Le récit des origines de l’homme

Le récit des origines de l’homme 

S’il existe une question existentielle fondamentale pour l’homme, c’est bien celle de sa propre origine – comment il a été créé et est devenu un être pensant et civilisé. Cela constitue la problématique inhérente aux nombreux mythes de création qui sont nés à travers les siècles. Avec les découvertes archéologiques et scientifiques, l’être humain en est cependant venu à concevoir son existence de façon terre à terre, mettant peu à peu les mythes de côté. Pourtant, l’on constate toujours une fascination pour ces histoires sur la genèse du monde, de la vie et de toutes choses. Si l’on peut concevoir sans difficulté la manière dont l’homme primitif appréhendait le monde, le recours au mythe ne saurait avoir le même sens aujourd’hui. C’est justement pour en interroger la signification profonde et en détailler les modalités narratives que notre thèse se propose d’examiner le récit des origines à travers son actualisation dans deux œuvres contemporaines : Les Enfants de l’Atlantide de Bernard Simonay et Troisième humanité de Bernard Werber. Ces séries science fictionnelles tirant sur le néo-fantastique évoquent un passé qui précède l’histoire, un passé qu’elles rapprochent du mythe. Elles témoignent d’un effort de conciliation de récits appartenant à de nombreuses mythologies, notamment en incluant plusieurs personnages portant le nom d’une divinité grecque, aztèque, nordique, égyptienne, celte, mésopotamienne, hindoue, etc. Ce faisant, ces œuvres abolissent les barrières instaurées entre les religions depuis le début des temps en réunissant leurs mythes dans une même histoire de l’humanité, fusionnant les différentes versions du passé de l’homme pour n’en faire qu’une. Werber et Simonay actualisent également les mythes en les modifiant par l’utilisation de la science et de la pseudoscience , ce qui facilite leur réception dans la société contemporaine. Ils présentent le récit originel de façon ludique, n’hésitant pas à le déformer grâce à différentes stratégies. Ils s’amusent à suggérer que toutes les religions auraient pu naître d’une même histoire et que celle-ci se serait diversifiée en fonction de la société qui l’aurait transmise.

Sans présumer de sa valeur représentative dans l’absolu, on peut à tout le moins envisager un tel corpus comme un banc d’essai pour une réflexion théorique qui vise d’abord à alimenter un processus de création personnel ; cette première partie de la thèse étant le prélude à une expérimentation par l’écriture des enjeux du mythe originel. Ainsi, dans la partie analytique, nous étudierons les mythèmes se rattachant à notre sujet de recherche et nous comparerons leur actualisation au sein des romans qui nous intéressent et avec les récits anciens dont ils s’inspirent. Nous nous servirons de la mythocritique, qui analyse spécifiquement le mythe dans le texte. L’objectif principal étant d’établir une typologie du récit des origines, nous tenterons d’abord d’identifier ses conditions minimales d’existence, lesquellesferont l’objet de nos quatre premiers chapitres : un créateur, la création de l’homme, un paradis, une chute, un courroux divin . L’étude comparative de ces mythèmes au sein de Troisième humanité et des Enfants de l’Atlantide est essentielle dans la poursuite de nos deux premiers objectifs secondaires : elle nous permettra de mieux cerner la structure fondamentale de notre sujet de recherche, mais aussi ce qui est spécifique aux versions contemporaines. Enfin, notre troisième objectif secondaire est de comprendre la fascination pour le récit des origines en confrontant ses éléments essentiels et facultatifs et en allant plus loin que le mythe, à la recherche de ce que son emploi révèle de l’homme et de la société. La thèse adopte une visée analytique et théorique, avec quelques hypothèses touchant les domaines de la sociologie, l’anthropologie et la psychanalyse.

Corpus littéraire 

Le corpus que nous nous proposons d’analyser est composé de deux séries de romans. Les Enfants de l’Atlantide est une œuvre de quatre tomes de Bernard Simonay. À cela, on ajoutera Le Secret interdit, roman indépendant, mais partageant la même histoire de l’homme que les autres . On y rapporte comment, il y a plusieurs millénaires, des extraterrestres ont décidé d’intervenir dans l’évolution de l’humanité en laissant leurs enfants sur Terre afin qu’ils guident les hommes. Le récit prend place en Atlantide, où les humains vivent dans l’harmonie et la joie sous la protection des Titans. Les connaissances que ces êtres ont hérité de leurs parents célestes ont fait de l’Archipel du Soleil le siège d’avancées technologiques surprenantes pour l’époque. Mais surgissent les Géants, des individus maléfiques qui créent la secte des serpents. Celle-ci se bat pour offrir aux hommes les domaines de connaissance qui leur sont interdits par leurs guides. Le combat est finalement remporté par les Géants, qui mènent l’Atlantide à la déchéance. Des siècles plus tard, les extraterrestres reviennent sur Terre et décident d’effacer par un déluge cette civilisation corrompue.

Dans la trilogie Troisième humanité de Bernard Werber, la Terre a une conscience et a tenté, au fil des temps, d’inciter plusieurs races à la protéger des astéroïdes. C’est pour cette raison qu’elle a créé l’homme et qu’elle l’a placé sur une île – l’Atlantide – pour pouvoir lui enseigner tout ce dont elle a besoin. Il s’agissait des Homos gigantis, une espèce de géants dont l’histoire est racontée au passé dans le récit . En communiquant avec eux, la Terre les a guidés dans leur développement et, lorsqu’ils sont devenus capables de fabriquer des fusées pour aller protéger leur planète, chaque tentative s’est terminée en explosion. Ils ont alors conçu en laboratoire des humains plus petits dans l’espoir que les fusées miniatures parviennent à sortir intactes de l’atmosphère. Cependant, les minihumains se sont querellés lors d’une mission à propos de leurs dieux Homos gigantis et l’équipage fut détruit par un météorite qui décima la majorité des géants. Ils s’éteignirent enfin après deux autres catastrophes et la persécution des minihumains, qui s’étaient enfuis sur les continents et étaient devenus barbares.

