L’écriture de l’aventure chez Joseph Kessel

L’écriture de l’aventure chez Joseph Kessel 

Recherche de cibles et mouvement brownien

 La recherche d’un objet perdu peut se révéler être une activité très chronophage : qui n’a pas perdu son temps à rechercher ses clefs égarées ? Quelle est alors la meilleure stratégie à adopter ? Ce simple exemple de la vie courante illustre de nombreux problèmes similaires qui se posent dans des domaines et à des échelles très diverses. Si l’homme se soucie de ses clefs, l’animal recherchera lui de la nourriture, tandis que des molécules chercheront à se rencontrer pour donner lieu à une réaction chimique. De nombreux paramètres vont alors entrer en jeu : quel est le mouvement choisi ou subi par le chercheur ? Quelle est la taille du domaine que le chercheur peut explorer ? Peut-il buter sur des obstacles ? Dans cette thèse, nous étudierons plus particulièrement la recherche de cible par une « particule » confinée dans un domaine de taille finie. La spécificité que nous allons introduire est l’interaction de cette particule avec son confinement : alors que dans la majorité des études portant sur la recherche de cible, la particule, une fois arrivée aux limites du domaine, se réfléchit sur la frontière de celui-ci ; nous considérerons que la particule peut s’absorber sur cette frontière, et se mouvoir en la suivant. Après un certain temps, la particule pourra se détacher de cette frontière, et reprendre son mouvement à l’intérieur du domaine. Dans l’exemple évoqué précédemment de la recherche de clefs, cette idée correspondrait à un comportement classique : en cherchant ses clés sur le sol d’une pièce, si l’on veut essayer d’effectuer une exploration méthodique, souvent notre premier réflexe consiste à suivre les bords de la pièce, pour ensuite explorer l’intérieur de cette zone délimitée. 2 Chapitre 1. Introduction générale Cette stratégie que nous mettons inconsciemment en place a pour but, dans ce cas, de passer le moins de temps possible à rechercher ses clefs. Dans le cas plus général d’une particule cherchant à atteindre une cible, nous nous intéresserons aux quantités dites de premier passage. En particulier, le temps de premier passage (abrégé FPT pour First Passage Time), c’est à dire le temps que met la particule pour atteindre pour la première fois la cible considérée, sera une observable étudiée [Redner, 2001a]. Naturellement, dans les cas tels que la recherche de clefs, cette observable est la quantité capitale afin d’évaluer, par exemple, l’efficacité de la recherche. Cependant, dans des processus plus complexes, cette observable peut aussi jouer un rôle essentiel. On peut ainsi citer le cas des réactions chimiques limitées par la diffusion (Diffusion limited reactions) [Rice, 1985] : avant de réagir, les particules doivent d’abord se rencontrer. Dans certains cas, cette étape initiale peut-être l’étape limitante de la réaction, et ainsi déterminera la vitesse de réaction. Nous étudierons également d’autres observables de premier passage relatives à plusieurs cibles. Par exemple, si l’on considère deux cibles, on peut s’intéresser à la probabilité d’atteindre une cible avant l’autre, probabilité qu’on nommera probabilité de splitting. Cette probabilité est une quantité essentielle dans tous les processus mettant en jeu la compétition entre deux cibles. On peut aussi considérer que les cibles ne sont pas forcément en compétition : si les cibles sont identiques, il peut être indifférent d’atteindre l’une ou une autre, le nombre de cible va alors aider la recherche ! Si ce nombre de cible est vraiment élevé, l’observable clef sera alors le territoire exploré : c’est en effet cette quantité qui va nous donner la probabilité d’avoir déjà rencontré une cible. Afin d’étudier ces quantités de premier passage, nous avons choisi de nous limiter à un seul type de mouvement : la particule diffusera à l’intérieur d’un domaine, c’est-à-dire qu’elle sera soumise à un mouvement de type mouvement Brownien. Ce mouvement est un processus stochastique [Van Kampen, 1992, Gardiner, 2009], soit un un processus mettant en jeu des variables aléatoires, et une variable temporelle. Plus précisément, le mouvement brownien est un processus de Markov. Ces processus se distinguent par le fait qu’ils ne nécessitent pas la connaissance de l’historique du mouvement pour en déterminer le futur : ce sont des processus « sans mémoire ». Le mouvement Brownien est sûrement un des processus markoviens les plus connus et utilisés. Historiquement, ce mouvement a été décrit comme le mouvement aléatoire d’une particule immergée dans un fluide et qui n’est soumise à aucune autre interaction que des chocs avec les molécules du fluide environnant, de bien plus petite taille que la particule. Cette caractérisation est parfaitement en accord avec le comportement de molécules chimiques dans un solvant, un des cas que nous voulons décrire. Les trajectoires de certains animaux, à la recherche de nourriture, suivent aussi en première approximation un tel mouvement Brownien. Les mouvements browniens sont aussi, et c’est une caractéristique de ce travail, des processus stochastiques à temps et espace continu : à la fois les variables d’espace (décrivant la position) et de temps sont des nombres réels , contrairement aux marches aléatoires sur réseau. Nous rappelons ici la propriété fondamentale de ce type de mouvement : ⌦ r2(t) ↵ = 2dDt , (1.1) où ⌦ r2(t) ↵ représente le déplacement quadratique moyen après un temps t, par rapport à la position initiale, d la dimension de l’espace considéré et D le facteur de proportionnalité défini par cette équation, nommé coefficient de diffusion.

