LE TRANSFERT DE LA CAPITALE DU SENEGAL DE SAINT-LOUIS A DAKAR, 1957-1958

LE TRANSFERT DE LA CAPITALE DU SENEGAL
DE SAINT-LOUIS A DAKAR, 1957-1958

L’évolution politique du Sénégal 1946-1956 

Dans ce premier chapitre, il s’agit de reconsidérer les aspects les plus marquants au lendemain de la Seconde Guerre mondiale en rapport avec le transfert de la capitale du Sénégal. Le Sénégal est la colonie pilote de la France en Afrique noire. La vie politique s’y est développée très tôt. Mais avec l’influence de la seconde Guerre mondiale, le processus d’indépendance s’accélère avec le réveil de la conscience nationale qui milite en faveur d’un mouvement d’émancipation. Ce mouvement se fait en trois principales étapes ; la conférence de Brazzaville en 1944, l’Union française en 1946 qui confère au Sénégal un statut de territoire d’outre-mer et la loi-cadre de 1956. Pour cela, nous allons dans un premier temps, évoquer la fin de l’Empire français pour appréhender ses conséquences. Cela nous permet, dans un second moment, de mieux découvrir l’émancipation des colonies. Ensuite nous allons procéder à une analyse des réformes de l’Union française et de la loi-cadre de 1956. 

 Les conséquences de la conférence de Brazzaville en 1944

 Le choc de la Seconde Guerre mondiale a impacté considérablement le devenir du monde contemporain. Le Sénégal comme les autres colonies qui ont soutenu la France dans la guerre, s’attend à une évolution rapide vers l’autonomie. Pendant la guerre les puissances coloniales, la France avait multiplié les promesses de changement pour gagner l’appui nécessaire des colonies. En Afrique, une armée coloniale a été constituée pour venir en aide à la France face à l’occupation allemande. La participation à l’effort de guerre au niveau économique était sans commune mesure. À la conférence de Brazzaville du 30 janvier au 8 février 1944, le Général Charles De Gaulle, dans son discours, sans aller jusqu’à promettre l’indépendance, annonce une participation des colonies à la marche du monde. Cependant, la conférence écarte toute idée d’autonomie et l’autorité de la France sur ses colonies est réaffirmée. Les réformes qui eurent lieu profitèrent le plus aux sujets africains. Dès août 1944, les autorités françaises dotèrent l’Afrique noire d’un service d’inspection du travail ; en 1945, elles fixèrent le droit du travail et un an plus tard, elles abolirent le travail forcé. Le code pénal français mit un terme à la situation d’exception défavorable dans laquelle se trouvaient les sujets africains. Ainsi, disparurent les traits les plus répressifs du colonialisme. En 1946, la loi Lamine Guèye, n° 46- 940 du 7 mai de la même année, tendant à proclamer citoyens tous les ressortissants des 17 territoires d’outre-mer. Durant la même année, fut fondé le Fonds d’Investissement pour le Développement Economique des territoires d’outre-mer16 . Malgré tous les acquis, les colonies réclament toujours cette autonomie qu’on leur a laissé entrevoir. Il s’y ajoute que les métropoles n’ont plus les moyens d’entretenir les empires coloniaux. L’Europe sortie de la guerre est ruinée. Les métropoles ne maintiennent que difficilement l’emprise sur leurs colonies. La domination par la force devient de plus en plus une solution reléguée au second plan. Elles n’ont plus les moyens d’entretenir leurs armées dans les colonies, sauf les villes principales et les points stratégiques. Elles ne peuvent plus tenir la totalité des colonies. Les missions lointaines coûtent chères, crèvent les budgets et freinent la reconstitution économique des métropoles au lendemain de la guerre. Dans ce même contexte, la Grande-Bretagne accepte plus facilement l’évolution de ses colonies vers l’autonomie. Quant à la France, vieille tradition centralisatrice, est très attachée à l’idée de la République indivisible, l’évolution vers l’émancipation des colonies est beaucoup plus difficile. 