Le choix des œuvres littéraires est motivé par la richesse de leurs données mythiques liées au mythe des origines et par leur ressemblance structurale dans le traitement que les auteurs font subir au récit des commencements. Ces éléments favoriseront l’analyse des mythèmes qui nous intéressent. Aussi, nous avons choisi d’étudier deux sujets qui se rattachent à notre projet littéraire : l’existence d’une ancienne civilisation étonnamment évoluée et l’influence extraterrestre. Troisième humanité et Les Enfants de l’Atlantide se penchent sur la première situation. La dernière œuvre traite également des visiteurs de l’espace. Par leur exploitation des thèmes de la « Genèse » liés au jardin d’Éden, les romans de Simonay et de Werber partagent beaucoup de caractéristiques communes. L’existence merveilleuse de l’ancien peuple avancé se termine par une grande catastrophe, qui rejoint les épisodes religieux du déluge ou de l’ « Apocalypse ». Cependant, alors que le cœur de l’intrigue des Enfants de l’Atlantide tourne autour de la redécouverte et de la recherche du passé, de ce monde merveilleux et oublié qu’est l’Archipel du Soleil, Troisième humanité s’intéresse plus aux développements du futur, à une troisième espèce d’humains encore plus petite. Par conséquent, l’œuvre de Simonay est beaucoup plus féconde en descriptions du temps des origines que celle de Werber. Il ne faut pas se surprendre qu’une part plus grande de notre analyse soit dédiée aux Enfants de l’Atlantide. Les deux séries témoignent également de préoccupations distinctes, qui expliquent leurs différences dans l’exploitation des mythes. L’œuvre de Werber se soucie principalement de concilier mythe et science, alors que l’autre se penche surtout sur des questions morales. La confrontation des titres à l’étude, par leurs points communs et leurs divergences, nous permettra de mieux évaluer la richesse du récit des origines de l’homme et ainsi d’en établir une typologie détaillée.

Les plus importants ouvrages de notre corpus mythologique traitent des deux versions du mythe des commencements constituant le fondement des séries à l’étude – l’Atlantide et le jardin d’Éden. Contrairement à la majorité des mythes, ceux ci possèdent une source primaire, reconnue : le Timée et le Critias de Platon dans un cas, la « Genèse » dans l’autre. Les nombreux autres mythes dont s’inspirent Simonay et Werber seront décrits au cours de notre analyse. Le Timée, premier des deux textes grecs, en dit assez peu sur l’Atlantide. Il est question d’une guerre que les Athéniens auraient menée contre les ambitieux Atlantes, qui voulaient conquérir le territoire méditerranéen. Athènes en serait sortie victorieuse, après que l’Atlantide, son armée et celle de la Grèce aient été englouties soudainement par les flots lors d’un terrible cataclysme. Le Critias comprend une description détaillée de l’île mythique : sa prise de possession par Poséidon et sa division en dix parties qu’il confie à ses enfants, les richesses de sa faune et de sa flore, la splendeur de sa capitale, la vertu de ses rois, puis leur déchéance. Le récit reste inachevé, coupé sur la résolution de Zeus de châtier les orgueilleux Atlantes. Quant à la « Genèse », seuls deux passages sont réutilisés au sein de notre corpus : le jardin d’Éden et le déluge. Dieu crée le premier homme à partir de matières terrestres et la première femme grâce à un os d’homme. Il place ce couple dans l’Éden, un lieu idéal où il sera bien. Mais un être tentateur – le serpent – convainc Ève de goûter des fruits de l’arbre de la connaissance du bien et du mal – ce qui est formellement interdit – et celle-ci partage ce repas avec Adam. Ils découvrent alors qu’ils sont nus et en sont gênés. Dieu apprend leur désobéissance et les chasse du jardin. Bien plus tard, après que les descendants du couple originel aient commencé à peupler la Terre, le SEIGNEUR constate qu’ils sont devenus mauvais, regrette d’avoir créé l’humanité et décide de l’effacer, à l’exception de Noé – qui démontre encore de bonnes valeurs –, de sa famille et d’un couple de chaque animal. Il fait venir le déluge après que l’arche soit construite. Ainsi, le récit des origines s’achève par la colère de Dieu.

Table des matières

INTRODUCTION
Le récit des origines de l’homme
Corpus littéraire
Définitions préliminaires
Mythe et mythème
Genres de l’imaginaire et mythe
La pseudoscience
Bilan de la production savante
Méthodologie
Projet de création
Contenu des chapitres
CHAPITRE I LES CRÉATEURS ET AUTRES GUIDES
1.1 Gaïa
1.2 Des géants vénérés comme des dieux
1.3 Des passeurs de connaissances
1.4 Des figures divines
1.5 Conclusion
CHAPITRE II LE PARADIS PERDU
2.1 L’Atlantide
2.2 L’Éden
2.3 La perfection des origines
CHAPITRE III LA CHUTE DE L’HOMME
3.1 La transgression de l’interdit
3.2 La guerre
3.3 La déchéance de l’homme
3.4 Conclusion
CHAPITRE IV LE COURROUX DIVIN
4.1 Le déluge
4.2 Autres cataclysmes
4.3 Conclusion
CHAPITRE V TYPOLOGIE DU RÉCIT DES ORIGINES
5.1 Résistance
5.2 Flexibilité de la reprise contemporaine
5.3 Intérêt du récit des origines à l’époque contemporaine
CONCLUSION

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