Le rôle de l’enseignant

Le développement du langage

De nombreux courants et chercheurs se sont interrogés sur l’acquisition et le développement du langage :
1. Le behaviorisme : approche des années 1920 développée principalement par les psychologue Burrhus Frederic Skinner, John Broadus Watson et le linguiste Leonard Bloomfield, elle considère le langage comme un apprentissage, une somme d’habitudes verbales.
2. L’innéisme : courant développé par le linguiste Noam Chomsky et le psychologue Steven Pinker considérant que la faculté de langage est innée et son développement autonome.
3. Le constructivisme : mouvement initié dans les années 1950-1960 par le psychologue Jean Piaget et la linguiste Hermine Sinclair expliquant que le développement du langage nécessite un certain développement cognitif.
4. Le fonctionnalisme : approche développée par le psycholinguiste Slobin démontrant que l’enfant sait qu’on lui parle, qu’il stocke et analyse l’information puis en dégage des principes opératoires qui lui permettent d’apprendre à parler.
5. L’interactionnisme : courant mené par de nombreux linguistes et psychologues tels que Laurence Lentin, Michael Tomasello, Lev Semionovitch Vygotsky, Henri Wallon et Jérôme Bruner. Ils considèrent que le langage est au cœur de l’interaction et l’interaction au cœur du langage. C’est parce que l’on parle à l’enfant que celui-ci apprend à parler.
Bien que les courants soient nombreux, la majorité s’accorde sur le fait que le langage relève de capacités innées et précoces. En effet, les prémices du langage ont d’ores et déjà lieu in-utéro. Le fœtus possède des capacités de discrimination telles que la perception des différents sons (voix, musique, bruit) mais a également la capacité de distinguer et de différencier la voix de ses parents d’après les travaux du docteur Denis Querleu1.
Au stade de nouveau-né, l’enfant a une préférence pour la voix humaine par rapport aux autres sons selon William Condon et Louis Sanders2. Ainsi, son corps le prépare à l’acquisition du langage. De sa naissance à ses 8 mois, on observe une communication préverbale par le biais de gestes et de mimiques. Vers 4 – 5 mois, l’enfant développe des jeux vocaux qui lui permettront dès ses 6 mois d’imiter des schémas simples d’intonations produits par l’adulte. En effet, le nourrisson possède une prédisposition au traitement linguistique par sa précocité de discrimination des sons de la langue, sa discrimination catégorielle et sa reconnaissance de séquences de syllabes à partir de 7 mois. De 7 à 10 mois, on observe ainsi une segmentation des mots mais également une production préverbale par un babillage canonique (répétition de syllabes » de type consonne-voyelle) qui accompagne ses premiers gestes communicatifs. L’enfant passe peu à peu d’une relation duelle (lui et autrui) à une relation triadique (lui, autrui, un objet). L’attention conjointe se développe peu à peu.
Cette prédisposition sociale permet la communication dès les premiers instants de vie. En effet, le langage se développe premièrement par une orientation vers autrui favorisé par le contact par le regard. De plus, d’après les recherches d’Andrew Meltzoff et Keith Moore3, l’enfant a des capacités d’imitation précoce lui permettant la protrusion de sa langue et l’ouverture de sa bouche en vue d’entrer en contact avec son entourage. Entre 11 et 12 mois, le babillage est plus varié puisqu’on assiste à des séquences polysyllabiques non identiques (paba, babe…) et par la suite à la production des premiers mots. Il s’ensuit alors une explosion lexicale entre 16 et 20 mois qui est parfois accompagnée de premières combinaisons de mots. Ce n’est qu’à l’âge de 2 ans que l’enfant combine les mots avec des mots fonctionnels, ce qui engendre l’émergence de la grammaire et donc la mise en place du système adulte.
En se développant, le langage met en œuvre ses trois dimensions : psychoaffective, sociale et cognitive. En effet, en parlant, l’enfant prend conscience de son existence et affirme son identité notamment avec l’apparition du « je » aux alentours de ses 3 ans. Le langage lui permet aussi d’échanger avec autrui dans des environnements variés (maison, école), de partager ses émotions et de faire part de ses besoins. Dans un dernier temps, l’enfant prendra conscience de l’importance de l’oral, notamment dans les moments d’apprentissage.
Au fur et à mesure de son développement, l’enfant sera confronté aux deux dimensions du langage : l’oral et l’écrit. Les scientifiques s’accordent à dépeindre la langue comme un continuum allant de l’oral le plus spontané à l’écrit le plus formel. Ce continuum dispose d’un ensemble infini de variantes langagières diversifiées. L’oral et l’écrit sont donc considérés comme une seule et même langue. « Apprendre à parler » signifie alors que l’enfant doit s’approprier les différentes variantes de la langue qui vont lui permettre de s’exprimer dans toutes les situations de communications.
Il est important de noter que chaque enfant apprend à parler à des rythmes différents. Toutefois, il est impératif qu’il soit dans un environnement où on lui parle car l’input est déterminant chez l’enfant. De même, au fil des années, la variabilité interindividuelle est forte sur les plans quantitatif et qualitatif. Ce constat est néanmoins naturel puisqu’il résulte du développement et de l’environnement de chacun. Toutefois, afin que les inégalités ne perdurent dans le temps et au fil de la scolarité, le langage est désormais un domaine omniprésent au sein de l’école maternelle.

