Le volontariat contemporain, rupture ou continuité

« Mahal », « Garin Tsabar », « Marva », « Sar’El » : panorama du volontariat contemporain dans Tsahal

Les programmes Mahal et Garin Tsabar, ou la démocratisation du service militaire

Si notre objet d’étude principal concerne le volontariat civil, il nous semble nécessaire, dans un premier temps, de passer brièvement en revue les différents programmes proposés aux citoyens Juifs de diaspora, y compris militaires. À cet égard, le programme Mahal se distingue des autres en tant qu’il propose « aux jeunes du monde entier qui ont entre 18 et 23 ans [de] servir dans Tsahal en tant que volontaires »175, sans pour autant adopter la nationalité israélienne.
D’une durée de 14 à 18 mois, ce programme se décline sous plusieurs variantes, qui superposent au service militaire aménagé176 une dimension religieuse : le programme « Mahal Haredi », destiné aux juifs religieux âgés de moins de 24 ans, offre la possibilité de rejoindre « une unité spéciale d’infanterie composée de soldats ultra-orthodoxes »177 ; le programme « Mahal Hesder » consiste lui en « six mois et demi d’étude à la yeshiva Hesder (Université Rabbinique de l’armée), suivis d’au moins 14 mois de service dans Tsahal »178. Notons enfin que contrairement à d’autres programmes, le fait d’être de confession juive est explicitement mentionné parmi les conditions d’admission, la judéité des participants étant mesurée à l’aune du critère suivant : « avoir au moins un grand-parent de confession juive »179.
Le programme Garin Tsabar (littéralement « graine de cactus » en hébreu), est conçu quant à lui comme une préparation physique et psychologique au service militaire proprement dit : « Un Garin Tsabar est un groupe de jeunes juifs sionistes qui viennent en Israël dans le but de servir dans Tsahal. À ceux qui souhaitent faire leur service militaire en Israël, mais qui sont effrayés par le fait de franchir le cap seuls, le programme « Garin Tsabar » offre le soutien et la structure nécessaires »180. En l’occurrence, les participants au programme vivent pendant quatre mois dans un kibboutz, bénéficient de cours d’hébreu intensifs et d’aide pour remplir les formalités administratives d’inscription à l’armée, afin que « le jeune soldat [débute] son service militaire dans les meilleures conditions possibles »181.
Ce dispositif d’accompagnement préalable, visant à pallier le choc tant culturel que psychologique que peuvent ressentir les « lone soldiers »182 n’est pas sans rappeler les efforts mis en oeuvre pour intégrer les volontaires étrangers par le passé, évoqués en première partie. Plus largement, il existe de nombreuses initiatives parallèles pour soutenir ces soldats, orchestrées notamment par l’organisation « Lone soldier center », créée en 2009 https://lonesoldiercenter.com/ à l’initiative d’anciens participants au programme Mahal. Ce dernier accueille environ 250 participants par an183.
Ces programmes n’ont pour l’heure, pas plus que le volontariat civil fait l’objet d’un travail de recherche approfondi, à l’exception d’une thèse soutenue en 2015 M. Alan Teitleman, étudiant à l’Université de Wake Forest (Caroline du Nord, Etats-Unis)184, à partir d’un échantillon de 64 « lone soldiers », âgés de 18 à 30 ans et principalement originaires des Etats-
Unis. Ce travail de sociologie étudie notamment, au travers d’entretiens semi-directifs, le degré d’intégration de ces « soldats solitaires » pendant et après leur service militaire, mais demeurerelativement sommaire.

Le programme Marva

Le programme Marva est d’une durée beaucoup plus courte : entre sept et huit semaines, au cours desquelles les participants apprennent à « connaître et expérimenter la vie dans une base militaire et plus généralement la vie en Israël »185. Parmi les activités réalisées, sont notamment listées sur le site de l’armée israélienne : « installation d’un camp ; randonnée ; entraînements physiques sur le terrain ; pratique de la navigation et participation à des conférences et des séminaires sur la situation sécuritaire, économique et sociale du pays »186.
Par ailleurs, les conditions d’admission avertissent les potentiels candidats de la difficulté du programme : « Marva requiert une certaine force physique et morale. Les participants doivent arriver en bonne santé et faire preuve d’une grande motivation. Avant d’être accepté, chaque candidat doit passer un entretien »187. Au-delà de leur contenu, ces conditions d’admission constituent une caractéristique notable de l’« institution totale » théorisée par E. Goffman188, dans la mesure où celle-ci « n’a affaire qu’à des recrues qui se sont senties « appelées » [et] n’admet finalement parmi ces volontaires que ceux qui ont le plus de dispositions et semblent nourrir les intentions les plus sérieuses »189.

Sar’El

Le volontariat civil : naissance et objectifs

Notre objet d’étude principal porte, on l’a dit, sur le volontariat civil en Israël, mis en oeuvre par l’association « Union du Peuple d’Israël UPI Volontariat Civil Sar El ». Inscrite au répertoire national des associations (numéro d’immatriculation RNA : 751POOO71412), celleci fut créée le 14 février 1985, et inscrite au RNA officiellement le 6 mars 1985190. Son objet social est le suivant : « Promouvoir le volontariat civil en Israël ; Pour une meilleure connaissance d’Israël par la réalisation de tâches effectuées en commun », et son siège social est situé au 140 Bd Malesherbes (75 017, Paris).

