LE CINÉMA D’AUTEUR ET LE CINÉMA POPULAIRE

 LE CINÉMA D’AUTEUR ET LE CINÉMA POPULAIRE

Deux films de la deuxième phase O desafio Le premier des deux films analysés est O desafio (Le défi), le très beau film de Paulo César Saraceni, qui raconte les conflits politico-existentiels et amoureux vécus par le journaliste Marcelo avec sa maîtresse Ada, une bourgeoise mariée. D’un côté, parallèlement à son sentiment d’impuissance, il cherche la meilleure façon d’affronter le mal, d’agir. De l’autre, il s’interroge sur les raisons de maintenir sa relation avec une maîtresse intelligente mais bourgeoise (en fait, il se questionne sur les raisons d’avoir un rapport amoureux dans une telle situation). Il s’agit d’un climat de tension, de doute, de dépression et de peur. Afin de faciliter l’analyse, nous avons divisé le film en six parties, qui équivalent quasiment à six séquences (le film en comporte quatre autres, plus courtes, qui peuvent être rattachées aux six principales). La première partie du film présente le désarroi de Marcelo, son sentiment d’incompréhension et d’impuissance face au despotisme des militaires. Mais cette partie sert surtout à dénoncer l’alliance impossible, malgré certaines affinités qui peuvent exister, entre les intellectuels et la bourgeoisie supposée progressiste. Le journaliste aime toujours sa maîtresse, mais la voit, après la sédition conservatrice, avec d’autres yeux et d’autres sentiments. En outre, il a la ferme conviction qu’ils ne peuvent plus continuer ensemble, du même côté. Il est tourmenté, il cherche une voie d’action et a peur de s’accommoder, de tomber dans un conformisme qui serait nuisible à son action et à son existence : « Je ne peux pas être en paix quand j’ai besoin de guerre !», dit-il. Vers la fin de la séquence, après que la voix d’un présentateur de radio (dont nous ignorons l’origine de la source) annonce la cassation des droits de quelques hommes publics et politiques (y compris de l’ancien président Janio Quadros, qui était pourtant très conservateur), le couple a le dialogue suivant : Marcelo (M) : Si je te touche, je sens quelque chose, mais pas comme je voudrais. Ada (A) : Je ne te comprends pas, mon chéri. M : C’est cela ! Je voulais t’expliquer, être lucide, te dire tout ce que je ressens, ce que je pense. A : C’est de ma faute ? M : Ce n’est la faute de personne ! A : Tu ne veux pas communiquer ! M : [après un long silence] C’est la seule chose que je veux ! A: Je veux te comprendre, mon amour. Parle-moi, raconte-moi tout ! Nous devons faire un effort. M : Moi, comme les autres, je croyais au processus révolutionnaire brésilien. Je savais que tôt ou tard nous allions vivre ensemble. Nous avions des affinités, des idées communes. Toi aussi, tu y croyais. C’était une vision collective, sûre, belle […] Notre idée, notre amour semblaient être une seule chose. On était en train de vivre… A : Nous sommes toujours en train de vivre. Cela ne sert à rien de se rendre. Maintenant, il faut plus que jamais que nous nous unissions. M : Non, la merde de ce putsch militaire nous empêche d’être du même côté. A : Mais je suis avec toi, maintenant plus que jamais ! M : Mais il ne suffit pas d’être ensemble. Il ne s’agit plus de nous deux. C’est impossible de ne pas voir la réalité. A : La réalité existe, je le sais, et nous ne pouvons y échapper. Mais il ne faut pas en avoir peur. M : Il ne s’agit pas de peur. C’est la certitude de ne pouvoir rien faire pour la modifier. Le journaliste, ainsi que toute la gauche et une grande partie de la population brésilienne, semble totalement perdu, déboussolé, pusillanime. Il semble ne plus croire en rien et cherche encore une solution, une manière d’agir. A partir de la moitié de la séquence, le dialogue devient moins personnel et acquiert un caractère plus symbolique, avec les personnages devenant une sorte de synthèse du pays pré-64. Marcelo devient le modèle de la gauche et Ada, celui de la bourgeoisie nationaliste. Ensemble, ils auraient dû constituer le couple parfait qui éviterait la victoire des forces conservatrices, mais la réalité a prouvé l’idéalisme et la vanité de leur alliance en dévoilant leurs différences. Et les deux petites séquences qui suivent, avant l’arrivée de la deuxième partie, ne servent qu’à illustrer cette contradiction.

