L’ancrage territorial de l’entrepreneur social

Le territoire est aujourd’hui une notion clé pour comprendre la situation des populations, les mutations et les évolutions urbaines comme rurales. Cette clé de compréhension du monde dans lequel chacun vit permet d’agir et de prendre des décisions qui peuvent avoir un réel impact. Chaque territoire est différent. Chaque territoire a une identité propre qui découle de sa géographie, de son histoire, de la population et des mouvements de population qui le composent. Il semble à ce titre évident que les politiques publiques ne peuvent être homogènes sur l’ensemble de la France et doivent s’adapter aux particularités des territoires. Cette nécessité d’adapter l’action publique à l’identité du lieu et des habitants s’illustre notamment avec la désignation de Quartiers Prioritaires de la Ville . Mais qu’est-ce qu’un territoire ? Comment définir cette notion à la fois simple et presque impossible à borner ? Pour Daniel Nordman , le territoire est un espace que l’on peut revendiquer, qui  porte un nom et possède des limites géographiques. Une définition plus sociologique du territoire est celle de Guy Di Meo , qui le  dépeint comme une appropriation humaine : “ économique, idéologique et politique (sociale, donc) de l’espace par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire. » Ces deux définitions nous amènent à interpréter le territoire comme une zone géographique dans laquelle existent des relations systémiques entre acteurs. Le territoire apparaît ici indissociable d’une notion de revendication et d’appropriation par ceux qui évoluent en son sein.

Pour cet écrit, nous utiliserons le terme territoire comme référence à une entité locale, avec une notion de proximité (des entités proches dans l’espace ou le temps). Elle pourra varier de l’échelle du quartier à celle de la région.

On retrouve la notion de territoire dans plusieurs grandes orientations récentes comme la Loi de Transition Énergétique qui insiste sur l’importance de la proximité  et des politiques locales. De même la Directive Européenne sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises valorise l’ancrage local et les emplois non délocalisables.

C’est dans une structure profondément ancrée localement que mon alternance s’est déroulée : La Régie de Quartier de Pierrefitte-sur-Seine. Les Régies de Quartier et de Territoire sont des associations présentes sur 320 quartiers prioritaires en France. Elles ont vocation à embellir le territoire sur lequel elles sont implantées et favoriser la citoyenneté et le pouvoir d’agir des habitants. Cela se fait à travers l’insertion par l’activité économique, l’économie solidaire et l’éducation populaire. Parce qu’elles travaillent en collaboration avec les bailleurs sociaux, les structures d’emploi, les centres sociaux et les collectivités, tout en incluant des habitants dans leur conseil d’administration et dans leurs actions au quotidien, les Régies ont une connaissance fine du territoire sur lequel elles agissent.

Une part importante du travail des Régies de quartier et de territoire est de créer des produits ou des services marchands sur lesquels faire travailler des salariés en insertion. En complément du travail qu’ils effectuent, les salariés bénéficient d’un accompagnement socioprofessionnel dans le but de les réinsérer professionnellement sous 24 mois maximum après leur embauche.

Il est important de souligner que l’insertion par l’activité économique (IAE) est un dispositif national qui prend sens dans des contextes très locaux. En s’attaquant aux freins sociaux et professionnel des personnes accompagnées, en les formant aux métiers porteurs d’emplois dans leur région, et s’associant avec les acteurs territoriaux, les Structures d’Insertion par l’Activité Economique (SIAE) ont pour objectif de produire un impact positif sur l’emploi local.

Les SIAE en général et les Régies de quartier et de territoire en particulier, sont des acteurs de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS). L’ESS est un secteur qui représente 10% des emplois en France. La loi de 2014 a permis de dessiner les contours de ce secteur, d’en comprendre les enjeux, les acteurs et de mettre des dispositifs en place dans le but de favoriser le développement du secteur de l’ESS. On peut remarquer dans cette loi la place importante données aux entrepreneurs sociaux, considérés comme créateurs d’emplois à valeur ajoutée, car non délocalisables. Les 6 et 7 de la loi mettent l’accent sur le territoire, en donnant du pouvoir aux Chambres Régionales de l’Economie Sociale et Solidaire (CRESS) et en incitant les différents niveaux de collectivités territoriales à co-construire. De nouveaux dispositifs valorisent les stratégies de développement durable local comme l’apparition des Pôles Territoriaux de Coopération Économique (PTCE) qui mettent en relation des acteurs multiples, au service du développement durable d’un territoire.

