LA COMPOSITON DES MENAGES
Notre enquête a révélé qu’une partie très importante des ménages ont à leur tête une femme soit 34,2% (voir tableau ci-dessous).
Bref, le terme ménage est assimilé ici à la notion de famille qui est plus large et déborde l’espace résidentiel de l’enquêté. Cette notion va recouvrir deux aspects dont l’un est large et l’autre restreint.
Selon deux définitions de Frédéric Teulon :
« Au sens large, la famille est l’ensemble des individus qui sont liés par un lien de parenté ou par un lien d’alliance.
Au sens strict, la famille est un ménage d’au moins deux personnes, c’est-à-dire les parents et les enfants »49.
La famille a de nombreuses fonctions parmi lesquelles la reproduction des générations. Cette fonction peut varier d’un milieu social à un autre pour Kolda d’une ethnie à une autre.
Comme annoncé précédemment, nous allons nous intéresser à l’état matrimonial des koldois, mieux à leur régime matrimonial.
Et pour cela nous tenterons d’interpréter les résultats de l’enquête que nous avons menée.
La lecture de ce tableau nous révèle des informations à la fois nombreuses et fort intéressantes sur l e régime matrimonial des hommes mariés.
Parmi les différents constats qu’on peut faire, nous signalons que :
70,3% des hommes mariés ont une seule femme. Leur âge est inférieur ou égal à 50 ans
54,7% des hommes mariés ont un âge inférieur ou égal à 50 ans
23,1% des hommes polygames ont épousé 2 femmes et dans ce groupe 67,3% sont âgés de plus de 50 ans
6,1% des hommes mariés ont 3 femmes et parmi 76,9% sont âgés de plus de 50 ans.
Et, il ressort de cette analyse que Antoine et Bocquier cités plus haut ont raison de dire que, « malgré l’urbanisation, les villes sénégalaises n’étaient pas forcément tournées vers le modèle de la famille restreinte, car 29,7% des hommes mariés de l’échantillon ont entre 2 et 5 épouses ».
Le régime matrimonial, mais aussi les liens de parenté auront incontestablement des répercussions sur la composition et la taille des ménages.
En effet, les familles à Kolda comptent en moyenne 8,4 personnes par ménage. Cette taille des ménages a une double explication liée par la présence significative des familles polygames souvent caractérisées par une pléthore d’enfants et une forte propension à l’hébergement, eu égard aux résultats de notre enquête.
Auparavant, avant d’en venir aux motifs de cet hébergement, nous allons nous atteler à une typologie des ménages koldois en nous inspirant de la classification faite par Antoine et Bocquier50. Ces derniers distinguent trois types de ménages :
1. les « ménages non familiaux » composés d’individus non apparentés vivant seuls ou en groupe. Ces ménages, nous les rencontrons le plus souvent chez les jeunes fonctionnaires célibataires (enseignants, militaires…), qui prennent un appartement avec d’autres collègues ou chez les jeunes migrants Bissau Guinéens qui vivent à plusieurs entre célibataires.
2. les « ménages mononucléaires » composés d’un seul noyau familial (le père, la mère, les enfants, mais aussi les « noyaux polygames », c’est dire le père, les épouses, les enfants et même des fois des parents isolés).
Ce ménage est le plus fréquent à Kolda.
3. les « ménages polynucléaires » qui, selon Antoine, comprennent plusieurs noyaux. Il donne l’exemple d’un ménage composé du noyau conjugal d’un homme et de celui de son frère qui dépend de lui et son épouse.
Sur 360 chefs de ménages enquêtés, 199 (55,27%) déclarent héberger au moins une personne.
Cet hébergement est lié à plusieurs motifs parmi lesquels ont été évoqués : les liens de parenté, les raisons scolaires, la location. Ainsi, le premier motif d’hébergement chez les différentes ethnies à Kolda, à l’exception des Sérères, reste la parenté. Ensuite, arrivent la scolarisation et la location.
Par ailleurs, ce tableau indique que, malgré l’avènement de l’urbain, la famille élargie continue d’être une des caractéristiques de la société koldoise contemporaine qui est à cheval entre modernité et tradition.
