Le marché de la musique à l’image

L’offre de musique à l’image

Nous avons évoqué dans la partie précédente les deux principaux « outils » avec lesquels travaille le superviseur musical : les musiques originales et les musiques additionnelles. Ces dernières regroupent deux sortes de musiques : les musiques dites préexistantes et les musiques dites d’illustration. Intéressons-nous à ces trois types de ressources musicales.
Quelles sont leurs caractéristiques, leurs avantages ou leurs inconvénients dans le cadre d’une utilisation à l’image ? Nous n’évoquerons pas ici leurs apports artistiques, esthétiques et narratifs qui seront abordés ultérieurement.
Commençons par la musique originale. Ce type de musique étant par essence prévu pour une utilisation dans une oeuvre cinématographique précise, aucun problème relatif aux droits d’utilisation de l’oeuvre ne se posera : le compositeur, lors de la signature du contrat qui le liera à une production cédera ces derniers au producteur. La musique originale, comme son nom l’indique, sera exclusivement utilisée dans le cadre de l’oeuvre pour laquelle elle est initialement prévue. Elle confère son identité, sa singularité à l’oeuvre audiovisuelle pour laquelle elle a été pensée. Contrairement à une musique additionnelle que le réalisateur connaît ou peut entendre par avance, la création d’un compositeur reste plus difficile à anticiper. Hormis les collaborations de longues dates entre réalisateur et compositeur, le choix de musique originale pourra nécessiter plus de discussions et d’aller-retours entre les différentes parties que pour la musique additionnelle. Il y a enfin pour la musique originale un certain délai de production qui variera selon la complexité de sa mise en oeuvre.
Les coûts liés à la musique originale peuvent être importants. Il faut en effet prendre en considération toutes les dépenses liées à sa création : honoraires du compositeur et des musiciens interprètes, location d’un studio et de techniciens pour l’enregistrement ou les répétitions. Il est difficile de donner un ordre d’idée de ce que peut coûter la musique originale d’un film. La quantité de musique, les effectifs utilisés, le lieu d’enregistrement ou la qualité des interprètes sont autant de variables qui feront fluctuer son coût. En revanche, la musique originale est celle qui pourra bénéficier du plus d’aides financières, des organismes tels que la SACEM subventionnant ce type de musique dans le but d’inciter à la création.
Ainsi, l’amplitude des prix d’une musique préexistante pourra, en fonction de critères tels que ceux évoqués ci-dessus, prendre des proportions colossales. Si certaines oeuvres peu connues pourront coûter quelques milliers d’euros, le prix de tubes d’artistes mondialement connus pourront atteindre le million d’euros. Les musiques d’illustration sont certainement celles dont l’acquisition est la plus simple. Raphaëlle Dannus, responsable synchro chez Universal, major la plus avancée en termes de librairies musicales, nous explique que ces musiques sont le fruit de commandes d’album thématiques passés par la firme aux compositeurs de son réseau.
Du fait de leur vocation à être employées à l’image, les musiques d’illustration ne nécessitent pas de démarches juridiques visant l’obtention de droits d’utilisation. Leur acquisition ne demande généralement que de démarcher un unique interlocuteur chargé de la gestion des librairies musicales. Les délais de production de ce type de musique sont nuls, elle est en quelque sorte une musique de « prêt à porter ». Les musiques d’illustration ne sont en revanche généralement pas vendues à titre exclusif. Ainsi, du fait qu’on pourra les retrouver dans plusieurs oeuvres audiovisuelles, elles ne pourront pas conférer à l’oeuvre la même singularité que des musiques originales ou préexistantes et dont l’exclusivité aurait été négociée. Bien que les librairies musicales aient beaucoup évolué et gagné en qualité ces dernières années, le recours à ces dernières dans le cadre du cinéma se limite généralement aux besoins en musique diégétique. Raphaëlle Dannus nous donne une estimation : « En librairie le cinéma c’est dans 95% des cas pour de la musique diégétique. »
Les tarifs des musiques de librairies sont eux fixes. Ils peuvent dépendre de facteurs tels que le médium de diffusion (TV, cinéma, publicité) ou la durée d’exploitation des oeuvres audiovisuelles comprenant les musiques à acheter. Les coûts de la musique d’illustration sont les plus faibles. Pour donner un ordre d’idée, le prix d’une minute de musique d’illustration dans le cadre d’un long métrage au cinéma peut tourner aux alentours de 500 euros. Matthieu Payet, responsable synchro chez Cristal Groupe résume ainsi leur contribution dans le milieu du cinéma : « La librairie musicale est une solution intermédiaire pour avoir de la musique à bas coût et sans délais de production. »

