L’entrepreneuriat immigré en France, définition et importance

La définition de l’objet de recherche : les entrepreneurs issus de l’immigration

Analyser l’entrepreneuriat des étrangers limiterait l’analyse selon la nationalité des individus.
C’est l’approche la plus objective et la plus facile à utiliser statistiquement. Cependant, la nationalité est une catégorie exclusive du point de vue du rapport de l’individu aux cultures et occulte toute prise en compte de la situation d’acculturation.
Le repérage par la nationalité ne serait d’ailleurs pas exempt d’ambiguité. Convenant que « le repérage précis des enfants d’immigrés est très délicat », J. COSTA-LASCOUX (1989, p. 178) précise :
« D’une part, un grand nombre acquiert la nationalité française. D’autres conservent la double nationalité». On constate également « la plasticité et la co-existence de modes d’identification qui, chez de nombreux enfants d’immigrés, varient selon les intérêts du moment.
Un tel revendiquera les droits que lui confère sa nationalité française dans le même temps où il affichera sa nationalité d’origine face à un représentant des forces de l’ordre ou à une attitude raciste. On se dit algérien devant son père ou sa soeur mais on se revendique français pour s’inscrire sur les listes électorales, on est supporter de l’équipe de France et on est parisien à Alger».
La catégorie « immigré » est déjà plus large. Selon TRIBALAT (1989), elle désigne « toute personne étrangère ou française par acquisition, née hors de la France métropolitaine». Elle exclut du champ d’études les enfants d’immigrés nés en France alors que, comme le note DUBET (1989) nombre d’entre eux se perçoivent et sont perçus par le reste de la société comme des étrangers. « Ainsi, certains groupes sont incontestablement vus comme des étrangers tout en ayant la nationalité française : les enfants de harkis, beaucoup de jeunes beurs… ».
Si c’est le cas, on peut présumer que cela influencera leur comportement entrepreneurial. Il serait intéressant de voir dans quelle mesure celui-ci se démarque ou se rapproche de celui des primo migrants. Aussi, nous retiendrons une approche plus large de l’immigré en nous intéressant aux entrepreneurs ou porteurs de projet issus de l’immigration que nous qualifions comme « toute personne étrangère ou française par acquisition, née hors de la France métropolitaine ou toute personne née en France et possédant au moins un parent de nationalité étrangère et né hors de France. ».
L’appréhension commune du phénomène entrepreneurial immigré en France Malgré son importance significative, il y a encore peu d’études sur l’entrepreneuriat immigré en France.
La plupart des travaux abordant la question de l’entrepreneuriat immigré en France se concentrent, en fait, sur certaines activités jugées les plus significatives et sur certaines localisations (Paris, Lille et le Nord-Pas de Calais, Lyon, Marseille, l’Est de la France).
L’établissement de la liste de ces localisations fortement urbaines et de ces activités offre une première représentation de l’entrepreneuriat immigré pour les chercheurs. Sur cette base, lessecteursde prédilection pour l’entrepreneuriat immigré seraient le commerce (MA-MUNG etSIMON, 1990 ; JOSEPH, 1990), la vente ambulante (SIMON, 1984), la restauration (BOUBAKRI, 1984), et le bâtiment. Nous présenterons leurs principaux résultats (1.2.1.) avant de discuter les typologies obtenues (1.2.2).

Les rares travaux empiriques et leurs limites

MA MUNG et SIMON (1990) constatent une double « sélectivité » dans l’entrepreneuriat étranger qui est à la fois géographique et sectorielle.

Une dynamique géographique liée à la localisation des populations immigrées

La sélectivité géographique n’est guère surprenante. Elle est liée à la localisation des populations immigrées sur le territoire français. De ce fait, l’entrepreneuriat immigré serait essentiellement un entrepreneuriat urbain45. MA MUNG et SIMON (1990) constatent que les commerçants étrangers (4.8% des étrangers en France) sont surtout implantés dans les grandes villes, plutôt à l’Est, en particulier sur Paris et Mantes-la-jolie, sur la conurbation du Nord (Lille, Lens, Douai, Maubeuge), dans les grandes villes de l’Est (Conurbation de Nancy/Metz/Thionville/Hagondange, Strasbourg, Conurbation de Mulhouse/Montbéliard, Reims, Troyes), ainsi qu’en Rhône-Alpes (Grenoble, Lyon, mais surtout St Etienne où le pourcentage d’étrangers parmi les commerçants dépasse 6%) et dans le sud-Est (Montpellier, Marseille-Aix, Grasse-Cannes-Antibes-Nice).
Plus précisément, cette localisation se situe soit dans les vieux centres villes (souvent délabrés, comme à Metz ou à Marseille), soit dans les quartiers périphériques, « la distribution spatiale des commerçants maghrebins suit globalement celle de la population maghrebine » (MAMUNG et alii, op. cit., p. 50).
Excepté pour le Sud-Est où c’est la proximité des portes d’entrée qui explique l’implantation immigrée, on retrouve des entrepreneurs immigrés dans les anciens bastions industriels (textile ; sidérurgie ; mine) qui ont motivé l’afflux de main-d’oeuvre dans les années soixante et soixante dix.
La sélectivité dans l’activité est moins évidente a priori.

Un éthos de la notabilité et une fonction communautaire

PAIRAULT (1995) considère que la petite entreprise familiale chinoise sur Paris est davantage mue par « un éthos de la notabilité » que par « un éthos du profit ».
Cet éthos n’a pas forcément de répercussion économique directe comme c’est généralement le cas en Afrique. Si l’entrepreneuriat commercial maghrebin contribue peu à l’emploi de la communauté maghrébine, il remplit pourtant une fonction socio-communautaire importante. « Le commerce maghrebin est souvent vécu comme un lieu de ressourcement culturel, que ce soit sur le plan religieux ou sur le plan de la convivialité intra-communautaire et du maintien des liens avec le pays d’origine ». (SIMON et MA-MUNG, op. cit., p. 74). Outre son utilité matérielle (proposer de la viande halal et maintenir ainsi la tradition), il sert une véritable fonction symbolique (« le magasin est perçu par l’ensemble de la communauté comme un morceau de bled ») et, parfois, socialisante (comme c’est le cas des cafés et restaurants spécifiquement dédiés à la clientèle masculine qui vit seule l’exil loin de la famille restée au pays).
Le « hamout » (magasin) joue le rôle de lieu d’échanges d’informations sur la famille, sur le village avec ceux qui arrivent du bled mais aussi de lieu de conseil sur le marché de l’emploi, etc.
Dans ces schémas, l’entreprise est au coeur d’un réseau social et l’entrepreneur fait appel à des renforts de main-d’oeuvre dans son entourage pour lui « filer un coup de main ». La famille reste un important réservoir de main-d’oeuvre souvent informel. La forme la plus originale dépeinte par le professeur BOUBAKRI va jusqu’à « l’association libre ». Si 56% des commerçants maghrébins et asiatiques répertoriés par MA-MUNG et SIMON (1990) sont établis en EURL ou en SARL, certains ont, de plus, adopté un système « d’association avec la force du corps ». Dans ce cas, l’associé ne participe à aucun apport en capital, à aucun financement, même pour la rénovation du magasin. Son seul apport est son travail et sa présence continue dans le magasin.
A ce titre, il bénéficie d’une participation aux bénéfices. Cela arrive notamment quand l’apporteur de capitaux doit se rendre « au bled ». Il propose à un de ses employés de devenir tel un associé avec promesse de participer au bénéfice en fonction du Chiffre d’Affaires du magasin.
Ces dispositifs provoquent une ethnicisation des relations d’affaires qui n’est pourtant que partielle d’après ces études. Chez les commerçants soussi enquêtés par MA-MUNG et alii, 87% des employés sont soussi et généralement du même Arch (la même tribu) que le commerçant qui les emploie, 35% sont même de sa famille (cousins ; frères…). Pourtant, les sources d’approvisionnement sont très variées et ne sont pas spécifiquement ethniques. Les commerçants recourent autant au commerce banal qu’aux entreprises de gros françaises et aux approvisionnements directs en Afrique du Nord. Les auteurs ajoutent que, dans l’Est, ce sont les
Turcs qui alimentent la filière « restauration et alimentation » pour les commerçants et restaurateurs maghrébins…
En revanche, ces études, limitées au commerce immigré, ne permettent pas de tirer des conclusions significatives quant aux performances (notamment en termes de Chiffre d’Affaires ou de résultat) des affaires étudiées.
D’autres travaux sociologiques non spécifiquement consacrés à l’entrepreneuriat immigré mais étudiant les femmes immigrées complètent ce panorama en soulignant un esprit d’entreprise marqué et très original, malgré la perception d’une « double discrimination ».

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Un esprit d’entreprise significatif chez les femmes et chez les jeunes de seconde génération

L’une des spécialistes français des femmes issues de l’immigration, Camille LACOSTEDUJARDIN évoque « un vif esprit d’entreprise commun à un certain nombre de femmes maghrebines en France ». (LACOSTE-DUJARDIN, 1992, p. 221-225)48. ZOUITEN (2002) qui a passé en revue les motivations entrepreneuriales des femmes dans différents pays rejoint les conclusions de LACOSTE-DUJARDIN en démontrant que la motivation entrepreneuriale de ces femmes est surtout liée à la recherche d’un épanouissement personnel et à la reconnaissance par la famille, l’éthos du profit ne passant qu’au second plan. Dans le cas particulier des femmes de seconde génération, LACOSTE-DUJARDIN (op. cit.) place la voie entrepreneuriale sur le même plan que l’obtention d’un travail salarié valorisant dans le prolongement des études, comme un moyen d’une prise d’autonomie par rapport à « l’influence patriarcale ». L’auteur évoque le cas de Djamila qui a ouvert un restaurant avec sa tante et, de ce fait, repousse plus facilement l’échéance du mariage à plus tard (p. 226). L’entrepreneuriat apparaît d’abord pour ces femmes comme un moyen de différer des pressions sociales et patriarcales fortes. MUAMBA et POTAKEY (2000, p. 9) accompagnant des femmes issues de l’immigration dans le cadre du Collectif des Femmes de Louvain-la-Neuve, insistaient sur le rôle de ce dispositif d’aide pour briser leur isolement dans leurs communautés respectives.

