostic de personnalité antisociale, et faire face à la possibilité d’obtenir une longue sentence (Lewis, Simcox, & Berry, 2002). Des facteurs plus généraux comme l’avarice, la tendance à manipuler et la frustration viennent aussi augmenter le risque de feindre des symptômes à des fins personnelles (Iverson, 2003).

Avant d’évoquer la présence de simulation, il est primordial d’éliminer d’abord la possibilité du trouble factice et du trouble de conversion. Malgré certaines ressemblances diagnostiques, la distinction entre ces deux psychopathologies et la simulation doit être claire. La définition du trouble factice, tel qu’inscrit dans le DSM-V (American Psychiatric Association, 2013), se résume à une production intentionnelle de symptômes physiques ou psychologiques, exécutée dans le but de jouer le rôle de malade, et pour laquelle il n’y a aucun gain secondaire apparent. En d’autres mots, le patient peut déclencher volontairement des affections médicales sur sa personne, se plaindre de douleurs intenses, réclamer des analgésiques, et se soumettre rapidement à des opérations multiples invasives. Le trouble de conversion, quant à lui, peut aussi être confondu avec la simulation, notamment à cause du caractère inexpliqué de déficits moteurs ou sensoriels. Bien que des facteurs psychologiques soient associés à ces symptômes, la personne n’a pas déclenché cette condition médicale de façon intentionnelle.

Les aspects majeurs à considérer pour établir le diagnostic adéquat sont l’intention et la motivation du patient. Même si ces éléments peuvent sembler limpides d’un point de vue théorique, l’évaluation de ceux-ci représente parfois un défi de taille pour les cliniciens. Puisque le trouble de conversion fait référence à une production de symptômes de façon inconsciente, le clinicien doit tenter d’évaluer si l’individu agit de façon préméditée malgré l’absence d’outil spécifique pour mesurer l’intention. En ce qui a trait au trouble factice, la distinction avec la simulation concerne plutôt le motif sousjacent à la tromperie. Cela implique donc que le clinicien doit distinguer le gain primaire, l’attention et les soins apportés par le personnel médical par exemple, du gain secondaire ou des incitatifs extérieurs. Discriminer le type de motivation d’une personne qui feint des symptômes s’avère être primordial aux yeux de la société, car un diagnostic de trouble factice est moins stigmatisé que le fait d’être identifié comme un simulateur. Effectivement, lors d’une poursuite criminelle, un accusé ayant un diagnostic de trouble factice sera jugé avec plus de clémence qu’une personne reconnue pour avoir tenté de duper volontairement un juge ou un jury quant à ses symptômes (Knoll & Resnick, 1999). Bref, la simulation se distingue des psychopathologies puisque c’est un comportement motivé par des incitatifs externes, alors que le trouble factice résulte d’un besoin intrapsychique (celui d’être malade), et que le déficit véhiculé par un trouble de conversion n’est pas produit intentionnellement, alors que l’objectif du patient demeure inconnu dans ce dernier cas.

Table des matières

Introduction
Contexte théorique
Simulation
Historique
Définitions
Modèles explicatifs
Contextes
Détecter la simulation
Indices de détection
Outils de détection
Généralisation des résultats
Limites des études
Menaces à la validité externe
Motivation et performance
Objectifs de l’étude
Méthode
Participants et recrutement
Instructions
Conditions expérimentales
Instruments de mesure
Procédures
Résultats
Discussion
Conclusion

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *