Le logiciel libre dans le milieu du travail le cas de la plate-forme Moodle

Le logiciel libre dans le milieu du travail le cas de la plate-forme Moodle

Les logiciels libres

 Les logiciels libres sont des logiciels dont le code source60 peut être exécuté, copié, distribué, modifié et amélioré. À l’origine de ce terme, nous trouvons l’influence de Richard Stallman61 qui, depuis plus de vingt ans, s’évertue à promouvoir le « mouvement du logiciel libre » par le biais de la Free Software Foundation62 (FSF).Stallman explique que le mouvement du « libre » trouve son origine dans les années 1970 alors qu’il travaillait au laboratoire d’intelligence artificielle (IA) du Massachussets Institute of Technology (MIT). Le point de départ du mouvement est, dit-il, l’histoire d’une imprimante bloquée. Le principal défaut de cette machine était une certaine propension au bourrage papier ce qui contraignait l’utilisateur à « rester planté devant la machine comme un valet au chevet de son maître ». Bien entendu, Stallman ne pouvait rien aux bourrages mécaniques. De la même façon, il lui était impossible d’accéder au logiciel qui contrôlait l’imprimante pour le modifier en fonction de ses besoins (Stallman, Williams, & Masutti, 2011, pp. 1-16). « C’est secret, protégé par des droits et des brevets », lui rétorquait le constructeur. À cette opacité, une raison simple: le programme de l’imprimante était livré sans son code source, ses secrets de fabrication. Sans accès à ceux-ci, Richard Stallman ne pouvait adapter lui-même le logiciel rétif. Et, aurait-il pu y accéder, il n’aurait pas eu le droit d’intervenir sur leur contenu, ni de diffuser ses perfectionnements à d’autres utilisateurs de la même imprimante. Quelques années plus tard, en 1985, Stallman fondait la Free Software Foundation avec comme objectif de créer des logiciels diffusés avec leur code source. Des logiciels que tout un chacun pouvait copier à l’infini, modifier au gré de ses besoins, et redistribuer à sa convenance. Des logiciels que personne ne pouvait s’approprier. Des logiciels libres (Latrive, 2000, p. 12). Selon la FSF un logiciel est qualifié de libre s’il présente pour ses utilisateurs les quatre libertés suivantes :  la liberté d’exécuter le programme, pour tous les usages ;  la liberté d’étudier le fonctionnement du programme, et de le modifier pour l’adapter à ses besoins (l’accès au code source est une condition nécessaire) ;  la liberté de redistribuer des copies ;  la liberté d’améliorer le programme et d’en publier les modifications afin qu’elles soient profitables à toute la communauté (GNU, 2013).En définitive, le logiciel libre a « en quelque sorte restauré la logique première de l’industrie informatique où les logiciels étaient accompagnés de leur code source » (Benkeltoum, 2009, p. 38). Si ces libertés reflètent la philosophie (en termes d’exploitation et de développement) du mouvement Open Source il est nécessaire de noter que celui-ci est encadré par une variété de régimes juridiques.

Un mouvement encadré par des obligations contractuelles

Dans sa thèse, Bonneau (2012), souligne que le courant s’appuyant « sur les principes énoncés par la FSF représente la vision plus radicale et libertaire issue des idées de Stallman. Son refus de toute forme de droit d’auteur constitue pour plusieurs acteurs du libre un obstacle au déploiement des logiciels libres dans l’entreprise » (p. 22). C’est, explique la chercheuse le cas de Raymond et de Perens (2008) qui recommandent une approche « plus flexible étant davantage compatible aux hybridations entre le libre et le propriétaire, impliquant à la fois les particuliers et les entreprises » (ibid., p. 23). En effet, comme l’explicite Cardon (2005), il est parfois nécessaire pour les porteurs de projet de (notamment lorsque s’étend la nébuleuse des contributeurs) de se tourner vers des sponsors institutionnels ou privés ou de se prêter à des articulations avec l’univers marchand comme en témoigne par exemple, le partenariat de Google avec Wikipedia. Ainsi, lorsque les pro-Stallmaniens militent pour ce que Bonneau appelle la « branche dure du mouvement du logiciel libre » (2012, p. 23), certains comme Perens et Raymond (2008) prônent une approche plus modérée en proposant l’expression « Open Source Software ». Ainsi, comme le souligne Bonneau même si de nombreux logiciels libres sont publiés sous la licence GPL (General Public Licence), le « mouvement de l’Open Source recouvre désormais plusieurs formes disparates puisqu’en plus de la licence GPL, il existe d’autres types de licences énonçant chacune des droits différents » (op. cit.). Mais, au-delà de ces questions de licence, il est à noter que les logiciels libres « sont le fruit d’un travail coopératif entre de nombreux développeurs qui ne se connaissent parfois que de manière virtuelle » (Dang-Nguyen & Pénard, 1999, p. 106) et qui sont au fondement d’un modèle de production de style « bazar ».

