LE SPORT ET LES QUARTIERS UNE RELATION INSTRUMENTALE PLEINE D’ESPOIRS

LE SPORT ET LES QUARTIERS UNE RELATION INSTRUMENTALE PLEINE D’ESPOIRS

Comment appréhender la relation entre le sport organisé, que l’on peut nommer sous la catégorie de mouvement sportif, et les quartiers populaires ? S’agit-il d’une relation ancienne, s’appuyant sur le développement du sport en France ? A-t-elle suivi le développement récent des politiques publiques spécifiques à ces territoires stigmatisés ? S’appuie-t-elle sur un changement culturel permanent du mouvement sportif ? Est-elle révélatrice d’un « changement sportif »?Au-delà d’une réponse définitive à ces différentes questions, le présent chapitre veut poser des points de repères quant aux études existantes sur le thème. Il s’agit de montrer les processus socio-historiques qui structurent la rencontre entre des territoires stigmatisés et stigmatisants et des actions sportives envisagées sous une forme associative légitimée. Pour cela, je ferai un parallèle entre le sport et l’associationnisme depuis la naissance des sports modernes. Dans l’angle opposé, je présenterai la catégorie de « quartier populaire » et la structuration des politiques publiques qui en découlent pour envisager la place qui a été progressivement accordée aux associations pour participer au développement social de ces territoires. Au final, j’insisterais sur les difficultés du modèle sportif français à s’adapter aux nouvelles exigences sociales ; modèle qui garde un aveuglement idéologique concernant ses vertus essentielles.

Le modèle sportif associatif français

Sans engager une généalogie du sport moderne en France, notons que de nombreux chercheurs en socio-histoire insistent sur la fonction de divertissement et de passe-temps, d’abord mondain voire aristocratique puis populaire, du sport. Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, les britanniques ont joué un rôle capital dans l’invention et la découverte d’une pratique corporelle renouvelée, très vite considérée comme un modèle d’éducation et d’intégration. Pour Pierre ARNAUD, « l’apparition des sports anglais, institutionnalisés et codifiés, est donc susceptible de meubler l’espace social vacant entre jeux traditionnels et les pratiques conscriptives tout en cultivant une nouvelle manière de cultiver son corps en lui attachant des valeurs, un style de vie, un langage, une manière d’être inédit.20 » D’une manière englobante, Norbert ELIAS et Éric DUNNING voient dans le développement du sport un rôle de pacification des mœurs, participant de fait à l’avènement de la démocratie et de l’État21. Le sport, cadre spatiotemporel maitrisé, participerait à une libération contrôlée des émotions. Il serait alors intégré au procès de civilisation basé sur un autocontrôle des individus. En somme, la naissance du sport moderne s’appuierait sur un processus de civilisation prenant lui même appui sur la construction d’un État détenant le monopole de la violence légitime et imposant son autorité. Les balbutiements du sport en Angleterre s’inscrivent également dans des espaces autonomes de pratique notamment au sein des écoles.

Ce modèle de pratique corporelle à la frontière entre le public (rapport à la nation notamment) et le privé (au sein d’un groupe) a fortement marqué Pierre DE COUBERTIN, le (ré)inventeur des Jeux Olympiques. Ses nombreux voyages en Angleterre ont été une source d’inspiration pour la mise sur pied de sa philosophie sportive qui envisage le sport comme un moyen efficace de lutter contre le surmenage, le vice, la corruption et le déclassement. D’une pratique réservée à une élite sociale, Pierre DE COUBERTIN veut la généraliser pour répondre aux dérives des sociétés et pour pacifier la planète : « Ô sport, tu es la paix, tu établis des rapports heureux entre les peuples. Par toi, la jeunesse universelle apprend à se respecter et ainsi la diversité des qualités nationales devient la source d’une généreuse et pacifique émulation22. » L’idéologie23 sportive est clairement affichée. Elle se fonde sur la recherche de l’excès, du dépassement individuel et collectif afin de prendre les rênes de « notre civilisation […] faite de hâte fébrile et de d’âpre concurrence 24». Parce qu’ « il y a aura toujours des puissants et des faibles, des triomphateurs et des lutteurs25 », le sport apparaît comme une pédagogie indispensable pour former ces triomphateurs, ces futurs lutteurs du monde libéral. Le sport est ainsi envisagé comme un cadre d’exercice de la vie sociale, une parenthèse pour se forger une morale et pour participer au processus de civilisation.Cette idéologie s’impose progressivement sur l’ensemble de la planète sous l’impulsion notamment de rassemblements mondiaux et des grandes institutions.

L’intégration du référentiel sportif dans les sociétés traditionnelles, industrielles puis post-industrielles ne se fait cependant pas sans heurts. Le modèle sportif (son dogme et ses modes d’organisation) connait jusqu’au lendemain de la seconde guerre mondiale, de fortes résistances notamment de la part des religieux qui y voient une perversion de la jeunesse, des médecins qui alertent sur les dangers de la pratique et des partisans des gymnastiques qui défendent un autre modèle d’exercice corporel. Le sport sera longtemps considéré comme dangereux, brutal voire futile : « Il faut attendre la politique volontariste gaullienne pour que le sport acquière ses lettres de noblesse en matière de socialisation, d’intégration et d’éducation26 ». La modèle de citoyenneté défendu par la philosophie sportive coubertinienne se diffusera par la suite rapidement dans toutes les strates de la vie sociale, bien relayé par l’État dans la deuxième moitié du XXème siècle. Il est devenu, malgré les résistances, les conflits, les contre-modèles, une référence culturelle de premier plan. La vie sociale est aujourd’hui inondée de référence aux valeurs humanistes et éducatives du sport.

 

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