L’environnement psychosocial de travail et la santé mentale des travailleurs

Plusieurs chercheurs (Alderson, 2001; Baumann et al,. 2001; Bourbonnais et al., 1999; Brun et al., 2003; Karasek et Theorell, 1990; Koehoorn et al., 2002; Lavoie-Tremblay, Bonin, Lesage, Bonneville-Roussy, Lavigne et Laroche, 2010a; Marchand, Demers et Durand, 2005; Mayrand Leclerc, 2006; O’Brian-Pallas et Baumann, 1992; Siegrist, 1996) se sont intéressés à la relation entre l’ environnement psychosocial de travail et la santé des individus. Des études ont démontré que la présence de plusieurs contraintes psychosociales dans l’environnement de travail peut avoir des conséquences néfastes pour la santé mentale de l’ individu (Alderson, 2001; Bourbonnais, Brisson, Mal enfant et Vézina, 2005a; Bourbonnais et al. , 1997; Bourbonnais et al., 1999; Bourbonnais et al. , 2004; Bourbonnais et al., 2006a; Bourbonnais et al., 2006b; Brun et al., 2003; Karasek et Theorell, 1990; Lavoie Tremblay, Sounan, Lavigne, Bonin, Lesage, Renaud, Maisy et Denis, 2008a; Lavoie Tremblay et al. , 2010a; Marchand et al., 2005; Siegrist, 1996). D’ ailleurs, au cours d’une étude effectuée chez 1454 infirmières de la région de Québec, de 1993 à 1999, 64 % des épisodes d’absences pour maladies certifiées étaient potentiellement liés à la présence de contraintes psychosociales dans l’environnement de travail (Bourbonnais et al., 2005a). Les problèmes de santé mentale se classaient au premier rang des raisons d ‘ absences qui duraient en moyenne 70 jours pour 25 % des épisodes d’ absences. Selon une étude réalisée par le Centre syndical et patronal du Canada (2002; voir EI-Jardali et Fooks, 2005), le taux d’ absentéisme dû aux maladies ou aux blessures chez les infirmières autorisées a augmenté de plus de 16 %, entre 1997 et 2002. Toujours selon cette même étude, en 2002 seulement, le taux d’ absentéisme dû aux maladies ou aux blessures chez les infirmières autorisées qui travaillent à temps plein a été de 80 % supérieur au taux pour la population active en général. Enfin, la présence de plusieurs contraintes psychosociales dans l’environnement de travail peut même compromettre la qualité la qualité des soins aux patients (Hayes, O’Brien-Pallas, Duffield, Shamian, Buchan, Hughes, Lashinger, North et Stone, 2006; Lacey, Teasley, Henion, Cox, Bonura et Brown, 2008).

La restruchrration du réseau de la santé et des services sociaux apparaît comme un contexte ayant favorisé l’apparition de problèmes de santé, et tout particulièrement des problèmes de santé mentale. En effet, de 1993-1995 à 1998-1999, la durée moyenne des épisodes d’absences pour des problèmes de santé mentale est passée de 41 jours à 66 jours, ce qui représente une augmentation de 61 % (Bourbonnais et al. , 2005b). Des augmentations significatives des contraintes de l’environnement de travail et de la détresse psychologique ont également été observées depuis la restructuration du réseau de la santé et des services sociaux (Bourbonnais et aL, 2005a; Bourbonnais et al., 2005b; Bourbonnais et aL, 1999; Bourbonnais et aL, 1998). Selon l’étude de Bourbonnais et al., (2005a), la demande psychologique élevée était déclarée par 66 % (n = 941) des infirmières en 1998, alors qu’ elle l’ était à 53 % (n = 503) en 1994, soit avant la restructuration. L’association entre la demande psychologique élevée et la faible latitude décisionnelle touchait 35 % (n = 494) des infirmières en 1998 et 30 % (n = 286), en 1994 (Bourbonnais et al., 2005a). En ce qui concerne la détresse psychologique, les résultats de cette même étude révèlent que 36 % (n = 505) des infirmières disent souffrir de détresse psychologique élevée comparativement à 21 % (n = 537) des femmes actives du Québec qui ont participé à l’enquête sociale et de santé de la même année (Bourbonnais et aL, 2005a).