Il en résulte que le principal soubassement de l’hébergement demeure une raison sociale. A titre illustratif, au cours de notre enquête, une personne a déclaré : « j’héberge mon neveu car celui-ci est venu en ville pour apprendre un métier ».
Il convient de signaler un fait nouveau. Il s’agit, depuis le recensement de 1988, d’une diminution appréciable du nombre moyen de personnes par ménage qui est passé de 9 à 8,4 en 2002. Cette baisse ne serait-elle pas un signe avant coureur de l’orientation irréversible des ménages vers une atomisation ? Et, l‘ on pourraît se demander si les populations de la ville de Kolda, toutes ethnies confondues, ne sont-elles pas en train de subir l’influence d’une culture urbaine tournée vers l’individualisation ?
LES RAPPORTS SOCIAUX A KOLDA
Jusqu’à ce stade de notre étude, il apparaît que la ville de Kolda oscille entre ruralité et urbanité. Cette situation se reflète tant sur le plan du peuplement de la composition des ménages que sur le plan des caractéristiques résidentielles.
La ville rassemble des populations venues d’horizons divers qui sont censées cohabiter dans une bonne entente.
En effet, le monde urbain crée une interdépendance entre les citadins qui ne sont plus cloisonnés dans un groupe social donné où les rapports sont inévitablement déterminés par les liens de parenté ou l’appartenance ethnique.
Bref, l’homogénéité des relations sociales en milieu rural se voit substituer par des échanges à caractère hétérogène en milieu urbain.
Le citadin, dans ses activités, est perpétuellement exposé à des rencontres inattendues auxquelles il est tenu de répondre selon les exigences de la vie en ville.
Ceci rejoint cette affirmation de Yves Grafmeyer qui reprend une idée de Louis Wirth selon laquelle : « En raison même de la multiplicité des contacts occasionnés par la vie en ville, les relations sociales tendent à y être anonymes, superficielles et éphémères.
La réserve dans l’échange, la préservation de l’intimité deviennent des conditions de l’interaction.
Par opposition aux liens interpersonnels qui unissent étroitement les membres du « groupe primaire » de type villageois, les citadins entretiennent plutôt des rapports « secondaires », c’est-à-dire segmentés, transitoires et empreints d’utilitarisme »52.
Ramenées au contexte koldois, les relations entre citadins devraient être appréhendées d’une autre façon, vu la nature même de cette ville qui est un amalgame de vie urbaine et de ruralité.
Ce caractère ambivalent aura des répercussions quant à la direction que vont prendre les rapports sociaux dans ce contexte urbain.
Ces derniers ne se noueront plus uniquement selon la parenté ou selon les activités professionnelles; mais au contraire tous ces deux paramètres vont intervenir dans l’édification de ces relations sociales.
Il existe dans les villes africaines et notamment à Kolda, des réseaux associatifs qui permettent de perpétuer dans une certaine mesure les rapports sociaux fondés sur les liens de parenté.
Ainsi, si nous prenons l’exemple des associations qui rassemblent des populations qui proviennent de la même localité ou qui appartiennent à la même ethnie, elles constituent une instance de consolidation des rapports déjà noués depuis le lieu d’origine. Elles permettent aussi de maintenir le contact avec les parents restés au village.
Aussi, en milieu urbain, la proximité géographique reste-t-elle un facteur déterminant dans l’élaboration des rapports sociaux.
Le voisinage, plus que tout autre facteur, permet aux populations urbaines de nouer, dans le cadre d’un quartier voire d’une rue, des relations sociales très étroites qui n’ont rien à envier aux rapports fondés sur la parenté.
LA COHABITATION INTERETHNIQUE
Avant d’en venir à cette cohabitation en tant que telle, nous allons tenter de mettre l’accent sur la composition ethnique de la ville de Kolda.
A l’image de sa région, Kolda connaît un foisonnement d’ethnies qui se sont implantées au fur et à mesure que la ville se développait.
Les premières ethnies à s’installer furent les Poular qui sont actuellement le groupe ethnique majoritaire et les Mandingue. Leur cohabitation date d’avant la période coloniale.
C’est par la suite que les Wolof, les Diola et d’autres ethnies venues de la Guinée Bissau voisine, les Balante, les Mancagne, sont arrivées.
