L’arbitrage financier

 L’arbitrage financier

 L’arbitrage financier semble correspondre à une situation paradoxale. Il constitue un comportement qui n’a pas été anticipé par le législateur. Ce dernier a développé une vision de l’actionnaire différente, reposant sur une conception d’un actionnaire adoptant un comportement d’investisseur de long-terme. Au contraire de cela, l’actionnaire apparaît comme ne prenant en compte que son propre intérêt financier et ne portant que peu d’intérêt aux perspectives à long terme de la société. Or, le droit des offres publiques et le droit codifié des sociétés n’offrent aucune protection particulière aux sociétés pour neutraliser, ou tout du moins réduire l’influence de tels actionnaires. On peut dès lors se demander si des mécanismes existants en droit des sociétés ne pourraient pas pallier ces manques. On pense naturellement à l’abus de minorité qui vient encadrer les comportements d’actionnaires minoritaires pouvant nuire à la société. On peut estimer que le comportement des actionnaires arbitragistes constitue bien un élément contraire à l’intérêt social de la société, pouvant causer un préjudice à d’autres actionnaires et fait dans l’intérêt purement égoïste de l’arbitragiste. L’abus de minorité semble d’un champ d’application trop limité pour parfaitement englober l’ensemble des comportements arbitragistes posant problème dans une offre publique (§1). On peut dès lors se demander si un devoir de loyauté plus large ne devrait pas peser sur les actionnaires d’une société cotée. L’actionnaire aurait alors aussi des devoirs vis-à-vis des autres actionnaires. Une telle obligation ne serait pas dénuée de fondements juridiques, que ce soit en droit interne ou en droit comparé. Elle pourrait théoriquement permettre de garantir un certain degré de loyauté pendant les offres publiques de la part de l’ensemble des actionnaires. Il s’agirait d’une solution positive car imposant un standard de comportement à l’ensemble des actionnaires sans les priver de droits. On verra que cette solution semble cependant inadaptée au droit des offres publiques tant elle semble compliquée à mettre en œuvre et que l’action sera difficilement exerçable 

L’arbitrage et l’abus de minorité

 L’arbitrage sur le risque sera, nous l’avons démontré, le fait d’une minorité d’actionnaires pratiquant cette stratégie actionnariale. Elle ne correspond absolument pas à la vision de l’actionnaire sur laquelle est fondée la réglementation des offres publiques et n’est pas correctement appréhendée par la législation spécifique au droit des offres publiques d’acquisition. Nous verrons que des corrections pourraient être apportées à ce droit de manière négative, c’est-à-dire en rompant l’égalité des actionnaires et en créant un régime particulier pour les arbitragistes. On peut aussi envisager une évolution positive, c’est-à-dire en imposant des devoirs aux actionnaires sans porter atteinte à leurs droits. Le droit des offres publiques n’est pas autonome et on ne peut faire abstraction des mécanismes présents en droit des sociétés, mécanismes pouvant potentiellement apporter une réponse à la problématique soulevée. On peut dès lors se demander si ce comportement ne confine pas à l’abus de minorité, notion utilisée en droit des sociétés pour imposer un certain devoir de loyauté aux actionnaires minoritaires. Ce dernier se définit traditionnellement comme étant : « contraire à l’intérêt général de la société en ce qu’il interdit la réalisation d’une opération essentielle pour celle-ci et dans l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de ceux de l’ensemble des autres associés ». On pourrait soutenir que les arbitragistes forment une minorité du capital qui poursuit une finalité égoïste en se désintéressant totalement de l’avenir de la société et donc de son intérêt social le plus élémentaire. Il nous semble, à l’analyse des critères de cet abus de droit spécifique au droit des sociétés, qu’un tel comportement y confinera car il se fera au détriment de l’intérêt social de la société et répondra ainsi au premier élément constitutif (A). Ce comportement favorisera l’intérêt personnel de l’actionnaire arbitragiste (B), mais constituera difficilement un abus de minorité.

La contrariété à l’intérêt social

Le droit français exige la contrariété de l’acte effectué par l’actionnaire à « l’intérêt général de la société », c’est-à-dire à l’intérêt social de cette dernière . Il s’agit de l’élément central de l’abus de majorité ou de minorité qui doit, par nature, être contraire à l’intérêt de la société. Cette caractérisation de la contrariété à l’intérêt social n’est pas évidente pour autant. La doctrine a longtemps débattu de la définition qu’il fallait retenir de la notion d’intérêt social , notamment pour savoir s’il fallait prendre en compte d’autres intérêts que ceux des seuls actionnaires. Deux écoles se sont affrontées, l’une voyant l’intérêt social comme celui des seuls actionnaires, une autre prônant la prise en compte de l’ensemble des acteurs en lien avec la société. Ces deux approches apparaissaient profondément irréconciliables tant les idées sous-jacentes étaient opposées (1). Une vision finalement mixte, et probablement plus moderne, de cette notion est apparue, notamment à travers la jurisprudence qui a eu à se prononcer sur la question (2). 1. La question de l’intérêt social. 536. L’intérêt social peut être vu comme étant celui des seuls actionnaires de la société, excluant toute autre partie. Ceci se rattache à une conception très contractuelle et très libérale de la société (a). A l’inverse, on peut estimer que la société doit être vue comme une personne morale regroupant une pluralité d’intérêts qui doivent être pris en compte par les dirigeants. La société ne doit alors pas être dirigée dans le seul intérêt de ses actionnaires (b).

L’intérêt social : intérêt des seuls actionnaires ?

