La vie psychique des machines

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Définition historique et industrielle de la qualité

         Que signifie le terme « qualité » dans l’industrie et chez les constructeurs automobiles ?  Un article de Patrick Fridenson sur le développement du fordisme et de la qualité en France, ainsi que celui de Izumi Nonaka sur les évolutions du contrôle qualité au Japon apportent de nombreux éclaircissements sur sa genèse [1],[2].  La notion de la qualité dans l’automobile arrive en conséquence de la taylorisation et de la fordisation de la production.  Il s’agissait dès l’après première guerre mondiale d’obtenir un niveau de qualité de la production en chaîne identique sinon supérieur au travail manuel.  La notion de qualité dans l’automobile rend compte d’un effort des constructeurs de maintenir un niveau de qualité dans le contexte industriel d’une production de masse et de la division du travail.  Quelles méthodes les constructeurs ont-ils mises en œuvre pour assurer la qualité de leur production au cours des diverses étapes de la fordisation en France ?  Patrick Fridenson met en lumière la spécificité française du déploiement des méthodes de contrôle qualité.  Cette spécificité semble pouvoir se résumer par des difficultés, des manques de cohérence et des idées précurseurs qui ne furent pas mises en pratique, plutôt que par l’émergence d’un modèle efficace et pérenne à l’instar des Japonais [3].  Dans l’entre deux guerres, les constructeurs français n’ont pas mis l’accent sur l’inspection des pièces mais sur la qualité des procédures et des techniques de production.  Il furent en cela en avance sur les méthodes de qualité japonaises.  Renault fut le plus efficace dans cette démarche tout en réduisant les coûts de production.  Ernest Mattern, directeur de production chez Peugeot, proposait juste avant la seconde guerre mondiale, une étroite collaboration avec les fournisseurs.  Ces évolutions de la conception du contrôle qualité ne furent pas en mesure de révéler tout leur potentiel puisque les efforts des constructeurs français en matière de qualité furent freinés du fait de l’objectif de volume résultant de l’extraordinaire expansion du marché de l’automobile de l’après seconde guerre mondiale.  Au Japon, le scénario est tout autre.  Seulement à l’après guerre, les considérations sur la qualité devinrent une référence internationale en la matière, sous les appellations de Total Quality Control et de Company-Wide Quality Control.  Au contraire de la procédure classique d’inspection du véhicule à la sortie de la chaîne de montage aux Etats-Unis, la qualité devait y être prise en compte à chaque étape du processus d’assemblage, de la conception et de la planification.  Au-delà de l’instauration du prix Deming (qui marquait l’introduction du contrôle statistique au Japon), ce sont davantage des consultants japonais en contrôle qualité tels que Ishikawa et Nishibori qui, en adaptant les préconisations et les techniques du contrôle statistique de la qualité au contexte japonais, inventèrent le Company-Wide Quality Control et furent à l’origine de l’établissement de cercles de qualité au sein des entreprises, ces groupes de discussion permettant de résoudre des problèmes pratiques et d’améliorer les techniques de production.  C’est aussi au Japon que d’étroites relations entre les fournisseurs et les constructeurs s’instaurèrent et aboutirent au protocole des « boîtes noires » ou « dessins approuvés », c’est-à-dire à des efforts partagés entre le constructeur et le fournisseur, le premier apportant généralement des spécifications alors que le second réalise l’étude de recherche et développement .

L’électronique chez PSA Peugeot Citroën

         Quelles sont les évolutions majeures issues de l’électronique ou de la conception assistée par ordinateur ?  L’ouvrage de Pascal Griset et Dominique Larroque sur l’électricité et l’électronique chez PSA les retrace au sein du groupe PSA Peugeot Citroën sans sacrifier une vision globale en France et dans le monde, des innovations liées à l’électronique des années 1980 à nos jours [5].  Les innovations récentes de l’électronique dans l’automobile y sont classées en trois catégories : la motorisation, le confort associé à la sécurité et les équipements communicants.