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Le volontariat civil : entre tourisme et sionisme

En première partie, nous avons tenté de souligner le caractère protéiforme du volontariat, phénomène tendant à se métamorphoser sous différents aspects en fonction du contexte historique. De même, les registres de justification varient, et le discours humanitaire peut s’accompagner de considérations plus explicitement politiques – c’est particulièrement le cas au sujet de Sar’El.
Ainsi, la présentation de l’offre de volontariat mobilise des arguments de nature touristique, humanitaire, tout en reprenant à son compte une entreprise de « déconstruction » des « préjugés » couramment véhiculés au sujet de l’État d’Israël : « Quelle est la réalité d’Israël ? Celle diffusée par les médias français peu soucieux d’objectivité ? (Nous soulignons) La Terre Sainte des trois grandes religions monothéistes ? Le pays qui peut s’enorgueillir d’un nombre record de start-up ? À moins qu’elle ne soit infiniment plus riche et plus complexe. Alors pourquoi ne pas aller vous-même en Israël, pour fonder votre conviction sur une expérience personnelle ? L’esprit et les yeux grands ouverts. Non comme un touriste dissimulé derrière son appareil photo, mais simplement comme un être humain qui part sans préjugés à la rencontre de ses semblables. Pour découvrir Israël dans toute son authenticité, le meilleur chemin est de croiser celui des Israéliens : hommes, femmes, jeunes, moins jeunes, religieux ou pas. Qu’ils soient nés dans le pays ou qu’ils aient fait leur Alya, tous riches de leur parcours de vie si divers. C’est dans leur coeur que la réalité d’Israël se cache. Pour vous accompagner dans cette démarche de découverte unique, Sar-EL peut vous aider. Sar-EL est une association à but non lucratif qui offre à 3000 volontaires par an la possibilité de faire un séjour dans une base arrière de Tsahal aux côtés des soldats. »193.
Le même type d’arguments est mobilisé dans un article extrait du périodique Tribu 12, « le magazine des communautés juives » : « D’ « armée la plus morale du monde », Tsahal est devenue ces dernières années l’armée la plus diffamée au monde. Partir dans une de ses bases permet de corriger cette image déformée que nous offrent les médias du monde entier, de découvrir une autre réalité israélienne, loin de ses plages, de ses restaurants et de ses lieux de divertissement, au contact d’israéliens de tous âges et de tous milieux, et avec des volontaires du monde entier »194. Bien que ceux-ci soient reformulés selon les périodes, il est intéressant de souligner que les registres d’appel à la mobilisation employés sont peu ou prou identiques depuis 1948, et constituent tous des variantes différentes du même schème : celui du « complexe de Massada » ou de la « citadelle assiégée », mettant en avant la solitude d’Israël et son besoin de soutien.

Cartographie des programmes Sar’El

« L’offre » de volontariat proposée par l’association s’est considérablement diversifiée à travers le temps : en 2018, on ne compte pas moins d’une dizaine de programmes différents, selon l’âge des participants, les activités réalisées pendant le séjour et la durée de celui-ci. Les tableaux ci-dessous permettent de synthétiser la diversité des programmes proposés :

Le volontariat civil dans Tsahal : un phénomène inédit ?

Pour Erik Henri Cohen, la singularité du volontariat civil est indéniable, au point qu’il décide d’exclure celui-ci du champ de réflexion de sa thèse, pour trois raisons principales : le caractère institutionnalisé de la mobilisation, l’âge des volontaires et enfin l’objet même du volontariat, désormais centré autour de l’armée : « Il reste que ce volontariat, bien que lui aussi lié à une guerre, est différent des deux volontariats qui constitueront la population de la présente thèse [ceux de 1967 et 1973] : il est dès le départ, et tout le long du processus de mobilisation, conçu, initié et géré par une institution (nous soulignons). Bref, il ne s’agit pas comme en 1967 et en 1973, d’un élan spontané et massif, canalisé par une institution. De ce point de vue, il est donc plus exact de parler en 1983-84 de recrutement plutôt que de mobilisation […]
Deuxièmement, s’il existe une différence d’âge entre les volontaires partis de 1967 et ceux de 1973, cette différence est sans importance eu égard à celle qui sépare ces deux volontariats de celui de 1983-84, beaucoup plus âgé […] Enfin, le séjour de ces derniers n’a lieu qu’au sein de l’armée, ce qui n’était qu’assez rarement le cas auparavant. »198.
Il nous semble intéressant d’interroger tour à tour ces trois hypothèses, afin de confirmer ou d’infirmer le caractère « inédit » du volontariat civil dans ses manifestations contemporaines.

De l’élan spontané au recrutement organisé ?

Le volontariat civil tel qu’il est organisé et mis en oeuvre depuis le début des années 1980 répond indéniablement à des objectifs en partie inédits. En effet, s’il s’agit d’un séjour auprès des soldats, parfois accompagnés d’activités « paramilitaires »199, les registres de justification et d’appel au volontariat sont paradoxalement d’ordre civils : en tout état de cause, il n’est plus question d’aider une force armée naissante, et les volontaires civils ne constituent pas un appui stratégique.

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