Le retentissement du non-alignement dans les colonies

 La Seconde Guerre mondiale a contribué à une prise de conscience qui ouvre la voie à une autonomie progressive. L’émancipation de l’Asie et du Proche-Orient donne naissance à des nouveaux Etats, qui constituent un troisième bloc. Ils tentent de s’affirmer sur la scène internationale en dehors des deux blocs qui dominaient le monde d’après-guerre. Le retentissement est énorme. La Tunisie qui gère depuis 1955 ses affaires intérieures accède en mars 1956 à l’indépendance après le Maroc devenu indépendant en novembre 1955. Le 1er novembre 1954 l’Algérie se rebelle et mène une guerre de libération nationale contre les français. Le FLN17 mène la guerre qui ne termine qu’en 1962 avec l’indépendance du pays. Les pays du Maghreb, l’Egypte et la Syrie mènent une campagne de propagande islamique en direction des pays à forte population musulmane de l’Afrique de l’Ouest, où se créent des associations islamiques. 16 ANS, 17G 176 (28), Proclamation de la citoyenneté à tous les citoyens ressortissant des territoires d’outremer. 17Front de Libération National, il est créé en novembre 1954 pour obtenir de la France l’indépendance de l’Algérie, alors divisée en Départements français d’Algérie. Le FLN et sa branche armée, l’Armée de libération nationale (ALN), commencent alors une lutte contre l’empire colonial français. Par la suite, le mouvement s’organise et, en 1958, le FLN forme un gouvernement provisoire et négocie l’indépendance avec la France en 1962 les accords d’Évian. 18 Depuis 1954, l’évolution vers une plus large autonomie est engagée dans les pays anglophones d’Afrique de l’Ouest : Gold Coast et Nigeria18 . On pouvait également remarquer une atmosphère anticolonialiste autour de la table des négociations à la conférence afro-asiatique de Bandung qui réunit en 1955 vingt-quatre Etats asiatiques et africains indépendants, appelle tous les pays libres à soutenir le combat des colonies pour l’indépendance. De nombreux Etats, parmi ceux qui étaient représentés à la conférence, avaient rejeté le joug colonial. Il faut ajouter à cela l’anticolonialisme de deux grands de l’après-guerre, les Etats-Unis d’Amérique, l’Union soviétique et les Nations-Unis19 . C’est pour juguler ce nationalisme qui risque de gagner les territoires de l’AOF, AEF et Madagascar que le gouvernement français envisage de donner davantage d’autonomie à ses territoires d’outre-mer. L’élite africaine qui suivait de près ces évènements, se lance et se fixe comme objectif de revoir les relations entre la France et ses Territoires d’Outre-mer. Les mesures allant dans ce sens tendent à accentuer la décentralisation et la déconcentration administratives, visent à développer chez les populations d’outre-mer le sens des responsabilités civiques et la pratique de la gestion des affaires publiques. 

L’Union Française du 13 octobre 1946 

Le 13 octobre 1946, une nouvelle constitution fut approuvée par voie référendaire, l’Union Française vit le jour. Cette dernière est formée, d’une part, de la République française qui comprend la France métropolitaine, les départements et territoires d’outre-mer; d’autre part des territoires et Etats associés. Dans son préambule, la nouvelle constitution annonce un changement de taille : « La France entend conduire les peuples dont elle a pris la charge à la liberté de s’administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires ; écartant tout système de colonisation fondé sur l’arbitraire. Elle garantit à tous, l’égal accès aux fonctions publiques ».20 Chaque territoire disposait d’un conseil général élu avec un pouvoir consultatif, sauf le Sénégal. Les membres de ce conseil étaient élus par un système reposant sur deux collèges électoraux: l’un pour les citoyens et l’autre pour les sujets. 18Saliou Mbaye, Histoire des institutions contemporaines du Sénégal, 1956-2000, Dakar, L’Harmattan, 2012, p 24 19Amady Aly Dieng, Les Grands Combats de la fédération des étudiants noirs, de Bandung aux indépendances : 1955-1960, L’Harmattan, 2009, p.11. 20Gerti, Hesseling, Histoire politique du Sénégal, Paris, éd. Karthala, Op. Cit, p.157. 19 Au Sénégal, le premier collège, dans lequel les quatre communes de plein exercice étaient représentées, élit Lamine Guèye et le second collège Léopold Sédar Senghor. A la tête de chaque territoire, se trouvait un gouverneur, appelé alors commissaire. Il n’était responsable que devant le gouvernement français et non devant le Conseil général local. Au deuxième niveau, on instaura un conseil, le Grand Conseil, un à Dakar pour l’AOF et un autre à Brazzaville pour l’AEF21. Le jugement porté sur cette nouvelle Union fut rapidement et presque unanimement négatif. On critiquait le manque de garanties et le caractère insuffisamment égalitaire de la structure, surtout en faveur du Sénégal. Cette déception provoqua de nombreuses réactions. Au terme de dix années, il s’avérait que l’Union française a connu des échecs. C’est dans ce contexte que le RDA a été fondé au Congrès de Bamako du 18 octobre 1946. Au Sénégal, en 1948, Senghor fonda le Bloc Démocratique Sénégalais BDS avec ses amis. Dans sa politique, Senghor préconisait la formation d’une fédération réunissant des Etats autonomes. Contrairement à Houphouët Boigny, qui préférait la formation de petits Etats indépendants en Afrique. Cependant, les deux partis partageaient le même mécontentement quant au fonctionnement de l’Union française et exerçaient leur influence afin de modifier la situation des territoires d’Outre-mer22 . C’est pourquoi, dès 1956, les Africains estimaient que le moment était venu de revoir l’Union. Comme le soulignait le rapporteur de la commission de la France d’outre-mer au sénat, lors des débats sur la loi-cadre : «Il est apparu à tous que l’organisation de l’Union française devrait être réformée tant pour ses institutions centrales que pour les institutions territoriales. Le projet gouvernemental répond donc à une préoccupation générale. Il vient donc à son temps et il amorce la deuxième phase de l’évolution au cours de laquelle les territoires d’outre-mer seront dotés d’institutions décentralisées ayant leurs pouvoirs propres » 23 . Le 17 août 1956, lors d’une conférence à la maison de la culture, sur les échecs de l’Union Française, Diop Demba étudiant, justifiait les échecs de cette politique par le fait que contrairement à ce qui a été défini dans le préambule de la constitution du 27 octobre 1946, que nous avons mentionnés plus haut : « les Territoires d’outre-mer n’ont pas obtenu de l’Union les aspirations qu’ils étaient en droit d’attendre ces territoires continuent de faire l’objet d’une 21AEF : Afrique Equatoriale Française 22Jean Suret-Canal, Afrique noire, Occidentale et centrale, éd. Sociales, Paris, 1977, p. 160 23ANS, 17 G 643 (165), coupures de presse, Journal Officiel de la République Française, sur Les débats à l’Assemblée de la loi-cadre, à la séance du jeudi 7 juin 1956. 20 exploitation systématique de la part des colonialistes qui ne voient que le franc CFA les soldats africains sont, soit oubliés ou que lorsque dans l’armée, ces mêmes soldats africains servent d’ordonnances, de garde-enfants à leurs camarades blancs»24 . Avec l’Union française, l’exercice des droits politiques dans les territoires d’Outre-mer a provoqué un climat de confiance et d’espoir. Il s’agit maintenant d’aller plus en avant dans les réformes, car les populations prennent conscience de leur personnalité. En décembre 1955, l’Assemblée nationale française fut dissoute. Les élections parlementaires du 2 janvier 1956 permirent la formation d’un nouveau gouvernement dirigé par Guy Mollet ; Houphouët Boigny fut nommé expert des questions africaines. Il était un territorialiste convaincu, c’est-à-dire, il préférait l’autonomie des territoires. Il avait basé son choix sur des motifs d’ordre économique qu’il présentait avec un langage nationaliste. Il craignait que la concurrence du Sénégal dont la capitale Dakar, semblait historiquement prédestinée à devenir le centre d’une éventuelle structure fédéraliste nouvelle en Afrique occidentale française au détriment d’Abidjan.25 Il est apparu que l’organisation de l’Union française devait être réformée tant pour ses institutions centrales que pour les institutions territoriales. Le projet répond donc à une préoccupation générale. Il vient à son temps et amorce la deuxième phase de l’évolution au cours de laquelle les territoires d’Outre-mer sont dotés d’institutions décentralisées ayant leurs pouvoirs propres. A l’heure où l’Afrique atteint sa maturité et aspire à jouer son rôle dans le règlement des affaires mondiales, il consacra la promotion des territoires. Cette problématique de réorganisation de l’Union française constitue l’objet du second chapitre.