         L’électronique est d’abord introduite dans le dans groupe motopropulseur avec l’allumage transistoré puis avec l’Allumage Electronique Intégral (AEI), inventé par Citroën et Thomson, qui équipera la Citroën Visa en 1978.  Les bougies sont commandées par un calculateur Thomson-CSF/Motorola et une bobine spécifique fournie par Ducellier.  Cela permet simplement d’adapter l’allumage en tenant compte de la dépression de l’air.  Le fameux distributeur (ou allumeur) Delco est ainsi remplacé.  Mais l’AEI n’est encore à ce stade qu’un allumeur pour moteurs bicylindres.  En 1978 Renault s’associe au fournisseur américain Bendix pour créer la filiale Renix à Toulouse.  Après avoir envisagé de s’associer à Matra et Magneti Marelli, PSA revient vers Thomson, rachète le laboratoire et l’équipe de recherche et développement électronique automobile pour créer en 1980 la filiale PSA-Thomson-CSF à Velizy.  Le département électronique chez PSA est né.  La Citroën GS équipée de l’AEI adapté au moteur à quatre cylindres est vendue au Japon avec le soutien de Nissan, où des normes anti-pollution très strictes sont en vigueur.  L’AEI connaît à nouveau une évolution pour être adapté sur la Citroën CX : il dispose désormais d’un allumage à commande numérique.  Les coûts des composants électroniques diminuent ce qui favorise leur massification.  Renix et PSA-Thomson-CSF sont en route vers l’optimisation toujours plus fine des groupes moto-propulseurs avec les possibilités qu’offre l’électronique.  L’objectif principal des ingénieurs sera d’augmenter le taux de compression, ce qui nécessite la parfaite coordination de l’allumage et de l’approvisionnement en air et en essence.  Cela permet notamment de réduire les émissions de gaz qui sont déjà une préoccupation majeure à la fin des années 1970.  Solex réalise un carburateur à double corps puis un carburateur piloté qui règle la richesse du mélange air/essence.  Mais c’est l’injection électronique associée à l’Allumage Electronique Intégral qui sera retenue.  L’injection était déjà privilégiée dans l’aviation au dépends du carburateur, et à cause des conditions extrêmes causées par les vibrations et le froid en altitude.  Bosch équipe la Citroën DS et la Volkswagen 411 d’injecteurs électroniques D-Jectronic (1967), puis propose le K-Jectronic (mécanique et électronique en 1973) et L-Jectronic (électronique en 1974).  PSA associe l’AEI au L-Jectronic sur les CX 2,5 litres turbo ainsi que sur une Lada qui participe à la course du Paris-Dakar.  Les américains proposent l’injection monopoint (un seul injecteur pour les 4 cylindres) plus simple et économique que l’injection multipoint mais cette alternative sera rejetée par les constructeurs européens.  Avec l’injecteur Monotronic (1978), Bosch intègre l’allumage et l’injection au sein d’un même circuit électronique.  PSA met en concurrence Bosch, Magneti Marreli et Lucas pour assurer la fabrication de ses injecteurs.  Le carburateur a pratiquement disparu sur les voitures proposées à la vente en 1995.

         L’injection indirecte fait place à l’injection directe.  Celle-ci est plus complexe à réaliser car elle nécessite des calculs minutieux des réactions dans les chambres de combustion, en essence comme en diesel.  L’injection indirecte tire profit d’une pré-chambre qui facilite la combustion, alors que l’injection directe envoie le carburant directement dans la chambre principale.  Concernant les moteurs à essence, le fameux sporster Mercedes 300 SL de 1954 était déjà équipé d’un système d’injection directe à l’instar des avions, mais ce n’est qu’au milieu des années 1990 que l’injection directe réapparaît dans l’automobile essence grand public (entre temps parfois utilisée en compétition).  En Europe, ce sont les marques japonaises qui ouvrent la voie dès 1997, suivit de Volkswagen avec la Lupo FSI en 1999 puis par Renault avec l’évolution la motorisation F5R de 2 litres conçue en collaboration avec Nissan.  Peugeot innove en février 2000 avec le moteur HPi en optimisant l’injection directe de telle sorte que la consommation est considérablement réduite (charge stratifiée et mélange pauvre).

         Pour le diesel, Peugeot est le leader européen, face à Mercedes-Benz, dès les années 1970.  En 1973-1974, dans le but de réduire les émissions de gaz polluants un premier procédé électropneumatique (l’EGR) est mis en œuvre avec le fournisseur Ducellier.  Des études avec l’américain Union Technology visent à développer un système d’injection électronique mais elles sont infructueuses et mises au placard en 1985.  C’est ensuite Lucas et Bosch qui travaillent en étroite collaboration avec PSA pour réaliser respectivement l’injecteur Electronically Programmed Injection Control (EPIC) pour la Peugeot 605 et les pompes VP15 réservés un nombre très réduit de véhicules.  Les ingénieurs diésélistes Peugeot travaillent sur l’injection directe mais ne l’envisagent que pour les utilitaires en raison des nuisances sonores et des fortes températures qu’elle génère.  C’est étonnamment par les italiens, qui ne sont habituellement pas diésélistes, qu’arrive en 1986 sur le marché français et européen, l’injection directe en diesel avec la Fiat Croma ID.  Elle contient l’injecteur Unijet ou « common rail » du fournisseur Magnéti Marelli qui revend son invention inespérée à Bosch et Denso.  Peugeot s’engage à rattraper son retard, et, fort de son expérience dans le domaine du diesel, introduit le moteur HDi qui sera un grand succès commercial dès la fin des années 1990.  Peugeot devient le leader mondial du diesel hautement optimisé.  Le HDi évolue pour passer d’une pression de 800 bars à 1300 dans une seconde monture (en collaboration avec Ford) puis augmente encore la précision de l’injection tout en augmentant la pression à 2000 bars.  Peugeot invente également le filtre à particules permettant d’épurer la totalité des particules émises par le diesel ; le prix Paul Pietsch lui est décerné en 2000.  Le filtre à particules équipe d’abord le haut de gamme avec la Peugeot 607 puis la 406 et la Citroën C5.