Une étude menée dans cinq pays, soit les États-Unis, le Canada, l’Écosse, l’Angleterre et l’Allemagne démontre que les restructurations des systèmes de santé ont également contribué à accroître l’épuisement professionnel, l’insatisfaction des infirmières au travail et l’intention de quitter l’emploi (Aiken, Clarke, Sloane, Sochalski, Busse et Clarke, 2001). Le manque de reconnaissance pour le travail accompli, le manque de participation à la prise de décision et le manque d’ écoute des gestionnaires représentent les insatisfactions les plus fréquemment exprimées, parmi les insatisfactions exprimées par les infirmières. La recension des écrits de Cumming et Estabrook (2003) a même fait ressortir que la diminution de la satisfaction au travail et l’épuisement professionnel chez les infirmières sont considérés comme étant les deux principaux impacts attribuables aux restructurations effectuées.

Pour mieux comprendre le lien entre certaines caractéristiques de l’environnement de travail et de leurs répercussions sur la santé psychologique des travailleurs, divers modèles ont servi à la collecte de l’information en relation avec l’environnement de travail. Le modèle du contrôle et de la demande de Karasek et Theorell (1990) (voir figure 2) a dominé la recherche empirique sur l’environnement psychosocial au travail. Ce modèle a d’abord été développé par Karasek (1979) pour ensuite être emichi par Karasek et Theorell (1990). Il implique la prise en compte de deux dimensions: la demande psychologique et la latitude décisionnelle (Karasek et Theorell, 1990). La demande psychologique fait référence à la quantité de travail à accomplir, aux exigences mentales pour accomplir la tâche et aux contraintes de temps liées au travail. La latitude décisionnelle réfère au degré d’autonomie, à la prise de décision, au degré d’influence au travail et à la possibilité d’exercer un certain contrôle sur son travail. Ce modèle explique que des demandes psychologiques élevées jumelées à une faible latitude décisionnelle entraînent de fortes tensions au travail et par conséquent, des conditions défavorables pour la santé physique et mentale de l’individu. En contrepartie, des demandes psychologiques élevées jumelées à une forte latitude décisionnelle peuvent protéger des effets négatifs des demandes psychologiques élevées et même contribuer à la motivation à développer de nouveaux comportements.

Johnson et Hall (1988) ont emichi le modèle de Karasek et Theorell en intégrant le soutien social comme dimension supplémentaire. Les auteurs soutiennent que le soutien social aurait un effet protecteur sur la santé de l’individu lors de demandes psychologiques élevées associées à une faible latitude décisionnelle. À l’inverse, un soutien social faible, dans le même environnement de travail, engendrera un facteur supplémentaire de stress pouvant conduire à des problèmes de santé mentale. Le soutien social peut provenir des collègues de travail (l’esprit d’équipe, l’écoute, le partage de l’ expertise, etc.) ou du supérieur hiérarchique (la considération, le respect, l’écoute, bon leadership, etc.).

Des chercheurs ayant expérimenté le modèle du contrôle et de la demande de Karasek et Theorell (1990) confirment l’hypothèse de ce modèle. En effet, les résultats d’une étude réalisée par Bourbonnais et al. (1997) démontrent qu’ une demande psychologique élevée combinée à une faible latitude décisionnelle ont été associées à une détresse psychologique élevée et à de l’épuisement professionnel. Récemment, l’étude menée par Lavoie-Tremblay et al. (201 Oa) démontre des résultats similaires et confirme que la demande psychologique élevée, la faible latitude décisionnelle, le déséquilibre effort-reconnaissance contribuent à une détresse psychologique élevée. Plus spécifiquement, une étude, réalisée auprès d’intervenants travaillant dans un CHSGS, démontre une exposition de 51 % à une faible reconnaissance, 81 % à un faible soutien social des supérieurs et 68 % à un déséquilibre efforts/reconnaissance (Bourbonnais et al., 2004). Les résultats de cette même étude révèlent que 49 % des intervenants (n=240) ont déclaré souffrir d’épuisement lié au travail et 31 % (n= 152), de détresse psychologique. Par ailleurs, une augmentation de l’incidence des absences pour cause de maladie avec certificat médical a également été associée à un déséquilibre efforts/reconnaissance, à une demande psychologique élevée, à une faible latitude décisionnelle, à une faible reconnaissance au travail et à un faible soutien social (Bourbonnais et al., 2005b). Plus encore, l’enquête de Statistique Canada (2005) sur le travail et la santé du personnel infirmier démontre des résultats similaires et révèle que les infirmières qui sont exposées à des tensions élevées ou à un faible soutien de leur supérieur immédiat doublent leurs chances d’avoir un état de santé mentale qualifié de passable ou mauvais. Par le fait même, elles sont significativement plus susceptibles de s’absenter pendant au moins 20 jours comparativement à celles qui ne subissent pas ces facteurs de risque organisationnels. En revanche, des résultats d’études conduites par Brun et al., (2003) indiquent que les personnes qui bénéficient de manifestations de reconnaissance au travail ont quatre fois moins de risques de présenter une détresse psychologique élevée.

