Le droit au logement en droit international

LE SANS-ABRISME

Il existe au niveau européen, une définition du sans-abrisme qui a été donnée la « Fédération Européenne d’Associations Nationales Travaillant avec les Sans-abri »21. La FEANTSA a lancé, en 2005, une typologie européenne de l’exclusion liée au logement appelée « European Typology of Homelessness and Housing Exclusion »22. Cette typologie est utilisée par de nombreux organismes nationaux ainsi que par l’Observatoire européen sur le sans-abrisme, créé par la FEANTSA, et qui réalise régulièrement des statistiques en matière de logement. ETHOS établit quatre catégories conceptuelles d’exclusions liées au logement : être sans-abri, être sans-logement, être dans un logement précaire et être dans un logement inadéquat23. Dans un bilan sur l’ETHOS daté de 2006, la FEANTSA précise que cet instrument élabore une « définition axée sur le logement plutôt qu’une définition fondée sur les statuts sociaux (…) »24. Par rapport à ces catégories conceptuelles, le présent travail utilise le terme sans-abri de manière totalement neutre et comme recouvrant ces diverses formes d’exclusions liées au logement. En Belgique, une référence à ETHOS est faite à l’article 3 de l’Accord de coopération concernant le sans-abrisme et l’absence de chez-soi du 12 mai 2014, conclu entre l’Etat fédéral, les Communautés et les Régions25. En droit belge, la notion de sans-abri est utilisée à plusieurs reprises dans la législation spécifique aux C.P.A.S. sans pour autant y être définie26. Néanmoins, une telle définition est donnée dans d’autres instruments. Tout d’abord, la personne sans abri est définie dans les travaux préparatoires de la loi du 12 janvier 199327 contenant un programme d’urgence pour une société plus solidaire qui a institué la prime d’installation. Elle est caractérisée comme étant « la personne qui n’a pas de résidence habitable, qui ne peut, par ses propres moyens, disposer d’une telle résidence et qui se trouve dès lors sans résidence ou dans une résidence collective où elle séjourne de manière transitoire, passagère en attendant de pouvoir disposer d’une résidence personnelle »28. Dans un arrêt du 27 août 2004 la Cour du travail Bruxelles a défini la notion de résidence collective29. Ensuite, une autre définition, ressemblant fort à la précédente, a été donnée dans l’arrêté royal du 21 septembre 2004 visant l’octroi d’une prime d’installation par le C.P.A.S. à certaines personnes qui perdent leur qualité de sans-abri : « il faut entendre par sans-abri : la personne qui ne dispose pas de son logement, qui n’est pas en mesure de l’obtenir par ses propres moyens et qui n’a dès lors pas de lieu de résidence ou qui réside temporairement dans une maison d’accueil en attendant qu’un logement soit mis à sa disposition »30. On retrouve la même définition dans les travaux préparatoires de la loi du 26 mai 2002 relative au droit à l’intégration sociale31. On retrouve également une définition similaire à l’article 3 de l’Accord de coopération susmentionné32.

Toutefois, cette définition du sans-abri est « incomplète dès lors qu’elle ne prend pas en considération le cas des personnes qui sont hébergées provisoirement par un particulier »33. En l’occurrence, une circulaire du 26 octobre 2006 du ministre de l’Intégration sociale tente de compléter cette définition, mais n’y arrive pas totalement et indique que « sont également visées les personnes qui sont hébergées provisoirement par un particulier en vue de leur porter secours de manière transitoire et passagère »34. Dans deux arrêts de 200935, les Cours du travail de Liège et de Bruxelles ont repris cette définition plus large36. Au niveau de la réalité chiffrée du sans-abrisme, force est de constater que plusieurs estimations ont été réalisées, sur la base de critères différents. Il n’est pas évident d’avoir une idée du nombre exact de sans-abri, tant cette situation peut varier dans le temps et dans l’espace. Au niveau européen, même avec un outil comme ETHOS qui peut nous guider dans le dénombrement, il est impossible d’obtenir un chiffre clair puisque les méthodes de recensement varient d’un pays à l’autre37. D’ailleurs, aucun recensement officiel n’existe en Europe ou en Belgique. De plus, la difficulté d’établir un chiffre précis est encore accrue par le fait que bon nombre d’étrangers en situation de séjour illégal sont sans abri, mais ne sont pas toujours pris en compte dans les statistiques. En outre, sur le site internet du Service de la lutte contre la pauvreté on constate qu’il n’y a que des évaluations du nombre de sans-abri réalisées par des associations38. On constate qu’à la date du 15 juillet 2015, 17.000 personnes étaient sans abri en Belgique39. Cette estimation provient d’une évaluation faite par la FEANTSA en 200340 et est à prendre avec des pincettes car elle ne tiendrait pas compte des personnes en situation illégale qui se retrouvent très souvent en difficultés en matière de logement41.

La Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950

La Convention européenne des droits de l’homme est un instrument entièrement dédié aux droits civils et politiques appelés également « droit de la première génération » et n’a donc pas vocation à consacrer des droits économiques, sociaux et culturels62. En conséquence, aucune disposition de la Convention ne protège explicitement le « droit au logement ». La doctrine s’interrogeait même à un moment donné sur l’intérêt d’analyser la place du droit au logement dans cet instrument tant cela pouvait se résumer à un « exercice intellectuel largement gratuit (…) »63. Toutefois, la Cour européenne des droits de l’homme, dans sa tâche d’interprétation de la Convention, a reconnu une certaine « perméabilité de la Convention » aux droits économiques et sociaux64. En effet, dans l’arrêt Airey c. Irlande du 9 octobre 1979 la Cour affirme, concernant la sphère des droits économiques et sociaux, que « nulle cloison étanche ne sépare celle-ci du domaine de la Convention ». Elle poursuit en indiquant que parmi les droits civils et politiques « nombre d’entre eux ont des prolongements d’ordre économique ou social »65. Elle indique néanmoins ne pas ignorer que c’est en fonction de la situation financière des Etats que les droits économiques et sociaux connaissent un développement plus ou moins grand66. Dans les années 1980-1990, pour une partie de la doctrine, plusieurs arrêts rendus par la Cour permettaient d’entrevoir « un début de reconnaissance d’un droit subjectif au logement trouvant son fondement par ricochet dans le droit au respect du domicile garanti par l’article 8 de la Convention »67. Pour ces mêmes auteurs, l’espoir de voir le droit au logement ainsi consacré s’est envolé, lors de l’entrée en vigueur du Protocole n°11 qui a procédé à une restructuration des mécanismes de contrôle établit par la Convention68. Aujourd’hui, la doctrine estime que le droit au logement n’est pas un « droit conventionnellement garanti » par la Convention européenne des droits de l’homme 69. En conséquence, si une personne est privée d’un logement décent, elle ne pourra pas réclamer la fourniture de celui-ci aux autorités sur base de la Convention70. Néanmoins, l’imagination des plaideurs n’a pas de limite et quelques-uns ont proposé des constructions juridiques audacieuses qui n’ont pas réellement aboutit devant la cour.