Le développement de la synchronisation

Si les librairies musicales se sont énormément développées ces dernières années, la tendance à l’accroissement a globalement touché l’intégralité du secteur de l’industrie musicale : « Les fonctions d’éditorialisation, de distribution et de recherche deviennent essentielles parce que l’offre n’a jamais été aussi abondante et disponible, et la demande aussi exigeante et volatile. »15. Philippe Chantepie et Alain Le Diberder nous parlent ici de l’évolution des pratiques de l’industrie culturelle à l’ère du numérique et de la possibilité du stockage de masse. Les éditeurs et les producteurs donc, en plus d’être de plus en plus nombreux sur le marché, ont aussi largement développé leurs départements de synchronisation. Ces départements qui visent à la distribution et donc à l’exploitation de leurs ressources musicales au moyen d’une utilisation à l’image sont devenus des acteurs incontournables du secteur de la musique de film comme en témoignent les propos de Fanny Dupé, responsable synchro chez Chrysalis Music France et retranscrits dans un compte rendu de l’IRMA : « [La synchro] C’est une activité qui a explosé, comme en témoignent la mise en place et la structuration des départements synchro dans les labels ou chez les éditeurs, qui cherchent de nouveaux débouchés commerciaux. Ce sont des postes et des services qui prennent de plus en plus d’importance. »
Apportons une précision. On pourra parfois entendre le terme de « superviseur musical » employé pour évoquer la profession de responsable synchro. Ces deux métiers s’ils peuvent se recouper comportent tout de même une différence majeure. Tandis que le superviseur musical indépendant sera libre de mener ses recherches musicales où il le souhaite, le responsable synchro aura pour mission de valoriser et d’exploiter un catalogue ou une librairie précise. Ainsi leurs objectifs ne sont pas les mêmes. Comme nous l’avons expliqué lorsque nous avons parlé du processus de travail du superviseur, superviseurs musicaux indépendants et responsables synchros travaillent néanmoins main dans la main. Les départements de synchronisation seront une aide pour le superviseur musical dans sa recherche de titres ; ils pourront en fonction de sa demande lui proposer une première sélection de morceaux issus de leurs catalogues.
Plusieurs questions peuvent alors se poser. Le fait de passer par ces multiples interfaces que représentent superviseurs musicaux et départements de synchronisations afin de relier la demande et l’offre de musique ne pose-t-elle pas certains problèmes ? On pourrait à première vue penser que le passage par tant de subjectivités, celles du réalisateur, du monteur ou du producteur, celle du superviseur musical et celles des responsables synchros pourrait avoir un effet néfaste et déformer le caractère initial de la demande musicale. La question du temps que pourront prendre ces démarches à plusieurs interlocuteurs pourra elle aussi se poser.
Dans une étude universitaire sur la communication entre les différentes parties dans la recherche de musique pour l’image publiée par l’Université Londonienne de City17, Charlie Inskip, Andy Macfarlane et Pauline Rafferty mettent en évidence la complémentarité des superviseurs et des départements de synchronisation.
Pour eux, les départements de synchronisation peuvent avoir plusieurs intérêts. Le premier concerne leur connaissance des artistes qui constituent leurs catalogues. Ainsi dans le cas de musiques préexistantes, les départements de synchronisation seront plus en mesure de savoir si tel ou tel artiste pourra être ou non favorable à l’utilisation de son oeuvre au sein d’une production audiovisuelle.
La connaissance que peuvent avoir les départements de synchronisation de leurs catalogues est de même un atout en ce qu’elle pourra représenter un gain de temps. L’offre de musique ayant aujourd’hui pris des dimensions pharaoniques, les superviseurs musicaux ne pourront pas eux même assurer des recherches dans les innombrables catalogues disponibles sur le marché. Le fait de passer par des départements de synchronisation leur permettra ainsi de réduire les temps d’écoute des titres des catalogues et des librairies les plus à même de les intéresser.
Enfin, toujours dans cette étude la question du passage par plusieurs subjectivités dans le processus de recherche musicale est perçue comme bénéfique. Les responsables de synchronisation, en principe dotés d’une certaine culture musicale ou cinématographique, pourront ainsi apporter leurs connaissances et leurs visions.
Ayant pris connaissance des intérêts que peuvent avoir les départements de synchronisation, penchons-nous sur ceux liés aux superviseurs musicaux. Ces derniers pourraient-ils à terme être fragilisés par le développement de la synchronisation ?
Lorsque cette question lui est posée au cours d’un débat organisé par l’IRMA, Pascal Mayer semble catégorique : « on peut se passer d’un superviseur, mais cela veut dire que le producteur du film doit gérer les relations avec 3, 4, 5 ou 10 services de synchro ou interlocuteurs différents, ce qui peut être complexe à coordonner »18. La première qualité du superviseur sera donc sa liberté. Contrairement à un département de synchronisation qui sera limité à son propre catalogue, le superviseur aura accès à de nombreuses sources et pourra proposer un choix de musiques bien plus éclectique. Il ne faut pas non plus oublier le rôle que pourra avoir le superviseur en terme de négociations dans un marché de plus onéreux et complexe. Les relations qu’il pourra entretenir avec les membres de son réseau de fournisseurs faciliteront la discussion sur les coûts de la musique là où des producteurs audiovisuels, n’ayant pas de liens directs avec ce milieu, auraient plus de mal à débattre sur de telles questions.
Avant de clore ce premier grand axe, penchons-nous sur quelques aspects économiques liés à la synchronisation de musiques additionnelles et plus largement à la musique à l’image aujourd’hui.