 Recherche de cibles en Biologie 

Dans le domaine de la Biologie, nous trouvons de nombreux exemples de processus à la recherche de cibles : 1. au niveau cellulaire, de nombreux mécanismes biologiques mettent en jeu des principes de type récepteur/ligand. Ces ligands doivent alors diffuser jusqu’à atteindre leur cible, le récepteur. On peut citer les très nombreux récepteurs membranaires (c’est-à-dire distribués sur la membranes des cellules), tels que les récepteurs synaptiques, illustrés par la figure 1.1. Figure 1.1 – Schéma d’un récepteur AMPA pouvant fixer une molécule de Glutamate (notée Glu) entre les sites S1 et S2, issu de [Bredt et Nicoll, 2003]. Ce récepteur se situe au niveau d’une synapse chimique (zone de contact entre deux neurones, par laquelle transite des neurotransmetteurs tels que le Glutamate), et, grâce à ses segments hydrophobiques, est fixé à travers la membrane cellulaire. Comme suggéré sur le schéma du bas, il est important de noter que le récepteur n’est pas totalement fixe sur la membrane, il peut y diffuser. 2. à l’échelle même du noyau cellulaire, on peut aussi citer la recherche d’un locus (emplacement physique précis) sur l’ADN, par des protéines. Comme exemple, nous pouvons citer l’analyse du système répresseur-opérateur LAC (nécessaire au transport et au métabolisme du lactose chez Escherichia coli) [Berg et Blomberg, 1976]. Ce système présente l’intérêt, comme montré sur la figure 1.2, de coupler deux états de diffusion différents : un état de diffusion dans le volume (tridimensionnel), et un état de diffusion en suivant le brin d’ADN (unidimensionnel). Ce processus de recherche a été exhaustivement étudié et généralisé pour plusieurs enzymes 4 Chapitre 1. Introduction générale Figure 1.2 – Diffusion intermittente d’une protéine afin d’atteindre une cible (Target) sur le brin d’ADN. Cette diffusion est dite intermittente car elle alterne entre deux états différents : la protéine peut diffuser à l’intérieur du noyau, dans le volume (donc dans un espace tridimensionnel), puis en rencontrant le brin d’ADN, s’absorber dessus et diffuser selon celui-ci : la diffusion est alors unidimensionnelle. La protéine pourra ensuite se désorber du brin, et reprendre l’étape de diffusion volumique. Ce processus s’arrête une fois que la protéine trouve enfin la cible. Ce comportement est régi par l’interaction différentielle de la protéine avec le brin d’ADN à un endroit quelconque, ou sur la cible spécifique. Ce comportement a été étudié par l’équipe qui m’a accueilli [Coppey et al., 2004] . cherchant une cible sur l’ADN dans l’article [Eliazar et al., 2007]. 3. la recherche de nourriture par les animaux a fait aussi l’objet de nombreuses études [Bell, 1991], et l’analyse de ces trajectoires animales peut présenter dans certains cas des caractéristiques proches d’un mouvement brownien. Ainsi peut-on modéliser le comportement des fourmis dans certaines situations par des trajectoires browniennes [Blanco et Fournier, 2003].