L’intérêt social, intérêt des actionnaires. Cette notion fait office de « boussole »pour les dirigeants, le juge  et le régulateur et n’est que très peu citée par les textes. Il est donc apparu fondamental de chercher à la définir , d’autant plus que le législateur s’était volontairement abstenu de le faire . Une partie du débat s’était nouée autour de la question de savoir si un intérêt du groupe pouvait être pris en compte, cependant cette question ne semble se poser que lorsque l’intérêt social d’une filiale n’est pas respecté, et non au niveau de la société mère. La vision de l’intérêt social comme dépassant celui des seuls actionnaires ne fait pas l’unanimité, que ce soit en France  ou dans le monde. Les travaux de recherche économique ont fortement influencé la définition de l’intérêt social . Avec cette approche, la firme trouve son utilité économique en regroupant l’ensemble des transactions en son sein, ceci étant moins coûteux que si elles avaient lieu de manière dispersée. Le droit des sociétés apparaît alors comme supplétif de volonté. Cette théorie économique, issue de l’Ecole de Chicago, n’analysant la société que sous un aspect contractuel et rejetant l’approche institutionnelle, se continua dans la théorie dite du nœud de contrats (nexus of contracts) . Cette dernière veut que la société soit un nœud de contrats entre les différents acteurs, ce qui ne nécessite pas que la société ait la personnalité morale. Une autre influence de la théorie économique fût celle de l’agence. Une relation se noue entre les agents et ceux qui leur donnent pouvoir. Les dirigeants sont ainsi les agents des actionnaires, leurs dépositaires. Cependant, les agents peuvent avoir des incitations autres et ne pas pleinement remplir leur mission. Il s’agira donc d’introduire des mécanismes pour s’assurer que les intérêts des actionnaires soient bien pris en compte. Cette théorie est probablement celle qui a le plus influencé le droit moderne des sociétés. En mettant les actionnaires au cœur du raisonnement, les sciences économiques ont donc fortement influencé la définition de l’intérêt social. Elles ont ainsi donné naissance à la shareholder primacy norm 1618. Les actionnaires étant les propriétaires de la société, cette dernière doit être gérée dans son intérêt. 538. Il semble que cette définition de l’intérêt social se soit diffusée à l’ensemble des pays occidentaux. Dans un article resté célèbre, les Professeurs Hansman et Kraakman ont soutenu que l’on assistait à l’émergence d’un modèle unique de l’intérêt social1619, et ce à travers l’ensemble des pays occidentaux. Cette vision aurait triomphé comme étant la fin de l’histoire1620 transposée au droit des sociétés. Cette vision historique voulait que la démocratie ait triomphé à travers le monde suite à la chute de l’URSS. Il en serait de même pour la vision de la société commerciale. La question de savoir pour quel(s) intérêt(s) la société doit être dirigée se pose depuis l’apparition du droit moderne des sociétés. Cependant, « la tendance de fond est à la convergence, et c’est le cas depuis le 19ème siècle. La législation sur l’intérêt social a atteint un haut degré d’uniformité parmi les juridictions des pays développés, et il est probable qu’elle continue à converger vers un modèle unique et standard ». Ainsi, après l’uniformisation de l’utilisation de la forme sociétale on peut constater que le modèle de l’intérêt social orienté vers l’intérêt des actionnaires se soit implanté dans la plupart des pays développés . Ce modèle implique d’accepter que les meilleurs mécanismes juridiques pour protéger les autres parties ne sont pas du ressort du droit des sociétés, mais d’autres droits comme le droit du travail, de l’environnement,… Surtout, les dirigeants doivent diriger la société dans l’intérêt de tous les actionnaires, y compris des minoritaires (et les actionnaires arbitragistes auront souvent une participation minoritaire au capital). Ainsi, les différents systèmes juridiques ont mis en place des systèmes de protection des intérêts de ces derniers.

L’intérêt social : intérêt de la société ?

Doctrine de l’entreprise . La première école, et probablement la plus à l’opposé de la définition actuelle fût l’école de Rennes. Elle donna naissance à la doctrine de l’entreprise. Les auteurs la formant sont « partisans d’une conception large de l’intérêt social, qu’ils identifient à l’intérêt de l’entreprise elle-même, et donc, au-delà, à la somme des intérêts des personnes qui tirent un revenu de la société ». Selon ces auteurs1645, il faut considérer que la société n’est pas simplement un accord contractuel entre ses associés mais aussi un véhicule juridique organisant une entreprise économique. Il s’agit du triomphe de la conception mixte de la société1646, même si cette théorie se fonde sur une approche institutionnelle. L’intérêt social est alors défini comme étant la somme des intérêts de l’ensemble des acteurs de l’entreprise commerciale. Cette notion, et les règles de droit des sociétés en découlant, doit prendre en compte l’intérêt de l’entreprise incluant les associés, les clients, les salariés, l’administration fiscale… l’ensemble des acteurs économiques en relation avec la société. Le critère de rattachement semble ainsi être la participation à l’entreprise économique. La conséquence directe pour notre étude est que les actionnaires ne doivent pas être au cœur des préoccupations des dirigeants en cas d’offre publique, ces derniers doivent aussi prendre en compte l’intérêt des autres parties prenantes, et, probablement en premier lieu, celui des salariés. 543. Cette théorie a ainsi eu une certaine influence sur la doctrine juridique française . La doctrine estime généralement qu’elle a influencé certaines modifications législatives en droit français  et qu’elle a trouvé son apogée dans la Loi de nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001. Cette dernière a introduit de nouvelles contraintes dans la gouvernance des sociétés comme la prise en compte de l’environnement ou encore un renforcement des pouvoirs du comité d’entreprise pour contrôler la gestion au sein de la société.

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