Un domaine omniprésent en maternelle

Dès l’apparition de l’école maternelle, Pauline Kergomard a insisté sur la difficulté d’appropriation de la langue de l’école et sa maitrise nécessaire pour une réussite des apprentissages. Depuis, la place du langage à l’école maternelle ne cesse d’évoluer. En effet, nous constatons une grande évolution des instructions officielles depuis 1977 où nous assistons au passage du terme « orientations pour l’école maternelle » à celui de « programmes » en 1995. De plus, le langage n’occupe que l’avant dernière position parmi les rôles et objectifs de la maternelle : développer l’affectivité et le corps, le mouvement, l’action, l’expression vocale, la musique, l’image, les représentations iconiques, l’expression plastique, le langage oral et le langage écrit, le développement cognitif. Par sa primarisation et donc la nécessité de revoir ses modalités de fonctionnement et ses prérogatives, la maternelle devient un lieu d’apprentissage au début des années 1990. L’apparition d’apprentissages structurés sous forme de programmes en 1995, lègue une place au langage sous l’appellation « Apprendre à parler et à construire son langage, s’initier au monde de l’écrit ». En 1999, le Bulletin Officiel hors-série n°8 du 21 octobre se pare de la maxime suivante : « L’école de tous les possibles. Les langages, priorité de l’école maternelle ». Grâce à cet engouement ainsi que les programmes de 1995, la naissance de domaines d’activités au sein de la maternelle dresse un nouveau tournant. Ces programmes attestent enfin que le langage est au premier plan puisqu’il permet la structuration des apprentissages. Le domaine d’activité qui lui est dédié se nomme alors « Le langage au cœur des apprentissages », de même dans les programmes de 2007. Cette première place parmi les domaines est depuis sans cesse réaffirmée au sein des programmes de l’Education Nationale. Ainsi, dans les programmes de 2015, le langage est omniprésent puisqu’il en constitue le noyau central. Il est même désigné comme étant « la condition essentielle de la réussite de toutes et de tous ». Sa présentation au sein du Bulletin Officiel spécial n°2 du 26 mars 2015 est étoffée et explicitée : Le mot « langage » désigne un ensemble d’activités mises en œuvre par un individu lorsqu’il parle, écoute, réfléchit, essaie de comprendre et, progressivement, lit et écrit. L’école maternelle permet à tous les enfants de mettre en œuvre ces activités en mobilisant simultanément les deux composantes du langage :
• le langage oral : utilisé dans les interactions, en production et en réception, il permet aux enfants de communiquer, de comprendre, d’apprendre et de réfléchir. C’est le moyen de découvrir les caractéristiques de la langue française et d’écouter d’autres langues parlées.
• le langage écrit : présenté aux enfants progressivement jusqu’à ce qu’ils commencent à l’utiliser, il les habitue à une forme de communication dont ils découvriront les spécificités et le rôle pour garder trace, réfléchir, anticiper, s’adresser à un destinataire absent. Il prépare les enfants à l’apprentissage de l’écrire-lire au cycle 2.
Nommé « Mobiliser le langage dans toutes ses dimensions », le domaine d’apprentissage dédié au langage regroupe à la fois la dimension orale et la dimension écrite. Les enjeux sont de stimuler le langage oral des élèves et de le structurer pour pouvoir mener à bien une entrée progressive dans la culture de l’écrit. L’oral et l’écrit sont interdépendants dans notre société et, de ce fait, ce continuum est également présent en maternelle. En effet, l’une de nos missions est de montrer aux enfants l’importance de l’oral et de l’écrit notamment à travers la communication.
La communication est en effet un élément primordial au sein de notre société car elle permet de la structurer. De ce fait, parler et comprendre la langue française est devenue une priorité face au constat grandissant des différences entre élèves à leur entrée en maternelle. Parler une langue étrangère à la maison, ne s’adresser que rarement ou mal à l’enfant génèrent des sources d’input d’ores et déjà inégalitaires qui peuvent placer certains enfants en grande difficulté dès leur plus jeune âge. Cette inégalité de compréhension de la langue de l’école est ainsi une source d’inégalité de réussite scolaire. C’est en effet l’une des raisons justifiant la place première du langage à l’école maternelle dans les documents d’accompagnement4 : Si une place déterminante lui est ainsi reconnue c’est parce qu’il est attesté que les inégalités scolaires et les difficultés ultérieures de nombre d’élèves ont leur source dans le maniement du langage et de la langue. L’école maternelle joue pleinement son rôle dans la prévention de l’échec scolaire en accordant à ce domaine toute l’attention qu’il requiert sans précipiter les acquisitions ; ce faisant, elle concourt à donner à chacun plus de chances d’épanouissement de sa personnalité, plus de chances aussi de faire reconnaître toutes ses capacités.

