LA VENTE EN « ÉTAT FUTUR DE RÉNOVATION »

LA VENTE EN « ÉTAT FUTUR DE RÉNOVATION »

 Le constat d’une consécration progressive

Mener une réflexion sur la consécration progressive du statut de la vente en état futur de rénovation permet de comprendre dans quelle mesure, les règles du secteur protégé ne régissant initialement que les ventes d’immeubles à construire, ont été étendues aux opérations de rénovation. 43. Cette observation est particulièrement intéressante en ce qu’elle constitue un indicateur efficace de l’évolution du marché de la construction en France depuis les années 1960. En effet, si l’expansion du phénomène de rénovation n’a pas été anticipée compte tenu du contexte de l’époque, la rénovation est une activité dont l’accroissement semblait inévitable après une phase de construction intensive et de diminution de l’espace horizontal disponible. Ainsi, dans un pays comme la France où le développement immobilier atteint d’évidentes limites foncières, environnementales et structurelles123, la rénovation apparaît comme une voie opportune de renouvellement des perspectives de développement du secteur. C’est précisément ce qu’a consacré la loi SRU du 13 décembre 2000124 avec pour ambition de repenser l’architecture urbaine . Simplement, l’effectivité et la mise en œuvre de cet objectif, qui est aujourd’hui omniprésent dans notre société, supposent le développement d’un cadre légal strict, proposant, voire imposant, des modèles contractuels efficaces, équilibrés et adaptés. 44. Le droit de la construction reconnaît actuellement deux contrats de vente en matière de travaux sur existants : la vente encadrant les rénovations lourdes qui trouve refuge dans le contrat de vente en état futur de rénovation, et le contrat de vente d’immeubles à rénover régissant les opérations de rénovations légères.Comme son aînée la vente d’immeubles à construire126, l’admission du statut de la vente en état futur de rénovation a fait l’objet de nombreux débats et discussions entre théoriciens et praticiens du droit de la construction. On retrouve les traces de ces affrontements d’idées dans les décisions de justice (Paragraphe 1) et les débats doctrinaux (Paragraphe 2).

Une consécration jurisprudentielle de la « vente en état futur de rénovation » 

Jusqu’à la fin des années 1970, les acteurs du droit de la construction semblent n’avoir pas développé, ni envisagé la question des travaux sur existants pour elle-même et par elle-même. Monsieur Bernard Boussageon le signale d’ailleurs à cette époque, puisque dans son étude consacrée à la « réhabilitation des immeubles anciens », il remarque l’absence d’un statut juridique, financier et fiscal propre à la réhabilitation de l’habitat ancien . Le comblement de ce manque et la détermination d’un cadre juridique spécialement dédié à la rénovation d’immeubles ont par conséquent dû nécessiter l’intervention de l’autorité judiciaire. En effet, c’est à l’occasion d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris (A) et de deux arrêts de la Cour de cassation émanant respectivement de sa Troisième chambre civile (B) et de sa chambre criminelle (C), que la vente en état futur de rénovation a progressivement été reconnue et a pu accéder à la réalité des rapports juridiques. A. L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 9 février 1977 47. Dans ce cas d’espèce128, une société avait acquis un immeuble composé de plusieurs studios et destinés à être revendus après rénovation. L’un des studios avait fait l’objet d’une promesse de vente. À l’occasion de cette transaction, la bénéficiaire et future acquéreuse du bien immobilier avait versé au promoteur, une somme dont l’acquisition devenait définitive à titre d’indemnité forfaitaire, en cas de non-réalisation de la vente avant la date convenue. Estimant avoir été dupée par la société promotrice sur la superficie réelle du studio, la bénéficiaire avait saisi l’institution judiciaire en demande de nullité de la promesse. Afin de motiver son action, elle se prévalait de l’existence d’un vice de forme. En d’autres termes, celle-ci alléguait le fait que la convention ne respectait pas la forme du contrat préliminaire 9 encadré par la loi de 1967130 . 48. Pour trancher le litige, les juges du fond raisonnèrent en trois temps : Tout d’abord, ils relevèrent dans un premier temps que le studio au centre de la promesse de vente ne se trouvait pas dans un immeuble à construire. Ensuite, ils considérèrent que les travaux à exécuter ne concernaient en aucun cas la « grosse maçonnerie, mais seulement le ravalement extérieur, la réfection de la toiture et du chauffage central, la peinture intérieure et la pose de couvre-sol ou de moquettes ». Et enfin, que lesdits travaux étaient d’une importance relativement modeste de telle manière qu’ils ne pouvaient constituer une reconstruction intérieure de l’immeuble, et ainsi justifier l’application de la loi du 3 janvier 1967 portant sur la vente d’immeubles à construire. 49. Ainsi dans cette affaire, on note que le refus par les juges d’appliquer le statut protecteur est fondé, non pas sur l’idée de principe que son domaine est limité aux immeubles neufs, mais uniquement sur le fait que la réfection des structures internes de l’immeuble ne constituait pas une reconstruction . Dans une certaine mesure, la Cour procède insidieusement à un rapprochement entre rénovation et construction. Plus précisément, elle reconnaît qu’une opération de rénovation peut, selon les circonstances, bénéficier du statut protecteur de la loi de 1967, dès lors qu’elle peut être assimilée à une (re)construction. À la suite de cette première avancée opérée par les juges du fond, c’est la Cour de cassation qui a poursuivi le mouvement de reconnaissance.