Le dispositif d’observation mis en place à A.L.E.X.I.S. et l’implication du chercheur

Afin de réaliser cette thèse, notre dispositif d’observation repose sur notre investissement substantiel et durable au sein de l’équipe d’A.L.E.X.I.S.-Boutiques de Gestion de Lorraine dont nous préciserons d’abord les modalités (1.3.1). Avec les responsables et animateurs de cette structure nous avons mis en place une procédure interne de collecte de données quantitatives qui a supposé la participation de l’ensemble des membres de l’équipe (1.3.2). La volonté managériale et la nécessité scientifique de faire adhérer les membres d’A.L.E.X.I.S. à notre approche nous conduisent à penser que la durée de notre investissement est, par elle-même, un élément de notre dispositif d’observation (1.3.1). Du fait de notre intégration à l’équipe, nous avons pu compléter les observations statistiques et les entretiens réalisés auprès de porteurs de projets accompagnés par des entretiens réguliers avec les Chargés de mission. Conscient du biais introduit par le choix exclusif d’A.L.E.X.I.S. comme terrain d’étude, nous avons complété le dispositif interne en réalisant des entretiens auprès d’entrepreneurs non accompagnés par la structure d’accueil et auprès d’autres accompagnants. Ces dispositions qui nous permettent une validation externe de nos résultats, seront présentées en conclusion de cette section (1.3.4).

Le dispositif organisationnel et le statut du chercheur au sein d’A.L.E.X.I.S

Comme on l’a évoqué dans l’introduction générale, le terrain privilégié, mais non exclusif, de notre travail a été constitué des porteurs de projets accueillis et accompagnés par A.L.E.X.I.S. dans le cadre d’une Recherche-Action conduite pour le compte du Fonds d’Action et de Soutien pour l’Intégration et la Lutte contre les Discriminations (F.A.S.I.LD.).
Cette étude étalée sur trois années, s’est appuyée sur un travail d’équipe. Le noyau de pilotage du projet a été constitué du Délégué Général d’A.L.E.X.I.S., Louis Michel BARNIER, du Chargé d’Etudes de la Boutique de Gestion, Fabien SAVELLI, sociologue de formation, et de nous même. Au démarrage, en 2001, nous nous étions entourés de deux chargés de mission (FatimaDAKIRI et Muriel CONTI) en raison de leur expérience. Evidemment, dans le cadre de leur fonction d’accompagnement, tous les chargés de mission ont été associés à l’avancement de l’étude. Une procédure a notamment été mise en place afin qu’ils présentent l’étude aux porteurs de projet qu’ils accueillaient et qu’ils sollicitent leur accord pour une utilisation statistique des renseignements contenus dans le dossier d’accueil et d’accompagnement les concernant. Cette procédure qui nécessitait leur adhésion a réclamé avec eux, de nombreux échanges et des clarifications dans son application. Nous les tenions régulièrement informés, de manière formelle lors des réunions d’équipe annuelles et de manière informelle lorsqu’à la faveur d’une commande d’un plan d’affaires, nous pouvions communiquer avec eux sur le projet et son porteur. Sur un plan organisationnel, il semble possible d’affirmer qu’autour de ce projet et de notre travail, l’équipe53 d’A.L.E.X.I.S. est devenue une communauté épistémique. Elle s’est en effet positionné dans une optique explicite de production de connaissances sur l’entrepreneuriat immigré et sur son accompagnement. Au gré des besoins, nous mobilisions en effet tel ou tel membre de l’équipe pour recueillir son expérience et en retour, ayant acquis le statut d’expert, les chargés de mission nous demandaient ponctuellement conseil. COWAN, DAVID et FORAY (2000, p. 34) définissent la communauté épistémique comme un petit groupe constitué d’agents engagés dans des sous-ensembles de questions mutuellement reconnues qui acceptent une certaine autorité procédurale communément comprise comme étant nécessaire à la réussite de leurs activités collectives. Cette autorité procédurale était dictée à la fois par les attentes des commanditaires de l’étude et par notre travail doctoral. Elle était matérialisée par la procédure de collecte des données mise en place.

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