Une œuvre collective développée à distance 

le style « bazar » comme mode de développement et de production Dans l’article « La cathédrale et le Bazar » Raymond (1998), oppose deux modes de développement de logiciels. Le style « cathédrale » pour les logiciels propriétaires et le style « bazar » pour les logiciels libres. Chapitre 2: Le logiciel libre dans le milieu du travail. Le cas de la plate-forme Moodle Page 46 sur 311 Le style « cathédrale » s’inscrit dans la « logique traditionnelle de la division technique du travail, de sa planification et de son organisation rationnelle, qui privilégie l’approche centralisée et hiérarchisée » (Blondeau, 2000, p. 189). Selon ce point de vue, les logiciels doivent « être conçus comme des cathédrales, soigneusement élaborées par des sorciers isolés ou des petits groupes de mages travaillant à l’écart du monde » (Raymond, 1998). Il s’agit d’une production en série où « l’ingénieur élabore, le développeur développe et le consommateur consomme » (op.cit.). Avec le style « Bazar », le cycle de production est parallélisé au moyen de ce que Raymond appelle la « Loi de Linus63 » qui pose les assises d’une organisation déstructurée encourageant la créativité, l’initiative et renforçant l’efficacité des individus. L’idée est d’impliquer un nombre considérable d’utilisateurs dans l’amélioration du produit, de les stimuler par la « perspective auto-gratifiante » de prendre part au développement de celui-ci et de les récompenser par l’intégration de leurs idées dans le produit et par des mises à jour répétées. De fait, le développement de logiciel libre s’inscrit dans un mode de travail « communautaire » et devient ainsi un processus de coopération au sein duquel utilisation et production tendent à se confondre (les utilisateurs sont des développeurs tout comme les développeurs sont des utilisateurs). Si, de prime abord, ce mode de développement peut paraître anarchique, en y regardant de plus près on se rend compte qu’il est moins aléatoire qu’on ne l’imagine. En effet, tout projet de logiciel libre dispose d’un noyau de développeurs qui garantit sa cohérence. Ainsi, les axes futurs de développement sont discutés et fixés en commun ce qui permet de faire des choix raisonnables et de désigner des objectifs. De plus, contrairement au « logiciel propriétaire », le processus de création des logiciels libres « échappe à toute approche marketing, se fondant plutôt sur la notion d’utilité sociale » (Moineau & Papatheodorou, 2000). Nous comprenons qu’outre leur mode de production, leur qualité technique et/ou leur rentabilité financière, les logiciels à code source ouvert peuvent être envisagés comme des vecteurs de participation sociale (Couture, Haralanova, Jochems, & Proulx, 2010, p. 45) fondés sur la « resocialisation de l’acte de créer » (Aigrain, 2005). Par conséquent, rendu possible par l’avènement d’Internet, le modèle de travail coopératif permet la participation des usagers au processus d’innovation du logiciel, ce qui les propulse de fait, au rang de co-développeurs. 

Une communauté de « Free-Rider » et de co-développeurs 

Comme le souligne Benkeltoum, « la nature du code informatique, la diffusion de langages de programmation, la démocratisation de la micro-informatique et d’Internet, ont rendu possible la conception distribuée de logiciels par des groupes plus ou moins importants d’utilisateurs experts » (2009, p. 38). L’auteur précise qu’il emploie « l’expression utilisateurs experts, car, originellement, le logiciel libre a émergé dans la sphère académique où les utilisateurs étaient aussi développeurs » (ibid.). Mais aujourd’hui ce n’est plus le cas, car un simple utilisateur peut participer à l’activité de conception et ainsi devenir partie prenante du processus de développement. C’est ce qu’essaie de démontrer Von Hippel (1998) lorsqu’il se penche sur le rôle joué par les utilisateurs dans les processus d’innovation. Cependant tous les utilisateurs ne participent pas au développement des logiciels libres ; ce qui soulève, comme le note Desbois, la question de leur « clivage (…) en deux catégories dont les motivations et l’implication diffèrent fondamentalement » (1999, p.4). C’est ce que nous allons voir dans les paragraphes qui suivent.