Particulièrement intéressée par l’Économie Sociale et Solidaire, ainsi que par l’Insertion par l’Activité Économique, j’ai démarré en Juillet 2018 ma mission de Chargée de Projet Insertion et Recyclage Alimentaire chez RAPID , la Régie de  Quartier de Pierrefitte-sur-Seine.

RAPID est une structure qui a été créée en 2009 par des habitants de la ville, dans le but de redonner du pouvoir d’agir à la population, ancrée dans une logique d’assistanat. Labellisée Régie de Quartier par le Comité National de Liaison des Régies de Quartier (CNLRQ) en 2014 elle devient une entreprise d’insertion, conventionnée par la Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi (DIRECCTE). RAPID propose aujourd’hui des emplois en insertion à des personnes isolées du marché du travail. Des emplois d’insertion sont des activités marchandes tel que le nettoyage urbain, la collecte de carton, l’entretien d’espaces verts, le second œuvre. Par ailleurs la Régie de quartier mène des actions non-marchandes, de type associatives telles que des cours de français à destination des étrangers, des cafés-réparation et la  mise en place de jardins partagés.

En 2017, RAPID souhaite développer une nouvelle activité de restauration à base d’invendus alimentaires collectés dans les grandes surfaces. Après une étude de faisabilité d’un an, j’ai été recrutée en tant que Chargée de Projet de ce restaurant, que nous avons nommé Le Bocal .

Comprendre les besoins du territoire

“La singularité de la Seine-Saint-Denis repose sur un paradoxe: une somme de clichés négatifs et une inspirante vitalité territoriale qui s’appuie sur une population jeune, une diversité ethnique et une multitudes d’initiatives locales.” Shahinda Lane .

Le Département de la Seine-Saint-Denis couvre le nord-est de Paris selon des contours triangulaires ayant pour sommets Epinay sur Seine à l’ouest, Tremblay en France au Nord et Bois Saint Martin au sud-est . Les trois caractéristiques majeures de ce territoire sont : son niveau de revenu très bas, la jeunesse de sa population et son rôle de terre d’accueil des populations immigrées et populaire.

Lorsque la France compte 26% de moins de 20 ans dans sa population, le 93 en compte 31% et il est le département de France où l’on fait le plus d’enfants : une fois et demie la moyenne nationale. On remarque que les communes où le revenu médian par unité de consommation est le plus faible enregistrent les taux de natalité les plus élevés. En parallèle, face à cette population jeune et croissante, le territoire souffre d’une importante carence en services d’accueil pour la petite enfance, de même pour l’accès à l’éducation et à l’offre de soins.

Autre caractéristique : la Seine Saint-Denis, notamment l’ouest du département, est une terre d’accueil pour les populations étrangères. Les personnes d’origines immigrées sont quatre fois plus représentées dans le département qu’en France. En 2006, les étrangers représentaient 5,4% de la population nationale, 11,5% en Ile de France et 20,1% en Seine-Saint-Denis.

Table des matières

INTRODUCTION
I- Comprendre les besoins du territoire
A. Une ville enclavée dans un département singulier
1. La Seine-Saint-Denis, un territoire entre exclusion et dynamisme
2. La ville de Pierrefitte-sur-Seine, liée à son histoire
B. Les besoins
1. Les besoins de la population
2. Les besoins du territoire
II- Les opportunités économiques et écosystémiques
A. Le tissu économique du territoire
1. Un territoire globalement dynamique
2. Les opportunités pour notre action
B. Cadre législatif et leviers politiques
1. Cadre législatif à l’échelle nationale
2. Les politiques locales
III- Les besoins, conjugués avec les ressources locales aboutissent à un projet durable
A. Recentrer le projet
1. Hiérarchiser les besoins
2. Par des choix engagés
B. Monter en compétence pour monter en impact
1. Identifier les risques, les futurs besoins et les opportunités
2. Miser sur les Ressources Immatérielles pour augmenter l’impact
CONCLUSION

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