L’arrêt de la Troisième chambre civile de la Cour de cassation du 2 mai 1978 

 Dans ce deuxième cas d’espèce , ce n’est pas l’acquéreur qui demandait à bénéficier du statut protecteur de la vente d’immeubles à construire, mais plutôt le vendeur. Ce dernier souhaitait s’en prévaloir afin de se soustraire à garantir aux acquéreurs, les conséquences des malfaçons résultant des travaux de rénovation qu’il avait entrepris  . Toutefois, les juges du fond soutenus par la Juridiction suprême vont s’opposer à cette allégation. En effet, ceux-ci vont considérer que c’est en qualité de « marchand de biens »  que la société avait fait effectuer les travaux et « avait vendu les studios créés par ces travaux », et que par conséquent, elle devait être « tenue par la garantie des défauts de la chose vendue dans les termes de l’article 1641 du Code civil ». Cependant, cette décision bien qu’importante, va s’attirer les critiques de la doctrine  . Pour une partie de celle-ci, les termes employés dans l’arrêt sous-tendaient que la soumission au statut protecteur de la loi de 1967 dépendait de la qualité du rénovateur et non des travaux  qui représentent pourtant la raison d’être de l’engagement des parties. De plus, la doctrine va remettre en cause l’analyse des préteurs tendant à exclure la qualité de marchand de biens de celle de constructeur. Elle considère notamment que la dissociation de ces deux notions ne semble pas justifiée, en raison de la variété des interventions auxquelles la profession de marchand de biens peut procéder. 53. Mais en réalité, la véritable portée de cet arrêt de principe, était que le vendeur n’ayant pas prévu au départ d’offrir les garanties instituées par le statut protecteur, ne pouvait ensuite invoquer l’article 1646-1 du Code civil pour tenter de limiter ses obligations. Partant, lui donner raison aurait été inéquitable et contraire à la convention imposée par lui à ses acquéreurs qui ne pouvaient plus semble-t-il, en demander la nullité. Décidemment, l’année 1978 a marqué un tournant majeur dans l’essor du droit de la construction, puisqu’un second arrêt d’une importance équivalente fut rendu.

L’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 23 octobre 1978

   Dans ce troisième et ultime cas d’espèce  , une société spécialisée dans la transformation et la revente en appartements d’un immeuble, commercialisait des logements en cours de rénovation. À cette occasion, des avant-contrats avaient été conclus auprès de divers acquéreurs qui avaient effectué des versements de fonds auprès de la société promotrice. Après que certaines sommes eurent été détournées, les candidats abusés saisirent les institutions judiciaires. Condamnés en appel, les principaux gérants de la société se pourvurent en cassation sur la base d’allégations tendant à les soustraire des obligations découlant de l’article 1601-1 du Code civil et des articles L. 261-10 et suivants du Code de la construction et de l’habitation. Pour que leur requête puisse aboutir, les gérants faisaient valoir qu’ils s’étaient juste bornés à aménager l’intérieur d’un bâtiment existant, sans le surélever, et que du fait de ce simple « aménagement » intérieur et à défaut d’édification d’un immeuble, les acquéreurs ne pouvaient ainsi bénéficier des dispositions protectrices de la vente en état futur d’achèvement. 55. En approuvant la décision de la cour d’appel tendant à l’application des dispositions de la loi du 3 janvier 1967, les juges du Quai de l’Horloge ont basé leur raisonnement sur deux points : 56. Primo, la Cour suprême a considéré que « la loi n° 67-3 du 3 janvier 1967 s’applique à l’un quelconque des locaux composant un immeuble vendu en état futur d’achèvement, sans qu’il y ait lieu de distinguer selon qu’il s’agit d’une édification complète de l’immeuble en cause ou de partie de celle-ci ; qu’il n’y a pas lieu d’en exclure la vente de locaux destinés à être transformés sans surélévation à l’intérieur d’un volume préexistant ». En procédant à une analyse de cet attendu de la Cour de cassation, il en ressort que : l’application du statut protecteur de la vente en état futur de rénovation n’est pas nécessairement conditionnée par la partie de l’immeuble sur laquelle les travaux sont projetés , ni par la nature même de l’opération en cause

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