Le barabe et le fiantota

le barabe et le fiantota

Généralités sur le fiantotà

La société malgache, d’une manière générale, se caractérise par la notion de fihavanana ou filongoa «modèle des relations existant entre parents» si bien qu’elle produise un mécanisme culturel visant à préserver l’harmonie entre les hommes, entre les hommes et les ancêtres, entre les hommes et les divinités et enfin entre les hommes et la nature et la surnature. Comme la société bara pratique l’élevage extensif du zébu dominé par l’insécurité, la coutume fiantotà contribue au rétablissement de cette dernière. Effectivement, la sécurité pourrait être perturbée soit par la colère de la surnature soit par la faute des humains. Devant cette circonstance, les Bara ne restent pas passifs, ils cherchent des moyens pour réparer leurs fautes. Les uns utilisent la loi, la force et le pouvoir pour rétablir l’ordre ; les autres recourent seulement à la réconciliation ou à l’arrangement. Nombreux sont les gens qui pratiquent le fiantotà pour régler les différents conflits qui risquent d’entraîner la population dans une spirale de violence sous forme de vengeance. Le règlement du conflit par la loi administrative peut aussi entraîner la vendetta parce que c’est une justice imposée du dehors et est considérée comme la justice des colons.

Malgré l’effort et l’initiative de la population pour l’ordre social en symbiose avec la nature, surviennent parfois des événements surnaturels, dus à l’entêtement des hommes, qui vont bouleverser l’harmonie. Face à une telle situation, les Bara doivent consulter l’ombiasy avant de pratiquer le fiantotà qui a une fonction très importante pour remettre en ordre la relation entre les humains et le monde des vivants et du surnaturel.

La différence essentielle entre la réparation par application du droit juridique et la réparation par le fiantotà réside dans de la conception de la faute entre les deux cultures en présence. Dans la culture traditionnelle, la faute, quoique très individuelle, provoque un désordre social. Pour mieux comprendre cela, on n’a qu’à se référer aux fautes individuelles (parricide et inceste) commises par Œdipe mais qui ont provoqué la peste dans la ville de Thèbes dont il fut le roi. L’oracle consulté devant cette calamité désigna le roi lui-même comme coupable.

Définition du fiantotà
Le fiantotà est un rite de reconnaissance d’une faute commise, destiné à la victime pour la purifier et au fautif pour le dépurer. C’est la réparation rituelle d’une faute ou l’expiation coutumière d’un fautif. Dans la société bara, la pratique du fiantotà, selon la nature de la faute, se manifeste sous deux formes différentes. Ainsi, il y a le fiantotà devant Dieu et les êtres surnaturels contre une violation du tabou, tels le mariage des consanguins, le non respect des interdits ancestraux. Si la faute porte préjudice à un membre de la communauté, le fiantotà a pour but de solliciter la clémence de la victime qui n’est jamais un simple individu, mais toujours le membre d’un clan, celui d’un lignage, ou autres en vertu de la transcendance horizontale caractéristique de l’homme malgache.

Dans la société bara, tout fautif devrait pratiquer le fiantotà, mais ce, avec des restrictions, les père-et-mère ne font jamais le fiantotà envers leurs enfants, sauf dans le cas d’adultère en flagrant délit, comme le cas d’une mère couchant avec son gendre ou celui d’un père avec sa belle-fille. En effet, la gérontocratie traditionnelle a pour fondement l’élévation des parents au rang des divinités vu qu’ils ont permis à tout individu d’advenir à l’existence, de la même manière que l’on croit que Dieu le bienveillant, nous permet de jouir de la vie. S’il est très difficile de s’imaginer un Dieu se prosternant devant ses créations pour expier une faute, il n’en est pas moins intolérable de voir ses propres parents s’humilier devant soi. Si un parent se prosterne devant son enfant, ce geste devient une malédiction pour ce dernier. La société bara qui maintient toujours la structure et la hiérarchie sociale admet la soumission et le respect de la nouvelle génération à l’égard de la génération aînée. Les enfants doivent se soumettre à leurs parents qui doivent les aimer. Dans le cas précis de l’adultère susmentionné, le mécanisme du fiantotà considère que le parent en question a perdu son propre statut.

