Le dommage écologique, épreuve de légitimité du dispositif de gestion

Le dommage écologique, épreuve de légitimité du dispositif de gestion

Dès la survenue de la marée noire, des dénonciations s’expriment sur la place publique. Tout d’abord, cette pollution soudaine fait tout à coup prendre conscience à la population de sa vulnérabilité (exposition à un aléa) et de son insécurité (défaut de protection). Ensuite, c’est à l’occasion de l’accident que les victimes – et témoins – découvrent la réalité de la gestion des marées noires : l’existence d’un dispositif international d’abord ; ses objectifs et ses règles ensuite ; et la manière dont elles se déclinent concrètement sur le terrain, dans la gestion de l’événement. La marée noire fait s’intéresser au transport maritime pétrolier et à sa régulation : aux acteurs, aux principes, aux mécanismes, etc. Surtout, elle concrétise le dommage écologique et le fait que malgré son évidence sensible, ni le Fipol ni le Droit national ne semble pouvoir en faire un motif supplémentaire de responsabilité financière pour les opérateurs concernés. L’absence de prise en compte des dégradations de l’environnement est abondamment critiquée. La marée noire et en particulier l’idée de dommage écologique représente une épreuve de légitimité pour les opérateurs du transport maritime pétrolier : en particulier pour l’affréteur (le plus facilement identifiable et, très souvent, le plus solvable aussi) mais aussi plus largement pour le Fipol et l’ensemble des acteurs du transport maritime pétrolier (y compris l’État).

Nous nous intéressons ci-après à la manière dont le dommage écologique existe sur la scène publique tout de suite après l’événement de marée noire, sur les deux cas d’étude. Les atteintes de la marée noire sont exprimées de manières très diverses : les plus visibles sont les formes d’actions collectives. On y trouve, d’un côté, l’engagement dans la lutte contre la marée noire – le nettoyage – et, de l’autre, l’engagement dans une forme d’action politique, de contestation ou de proposition (organisation ou participation à des manifestations, écriture de notes ou de pamphlets, etc.). Nous montrons comment la mise en visibilité des émotions dans les médias contribue à le légitimer et comment l’engagement dans les actions de nettoyage suscite de premières formes de mobilisation en faveur de la reconnaissance du dommage écologique sur la scène publique. Cette dynamique critique conduit le Fipol à se justifier et à évoluer. Les changements proposés ne sont cependant pas suffisants au regard des attentes de reconnaissance des dommages écologiques. Ce constat conduit un certain nombre d’acteurs individuels et collectifs à choisir d’autres voies pour susciter la prise en compte du dommage écologique : ils s’adressent au Droit national pour susciter une jurisprudence. Nous analysons comment l’organisation de l’action influence les modes de qualification des dommages défendus devant le tribunal et comment la mise en forme des dommages pour leur qualification juridique est élaborée stratégiquement.

Les manières dont le dommage écologique apparaît sur la scène publique après la marée noire

Pourtant, cette mobilisation de masse a été beaucoup critiquée dans le monde expert des professionnels des marées noires et de l’environnement en général, d’une part du fait de l’impact environnemental induit par cette fréquentation massives de néophytes et d’autre part parce que les problèmes d’organisation, d’équipement et de formation ont pesé sur l’efficacité du nettoyage. Ils ont également été accusés de vouloir se laver de leur responsabilité individuelle en tant que consommateur des produits du pétrole. Analysons-en quelques déterminants. Le nettoyage semble constituer une forme de solidarité écologique (Carretero Pasin, 2003). Devenir membre d’une communauté de « sauveteurs » semble avoir été un facteur important : les opérations de nettoyage des côtes et des soins aux oiseaux réunissent tous ceux – autochtones ou bénévoles – qui sont venus de leur propre initiative pour « apporter leur contribution » : « c’est un travail de fourmi mais je fais D’autres façons de contribuer ont été encouragées à travers la mise en place de procédures facilitées de dons, financiers et en nature. L’afflux massif de dons aux communes et associations d’environnement gestionnaires de milieux naturels (telles que la SEPNB lors de l’Amoco Cadiz) a d’ailleurs représenté un mode de contribution important. « Devant cette tragédie, la mobilisation des sensibilités, la solidarité, l’élan de générosité furent remarquables. Pour beaucoup, le don en espèces matérialisa l’envie spontanée de « faire quelque chose », d’aider dans la lutte contre cette agression envers le milieu naturel. Ainsi, nombreux furent les dons reçus à la SEPNB pour « la lutte contre la marée noire », pour « aider à sauver les oiseaux mazoutés » etc. (…) Il était clair que l’afflux des dons, à la SEPNB précisément, témoignait d’une prise de conscience collective de l’agression contre le milieu naturel.

 

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