LE PERSPECTIVISME CHEZ NIETZSCHE

LE PERSPECTIVISME CHEZ NIETZSCHE

LE PERSPECTIVISME, UNE PHILOSOPHIE DE LA RUPTURE 

A l’instar de Marx et Freud, Friedrich Nietzsche a provoqué une véritable révolution dans l’histoire de la philosophie. En effet, en «philosophe du soupçon», il a opéré une rupture radicale avec une tradition philosophique qui se voulait dialectique et dialectisante et qui accordait à la raison une dimension qui n’était pas la sienne Cette tradition philosophique a mis la raison sur un piédestal, et avec sa méthode dialectique consistant à remonter de concepts en concepts, de propositions en propositions jusqu’aux concepts les plus généraux et aux principes premiers considérés comme immuables et éternels, elle va amener à une uniformisation des valeurs et à la séparation entre le monde sensible, c’est à dire la réalité et le monde intelligible considéré comme le siège des Idées. Et c’est précisément ce contre quoi va s’insurger Nietzsche par son perspectivisme défini dans le LALANDE comme un «nom donné par Nietzsche au fait que toute connaissance est perspective, c’est-à-dire relative aux besoins, et spécialement aux besoins vitaux de l’être qui connaît et qu’en particulier, la nature de la conscience animale exige une représentation du monde générale et conceptuelle qui s’oppose à la réalité profonde et essentiellement individuelle des Mémoire de Maîtrise 6 Le perspectivisme chez Nietzsche êtres»1 . Cette définition du concept de perspectivisme donne toute la mesure et la place de l’interprétation dans la philosophie nietzschéenne. Interpréter signifie ici: déterminer la force qui donne sens à la chose. Et c’est précisément cette possibilité d’interprétation qui peut libérer l’homme de dialectique et lui donner la preuve de la multiplicité des possibilités de vie, le débarrassant ainsi de «cette ridicule immodestie de décréter à partir de notre angle que seules seraient valables les perspectives à partir de cette angle. Le monde au contraire nous est redevenu ‘infini’ une fois de plus pour autant que nous ne saurions ignorer qu’il renferme une infinité d’interprétations » . C’est cette multiplicité des possibilités d’interprétations qui nous est donnée qui a fait dire à Paul Valadier, à propos du perspectivisme, qu’il «s’impose nécessairement comme pensée épistémologique d’un monde (re)devenu infini, délivré des approches et des systématisations unilatérales et susceptibles de relever au contraire de plusieurs approches[…] » . Mais ce «décentrement», pour parler comme Pascal, nous entraîne dans un profond nihilisme appelé à être surmonté . En effet, avec l’ouverture des perspectives issues de la cassure des fondements, un vide est perpétuellement ouvert ; et il s’agit de l’affronter et de le combler. C’est sans nul doute cette nécessité de vaincre le nihilisme qui pousse Jacqueline Russ à affirmer que «Nietzsche remarque que le nihilisme est soit symptôme de force croissante force de créer et de vouloir, soit symptôme de Le perspectivisme chez Nietzsche faiblesse croissante. Donc, il y a dans le nihilisme, deux possibilités : la force et la maîtrise de soi, mais aussi l’affaiblissement. Il y a le nihilisme donateur et créateur, mais aussi le nihilisme qui veut simplement le rien : le nihilisme conçu comme puissance accrue de l’esprit, le nihilisme actif, mais aussi le nihilisme envisagé comme régression de la force spirituelle, le nihilisme passif» . Le nihilisme comme«puissance accrue» désigne ici le nihilisme actif qui, ayant détruit toutes les valeurs, se veut créateur de valeurs nouvelles. Cette image du nihilisme actif comme possibilité d’une émergence de nouvelles tables de valeurs nous est offert dans la troisième métamorphose de l’esprit c’est à dire celui de l’enfant qui va devenir créateur de valeurs nouvelles. En effet, l’esprit passe d’abord par une première métamorphose où il devient chameau et accepte toutes les charges c’est -à-dire toutes les valeurs établies. Ensuite il devient lion dans le désert et dit non à toutes ces valeurs, mais, ce « non » du lion n’est pas décisif puisqu’il remplace ces valeurs par des valeurs «humaines, trop humaines». Ce qui peut déboucher sur le nihilisme passif qui après la perte de sens et du sens de la vie veut simplement le rien (nada); tel est l’image du bouddhisme. A ces deux nihilismes, à savoir le nihilisme négatif et le nihilisme passif, s’ajoute un troisième c’est-à-dire le nihilisme réactif qui établit l’homme comme fondement des valeurs. Mais il faut noter que ce nihilisme est inachevé et il faut aller au delà même du nihilisme, c’est-à-dire le dépassement même du nihilisme. 

LA RUPTURE AVEC LA« TYRANNIE DE LA RAISON»

 La raison, considérée comme ce qui nous différencie des animaux, est cette faculté de connaître, de juger qui est à la base de toute forme de connaissance. Elle occupe donc une place importante dans la vie de l’homme. C’est ainsi que la philosophie qui, se prenant pour une connaissance de la totalité s’est toujours appuyée sur cette dernière dans son développement, comme dans la philosophie de Socrate qui dans sa tension vers le monde intelligible se sert de la perche sotériologique que constitue la raison par opposition à l’instinct qui nous retient au corps et, par là, à la terre c’est-à-dire au monde sensible. De même, Descartes, en établissant une philosophie de la conscience, met la raison sur un piédestal, et en fait l’instance législatrice et la seule faculté permettant d’accéder à la vérité. Mais avec Nietzsche nous assistons à un nouveau rapport de la raison et de la philosophie. En effet, pour Nietzsche, la raison doit revenir à plus de modestie. Pour ce faire, il faut rompre avec la «tyrannie de la raison» et revenir au corps ; ce qui ne signifie pas rompre totalement avec la raison pour tomber dans l’animalité, mais redonner au corps plus de dignité.

 PERSPECTIVISME ET DIALECTIQUE: NIETZSCHE CONTRE SOCRATE 

Nietzsche met en place sa vision perspectiviste de la vie, renonçant ainsi à Mémoire de Maîtrise 9 Le perspectivisme chez Nietzsche toute forme de dialectique, car selon lui «les penseurs, selon lesquels tous les astres se meuvent de façon cyclique, ne sont pas les plus profonds: qui regarde au dedans de soi-même comme à l’intérieur d’un immense univers et porte en soi des voies lactées, sait aussi combien irrégulières sont toutes les voies lactées: elles conduisent jusqu’au fond du chaos et du labyrinthe de l’existence»5 . Cela nous conduit d’emblée à la constatation d’un monde labyrinthique c’est-à-dire un monde en perpétuel changement où la fixité n’a pas de sens et où les limites et les barrières n’ont plus de sens non plus, et où le pluralisme et l’empirisme ouvrent toutes les perspectives. En d’autres termes un monde où l’homme est confronté à un décentrement permanent de la vie. Le pluralisme, qui est considéré comme «une doctrine selon laquelle les êtres qui composent le monde sont multiples, individuels, indépendants et ne doivent pas être considérés comme de simples modes ou phénomènes d’une réalité unique et absolue.»6 dans le Lalande, se pose en s’opposant à ce mode de pensée socratique qui considère le cosmos comme étant clos et où existent l’ordre et la mesure empêchant ainsi une ouverture des perspectives et l’impossibilité de percevoir l’horizon. De même, avec l’empirisme nous assistons à un retour au monde et à l’expérience sensible, rompant ainsi avec les «anciennes philosophies» qui considèrent ce monde-ci comme un monde d’apparences, qui ne serait que la«pâle copie » du véritable monde, c’est-à-dire celui des essences pures. Le perspectivisme chez Nietzsche effet, «toutes ces anciennes philosophies ne se proposent autre chose que de découvrir des valeurs immobiles, d’ordre logique, théologique ou moral, pour leur soumettre et pour y encadrer la vie et l’activité des hommes»7 . Ces propos de Jules de Gaultier se retrouvent dans la pensée de Socrate, surtout dans sa morale qui est, poursuit l’auteur, «une attitude de malade, de dégénéré, une réaction commandée par la nécessité de faire face à l’anarchie des instincts.»8 . Qui est Socrate? Répondre à cette question nous permettrait de mieux connaître cette pensée et cette morale socratique. Si nous posons avec Nietzsche qu’«on a nécessairement la philosophie de sa propre personne »9 , et si c’est compte tenu de notre nature intime, que nous philosophions et établissions des valeurs morales; nous saurons alors que «le travestissement inconscient de besoins physiologiques sous les masques de l’objectivité, de l’idée, de la pure intellectualité, est capable de prendre des proportions effarantes- et je me suis demandé assez souvent (affirme Nietzsche) si, tout compte fait, la philosophie jusqu’alors n’aurait pas absolument consisté en une exégèse du corps et un malentendu du corps ». Cette affirmation de Nietzsche, mettant en exergue les possibilités du corps au détriment de la raison pure sera d’autant plus claire quand nous aurons étudié avec minutie la figure de Socrate dans la pensée nietzschéenne.  Le perspectivisme chez Nietzsche constitue l »histoire du monde», car renonçant à la manière de philosopher qui lui était antérieure, c’est-à-dire celle des présocratiques, mais aussi de ses contemporains les sophistes reconnus pour leur érudition et leur grande connaissance de la nature humaine. Il influencera et cela de façon extraordinaire toute la philosophie ultérieure. Cette influence se remarquera dans la philosophie platonicienne particulièrement. D’où la critique acerbe que lui inflige la pensée nietzschéenne. Cela fera dire à Gilles Deleuze que:«l’opposition de Nietzsche à Socrate s’inscrit dans cette optique de lutte contre toute forme de dépréciation de la vie. En effet, la figure de Socrate, telle qu’elle est décrite dans l’œuvre de Nietzsche, donne toute l’ampleur de cette haine pour la vie qu’il manifeste»12, cette figure de Socrate présente une anomalie foncière qui confirme cette haine pour la vie. En effet, chez Socrate nous assistons à une malformation qui sera déterminante dans sa pensée, car, comme nous le dit Nietzsche lui-même, «tandis que chez tous les hommes productifs, l’instinct est une force affirmative et créatrice, et la conscience une force critique et négative, chez Socrate, l’instinct devient critique et la conscience créatrice»13. Cette hypertrophie de la raison chez Socrate est le symptôme d’une maladie qui le gangrène et à laquelle il veut faire payer le prix à l’humanité. L’examen clinique de Socrate nous permet de saisir deux aspects importants de sa personnalité qui sont tributaires de sa nature intime ; d’une part, 11 F.Nietzsche, La naissance de la tragédie, ed Gallimard, Brodard et Taupin (Sarthe), Le perspectivisme chez Nietzsche il présente une monstruosité foncière, une malformation qui est à l’origine de l’hypertrophie de la raison ; d’autre part il manifeste une domination par l’esprit qui fait de lui un génie de l’antiquité grecque. En effet, Socrate est un véritable génie puisqu’il a pu renverser toute l’histoire de la pensée occidentale et par la même occasion, il lui a imprimé une direction qui convenait à sa nature de décadent et de malade. Socrate est le premier génie de la décadence: il oppose l’idée à la vie, il juge la vie par l’idée, il pose la vie comme devant être jugée, justifiée, rachetée par l’idée. Ce qui a fait dire à Jacqueline Russ que « si Socrate a choisi la dialectique, c’est en raison d’une dépréciation de ce monde-ci. Socrate signale la venue de la décadence, qui, nous le savons, annonce le nihilisme»14. Ce qu’il nous demande, c’est d’arriver à sentir que la vie, écrasée sous le poids du négatif, est indigne d’être désirée pour elle-même, éprouvée en elle-même. L’opposition que Nietzsche établit entre Socrate et Dionysos s’inscrit dans le projet général de redonner à la vie ici bas toute sa valeur. Une opposition qui devient dans ce cas celle du tragique et du théorique. Le tragique qui remonte dans la tradition hellénique qui mettait en scène deux tendances opposées à savoir le dionysiaque et l’apollinien. En effet, si le dionysiaque revendique l’exaltation des sens et la démesure, l’apollinien, par contre, veut l’ordre et la mesure. Socrate détruit cette dualité et valorise l’ordre et la mesure au point de vouloir la mort afin de s’élever vers le monde des idées. 

 PERSPECTIVISME ET RATIONALISME: NIETZSCHE CONTRE DESCARTES 

La figure de Socrate décrite ci-dessus relègue l’instinct, c’est-à-dire cette partie qui se rattache le plus au corps, au second plan, et affirme la suprématie de la raison. Tandis que chez Descartes seule la raison est prise en considération, car, affirme -t-il, «les sens sont trompeurs»19.Les sens nous trompent, car le corps est sujet à des changements, de même que le monde est soumis au mouvement. Ce qui fait que les sensations et les perceptions différent d’une personne à une autre. Par exemple entre un malade et un homme sain les sensations de goût peuvent être tout à fait différentes. Seule la raison, qui se trouve en chaque individu, peut mener à des conclusions générales et universelles, ce qui pousse Descartes vers une philosophie de la conscience qui, faisant abstraction des sens, du corps, donne toutes les prérogatives, c’est-à-dire tous les droits à la raison. Mais l’individu n’est pas seulement raison, car le corps participe pour beaucoup de l’affirmation de l’individu. En effet à l’opposé de la philosophie Cartésienne de la conscience cartésienne, Nietzsche propose une philosophie où le corps est valorisé, une valorisation du corps qui ne vas sans la volonté de remettre la conscience à sa place. Le perspectivisme chez Nietzsche Nietzsche à dire que:«la conscience est la dernière et la plus tardive évolution de la vie organique, et par conséquent ce qu’il y a de moins accompli et de plus fragile en elle. C’est de la vie consciente que procèdent d’innombrables faux pas, actes manqués qui font qu’un animal, un être humain périssent avant qu’il n’eût été nécessaire». Afin de mieux saisir le caractère superficiel de la conscience et les risques qu’elle peut faire courir à la structure réelle que constitue ici le corps, nous allons réfléchir d’abord sur son origine, ensuite sur sa nature, sur sa fonction et éventuellement voir si elle a une valeur. Remonter aux origines de la conscience, c’est revenir à ce vieux débat sur le rapport entre le corps et la conscience. Corps et conscience sont-il indissolublement liés? En termes d’antériorité, quel est le premier? Pour répondre à ces questions, nous allons analyser la conscience et voir son origine. Nietzsche pense que : «l’émergence de la conscience,(…), est l’effet individuel d’un processus collectif dans lequel se combinent des facteurs multiples et hétérogènes : conditions naturelles, sentiment de la dette, retournement de l’agressivité sur soi , ‘effet de troupeau’». Tous ces facteurs sont réactifs, ce qui pose d’emblée la conscience comme quelque chose de négatif. La genèse de la conscience semble indissociable du «devenir- maître» de l’homme, de sa capacité à répondre de soi-même. Le perspectivisme chez Nietzsche toute vie en société, toute vie de l’homme parmi ses semblables. En effet, la conscience s’étant développée sous la pression du besoin de communication, elle installe l’homme dans les dispositions de faire face à l’entourage. De ce fait qu’est ce que la conscience? Deleuze nous en donne une définition qui nous permet de mieux en saisir la nature: «la conscience est toujours conscience d’un inférieur par rapport au supérieur auquel il se subordonne ou ‘s’incorpore’. La conscience n’est jamais conscience de soi, mais conscience d’un moi par rapport au soi, qui, lui, n’est pas conscient»22. Ce qui nous pousse à la constatation de l’existence d’un inconscient qui joue un rôle déterminant au niveau du psychisme et intervient dans toutes les activités de l’homme. En effet, Deleuze poursuit en affirmant que:«Nietzsche distingue deux systèmes de l’appareil réactif: la conscience et l’inconscient »23. L’émergence de la conscience et son développement proviennent de cette nécessité de vivre avec ses semblables. Alors qu’il y a plusieurs sortes d’inconscients, l’activité, par nature, est inconsciente, de même qu’il y a un inconscient réactif qui est le propre des forces réactives. Mais ce qu’il faut noter, c’est que ces deux systèmes de l’appareil réactif que sont la conscience et l’inconscient n’agissent pas séparément, c’est-à-dire qu’ aucun n’est indépendant, en fait il y a une interdépendance dynamique entre ces deux systèmes, qui crée une synergie et évite les empiétements de domaines. Le perspectivisme chez Nietzsche Ces empiétements sont impossibles compte tenu de la faculté d’oubli qui sert de gardienne ou de ‘surveillante’ empêchant de se confondre les deux systèmes de l’appareil réactif. Ce qui fait de l’oubli une force active et positive, car, il appuie la conscience et en reconstitue à chaque instant la fraîcheur, la fluidité, l’élément chimique mobile et léger. La capacité d’oubli permet à l’homme de percevoir l’écoulement du temps et l’enchaînement des évènements qui jalonnent son existence. Ce qui fait dire à Nietzsche que : «l’oubli est la condition du bonheur»25 de l’homme. Car l’oubli permet à l’homme de ne pas se souvenir continuellement des choses passées. Apres avoir analysé ces deux systèmes de l’appareil réactif que sont la conscience et l’inconscient et étudié le médium qui empêche de se confondre ces deux systèmes à savoir l’oubli; il s’agit maintenant de voir qu’elle est la fonction de la conscience dans cet appareil réactif. Pour se faire, nous nous référerons à l’analyse nietzschéenne qui pose que «la conscience en général ne s’est développée que sous la pression du besoin de communication[…] dès le debut elle n’était nécessaire et utile que dans les rapports d’homme a homme ( particulièrement entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent) et […] elle ne s’est développée qu’en fonction du degré de cette utilité», d’où la superficialité de la conscience. Une superficialité qui s’explique par le fait qu’elle émane du corps et que tout le primat doit être accordé à ce dernier. Le perspectivisme chez Nietzsche rationalisme[…] qui ne reconnaissait d’autorité qu’à la seule raison; mais la raison n’est qu’un instrument, et Descartes est superficiel »27. La raison, est l’instrument du corps au sens où tout provient du corps. A cette superficialité donc, Nietzsche oppose une profondeur qui est caractéristique de sa pensée. En effet, Descartes, à travers sa métaphore de l’arbre, pose une philosophie dont les fondements, c’est-à-dire les racines de l’arbre philosophique, sont la métaphysique, le tronc la physique et les branches qui se dégagent de ce tronc sont la médecine, la mécanique et la morale. Et si nous savons que l’entreprise nietzschéenne consiste à interroger un système philosophique dans ses fondements même, en tant que ses fondements masquent ses présupposés, ici il s’agit d’aller en profondeur. Descendant jusqu’au doute cartésien lui-même, Nietzsche, de même que les autres philosophes du soupçon à savoir Marx et Freud, pose le doute sur la conscience ce qui fait dire à Paul Ricœur que« si l’on remonte à leur intention commune, on y trouve la décision de considérer d’abord la conscience dans son ensemble comme ‘conscience fausse’. Par là, ils reprennent chacun dans un registre différent, le problème du doute cartésien pour le porter au cœur même de la forteresse cartésienne. Apres le doute sur la chose nous sommes entrés dans le doute sur la conscience » Le perspectivisme chez Nietzsche outil et un petit jouet de ta grande raison…Le corps créateur s’est donné l’esprit comme une main de sa volonté.»29. Nietzsche veut nous faire comprendre par là que tout ce qui se dévoile à travers la conscience n’est que le texte larvé du langage du corps qui, lui, est plus authentique c’est-à-dire plus véridique. Cette revalorisation du corps amène la raison à plus de modestie.

L’IDEALISME ALLEMAND COMME« NIHILISME REACTIF» 

L’idéalisme est une philosophie qui réduit la réalité à l’être et l’être à la pensée. D’où l’adéquation de la pensée avec la réalité. Kant peut être considéré comme l’initiateur de ce grand idéalisme allemand. Un idéalisme qui comprend des auteurs comme Fichte et Schelling qui sont des héritiers de Kant, mais Hegel accomplit les germes de cet idéalisme allemand et le clos. Ce qu’il faut toute fois noter, c’est que cette idéalisme, en ce qu’il détache l’homme de la réalité sensible et le pose comme fondement de toutes les valeurs, se rapporte au«nihilisme réactif». Car le nihilisme réactif pose l’homme comme créateur de valeurs nouvelles. Tandis que le nihilisme incomplet signifie la projection de nouvelles valeurs dans l’ancien lieu du sacré. Un nihilisme incomplet donc, qui ne va pas jusqu’au bout c’est-à-dire jusqu’au nihilisme créateur du surhomme. Et c’est précisément ce nihilisme actif et destructeur que revendique Nietzsche dans l’exubérance d’une volonté de puissance affirmative et créatrice de nouvelles tables de valeurs. 

 PERSPECTIVISME ET CRITICISME: NIETZSCHE CONTRE KANT 

L’opposition nietzschéenne au criticisme kantien se situe principalement au niveau de l’approche critique, car si tous les deux posent une philosophie Le perspectivisme chez Nietzsche critique, la critique nietzschéenne est plus radicale. Parlant de cette différence dans l’approche critique, Philippe Raynaud affirme que:«l’objection centrale de Nietzsche contre Kant, très souvent reprise depuis, est que la philosophie kantienne n’est pas une vraie critique parce qu’elle ne porte que sur le contenu ‘dogmatique’ des croyances théologiques ou métaphysiques, sans atteindre l’idéal qui y correspond.»30. Nietzsche assume entièrement l’exigence d’indépendance de l’esprit et de lucidité qui inspire le credo des Lumières. Si les écrivains du XVIIe siècle avait admis longtemps l’autorité des anciens et des règles, des règles qui avaient pour but de créer des oeuvres capables de plaire au public ce dernier devant servir d’arbitre souverain; le XVIIIe siècle ou siècle des Lumières, présente un tout autre visage. En effet, ce siècle est caractérisé par le développement des idées philosophiques. Renonçant à construire de grands systèmes ou à s’adresser à la sensibilité, les auteurs de cette époque, exaltés par la perspective d’un progrès dans la condition de l’homme, critiquent la politique, la morale et la religion traditionnelle. Cette liberté d’esprit ne laisse échapper aucun domaine et les libres penseurs, c’est-à-dire ceux qui ne se cantonnent pas dans des vérités ou des systèmes établis, mais renouvellent chaque fois leur mode de pensée et refusent la fixité, se rencontrent un peu partout. Le perspectivisme chez Nietzsche manière de Kant, mais plutôt sur la prétention de celle-ci à s’ériger en instance souveraine donatrice de sens. Parce que n’ayant pas su mener la critique jusqu’au bout et se contentant du respect des valeurs établies Nietzsche le considère comme un philosophe à classer parmi les « ouvriers de la philosophie ». En d’autres termes des philosophes qui se contentent «d’inventorier les valeurs existantes ou de critiquer les choses au nom de valeurs établies»31 de l’avis de Gilles Deleuze. Nietzsche n’a jamais caché que la philosophie du sens et des valeurs qu’il veut mettre en place dut être une critique. Kant n’a pas mener la vraie critique, parce qu’il n’a pas su en poser le problème en termes de valeurs, ce qui constitue une différence considérable avec la philosophie nietzschéenne, qui peut être considérée comme une philosophie des valeurs. En effet, s’agissant de la philosophie nietzschéenne, nous devons au contraire partir du fait suivant : la philosophie des valeurs, telle qu’il l’instaure et la conçoit, est la vraie réalisation de la critique, la seule manière de réaliser la critique totale, c’est-à-dire faire de la philosophie à « coups de marteau». La notion de valeur en effet, implique un renversement critique de toutes les valeurs par lesquelles s’est érigée toute l’histoire des idées occidentales. D’une part, les valeurs apparaissent ou se donnent comme principes: une évaluation suppose des valeurs à partir desquelles elle apprécie les phénomènes. D’autre part ce sont les valeurs qui supposent des évaluations, des « points de vue . Le perspectivisme chez Nietzsche d’appréciation », dont dérive leur valeur elle-même. Le problème critique est: la valeur des valeurs, l’évaluation dont procède leur valeur, donc le problème de leur création. L’évaluation se définit comme l’élément différentiel des valeurs correspondantes: élément critique et créateur à la fois. Les évaluations, rapportées a leur élément, ne sont pas des valeurs, mais des manières d’être, des modes d’existence de ceux qui jugent et évaluent, servant précisément de principe aux valeurs par rapport auxquelles ils jugent. C’est pourquoi nous avons toujours les croyances, les sentiments, les pensées que nous méritons en fonction de notre manière d’être ou de notre style de vie. Il y a des choses qu’on ne peut dire, sentir ou concevoir, des valeurs auxquelles on ne peut croire qu’à condition d’évaluer« bassement », de vivre et de penser « bassement ». Voila l’essentiel : «le haut et le bas, le noble et le vil» ne sont pas des valeurs, mais représentent l’élément différentiel dont dérive la valeur des valeurs elle-meme.

Table des matières

Dédicaces
Remerciements
Liste des abréviations
Introduction générale
A/Première partie:le Perspectivisme, une philosophie de la rupture
Introduction de la première partie
Chapitre I: la rupture avec la «tyrannie de la raison»
I/1 Perspectivisme et Dialectique: Nietzsche contre Socrate
I/2 Perspectivisme et Rationalisme : Nietzsche contre Descartes
CHAPITRE II: L’idéalisme allemand comme «nihilisme réactif»
II/1 Perspectivisme et Certicisme: Nietzsche contre Kant
II/2 Perspectivisme et Idéalisme: Nietzsche contre Hegel
Conclusion de la première partie
B/Deuxième partie: Le Perspectivisme, une philosophie de l’affirmation
Introduction de la deuxième partie
Chapitre I : Le nouveau rapport entre le savoir et la vie
I/1La connaissance au service de la vie
I/2L’illusion du savoir
Chapitre II La revalorisation de l’art et la pensée de l’«éternel retour» des choses
II/1 Et si les artistes revenaient dans la cité ?
II/2 Vers une pensée de l’«éternel retour»
Conclusion de la deuxième partie
Conclusion générale
Bibliographie

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