La pratique de fiantotà est souvent accompagnée d’un animal de sacrifice : un bœuf, une chèvre ou volaille. La détermination de l’animal sacrificiel fait l’objet d’une discussion initiée par la victime de la faute en fonction de la possibilité de l’offenseur. Par ailleurs, la pratique de l’aspersion d’eau pour bénir l’offensant identifie le fiantotà. Vu le caractère sacré du fiantotà, ce ne sont pas toutes les fautes qui exigent la pratique : si la faute n’est pas de nature à déranger l’ordre social, de simples excuses dûment présentées peuvent suffire à sa réparation. Les fautes ayant causé des dommages limités peuvent être réparées par des arrangements consensuels, contrairement à, toute faute qui risque de fissurer le tissu social ou la relation transcendantale verticale ne pouvant trouver expiation que dans le fiantotà. C’est le cas pour le fiantotà de la compagnie de la Gendarmerie d’ Ihosy devant la famille de Tiaro à Bemà Kelihorombe en 2008.

En général, seule la faute due à l’insulte, à la désacralisation et à la violation de tabou exige un fiantotà chez les Bara. Mais il arrive parfois, pour une raison politique ou pour une procuration stratégique de la paix, que les Bara font aussi le fiantotà. L’insulte contre les parents peut faire l’objet d’un fiantotà, car si ces derniers arrivent à rejeter l’enfant, celui-ci ne peut se réintégrer dans le tissu familial que par le moyen d’un fiantotà. Par ailleurs, au niveau de la transcendance verticale, toute forme de calamité naturelle, comme une trop grande sécheresse, une pluie diluvienne, de la grêle, une invasion de sauterelles, une épidémie sur le cheptel bovin ou caprin, etc…, peut être interprétée comme une violation grave d’un tabou sacré et doit être réparée par un fiantotà.

Il faut noter ici les effets pervers éventuels des réparations en dehors du fiantotà en cas de faute grave. Quand la réparation consiste à offrir une somme d’argent, c’est comme si celui qui en possède beaucoup pouvait fauter plusieurs fois parce qu’il peut faire le rachat. Et le paiement exclut souvent toute la dimension relationnelle au sein de la transcendance horizontale de la société. Cette coutume semble rester au niveau gestuel et superficiel. Elle ne rétablit pas la bonne entente entre les deux protagonistes.

Sens du mot fiantotà
D’après le document écrit sur les Bara, ELLI Luigi a mis d’accord avec Paoly Be , que le fiantotà est une réconciliation entre les parents et l’enfant selon la coutume bara» Cette affirmation exprime l’absence de fiantotà en dehors du problème de relation filiale. Autrement dit, le fiantotà ne se pratique que dans le domaine familial.

Au sens large du terme, le mot fiantotà désigne l’acte rituel accompli par un fautif pour obtenir le pardon auprès de la victime. Cet acte efface entièrement la peine relative à cette faute afin que le coupable puisse vivre tranquillement dans la société. Pour notre informateur du nom de NARINELINA, le fiantotà est un acte de pardon envers le monde du vivant ou du surnaturel :

« Eka, Ny fiantotà moa da tsy raha ino fa fibaboha, laha eo heloky natao tamiñ’olo na tamin’ny tany masy ie ndre tamin-Zañahary aza. Laha nanao hadisoa tamiñ’olo hanao da miantota mba hitohizan’ny filongoa ndraiky. ».

La faute est l’une des causes de rupture de la relation de parenté. Elle provoque la mésentente dans la société et la rupture du lien social. Ce phénomène exige souvent le fiantotà. Kalao partage le même avis que Narinelina en disant ainsi : « Ino kay moa izao ñy fiantotà fa fomba, fomba nataon’ñy razam-be taloha tañy. Fomba indesy hifona amiñ’olo nanaova hadisoa. Laha eo hanao nanao hadisoa tamin’ñy hava, ñy nama, ie ndre tamin’ñy Zañahary aza da miantota. »

Cependant, ce terme peut revêtir plusieurs sens. Pour les Bara, le fiantotà est l’ensemble des pratiques rituelles, action d’honneur et de respect, par lesquelles l’auteur d’une faute essai de rétablir la relation entre les cohabitants ou avec les dieux pour l’atténuation ou l’annulation d’une peine relative à cette faute. Cet acte demande un processus dont le premier est la reconnaissance de la faute de la part du fautif, la seconde est la prise de conscience et l’initiative de réparation de la faute, suivie d’une prise de décision pour se rapprocher de la victime et de lui demander pardon.