Certains requérants ont formulés, sans succès, un grief sur la base de l’article 3 de la Convention qui prohibe la torture et les peines ou traitements inhumains et dégradants. Par exemple, dans l’affaire O’Rourke c. Royaume-Uni, dans laquelle un ex-détenu sans abri avait été expulsé d’un hébergement provisoire par les autorités et avait été contraint d’errer dehors quelques semaines alors qu’il était très malade, la Cour estima non fondé le grief sur base de l’article 371. La Cour n’a pas considéré que la situation atteignait le niveau minimum de gravité des mauvais traitements requis par cet article. D’autres encore ont tenté de fonder un droit conventionnel au logement sur la base l’article 8 de la Convention, en ce que cet article garanti le droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que le droit au respect du domicile72. La Cour n’a pas fait droit à cette proposition et dans un arrêt Chapman c. Royaume-Uni du 18 janvier 2001, elle a indiqué que même si il est souhaitable que toute personne dispose d’un domicile au nom de la dignité humaine « l’article 8 ne reconnaît pas comme tel le droit de se voir fournir un domicile, pas plus que la jurisprudence de la Cour »73. Cette position de la Cour a encore été confirmée par la suite74. Enfin, d’autres tentatives encore ont eu lieu sur la base de l’article 1ier du premier protocole additionnel à la Convention garantissant le droit au respect des biens. La Cour rappelle à plusieurs reprises, que cet article ne concerne que la protection des biens existants de l’individu et ne garanti pas le droit d’en acquérir75. On peut donc en déduire que cette disposition n’impose pas aux états l’obligation de fournir un logement à ceux qui n’en disposent pas. Par ailleurs, il ne faut pas négliger l’impact de l’arrêt Öneryldiz c. Turquie rendu le 30 novembre 200476. Cette affaire concernait la destruction de plusieurs taudis, construits illégalement sur un terrain appartenant aux autorités. Cette destruction était survenue à la suite d’une négligence des autorités Turques. La Cour a considéré qu’il y avait eu une violation de l’article 1ier du premier protocole en reprochant à l’Etat de ne pas avoir respecté les obligations positives77 découlant de cet article. La Cour à souligné que le requérant bien que n’étant pas propriétaire du fond était propriétaire de « l’habitation » en elle-même et des objets qui la composait.

Table des matières

INTRODUCTION
I. PREMIERE PARTIE : QUELQUES DEFINITIONS
A. LA PAUVRETE
B. LE LOGEMENT
C. LE SANS-ABRISME
II. DEUXIEME PARTIE : LE DROIT AU LOGEMENT EN DROIT INTERNATIONAL
A. LE DROIT DE L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES
1) La Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948
2) Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966
3) La Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989
B. LE DROIT DU CONSEIL DE L’EUROPE
1) La Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950
2) La Charte sociale européenne du 18 octobre 1961 et la Charte sociale européenne révisée du 3 mai
1996
C. LE DROIT DE L’UNION EUROPEENNE
III. TROISIEME PARTIE : LE DROIT AU LOGEMENT EN DROIT BELGE
A. LA CONSECRATION DU DROIT AU LOGEMENT DANS LA CONSTITUTION BELGE
1) Le droit à un logement décent inscrit à l’article 23 de la Constitution
2) Quelle effectivité du droit constitutionnel au logement ?
a) Sur la base de l’article 23 alinéa 1ier consacrant le droit de mener une vie conforme à la dignité
humaine
b) Sur la base de l’article 23 alinéas 2 et 3, 3°
1. L’absence d’effet immédiat propre
2. Catégorisation des effets juridiques
a. L’effet d’orientation
b. L’effet d’irradiation
c. L’effet de stabilisation ou effet de standstill
3. Le droit au logement comme droit de protection
B. LES «DEBITEURS »DU DROIT AU LOGEMENT
1) La répartition des compétences en matière de logement
a) Les Régions
b) L’Etat fédéral
c) Les communes
2) Problèmes liés à la répartition des compétences et solutions apportées
IV. QUATRIEME PARTIE : LE DROIT AU LOGEMENT DES SANS-ABRI A TRAVERS LE DROIT DE L’AIDE SOCIALE
A. LE DROIT A L’AIDE SOCIALE DES SANS-ABRI
1) Les conditions d’octroi de l’aide sociale
2) Les formes d’aides permettant l’accès au logement
a) L’hébergement en structure d’accueil d’urgence
b) La guidance sociale
c) L’aide sociale financière
d) La garantie locative
e) La prime d’installation
f) L’adresse de référence
B. LE DROIT A L’INTEGRATION SOCIALE DES SANS-ABRI
1) Les conditions d’octroi
2) Le revenu d’intégration sociale
V. CINQUIEME PARTIE : LA COLLABORATION ENTRE LES SERVICES PUBLICS ET LES ASSOCIATIONS PRIVEES DANS LA LUTTE CONTRE LE SANS-ABRISME : « HOUSING FIRST BELGIUM »
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
I. DOCTRINE
II. JURISPRUDENCE
III. LEGISLATION

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *