Le professionnisme pour la reconnaissance sociale de la profession

La professionnalisation en trame de fond

Plusieurs éléments qui sont en trame de fond de cette problématique liée à l’absence de référentiel de compétences pour les professionnels de l’enseignement supérieur passent par le carrefour de la professionnal isation de l’enseignement. Pourquoi parle-t-on encore de professionnalisation en éducation de nos jours? Sans doute, en partie, parce que ce processus constitue un enjeu pour l’ex istence, la survie et le développement de la profession enseignante. La sociologie a largement exploré le thème des professions. De nombreux auteurs ont proposé différentes caractéristiques permettant de distinguer une profession d’ un métier, une occupation d’ un travail; de distinguer un professionnel d’ un technicien et enfin, de comprendre le processus de professionnalisation d’une profession. En 1979, Laliberté a décrit la professionnalisation d’une profession comme étant « le processus par lequel des personnes exerçant un travail tentent de définir, de protéger et si possible d’étendre les frontières de leur domaine d’activité, c’est-à-dire de leurs actes et de leur clientèle» (p.25). Selon Bourdoncle (1994) « une profession est une activité qui définit elle-même ses conditions d’exercice, recrute et forme ses futurs membres, fait sa propre police, à l’aide d’ un code et d’ un conseil d’éthique professionnelle, bref une activité qui en s’appuyant sur son expertise qui la rend difficilement maîtrisable de l’extérieur, arrive à échapper en large partie au contrôle de ses clients et même à celui de l’État » (p.19).

Bien que plusieurs auteurs (Baynham, 2000; Candlin, Gollin, Plum, Spinks, StuartSmith. 1998, cité par Nicoll et Harisson 2003; Lea et Street, 2000) soulèvent que la diversité des pratiques des professeurs d’ université provient des attentes qui sont différentes en fonction de la discipline enseignée, il nous apparaît que la pédagogie constitue le point commun à l’enseignement de toutes les disciplines. La professionnalisation en enseignement est, comme le soulignent Wentzel, Lussi Borer et Malet (2015), « un phénomène de convergence culturelle autour d’ une redéfinition des attentes vis-à-vis des systèmes d’enseignement et, par conséquent, vis-à-vis des professionnels experts qui ont la responsabilité d ‘éduquer, de former ou encore de s’adapter aux changements» (p.5). Nous proposons de décliner la professionnalisation en trois dimensions qui s’inscrivent dans différentes logiques, lesquelles sont articulées les unes par rapport aux autres: 1) la dimension sociale; 2) la dimension intrinsèque et 3) la dimension éthique. Ces trois dimensions sont nommées par certains auteurs comme étant: 1) le professionnisme (Bourdoncle, 1991); 2) la professionnalité (Barbier, 2003) et 3) le professionnalisme (Gasibirege, 1993; Bourdoncle, 1994) permettent de définir et de préciser le concept de professionnalisation. De l’analyse de ces trois dimensions émergeront des éléments qui nous apparaissent être au coeur du processus de définition de la profession enseignante et, par conséquent, fortement en relation avec la problématique reliée à l’ absence de référentiel de compétences en pédagogie de l’ enseignement supérieur.

Première dimension: le pressionnisme … pour la reconnaissance sociale de la profession Ce que Bourdoncle (1991) désigne comme étant le « professionnisme » est un processus externe d’affirmation d’ un groupe professionnel revendiquant un certain nombre de caractéristiques qui ont été attribuées à leur profession par des études de sociologie des professions. Lang (1999) parle d ‘ une « stratégie de positionnement social » (p. 28) à l’ intérieur d’un processus sociologique dynamique et évolutif. Le concept de professionnisme, en lien avec la professionnalisation, apporte un éclairage sur l’émergence et la structuration de groupes sociaux organisés et autonomes qui contrôlent l’accès à une profession et à son exercice. Le groupe de professionnels exerce un contrôle sur la profession et définit un ensemble de conduites collectives qui permettent de projeter une image constamment rehaussée de la profession de façon à amél iorer l’opinion et la perception sociale (Lemosse, 1989). Ainsi, la progression vers un statut plus élevé et plus noble sera facilitée, puisque, comme le souligne Martineau (1999), « les professions sont des construits sociaux et, par conséquent, c’est la reconnaissance sociale et non la validité des savoirs et l’ idéal de service qui départage les occupations professionnalisées de celles qui ne le sont pas » (p.15).

Déjà, dans les années 1970, on reconnaissait que dans les universités, là où le statut de professeur est le plus élevé, ce statut est généralement davantage lié à l’aptitude à la recherche qu ‘à l’aptitude à l’enseignement (Paul, 1979). Un constat renouvelé par Elton (2009) qui remarque la persistance d’une dichotomie entre la fonction de recherche et la fonction d’enseignement. Cette dichotomie a conduit à un système de valeurs où, selon cet auteur, la fonction de recherche est considérée comme nettement plus prestigieuse que la fonction d’enseignement. Ainsi, le mouvement de la professionnalisation de l’enseignement supérieur, dans sa dimension de professionnisme, pourrait passer par la valorisation de l’activité d’enseignement des professeurs et non uniquement par la valorisation de l’activité de recherche. Un groupe aura une existence en tant que profession s’il parvient à conquérir un espace professionnel et à le contrôler. Cet espace se concrétise dans la reconnaissance du droit d’un professionnel d’être investi du pouvoir exclusif d’exercer un acte professionnel. C’est donc à la dimension professionnisme que nous devons l’apparition des actes professionnels réservés et le champ de compétences professionnelles (là où le terme compétence prend le sens de « juridiction ») qui permettent, par exemple, à un ordre professionnel de réserver un territoire de pratique à ses membres. Prétendre à ce qui s’appelle un droit d’exercice exclusif s’accompagne généralement de la revendication de reconnaissance de l’autonomie des professionnels. Le statut et l’autonomie professionnelle, « bien que n’étant pas exempts de dimensions pragmatiques, reposent sur des stratégies de reconnaissance où le savoir est étroitement lié au pouvoir » (Martineau, 1999, p.9). li apparaît donc que la reconnaissance sociale de la valeur de la formation, laquelle peut découler de l’universitarisation de celle-ci, se trouve ainsi liée à l’autonomie que la société accordera aux acteurs de la profession.

Deuxième dimension: le développement d’une « professionnalité» Outre le professionnisme, le concept de professionnalisation recouvre le processus interne de construction des compétences nécessaires à l’ exercice d’ une profession; le développement de la professionnalité. La professionnalisation pri se dans la perspective de la professionnalité est, selon Barbier (2003), le sens relié à l’ ingénierie de la formation ou au processus de développement de la profession dans l’ individu. C’est ce que l’on pourrait appeler la profession dans sa dimension intrinsèque. Pour développer la professionnalité, il s’agit de concevoir des actions, des dispositifs, des systèmes de formation finalisés qui s’ articulent autour d’un référentiel des activités professionnelles puisqu ‘ elles obligent la maîtrise d’ un ensemble d’ activités professionnelles réelles et spécifiques à la profession (Barbier, 2003). L’ autonomie est, selon de nombreux auteurs (Bourdoncle, 1994 ; Gohier, Anadon, Bouchard, Charbonneau et Chevrier, 1999; Perron, 1993; Paquay 1994; Novoa, 1994; Martineau, 1999), l’ un des éléments importants de la professionnalité enseignante, car elle permet, avec l’ expertise, selon Bourdoncle (1994), de distinguer une profession d’ un métier. Il est admis que même s’ils sont tenus par des programmes nationaux, par un projet éducatif (qu ‘ il soit national, local ou institutionnel) et par des règles politiques déterminées par les gouvernements, les professionnels de l’ enseignement « conservent une large part d’appréciation personnelle » (Bouchard, 1997, p.118).

Le statut et les compétences développées leur confèrent la légitimité pour réaliser de façon autonome et responsable, des actes professionnels dans un cadre éthique (Paquay, 1994). En d’autres mots, comme le mentionne Carbonneau (1993), « l’enseignant est appelé à de plus en plus de souplesse et de flexibilité, qui ne seraient possibles que dans un contexte d’autonomie et de responsabilité typique des pratiques professionnelles. » (p. 38). Le professionnel est donc une personne autonome qui pose des actes professionnels et qui est investie de la responsabilité de ses jugements et de ses décisions (Lessard, Tardif et Lahaye, 1991). Pour Carbonneau (1993), « une profession est caractérisée par un acte spécifique impliquant une activité intellectuelle » (p. 35); pour d’autres (Lessard et al., 1991; Johnson, 1979; Lainé 2005; Charaudeau, 2000 cité par Beacco, 2007) l’acte professionnel est étroitement lié au jugement du professionnel. Posé en situation complexe, il engage donc le professionnel à exercer ses compétences et à mobiliser un ensemble de ressources dans son champ d’ intervention. Ces ressources, des connaissances et des habiletés, mises en oeuvre dans l’acte professionnel , ne sont pas accessibles à tous; elles constituent la base de l’expertise du professionnel. Les actes professionnels sont les compétences distinctives du professionnel. L’absence de référentiel de compétences en pédagogie de l’enseignement supérieur constitue donc une forme de barrière au développement de la professionnalité des professionnels de l’enseignement supérieur.

Troisième dimension: le professionnalisme

La professionnalisation de l’enseignement ne saurait se limiter à l’ appartenance à un groupe de professionnels socialement reconnus (dimension professionnisme) et au développement de compétences (dimension professionnalité). La professionnalisation est aussi un processus de socialisation professionnelle permettant à l’ enseignant de développer graduellement son identité professionnelle, d’assimiler progressivement son rôle professionnel, de même que d’ acquérir des valeurs et des attitudes qui constituent la culture du groupe qu’ i 1 aspire à intégrer (8ourdoncle, 1994). Le professionnalisme enseignant constitue le fondement du contrat social entre la société et les enseignants (Conseil supérieur de l’ éducation, 1991). Au coeur de ce contrat social, se trouve la reconnaissance du caractère professionnel de l’ acte d’enseigner. Bien que les concepts de professionnalisme et de professionnalité entretiennent des liens étroits et que l’appréciation de l’enseignant pour le bilan de ses compétences est intimement liée à son identité professionnelle, il apparaît que le développement du professionnalisme va au-delà de l’identité professionnelle individuelle.

Le professionnalisme s’inscrit dans la perspective de ce que Bacon (1999) identifie comme le Soi professionnel qui est « un système multidimensionnel comprenant les relations de l’individu envers soi-même et envers les autres signifiants dans son champ professionnel » (p.114). Le professionnalisme serait donc, en quelque sorte, le Soi professionnel collectif de la profession enseignante. Legault (1996) cite le sociologue René Larouche qui propose une définition du concept de professionnalisme qui met l’accent sur deux aspects: 1) l’acquisition des connaissances théoriques et pratiques nécessaires (lesquelles nous apparaissent être des ressources à mobiliser dans les compétences) et 2) le processus par lequel les professionnels « intériorisent progressivement les valeurs privilégiées par la collectivité occupationnelle à laquelle ils appartiennent, et adoptent les attitudes ainsi que les comportements qu’ils devront privilégier dans l’exercice de leurs fonctions professionnelles » (p. 96). En ce sens, pour Heeb et Habery-Knuessi (2015), lorsqu ‘ il est question de compétences, « l’éthique est le terreau indispensable dans lequel la compétence doit prendre racine si elle veut porter le fuit d’ un engagement professionnel pérenne » (Heeb et Habery-Knuessi , 2015, p. 26).

Table des matières

REMERCIEMENTS
LISTE DES FIGURES
RÉSUMÉ
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 PROBLÉMATIQUE
1.1 La professionnalisation en trame de fond
1.1.1 Première dimension : le professionnisme… pour la reconnaissance sociale de la profession
1.1.2 Deuxième dimension: le développement d’une « professionnalité»
1.1.3 Troisième dimension: le professionnalisme
1.1.4 La formation professionnalisante
1.2 Modélisation de la problématique par la méthode des systèmes souples
1.2.1 Client
1.2.2 Acteurs
1.2.3 Tâches des acteurs pour la transformation du système d’activités hUlnaines
1.2.3.1 Tâches des professionnels de l’enseignement supérieur.
1.2.3.2 Tâches des étudiants
1.2.3.3 Tâches des concepteurs de programme de formation pédagogique.
1.2.3 .4 Tâches des conseillers pédagogiques
1.2.3.5 Tâches des directions d’établissement d’enseignement supérieur
1.2.3.6 Tâches des ministères de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur
1.2.3.7 Tâches des chercheurs universitaires
1.2.4 Weltanschauung (vision du monde)
1.2.5 Owner
1.2.6 Environnement
1.3 Conclusion du chapitre problématique
CHAPITRE II CADRE THÉORIQUE
2.1 Constat 1 : la compétence est une action ..
2.2 Constat 2 : la compétence est une action réflexive
2.3 Constat 3 : la compétence est une mobilisation de ressources
2.4 Constat 4 : la compétence est une action en situation
CHAPITRE III MÉTHODOLOGIE
3.1 Comparatif de différentes méthodologies de recherche
3.1.1 Recherche-action
3.1.2 Recherche collaborative
3.1.3 Recherche développement
3.2 Modèle de recherche développement d’Harvey et Loiselle (2009)
3.2.1 Phase 1 : Origine de la recherche
3.2.2 Phase 2 : Référentiel
3.2.3 Phase 3 : Méthodologie
3.2.4 Phase 4: Opérationnalisation
3.2.5 Phase 5 : Résultats
3.3 Conclusion du chapitre méthodologie
CHAPITRE IV RÉSULTATS
4.1 Plan ifier l’enseignement et l’apprentissage
4.1.1 Planification globale (espace temporel long, contenu global)
4.1.2 Planification spécifique (microplanification)
4.2 Concevoir un environnement d’apprentissage
4.2.1 Sélectionner les méthodes et les stratégies pédagogiques
4.2.2 Maintenir les apprenants en action
4.2.3 Soutenir le transfert des apprentissages
4.3 Gérer des ressources
4.3.1 Gérer le temps
4.3.2 Gérer l’espace physique
4.3.3 Gérer le Inatériel ..
4.4 Interagir et gérer les interactions
4.4.1 Établir et maintenir des relations positives
4.4.2 Communiquer
4.4.3 Énoncer des consignes claires
4.4.4 Questionner les étudiants
4.4.5 Favoriser les interactions dans un groupe
4.4.6 Créer et maintenir un climat propice aux apprentissages
4.5 Réguler la progression des apprentissages
4.5.1 Soutenir la motivation
4.5.1.1 Démontrer la valeur des tâches proposées
4.5.1.2 Favoriser la perception de compétence (self efficacy)
4.5.2 Rappeler les connaissances antérieures
4.5.3 S’adapter aux étudiants
4.5.4 Formuler la rétroaction
4.5.5 Favoriser l’autonomie
4.5.5.1 Soutenir l’autorégulation du processus d’apprentissage par l’ apprenant
4.6 Évaluer les apprentissages
CONCLUSION
RÉFÉRENCES

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