 Les co-développeurs 

 

Les utilisateurs développeurs constituent la force du monde du « libre ». Raymond conseille de les traiter comme des « co-développeurs ». C’est selon lui « le chemin le moins semé d’embûches vers une amélioration rapide » (1998) des logiciels libres. Si jusqu’à présent le développement de ces logiciels était une affaire d’informaticiens (programmeurs), aujourd’hui, il touche de simples utilisateurs souvent passionnés d’informatique et de TIC. La disponibilité du code source fait d’eux des « hackers64 » efficaces. Ils diagnostiquent des problèmes, suggèrent des corrections ou des modifications du code (appelés patch) contribuant donc à son amélioration. Ainsi, comme le soulignent Perline et Noisette, en plus des programmeurs, les communautés du logiciel libre sont composées de toutes sortes d’individus : « les bêta-testeurs, les rédacteurs de modes d’emploi, les traducteurs, etc. » (2006, p.59). Nous comprenons donc que ce sont des organisations hétérogènes au sein desquelles des personnes apportent leur contribution en fonction des compétences et des motivations qui sont les leurs. C’est, selon ces auteurs, la raison pour laquelle la « notion de « développeur » est préférable à celle de « programmeur » lorsqu’on parle de la communauté du libre en général » (ibid.). En fin de compte, tant que les utilisateurs co-développeurs sont assez nombreux, le logiciel ne cesse de s’améliorer.

Les « Free-Rider »

Pour les simples utilisateurs (free-rider), ce sont : la gratuité du libre, le moyen d’échapper à l’enfermement des « logiciels propriétaires », la variété des produits proposés et la liberté de choix qui importent. Pour ces utilisateurs, le libre accès au code source ne revêt aucun intérêt particulier. Ils bénéficient tout simplement « des résultats des efforts collectifs de développement [des co-développeurs], sans qu’aucune contrepartie ne soit exigée de leur part ni sous forme pécuniaire ni sous forme de contribution à l’effort collectif » (Desbois, 1999, p. 5). On se trouve par conséquent « dans une situation de freeriding collectif » (ibid.) pouvant mettre en péril le modèle du « bazar ». Mais, comme le soulignent Von Hippel et Von Krogh (2003, p. 20) le free-riding n’est pas un problème, car s’ils ne contribuent pas au développement technique de l’outil, les free-rider interviennent tout de même dans le processus d’innovation en exprimant leurs besoins, en proposant de nouvelles idées et en identifiant des problèmes particuliers. De ce fait, on peut dire qu’ils tiennent un rôle majeur dans le développement des applications. Benkeltoum, trouve qu’il s’agit d’une « vision simpliste de la dynamique concurrentielle dans l’open source ». Selon cet auteur, le « fait qu’un logiciel soit libre ne signifie pas que tout le monde peut l’améliorer et être concurrentiel en termes de services associés. Il s’agit, dit-il, d’un véritable mythe qu’il est nécessaire de briser » (2009, p. 196). Toutefois, comme le précise Bonneau, certaines études montrent « à quel point la participation des usagers au processus de développement d’une technologie est cruciale afin de bien comprendre leurs besoins et assurer le succès de l’implantation » (2012, p. 19). C’est le cas des travaux de Barki et Hartwick (1994) qui s’intéressent à la participation des utilisateurs dans le développement de système d’information. Il en est de même des recherches qui s’ancrent dans le courant du Design participatif (Participatory Design) des logiciels. Dans ce cadre, il est question d’intégrer les différents utilisateurs au processus de développement du logiciel en privilégiant le dialogue entre les utilisateurs et les développeurs. De la sorte, la capacité des concepteurs et des développeurs de logiciels libres à être à l’écoute des utilisateurs qui proposent des améliorations est aussi un facteur déterminant pour ce mode de production. Mais, comme le souligne Bonneau la voix des utilisateurs « n’a pas Première partie : Analyse du développement professionnel dans une configuration sociale interconnectée Page 49 sur 311 toujours un effet sur les propriétés matérielles de l’outil, puisque ce sont les développeurs qui ont le pouvoir de prendre les décisions relatives à ce qui sera implanté » (2010, p. 29)65. C’est ce qui ressort de l’étude menée par Livari (2010) qui s’intéresse à la participation des usagers non-développeurs dans le développement d’applications Open Source.

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