 Thigmotactisme dans le monde animal 

Les fourmis, ainsi que d’autres animaux, adoptent des comportements spécifiques en milieu confiné : comme on peut le voir sur la figure 1.3, les fourmis ont une assez forte tendance à s’agglutiner aux bords du domaine libre d’accès. Ce comportement, que l’on retrouve chez de nombreux insectes, consiste à suivre le contour d’un obstacle, lorsqu’ils se trouvent confrontés à celui-ci. En Biologie, ce comportement porte le nom de Thigmotactisme (ou Thigmotaxie), et signifie que le déplacement est orienté grâce au contact avec les éléments extérieurs. Ainsi les fourmis « sentent » les bords du domaine, et ont alors tendance à se déplacer en suivant ce bord. Ce comportement est aussi un comportement connu et observé chez de nombreux autres animaux, comme par exemple les souris et les rats, animaux très souvent étudiés en laboratoire. En analysant les trajectoires de ces animaux [Gapenne et al., 1990], on remarque en effet une forte proportion de déplacements suivant les bords du domaine [Lamprea et al., 2008, Horev et al., 2007,Jeanson et al., 2003]. Une des explications données à ce comportement spécifique est un mécanisme de protection contre le prédateur. Dans [Bonsignore et al., 2008], les auteurs expliquent que ce comportement semble une conséquence de la réaction de peur. Figure 1.3 – Dispositif expérimental issu de [Theraulaz et al., 2002]. 400 fourmis sont déposées dans une boîte circulaire, et on observe leur agrégation en fonction du temps : immédiatement après le dépôt dans la cavité pour l’image a, après 6 heures pour l’images b, après 12 heures pour l’image c, et enfin après 48 heures pour l’image d. On remarque que les fourmis s’agrègent spontanément et immédiatement au niveau des parois de la boîte circulaire. Ce comportement peut également être étudié à des fins d’analyse. En effet, on peut mesurer la distance totale parcourue par l’animal et celle parcourue en rasant les bords du domaine. Le rapport de ces deux valeurs constitue alors un index de l’anxiété, qui est d’autant plus élevé que la distance parcourue en suivant les bords tend vers la distance totale. Ainsi, grâce à la mesure de l’intensité du comportement thigmotactique, certains laboratoires étudient l’effet, chez ces animaux, d’injection de substances [Zou et al., 2009] ou de la présence de prédateurs [Bonsignore Figure 1.4 – Figure issue de [Bonsignore et al., 2008], représentant une caractérisation expérimentale, chez les souris, du thigmotactisme. Les souris sont disposées dans une piscine circulaire, et sont mises, ou non, en présence d’un prédateur (ici un rat dans une cage), et peuvent s’échapper par une plateforme située dans le quadrant 9-12h. Selon leur apprentissage (12 essais, sur une durée de 2 jours), ou leur précédente exposition au rat (groupe RAT-Pre), les souris modifient leurs trajectoires pour rejoindre plus efficacement la plateforme. Le graphe (b) illustre cette optimisation en traçant le temps dit de thigmotaxie, le temps que la souris passe à nager en suivant la bordure de la piscine

