Le déblocage des sources d’anéantissement du contrat en droit commun

L’« autonomie de la volonté » est issue de la jonction de deux termes d’origine grecque : « autos » (soi-même) et « nomos » (loi). Au XVIIIe , elle fût reprise par Kant lorsqu’il posa la formule mère suivante : « Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse en même temps toujours valoir comme principe d’une législation universelle » . Par la suite, les juristes ont fait usage de cette expression afin d’ériger la volonté individuelle en une source suprême de création de la loi contractuelle. C’est ainsi qu’est née la théorie de l’autonomie de la volonté développée dans le sillage du droit naturel et volontariste . D’après le doyen Carbonnier, elle consiste concrètement en une « théorie de philosophie juridique, selon laquelle la volonté humaine est à elle-même sa propre loi »  . L’autonomie de la volonté sert de base à la justification de principes fondamentaux régissant le droit des contrats : la liberté contractuelle (qui tout récemment s’est vu octroyée une valeur constitutionnelle et qui fait désormais partie des principes directeurs du droit des contrats), l’effet relatif, la force obligatoire, la sécurité juridique et enfin le principe de non-immixtion du juge. À l’exception de l’effet relatif qui ne s’intègre pas dans notre problématique, nous souhaitons procéder à une nouvelle lecture de ces préoccupations en faveur de l’atténuation du principe d’intangibilité du contrat.

Définition du « déblocage des sources d’anéantissement du contrat » – Le choix du terme « déblocage » résulte de plusieurs considérations. Il correspond au fait de décoincer, faire circuler à nouveau, remettre en marche. En associant ce terme à la problématique contractuelle, on comprend qu’il s’agit de le décoincer de tout élément susceptible de l’anéantir. Le déblocage des sources d’anéantissement du contrat vise donc à mieux mesurer l’application de la nullité (au stade de la validation du contrat) et de la résolution (au stade de l’exécution du contrat). Au surplus, les particularités de la démarche entreprise sont bien mieux représentées par le terme « déblocage ». Comparé au « sauvetage », à la « correction », aux « remèdes » et à n’importe quel autre terme similaire, « le déblocage » transmet un sentiment de dynamisme. Un intitulé doit représenter aussi bien le contenu que l’esprit de la thèse et c’est ce que permet le terme « déblocage » en suggérant des mécanismes de maintien du contrat octroyant au juge un rôle bien plus actif. Il fallait de surcroît nécessairement un terme qui n’a pas déjà été utilisé auparavant pour aborder cette problématique afin de faire passer clairement le message que cette thèse contient des propositions originales, et non pas une redite de ce qui a déjà été abondamment traité.

Le contrat se retrouve dans une impasse lorsqu’un élément est suceptible d’entraîner son annulation ou sa résiliation. Le déblocage consiste à contrer cette situation par des solutions salvatrices afin que le contrat reprenne le cours de son existence, que ce soit à ses débuts ou à une période plus lointaine. Le déblocage recherché consiste à favoriser le maintien du contrat mais dans un cadre restreint, sinon, ce serait aborder un « thème aussi somptueux que vertigineux »  . Cette thèse propose des solutions alternatives à la nullité et à la résolution spécialement en raison de leur efficacité supérieure mais nous ne retenons que celles qui peuvent être justifiées par une argumentation juridique solide. Le maintien du contrat ne devant pas être une fin en soi. Notre démarche consiste essentiellement à découvrir les moyens juridiques dont pourrait disposer le juge afin de « parfaire sans défaire » le contrat, mais pas à n’importe quel prix. La préservation du contrat est opportune, nous la défendons d’ailleurs avec beaucoup d’énergie, mais nous mettrons aussi systématiquement en avant les raisons pour lesquelles les techniques de correction salvatrice proposées sont juridiquement fondées et matériellement plus profitables.

Délimitation de l’étude du « déblocage des sources d’anéantissement du contrat » – Cette thèse n’est pas délimitée seulement en fonction de la suffisance du fondement juridique, le choix a été fait de rester centré sur le droit commun des contrats. Les droits spéciaux sont quelque fois abordés mais uniquement si une sanction proposée pour le droit commun le requiert. En revanche, les contrats spéciaux considérés isolément ne font pas partie de notre analyse dont le but est justement de renforcer le déblocage en droit commun et non de défendre le déblocage du contrat de manière transversale. Le droit des contrats spéciaux prévoit plus naturellement des solutions de déblocage car il comporte des solutions plus variées et surtout particulièrement adaptées à chaque contrat concerné. En droit commun, les règles sont beaucoup plus générales et de ce fait la nullité et la résolution sont des sanctions qui y ont une place trop importante. Au sein de règles dont la vocation est générale, ces deux sanctions sont plus aisées. Nous défendons l’idée que même s’il s’agit d’un droit général, une présence plus accrue de sanctions salvatrices générales y est possible.

