L’échec de l’expérience politique et l’entrée en radicalité violente

L’échec de l’expérience politique et l’entrée en radicalité violente

Même si l’expérience du FIS dans la gestion des communes fut dans une certaine mesure assez décevante, il serait sans doute hasardeux d’en tirer les conclusions de son échec politique. Ceci non pas seulement en raison de la trop courte durée (1990-1991) pendant laquelle ce parti a eu à diriger le pouvoir local, mais aussi, au regard du chamboulement apporté par les autorités centrales en matière de prérogatives des maires des communes, un chamboulement qui leur a été largement défavorable. La question qui se pose avec acuité, est celle de savoir si le FIS s’était montré capable de redéfinir une stratégie contestataire adaptée, en vue de l’évolution, à la situation qui s’annonçait, notamment avec le bras de fer qui allait l’opposer au gouvernement (cf infra). Celui-ci, pris de panique par la percée fulgurante et inattendue du Front islamique du salut, entamera des « réformes préventives » ciblées, afin d’en limiter le poids politique. Pour prendre la mesure de l’appréhension du pouvoir algérien vis-à-vis de la percée du FIS depuis son succès électoral, il faudrait revenir aux premières « solutions institutionnelles » pensées par le gouvernement de Mouloud Hamrouche pour limiter le poids électoral du FIS sur la scène politique algérienne. En réalité, la plus importante parmi ces « solutions » était celle de la modification des lois électorales, qui a été perçue par les militants du FIS comme une forme de répression juridique menée contre leur parti. Plus précisément, il s’agit d’un découpage électoral adopté par l’Assemblée populaire nationale dans la nuit du 1 au 2 avril 1991, faisant passer le nombre de circonscriptions électorales de 295 à 542793. Cette augmentation du nombre de circonscriptions (synonyme en soit de l’augmentation du nombre de députés) visait à consolider l’assise du FLN en zones rurales, là où il avait de sérieuses chances de l’emporter. Ceci passait par l’établissement d’un niveau très bas du nombre de votes nécessaires à l’élection d’un député dans ces zones rurales794. D’un autre côté cette nouvelle loi électorale a été élaborée de manière à contenir le poids du FIS en zone urbaine (cœur de son électorat), en fixant un nombre de suffrages bien plus élevé795. Le processus décisionnel qui a abouti à la création de cette contrainte structurelle, provoquera de lourdes conséquences sur l’évolution de la vie politique algérienne, tant il semble avoir été entamé dans l’urgence et en cercle restreint796, sans consultation avec les partis politiques797. Ce « charcutage » des circonscriptions préparé par le gouvernement de Hamrouche, a enclenché un mécanisme de défense chez les dirigeants et militants du FIS, qui ont entrepris de résister à ce qu’ils percevaient comme une menace dirigée contre les « réalisations politiques » de leur parti : « nous avions joué le jeu jusqu’au bout. Moi-même j’y croyais vraiment, nous pensions que le pouvoir allait tenir parole puisqu’il l’avait fait lors des premières élections locales. Mais après la tricherie dont il a fait preuve en arrangeant les lois comme il le voulait, on s’est vite refroidis

La grève illimitée au caractère insurrectionnel

Un premier palier de la radicalisation « La grève est un droit naturel, mais elle a été exploitée politiquement, il n’y a pas de grève ouverte qui existe au monde et qui pousse les gens à sortir sans qu’ils aient un objectif à atteindre. Comme l’a dit Abassi Madani :[nous savons quand la grève commence, mais on ignore toujours quand elle pourrait prendre fin]. Nous avions commencé par trois jours de grève et puis celle-ci est devenue ouverte, ensuite des victimes sont tombées, et puisque des victimes sont tombées, pourquoi regagner nos maisons alors que le sang coulait. Étape par étape, nous sommes entrés dans des confrontations qui nous ont menés au précipice ». Kamel Guemazi801 La décision prise par la direction du FIS en faveur de l’annonce d’une grève politique802, n’a vu le jour qu’après de longues tractations entre les 35 membres composant le Conseil consultatif : « la question de la grève politique a nécessité neuf sessions dont la plus courte a duré 10 heures (…), Abassi Madani nous a menacés de démissionner et de créer son propre parti politique si nous n’adoptions pas cette idée de la grève illimitée. Nous étions alors tombés d’accord sur une grève de trois jours. Mais Abassi Madani l’a annoncé aux militants sans mentionner son caractère limité. Les gens sont sortis et personne ne pouvait les faire revenir. Trois jours après, Abassi a déclaré : [ le peuple algérien est sorti pour réclamer ses droits et il les obtiendra, celui qui vous demandera de revenir chez vous est un traître, il appartient aux services de renseignements] » 803. H Sahnouni. Bien au-delà des divergences autour de l’utilité de mener une grève, ce dernier passage dénote surtout le faible niveau de structuration de la conflictualité, qui caractérisait aussi bien les rapports entre les hauts dirigeants du FIS, que les rapports de ces derniers avec la base militante. Cette faiblesse dans la structuration du conflit, nous semble avoir été l’un des facteurs majeurs des premières dérives violentes (à caractère politique) chez certains militants du FIS. Cette idée se décline en deux axes : le premier porte sur l’autorité fortement contestée de Abassi Madani, notamment en ce qui concernait la manière de conduire la politique du parti, ce qui révèle en fin de compte la faiblesse de son leadership au sein du conseil consultatif. Le deuxième axe porte sur le manque (ou l’absence) d’emprise du parti sur un certain nombre de militants indisciplinés ; ce qui rendait difficile le contrôle sur les modes d’action empruntés par ces militants. Comme l’expliquait Anthony Oberschall, plus la structuration du conflit au sein d’un camp est faible, plus la probabilité de s’orienter vers l’action violente est grande804. Dans le cas du FIS, il semble bien qu’en dépit du fait que le parti ait été bien structuré sur le plan organisationnel, ce dernier eût bien du mal à parler d’une seule voie et à maîtriser totalement ses troupes. Le déroulement de la grève s’en est trouvé largement affecté. Nous n’allons pas revenir ici sur les détails des multiples dissensions qui ont opposé Abassi Madani à certains membres du Majliss Al Choura avant l’épisode de la grève805. Cependant, il est essentiel de retenir, comme le soulignait S. Labat que, du fait d’une autorité fortement remise en cause, A. Madani a vu ses chances d’accéder à la présidence de la république sérieusement entamée806. Ce qui semblait être un sérieux motif pour provoquer une grève qu’il aurait lui-même conduite. Une grève politique de masse qui l’aurait directement propulsé à la présidence de la république en provoquant la chute du régime algérien. Ainsi, si l’on en croit H. Sahnouni, A. Merrani et Y Bouklikha, la décision de mener cette grève, reposait grandement sur les ambitions présidentielles de Abassi Madani : « Abassi s’est toujours considéré comme une alternative à la présidence, quand il entrait dans le bureau de Chadli Benjedid, il scrutait du regard tous ses recoins et répétait souvent : [si cet illettré de Chadli était président, alors pourquoi pas moi le docteur ?!] » 807. H Sahnouni.

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