Table des matières

Dédicaces
Remerciments
Sigles et acronymes
Introduction Générale
1.Problèmatique
2. Revue documentaire
3. Plan.
PREMIERE PARTIE : CONTEXTE HISTORIQUE : 1946-1957
Chapitre I: L’évolution politique du Sénégal 1946-195616
1.Les conséquences de la conférence de Brazzaville 1944
2.Le retentissement du non-alignement dans les colonies18
3.L’ Union Française d’octobre 1946
Chapitre II : Réorganisation de l’Union française 1956-1957
1. La loi-cadre du 23 juin 1956
2.Les premières élections issues de la loi-cadre du 31 mars 1957
Chapitre III : Le transfert, un projet ancien
1.Les raisons du premier projet de transfert de 1918
2.L’echec du premier projet de transfert de la capitale mars 1918 28
DEUXIEME PARTIE :TRANSFERT DE LA CAPITALE DU SENEGAL DE SAINT-LOUIS A DAKAR 1957-1958
Chapitre I : Les raisons apparentes du transfert de la capitale
1.Le Conseil de gouvernement du Sénégal
2.Les événements accélérateurs du projet de transfert de la capitale
3.La Décision du Comité Exécutif du B.P S
4.La déclaration officielle du gouvernement pour le transfert la capitale à Dakar
Chapitre II: Le débat juridique autour du transfert de la capitale
1.La légitimité de Saint-Louis comme Chef- lieu du Territoire
2.L’attitude des autorités coloniales face au projet de transfert
3.Les raisons profondes du transfert
Chapitre III : Les organisations sociopolitiques face au projet
1.L’opposition du Conseil municipal
2. Le rôle joué par les partis politiques
3.La réaction des Saint-Louisiens : Le rôle joué par le Comité de Défense des Intérêts du Sénégal (CDIS)
Chapitre IV: Les nouvelles stratégies mise en place
1. La nouvelle stratégie de lutte du C.D.I.S
2. La nouvelle stratégie du Conseil de gouvernement pour le transfert définitif de la capitale
3. Les réactions au lendemain du vote de la loi pour le transfert de la capitale
Conclusion Générale
Annexe
Bibliographie

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