Terra em transe

Dans sa tentative de compréhension du processus historique antérieur au putsch, le film raconte les aventures du poète de gauche Paulo Martins et ses oscillantes alliances tantôt avec le leader populiste Felipe Vieira, tantôt avec la bourgeoisie réactionnaire et son leader Porfírio Diaz (des alliances qui renvoient à celles d’une certaine gauche d’avant 1964) jusqu’à l’éclosion du coup d’État et son propre assassinat (presque un suicide) par les forces putschistes. Par ailleurs, le film présente les machinations de la droite conservatrice et son alliance avec la bourgeoisie et l’impérialisme pour usurper le pouvoir en mettant fin au gouvernement populiste de gauche et en stoppant les réformes progressistes qui étaient en marche au Brésil en 1964. Nous avons divisé le film en 10 parties. La première raconte le déclenchement du coup d’État par les forces réactionnaires, la décision de Vieira de ne pas résister et l’assassinat de Paulo Martins par des policiers qui en a découlé1119. En demandant à son conseiller militaire de disperser les troupes, Vieira répétait la décision du Président João Goulart, qui a préféré quitter le pays plutôt que de résister, ayant peur d’une guerre civile aux conséquences imprévisibles et incommensurables pouvant aboutir à un massacre du peuple. Surtout, João Goulart était déjà au courant de la participation nord-américaine au putsch et avait été informé que l’une de leurs escadres se dirigeait vers la baie de Guanabara. Le poète et journaliste Paulo Martins, comme le journaliste Marcelo du film O desafio, est partisan, de manière beaucoup plus explicite, de la résistance armée. Comme il le dit, « nous devons résister», « le sang versé n’a pas d’importance» car « on ne change pas l’histoire avec des larmes» et on ne peut pas « observer l’histoire sans souffrir». En faisant l’apologie de la lutte armée, Paulo représente la dissidence radicale du PCB, celle qui ne supportait plus une politique considérée comme conformiste et révisionniste qui prônait une résistance pacifique. Avant de poursuivre l’analyse du film, essayons de comprendre la personnalité et les enjeux politiques qui entourent la mort du poète. Même si Glauber Rocha affirme qu’il est le portrait d’un intellectuel communiste latino-américain typique des années 1960, le personnage du poète Paulo Martins est, sûrement, l’un des personnages qui garde le plus d’affinités avec son créateur. Les doutes et les sentiments du poète, notamment son arrogance vis-à-vis du peuple et de sa culture, sont ceux du cinéaste, ses contradictions sont celles des cinémanovistes et des intellectuels de gauche de son époque. Paulo Martins, que Glauber, dans son interview à Michel Ciment, considère comme une sorte de développement de la conscience ambiguë d’Antonio das Mortes, n’est plus un personnage relais dans la mesure où il n’est pas un alter ego des intellectuels de gauche au sein du récit, mais l’intellectuel lui-même. Le rêve d’une société révolutionnaire et socialiste ayant été brisé, Paulo Martins incarne non pas le personnage révolutionnaire, issu des milieux populaires ou des classes moyennes inférieures, responsables de l’éveil de la conscience critique des pauvres, mais l’intellectuel en crise, dans sa relation directe avec sa classe et sa catégorie et qui s’interroge sur les raisons des erreurs du passé. Ainsi, il ne s’agit plus d’une vision du dehors, de raconter la culture de l’autre sans jamais lui céder la parole. Ce rôle de l’intellectuel poète révèle une vision endogène, une réalité connue empiriquement. Paulo Martins ne représente plus un idéal en devenir, mais la critique du passé, la caricature de l’action des intellectuels dans la période antérieure à 1964. Ses erreurs, comme ses alliances avec la droite et la gauche, ou sa mauvaise foi envers le peuple, doivent être perçus comme la critique d’un temps révolu.

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