En outre, à moins de vouloir recenser, et ne pas tenir compte de la grande généralité que doit conserver le droit commun des contrats, il faut se souvenir que le droit spécial tient compte de nombreux paramètres. Tel est par exemple le cas de la protection de la partie faible (en droit de la consommation, du travail et des assurances), de la protection de la propriété commerciale (en matière de baux commerciaux), parfois c’est aussi le marché qui doit être protégé, etc. Tout mélanger rendrait nos propos moins pertinents. En droit spécial, ce sont très souvent ces impératifs, conduisant à accorder à certaines règles de droit le statut d’ordre public, qui justifient les sanctions proposées (peu importe qu’elles soient salvatrices ou destructrices vis-à-vis du contrat, elles sont une justification profonde). Le droit spécial et le droit commun s’entremêlent, l’un va avec l’autre, ils se combinent, ils se compensent l’un l’autre. Pour autant, il ne paraît pas loisible de vouloir généraliser des règles justifiées par des impératifs particuliers qu’on ne retrouve pas en droit commun. L’intuition que la généralisation d’une sanction spéciale est opportune est loin de suffire, elle doit être amplement fondée et justifiée. Dans le corps de cette étude, pour chaque technique de déblocage envisagée, une argumentation juridique est développée et un fondement juridique est proposé. À cela s’ajoute, au sein de la conclusion générale, un fondement juridique général dont on peut dire qu’il est fédérateur.

Nous avons fait le choix de traiter seulement les cas dans lesquels le droit et le juge s’abstiennent d’appliquer une sanction alternative à la destruction du contrat, alors qu’elle semble devoir s’imposer. Parfois, mais dans une moindre mesure, c’est le renforcement d’une sanction de déblocage que la loi prévoit déjà qui est proposée. La démarche de cette thèse n’a donc rien de descriptif. C’est un changement d’orientation qui est proposé afin que le juge puisse faire primer les sanctions salvatrices sur les sanctions destructrices (non pas dans toutes les situations, mais seulement dans les cas retenus et légitimés dans le corps de cette thèse). En résumé, cette étude a pour ambition d’octroyer un rôle plus subsidiaire à la nullité et la résolution dans certains cas déterminés.

Quelque soit la cause défendue, tout doit être équilibre. Dans cette recherche ne se trouve donc pas un recensement de toutes les sanctions alternatives à l’anéantissement du contrat. Pour chacune des propositions envisagées, est développée une argumentation importante, afin de justifier les raisons pour lesquelles la sanction salvatrice doit primer. Dès lors qu’il a été observé que les justifications juridiques étaient insuffisantes, quand bien même un remède salvateur pouvait être imaginé, son traitement a été exclu. Un objectif poursuivi de façon mesurée et juste est bien plus à même d’aboutir qu’un traitement généralisé et dépourvu de limites. Le but de cette thèse n’est donc pas la seule stimulation de l’esprit. Le pragmatisme et l’utilité ont été privilégiés car, au lendemain de la réforme du droit commun des contrats, ce sont des priorités qui nécessitent de mettre de côté, au moins un temps, l’éxégèse pure.

Avant de nous consacrer pleinement à ce travail, il est intéressant, au préalable, de procéder à une relecture d’ensemble des principes théoriques régissant le droit commun des contrats pour mieux justifier la légitimité de la politique défendue dans le corps de cette thèse qui deviendra bien plus pratique. Puisque le déblocage ne peut s’exercer sans l’immixtion du juge dans le contrat, nous devons commencer par justifier un tel pouvoir. Dans une description tripartite, nous procédons à une nouvelle lecture de la théorie de l’autonomie de la volonté et des principes qui en découlent. Le but étant d’être plus en phase avec la façon dont on appréhende le contrat aujourd’hui. Après avoir restitué à l’autonomie de la volonté sa cohérence, nous pourrons en déduire qu’elle ne s’oppose pas aux techniques de déblocage du contrat (I). Ensuite, nous démontrerons que le besoin de sécurité juridique ne justifie pas suffisamment les fréquentes limitations du pouvoir du juge à l’égard du contrat (II). Pour finir, nous expliquerons les raisons pour lesquelles il est erroné de croire que les sanctions salvatrices opèrent un sacrifice de la force obligatoire du contrat (III).

Table des matières

PARTIE I. – LE DÉBLOCAGE DES SOURCES D’ANEANTISSEMENT DU CONTRAT À SA NAISSANCE
Titre I. – Le déblocage du contrat affecté par une clause irrégulière
Chapitre 1 – Légitimité de la réécriture partielle du contrat
Chapitre 2 – Renforcement de la réécriture partielle du contrat
Titre II. – Le déblocage du contrat affecté par un consentement altéré
Chapitre 1 – La protection du lien contractuel face aux mesures préventives de protection du consentement
Chapitre 2 – La protection du lien contractuel face aux mesures curatives de protection du consentement
PARTIE II. – LE DÉBLOCAGE DES SOURCES D’ANEANTISSEMENT DU CONTRAT AU COURS DE SA VIE
Titre I. – Le déblocage du contrat impacté par un changement de circonstances imprévisible
Chapitre 1 – Légitimité du déblocage du contrat confronté à une imprévision
Chapitre 2 – Renforcement du déblocage du contrat confronté à une imprévision
Titre II. – Le déblocage du contrat impacté par un prix abusif fixé unilatéralement
Chapitre 1 – L’indemnisation : un remède inadapté
Chapitre 2 – La résolution : un remède à encadrer strictement

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