         L’électronique est ensuite mise en œuvre pour apporter plus de confort et de sécurité dans l’automobile.  Dans l’éclairage notamment (ou la lanternerie), la conception assistée par ordinateur amène des nouveaux types de phares par le calcul des trajectoires optiques.  En 1982, la Citroën BX intègre l’éclairage avant « bifocal ».  En 1989, la Citroën XM et la Peugeot 605 est munie d’un éclairage à « surface réfléchissante complexe ».  Conçu par Citroën en collaboration avec le fournisseur Valéo, ce nouveau phare offre un très bon rendement et permet de changer l’intensité de lumière lors les changements d’états.  En 1991, BMW propose sur quelques-uns de ses modèles des lampes à décharge, dites aussi lampes à xénon.  BMW, PSA, Renault et Saab partagent un groupe de travail européen pour la conception de cette technique qui sera mise en œuvre sur les Xsara Picasso, les 206 et en option sur les 607.  En outre, les matières plastiques remplacent le verre et le Plexiglas.  Ces conceptions assistées par ordinateur modifient l’esthétique des phares dont se servent les marques pour se singulariser.  Le système Adaptative Front end System (AFS) permet par ailleurs l’ajustement automatique de la direction de l’éclairage en fonction des virages, de la vitesse et de l’inclinaison du châssis en fonction de la répartition du poids.  L’activation automatique de l’essuie-glaces fait l’objet de recherches chez Citroën puis chez Peugeot mais elles se soldent par des échecs.  C’est une solution optoélectronique qui est alors retenue à l’aide d’un capteur situé derrière le pare-brise et mesurant la propagation de la lumière.  Il équipe les Peugeot 607, 406, 206 et les Citroën C5 et C3.  Les lève-vitres électriques, les sièges électriques réglables ou chauffants, la climatisation (en 1989 avec la Citroën XM et Peugeot 605) s’installent dans l’automobile en vue d’apporter plus de confort aux automobilistes.  Les aiguilles du tableau de bord perdurent et sont préférées aux compteurs numériques chez Peugeot.  Les prototypes Citroën Activa en 1988 et Activa II 1990 proposent des commandes entièrement numériques, à l’exception du volant, et une interface holographique sur la partie inférieure de pare-brise.  Mais les constructeurs sont prudents.  Ce ne sera qu’aujourd’hui que ladite technique d’affichage à « tête haute » sera en option chez divers constructeurs.  L’air-bag fait débat aux Etats-Unis et les ventes de voitures qui en sont équipées baissent drastiquement.  Le port de la ceinture qui doit être associé à l’utilisation d’un air-bag sans que celui-ci ne représente un risque « contre-productif » [6], n’est pas non plus tout à fait accepté.  Le premier air-bag est introduit en Europe par Mercedes en 1981.  Peugeot produit des 604 et 505 équipés d’air-bag mais uniquement sur le marché américain au début des années 1980.  Forcés de constater que les consommateurs sont progressivement demandeurs d’air-bag au début des années 1990, les constructeurs ajustent leur gamme.  La technique d’Anti Blockiert System (ABS) est introduite en 1978 par Mercedes.  Chez PSA, la deuxième génération d’ABS équipe les Citroën CX, XM et les Peugeot 405 et 605.  Bosch ouvre une usine en Bavière uniquement dédiée à la construction d’ABS.  La troisième génération d’ABS intègre le calculateur dans le bloc hydraulique ; ceci génère la baisse des prix et sa massification à partir du milieu des années 1990.  Citroën ZX, Citroën C3, Peugeot 306 et 206 en seront équipées.  En 1994, c’est avec le remplacement de l’ancien répartiteur de charge hydraulique par un circuit électronique ajouté à celui de l’ABS que l’ensemble des systèmes de liaison au sol vont être repensés.  Citroën s’oriente vers la numérisation de ses suspensions hydropneumatiques avec le procédé qu’elle nomme Hydractive sur les XM et les Xantia, qui réduit l’inclinaison dans les virages.  Après l’ABS et ce répartiteur de charge hydraulique arrivent la répartition électronique du freinage, l’antipatinage et le contrôle dynamique de la stabilité.  L’antipatinage n’est en effet rien d’autre qu’un ABS inversé, puisqu’il s’agit là aussi d’assurer l’adhérence des roues au bitume.  L’Electronic Stability Program (ESP) conçu par Bosch et ITT remplace l’ABS en combinant ces deux mécanismes en 1998.  La continuité de ces avancées techniques provoquées par l’électronique, va logiquement dans le sens d’une autonomie croissante de la voiture, jusqu’au jour où l’automobiliste n’aura plus besoin de conduire.  Il existe aujourd’hui des automobiles capables de freiner en cas d’obstacle et de se garer toutes seules.  Des tests allant vers l’automatisation et la régulation de la conduite furent réalisés très tôt en France, avec les programmes Prométhéus [7] à partir de 1986 et AIDA de 1996 à 2001.

 

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