Le fœtus en questions

Le fœtus en questions

Nous avons commencé cette thèse en annonçant notre volonté de prendre au sérieux l’hypothèse que les techniques créent des différences dans les questions morales. Ces différences seraient moins dues aux nouveaux dilemmes créés par la disponibilité de nouvelles techniques, qu’au fait que ces dernières modifient tout une série de petits éléments du suivi prénatal avec lesquels il faut désormais compter. Nous avons vu, dans le premier chapitre, qu’en analysant finement des échographies ordinaires, leur configuration technico-organisationnelle, la production des images échographiques ou les interactions avec les parents, on pouvait mettre en évidence des relations avec des questions qui avaient trait à l’éthique. Nous allons prendre un peu de recul avec le lieu de la consultation dans le présent chapitre pour nous intéresser à un objet qui est devenu central pour bon nombre de participants aux débats sur l’éthique du diagnostic prénatal : le fœtus. Lorsqu’on s’intéresse de près aux débats, que ce soit dans l’espace du discours sur l’éthique médicale ou dans celui des sciences sociales, on s’aperçoit qu’une partie des arguments tourne autour de la définition du ‘fœtus’. Or, cette dernière a évolué de façon radicale, et parfois contradictoire, ces dernières décennies en raison du développement des techniques médicales y donnant accès et principalement l’échographie. L’échographie a contribué à rendre présent le fœtus dans un certain nombre d’espaces auxquels il n’appartenait pas il y a peu. Cette technique, selon les commentateurs de toutes tendances, donne une certaine consistance au fœtus dans l’imaginaire public. Il se trouve qu’une grande partie de nos observations sur le terrain concerne l’échographie. Elles nous offrent donc un point de vue unique sur la façon dont les questions morales peuvent être transformées dans et par la technique de l’échographie sur les lieux mêmes où cette dernière est pratiquée. Peut-on se poser des questions sur le fœtus, son éventuel statut, et en déduire des positions morales en continuant d’ignorer comment il est produit quotidiennement dans des services d’échographie ? Nous faisons l’hypothèse contraire. Dans un premier temps, nous nous intéresserons à la façon dont le fœtus est configuré dans les discours de l’éthique et des sciences sociales, en décrivant les différents espaces dans lesquels le fœtus est désormais présent. Dans un second temps, nous mettrons cette construction à l’épreuve de notre dispositif d’observation ce qui nous permettra de proposer de nouvelles pistes dans la façon de formuler les questions éthiques.

La révolution échographique comme reconfiguration du fœtus

Qu’est ce qu’un fœtus ? Dans une première définition, offerte par “ Le Petit Larousse ”, il s’agit du “ produit de la conception non encore arrivé à terme, mais ayant déjà les formes de l’espèce. (Chez l’homme, l’embryon prend le nom de fœtus au troisième mois de la grossesse et le garde jusqu’à la naissance) ”. “ qu’avant le vingtième siècle, en Allemagne, on utilisait le mot fœtus comme un terme technique pour désigner essentiellement des avortons ou des résidus de fausse couche (humains ou non). L’usage médical du mot fœtus a évolué, comme la conception que pouvaient en donner les planches anatomiques toujours plus précises. La conception du fœtus humain a évolué d’un homme réduit , à un enfant, puis à un être évoluant du vermicelle au nouveau-né. Cependant, le mot fœtus a caractérisé, jusqu’à l’ invention de l’échographie, la représentation figée inspirée des planches d’anatomies dessinées d’après des fœtus morts. L’échographie a apporté des images de fœtus vivants, tirant la langue, suçant leur pouce déglutissant et urinant dans le liquide amniotique. Elle a aidé à donner une image ‘humaine’ au fœtus.

L’apparition de ce nouvel être, produit par l’imagerie médicale, a entraîné ce que les médecins percevaient comme des responsabilités nouvelles. “ Hier encore, blotti dans l’utérus maternel, le fœtus menait une vie secrète et probablement heureuse si l’on en croit l’adage : “ Pour vivre heureux, vivons caché. ” Les techniques de diagnostic anténatal permettent aujourd’hui d’accéder au fœtus, de le voir, de l’explorer et de le traiter. Le fœtus est devenu un individu à part entière, susceptible de tomber malade et que nous avons le devoir de soigner. L’obstétricien d’hier avait en face de lui une seule personne, la femme enceinte. Le médecin d’aujourd’hui est confronté à deux individus physiquement indissociables : la mère et le fœtus ”.75 Les médecins entérinent donc l’avènement du fœtus comme acteur à part entière. Ils célèbrent l’échographie comme un réel progrès pour l’obstétrique, les mettant à l’abri des mauvaises surprises.

 

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