Le langage à l’école maternelle – Scérén CNDP-CRDP

Cette place primordiale, que l’on peut élargir à la langue française, est une priorité actuelle de l’Education Nationale. Lors de la conférence « Enseigner la langue française » du 9 novembre 2016, de nombreux chercheurs ont de nouveau réaffirmé l’importance de cet enseignement pour la réussite de tous. Parmi eux, l’éminent linguiste Alain Bentolila a d’ailleurs affirmé dans son article Maitrise de la langue et destin scolaire : « Plus j’avance dans ma réflexion, plus je pense que c’est vraisemblablement la maitrise de la langue orale qui conditionne un destin scolaire et un destin social ».

Le langage en PS (2 ans ½ – 4 ans)

Lors de leur rentrée en Petite Section, les enfants passent du statut d’infans (celui qui ne parle pas) au statut d’enfant, un être parlant à part entière. A ce stade, ils ont entre deux ans et demi et trois ans. Certains ont pu intégrer le dispositif de la classe des moins de trois ans, la Toute Petite Section, d’autres font leurs premiers pas dans une pièce remplie d’enfants à leur image. Pour ces enfants, l’arrivée en Petite Section est un bouleversement total des repères et du statut.
En Petite Section, la grande majorité des enfants doit faire face à la perte d’un statut de privilégié au sein de l’environnement familial. Désormais, ils ne sont qu’« un parmi tant d’autres ». Ils sont confrontés à la socialisation avec des personnes inconnues et, dans ce contexte, une concurrence pour la possession des lieux, des objets et l’attention de l’adulte émerge. N’ayant plus à disposition un adulte les comprenant parfaitement, ils sont témoins d’une perte de la compréhension implicite à laquelle ils étaient habitués. De plus, dans le cadre de la collectivité, ils se heurtent à un changement de désignation. L’équipe éducative utilise le pronom personnel « nous » pour désigner le collectif et le recours à l’emploi du pronom personnel « je » pour l’individuel est amoindri.
Les enfants de Petite Section cherchent l’attention constante de l’adulte pour agir. C’est dans ce contexte que la prise en compte de la zone proximale de développement de l’enfant apparaît. Ce concept, mis en exergue par Vygotsky, caractérise le développement potentiel de l’enfant. Il s’agit d’une zone située au-dessus de ce que l’enfant sait déjà faire, entre ce que l’enfant peut faire tout seul et ce qu’il est capable de faire avec l’accompagnement d’un adulte. L’enseignant se doit de prendre en compte les différences interindividuelles et donc de se situer dans cette zone pour accompagner au mieux l’acquisition du langage de ses élèves. Cela peut se réaliser par des adaptations telles que : le débit, l’articulation, l’intonation, le lexique, la syntaxe… Les reformulations et les reprises, par exemple, sont également des modalités importantes dans le cadre du développement du langage. Elles se doivent de correspondre aux hypothèses de l’enfant en n’étant ni trop simples ni trop compliquées par rapport à ce que l’enfant est en capacité de produire. Elles sont adaptées au développement langagier de l’enfant condition que l’enseignant se situe alors dans la zone proximale de développement de l’enfant en question.