En effet, les fautes ainsi concernées sont considérées par les Bara comme pouvant détruire l’harmonie sociale et de cette manière, y semer le désaccord qui va affaiblir la société. Une société divisée ne peut plus réaliser de grands travaux et ne peut non plus résister à une attaque étrangère. Le fiantotà doit être conséquemment effectué de manière à préserver la cohésion sociale.

But du fiantotà 

Compte tenu de ce qui est développé dans le présent chapitre, il y a lieu de croire que dans un état ancien, la société bara vivait dans une série de violences, d’attaques et de contreattaques. La prise de conscience de la dérive sociétale dans cette violence aurait pour conséquence l’hypothèque de l’avenir du Bara lui-même. Dès lors, le fiantotà aurait pris naissance sur cette prise de conscience afin d’annuler les séries de violences qui dégradent fortement la cohésion sociale. Une hypothèse probable mais surtout forte. Les Bara ont une nature susceptible, ils sont, contraints de mesurer leur geste et leur parole afin d’éviter d’offenser l’autrui. Mais si malgré tout, la faute est advenue, ils se précipitent à enclencher un processus de réconciliation dont le fiantotà pour éviter toute sorte de vengeances, la paralysie des relations sociales et le dégât économique. Un informateur appelé Kalao met au clair cette idée comme suit: «Tsy notian’ñy Bara mihitsy, amin’izy mihary omby io, ñy hanañan’olo kakay, ka laha teo alialy natao tamiñ’olo na nisy raha tsy nifakazahoa tamin’ñy nama nataonao da miatota malaky tsy hanaovan’ñy zalahy valifaty. Ka lafa eo olo vita fihavana tamin’ñy fanaova fiantotà io, da mpihava tokoa, satria ñy raiky niantotà iñy izao da mieritreritsy fa nome hasy sy fanajà, moa ñy raiky niantota koa da tsy misy raha mampaharikariky anazy.» .

Table des matières

INTRODUCTION
I. LE BARABE ET LE FIANTOTA
1.2. Généralités sur le fiantotà
1.2.1. Définition du fiantotà
1.2.1.1. Morphologie du mot fiantotà
1.2.1.2. Sens du mot fiantotà
1.2.2. But du fiantotà
1.2.3. Les formes des châtiments chez les Bara
1.2.3.1. Les châtiments surnaturels
1.2.3.1.1. La mort
1.2.3.1.2. La maladie
1.2.3.1.3. Le tsinim-pahasivy (« la réprobation de l’esprit »)
1.2.3.1.4. Le tsinin-tany (« la réprobation de la terre »)
1.2.3.1.5. Le tahy, le havoa ou le hakeo (« la faute rituelle »)
1.2.3.2. Les châtiments humains
1.2.3.2.1. Le fanasà (« le rejet ou l’exclusion »)
1.2.3.2.2. Le mahombe (« homme lige, esclave »)
1.2.3.2.3. Le talilava (« la longue corde »)
1.2.3.2.4. Le voy et le dina (« l’amende ou les dommages et intérêts »)
1.2.3.2.5. L’emprisonnement
1.2.3.2.6. Le tandra (« l’aspersion »)
1.2.3.2.7. Le handra (« la défectuosité »)
1.2.3.2.8. La peine de mort
1.3. Les différentes formes de fiantotà
1.3.1. Le folaky am-patora (« le désenchainement »)
1.3.2. Le mibaby (« l’endossement »)
1.3.2.1. Le supporteur
1.3.2.2. L’endossé
1.3.2.3. Le mifaly (« l’imploration »)
1.3.3. Le fiantotà dans la vie conjugale
1.3.3.1. Le fiantotà à un époux
1.3.3.2. Le fiantotà à une épouse
1.3.4. Le fiantotà aux parents
1.3.5. Le fiantotàaux lieux sacrés
1.3.6. Le fiantotà aux esprits
1.3.7. Le fiantotà aux ancêtres
1.3.8. Le fiantotà avant la faute commise
1.4. Cérémonies et rites de fiantotà
1.5. Pratiques des cérémonies et des rites du fiantotà
1.5.1. Rituel de fiantotà en dehors du trañobe et du kianja
1.5.2. Réalisation de la cérémonie dans le trañobe et le kianja
1.5.3. La place du lonaky dans le rituel du fiantotà
1.5.4. La manœuvre du devin guérisseur dans le fiantotà
CONCLUSION

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