Table des matières

1 Introduction générale
1.1 Introduction générale et contexte
1.1.1 Recherche de cibles et mouvement brownien
1.1.2 Recherche de cibles en Biologie
1.1.3 Thigmotactisme dans le monde animal
1.1.4 Robots
1.1.5 Catalyse hétérogène
1.2 État de l’art
1.2.1 Recherche de cible sur un réseau borné .
1.2.2 Recherche de cible en milieu continu, sans intermittence
1.2.3 Intermittence
1.3 Un nouveau modèle d’intermittence
1.3.1 Système et mouvement intermittent
1.3.2 Quantités considérées
1.3.3 Plan
Résumé des notations et abréviations
2 Calcul exact de la probabilité de splitting
2.1 Introduction
2.2 Système et Quantités considérées
2.2.1 Définition du système
2.2.2 Probabilité de splitting dans un disque
2.2.3 Territoire exploré
2.3 Conclusion
3 Pseudo-fonctions de Green : étude théorique
3.1 Introduction
3.2 Définition des pseudo-fonctions de Green et des quantités associées
3.2.1 Densité de probabilité de présence W
3.2.2 Temps de premier passage
3.2.3 Probabilité de splitting
3.3 Calcul des pseudo-fonctions de Green dans un disque avec mouvement SMD
3.3.1 Équations pour les pseudo-fonctions de Green . 40
3.3.2 Probabilités stationnaires
3.3.3 Calcul exact de la pseudo fonction de Green 42
3.4 Conclusion
4 Calcul du temps de premier passage pour une cible volumique
4.1 Introduction
4.2 MFPT dans notre modèle minimal
4.2.1 Équations et résolution
4.2.2 Cible centrée
4.2.3 GMFPT
4.2.4 Optimisation
4.3 Autres géométries
4.4 Conclusion
5 Probabilité de splitting et territoire exploré
5.1 Introduction
5.2 Probabilités de splitting pour des cibles étendues
5.2.1 Disque
5.2.2 Sphère
5.3 Retour au cas ponctuel : territoire exploré et probabilité de réaction
5.3.1 Fluctuations du territoire exploré
5.3.2 Probabilité de Réaction
5.4 Territoire exploré avec cibles étendues
5.4.1 Disque
5.4.2 Sphère
5.5 Conclusion
6 Diffusion dans un milieu poreux ordonné
6.1 Introduction
6.2 Modèle de marche aléatoire en temps continu
6.2.1 Réseau de cavités
6.2.2 Diffusion à l’intérieur d’une cavité
6.2.3 Résultat 88
6.3 Modèle de marche aléatoire persistante
6.3.1 Marche aléatoire persistante
6.3.2 Diffusion à l’intérieur d’une cavité
6.4 Résultats et Simulations
6.4.1 Simulations
6.4.2 Mouvement brownien avec bords réfléchissants 0
6.4.3 Modèle de marche aléatoire persistante bidimensionnelle
6.5 Conclusion
Synthèse des principaux résultats
Conclusion et perspectives
A Disque : Calcul exact de la probabilité de splitting pour une cible ponctuelle
B Liens entre les pseudo-fonctions de Green, le MFPT et les probabilités de splitting
C Disque : calcul exact de la pseudo-fonction de Green H
D Distribution du temps de premier passage
E Temps de premier passage : géométries diverses
E.1 Ellipses
E.2 Triangles
E.3 Cas d’une sphère 3d
F Cas du vrai retour dans le disque
F.1 Analyse de la monotonie : croissance du MCT
F.2 Analyse de la monotonie : décroissance du MCT
F.3 Cas d’une autre géométrie
G Milieux Poreux : démonstration de l’équivalence des deux modèles proposés
H Méthodes numériques
H.1 Simulations de Monte-Carlo
H.2 Résolution numérique des équations
Bibliographie

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