Il existe une autre modalité d’interaction favorable à l’acquisition du langage qui s’appuie sur le concept précédent. Il s’agit de l’étayage dépeint par Bruner. Selon lui, l’adulte possède trois modes d’interactions : l’enseignement, l’encouragement et l’étayage. Il définit l’étayage comme un « processus grâce auquel un adulte ou un spécialiste vient en aide à quelqu’un qui est moins adulte ou moins spécialiste ». Ce concept se base sur une asymétrie des connaissances. Etayer consiste donc à aider l’enfant à réaliser quelque chose qu’il n’est pas en mesure de réaliser seul à l’instant présent. Le rôle de l’enseignant est alors de soutenir l’activité de l’enfant pour la lui faciliter et donc de le guider. L’étayage se décline en plusieurs catégories afin de correspondre à l’évolution de l’enfant en allant vers une autonomie progressive.
Dans ces deux concepts, le développement repose sur la dyade adulte-enfant. Chaque enfant apprend à un rythme différent en fonction de l’apport langagier dont il dispose. Le but de l’école est de palier à cette différence d’apport afin d’endiguer au mieux les conséquences pouvant en résulter. Au cours de cette première année de scolarité, le vocabulaire de chaque enfant augmente. Les phrases tendent à devenir de plus en plus longues et complexes par l’emploi de plus en plus systématiques d’indice de complexité. A la fin de cette année scolaire, l’acquisition et l’emploi approprié du pronom personnel « je » ont lieu. L’enfant s’ouvre alors au monde qui l’entoure par l’évocation de ses émotions et de ses sentiments.

Les élèves de Petite Section et les instructions officielles

Les programmes de l’école maternelle proposent un programme de cycle dans lequel les « attendus des enfants en fin d’école maternelle » présentent l’ensemble des capacités que les élèves doivent progressivement développer tout au long de leur parcours scolaire d’avant leur entrée en Classe Préparatoire.
La classe de Petite Section est davantage ancrée autour de la dimension orale du langage qui est prioritaire. Ainsi, cette composante du langage est déclinée en quatre objectifs distincts :
• Oser entrer en communication
• Comprendre et apprendre
• Echanger et réfléchir avec les autres
• Commencer à réfléchir sur la langue et acquérir une conscience phonologique
Durant son année de Petite Section, l’élève apprend à communiquer davantage avec le langage qu’avec son corps. Peu à peu, les mots-phrases laissent place à des phrases simples évoquant son quotidien. A la fin de l’année, il est capable d’utiliser le pronom personnel « je » et a mémorisé des comptines et chansons. Il a également été en mesure de suivre des consignes simples, d’écouter ses camarades et de répondre à des questions simples.
Quant à la dimension écrite, elle possède également des attendus déclinés dans les programmes de l’école maternelle. Cette composante du langage peut également être abordée plus implicitement dès la Petite Section à travers des activités s’articulant autour des cinq objectifs de l’écrit :
• Ecouter de l’écrit et comprendre
• Découvrir la fonction de l’écrit
• Commencer à produire des écrits et en découvrir le fonctionnement
• Découvrir le principe alphabétique
• Commencer à écrire tout seul
Sa première année de maternelle est rythmée par différents apprentissages dont la découverte de l’écrit, de sa nature langagière et de son rôle. En effet, l’enfant apprend à envisager les livres comme porteurs de traces d’écriture. De plus, il reconnaît son prénom écrit en capitales d’imprimerie.

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