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Considérations économiques liées à la synchronisation

Pour aborder les enjeux financiers du secteur de la synchronisation, il faut préciser les mécanismes de rémunération lorsqu’une oeuvre est utilisée à l’image.
L’utilisation d’une oeuvre musicale au sein d’une production audiovisuelle est soumise à l’acquisition de ses droits. Ces droits sont divers et peuvent renvoyer à différents ayants-droit qui ont pris part à la création d’une musique. On distinguera ainsi les droits d’auteurs, liés aux auteurs, compositeurs, arrangeurs, adaptateurs mais aussi aux éditeurs, et les droits voisins, liés eux aux producteurs et aux interprètes. Ces deux grandes familles de droits comprennent les mêmes sous-catégories : celles des droits moraux et des droits patrimoniaux. Les droits moraux qui veillent au respect de l’intégrité de l’oeuvre et de son interprétation impliquent que ses ayants-droit devront donner leur autorisation pour son l’utilisation dans le cadre d’une oeuvre audiovisuelle. Ces droits sont non marchands. Les droits patrimoniaux en revanche pourront eux être cédés en contrepartie d’une rémunération. Si la ventilation des droits voisins est contractuelle, celle des droits d’auteurs est prescrite par le code de la propriété intellectuelle.
Le marché de la musique est largement dominé par les trois majors, Universal, Sony et Warner. Dans leur ouvrage Économie des industries culturelles, Philippe Chantepie et Alain Le Diberder décrivent ainsi son organisation :
« En 2017, […] le secteur est toujours organisé autour des majors, très grosses sociétés multinationales qui contrôlent la distribution et l’essentiel de la gestion des droits musicaux (les catalogues). Les indépendants conservent leur fonction de détection de nouveaux talents. »
Dans un débat organisé par l’IRMA sur le secteur de la supervision et de la synchronisation tenu en 2010, Éric Michon, directeur du département de synchro d’Universal Music France nous apprend que le chiffre d’affaire en valeur absolue de la major s’élève alors à 12 millions d’euros en ce qui concerne la synchronisation. S’il admet que ce chiffre est important, il minimise sa part dans les résultats d’Universal en qualifiant la synchronisation « d’activité de diversification »20 du groupe. Dans le même débat, Rodolphe Dardalhon, créateur du label de musique indépendant Roy Music, nous confie que la synchronisation représente une partie importante de son activité en pouvant faire augmenter son chiffre d’affaire de 25%.
« En matière cinématographique, on se trouve, à mon sens, dans un format plus propice au développement d’une carrière d’artiste ou d’auteur. Il est certain qu’on associera moins un message commercial à une musique, le cinéma a en général une aura plus artistique. En évacuant l’idée de composer le score d’un film en entier, qui est par nature un booster de carrière, l’idée de placer un titre, une oeuvre sur un film peut se trouver être une porte d’entrée à exploiter pour développer sa carrière. »21
Enfin, le cinéma, permet une exploitation commerciale des oeuvres à long terme. Fanny Dupé, responsable synchro dans la maison d’édition Chryalis Music France explique dans le même entretien donné à l’IRMA que, contrairement à la publicité, le cinéma permettra souvent de générer des droits sur le long terme, cela grâce aux éventuelles sorties des films en dvd ou de leurs passages à la tv.
Si l’utilisation de musique à l’image, se développe aujourd’hui et que les chiffres qu’elle peut engendrer au sein de l’industrie musicale sont importants, elle reste pour le moment une activité secondaire chez les majors et, dans une moindre mesure, chez les indépendants. Toutefois, les multiples vertus du placement de musique à l’image – promotion, diffusion ou encore plus-value artistique, font du domaine de la musique à l’image un centre d’intérêt suivit avec attention par les différents acteurs de l’industrie musicale.

Conclusion

Nous avons pu définir les différents types de musiques utilisées à l’image et aborder les caractéristiques de chacune d’entre elles. Nous avons ensuite parlé de l’évolution de l’industrie de la musique et notamment de l’explosion des départements de synchronisation liée aux nouveaux enjeux que représente la musique de film. Enfin, nous avons terminé en évoquant les considérations économiques liés à la synchronisation de musiques additionnelles. Cette partie nous a ainsi permis de mieux appréhender le marché de la musique à l’image.

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