Le principal critère de distinction de ces différentes ethnies reste la langue qui est propre à chaque ethnie.
Même si, d’après Makhtar Diouf, il peut exister d’autres critères de différenciation tels que : la localité d’origine, le nom patronymique.
Il soutient, toutefois que : « Au Sénégal, c’est la langue qui tend de plus en plus à être le facteur le plus pertinent d’identification ethnique54 ».
Par contre, cette délimitation par la langue semble quelque peu compromise. Car, à force d’une longue cohabitation, certaines ethnies en sont arrivées à faire des emprunts d’ordre linguistique à d’autres. Ces emprunts ne sont-ils pas le reflet d’un brassage empreint de réussite ?
Les ethnies qui symbolisent le mieux l’existence de ce phénomène à Kolda sont : le Poular et le Mandingue.
Cette propension à l’emprunt se fait presque à sens unique du Mandingue Vers le Poular. Ainsi, selon Souleyman Baldé, « Le Poular y recourt même là où, manifestement il n’en a pas besoin : «…les termes en pulaar Suudu-rewbe( case des femmes ), waandu-wodeeru (singe rouge), gesa-gerte (champ d’arachide)… », sont d’abord progressivement puis complètement remplacés par leur équivalent en Mandingue: buumba, sulawulen, tiyafee…55 ». Cet ascendant du Mandingue sur le Poular semble lié à l’histoire.
A y regarder de près, nous constatons que la diversité ethnique à Kolda est une réalité, même si elle n’est pas aussi marquée que cela.
Cohabitation ethnique : la langue comme indice d’intégration
Là où il existe une diversité ethnique, il y a inévitablement une pluralité des langues qui sont utilisées par les populations. Condamnées à vivre ensemble, ces mêmes populations sont dans l’obligation de communiquer entre elles et par conséquent de trouver un moyen de véhiculer leurs pensées et par la même occasion d’échanger avec les autres.
Pour surmonter ces barrières linguistiques, différents procédés seront mis en oeuvre.
Ainsi, une langue peut s’imposer à toutes les autres et servir de « lingua Franca » par l’ascendant économique qu’exercent ses locuteurs (Wolof) ou par leur influence culturelle.
Mais, dans le cas de Kolda, il s’offre une autre alternative, à savoir la possibilité que les citadins, en plus de leur langue maternelle, parlent une ou plusieurs langues.
A la lumière de ce tableau, il apparaît que le Poular, le Mandingue et le Wolof sont les idiomes les plus utilisés en tant que deuxième langue par les chefs de ménages koldois, avec respectivement des pourcentages de 31,7 ; 28,1 et 27,8.
La ville de Kolda est par excellence un fief de l’ethnie Poular et par conséquent sa langue sera la principale langue véhiculaire. Cependant, des idiomes comme le mandingue et le wolof n’en restent pas moins des langues dont l’utilisation est très répandue dans cette ville. Ce fait s’explique, car pendant longtemps, les mandingues ont eu à exercer sur le Fouladou une domination tant militaire que culturelle. Ce qui favorisa la propagation de leur langue à travers la Casamance et jusqu’à nos jours cette présence se fait sentir à Kolda.
Pour ce qui est du wolof, sa forte diffusion à travers la ville s’explique non pas, par une quelconque domination militaire qu’auraient exercé les Wolof sur la région, mais par la position qu’occupent ces derniers dans des secteurs aussi stratégiques que la fonction publique, le commerce et l’artisanat à Kolda.
En effet, l’administration et notamment le commerce vont jouer un rôle décisif dans la propagation du wolof un peu partout dans les villes du Sénégal.
D’ailleurs, ce tableau montre que Kolda, à l’instar des autres zones urbaines, n’échappe pas à la « Wolofisation ».
Momar Coumba Diop explique ce phénomène en affirmant : » …par la pluralité des populations qu’elles mettent en contact, les villes créent un champ d’agrégation culturelle qui accentue une des tendances des sociétés sénégalaises : la « Wolofisation ».
L’autre enseignement, et non des moindres qu’on pourrait tirer de ce tableau, c’est la forte proportion (89,5%) de gens qui au moins, en plus de leur langue maternelle, parle une autre langue nationale.