D’autres recherches ayant mesuré l’efficacité de certaines interventions dans l’environnement de travail visant à réduire les contraintes psychosociales au travail démontrent une diminution des symptômes associés à des problèmes de santé mentale (Bond et Bunce, 2001; Bourbonnais et al., 2004; Bourbonnais et al., 2006a; Bourbonnais et al., 2006b; Kawakami, Araki, Kawashima, Masumoto et Hayashi, 1997). Plus spécifiquement, des résultats préliminaires d’une étude conduite par Bourbonnais et al. (2004) auprès du personnel soignant exerçant en CHSGS et CHSLD démontrent qu’ après la mise en place d’ interventions visant à réduire les contraintes psychosociales au travail, plusieurs de ces interventions contribuent également à réduire l’exposition à une demande psychologique élevée, à une faible reconnaissance, à un déséquilibre effortslreconnaissance et à diminuer les problèmes de sommeil. Voici par exemple, quelques interventions contribuant à réduire les conséquences néfastes sur la santé psychologique des intervenants: stabiliser et consolider les équipes de travail, clarifier et enrichir les rôles et fonctions des membres de l’ équipe de soins, développer un processus efficace et continu de communication, mettre en place un programme de reconnaissance et former le personnel au travail en équipe et au développement du leadership (Bourbonnais et al. , 2004).

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 LA PROBLÉMATIQUE
1.1 B UT DE LA RECHERCHE
1.2 Q UESTIONS DE RECHERCHE
1.3 EN RÉSUMÉ
CHAPITRE 2 LA RECENSION DES ÉCRITS
2.1 LA RECONNAISSANCE AU TRA VAIL
2.2 L’ENVIRONNEMENT PSYCHOSOCIAL DE TRAVAIL ET LA SANTÉ MENTALE DES TRAVAILLEURS
2.3 L ‘ANALYSE DE BESOINS
2.4 LE CADRE DE RÉFÉRENCE
2.4.1 Le modèle psycho-socio-organisationnel de la santé mentale au travail
2.4.2 La nomenclature des manifestations de reconnaissance au travail
2.5 EN RÉSUMÉ
CHAPITRE 3 LA MÉTHODE
3.1 T YPE D’ÉTU DE
3.2 L E MILIEU DE L’ ÉTU DE
3.3 LA POPULATION ClBLE ET L’ ÉCHANTILLON
3.4 TECHNIQUE D’ÉCHANTILLONNAGE
3.5 D ÉFINITION OPÉRATIONNELLE DES TERMES
3.6 L E CONTRÔLE DES VARIABLES ÉTRANGÈRES
3.7 D ÉROULEMENT DE L’ÉTUDE
3.8 LA COLLECTE DE DONNÉES
3.9 ANALYSE ET TRAITEMENT DES DONNÉES
3.10 P LAN D’ANALYSE DES DONNÉES
3.11 CONSIDÉRATIONS ÉTHIQUES
CHAPITRE 4 LES RÉSULTATS
4.1 RÉSULTATS OBTENUS LORS DE LA VALIDATION DU QUESTIONNAIRE
4.2 CARACTÉRI STIQ UES SOCIODÉMOGRAPHIQUES DES SUJETS COMPOSANT L’ÉCHANTILLON
4.3 R ÉSULTATS OBTENUS POUR CHACUNE DES FORMES DE RECONNAISSANCE AU TRAVAIL
4.3.1 Les manifestations de la reconnaissance existentielle
4.3.2 Les manifestations de la reconnaissance de la pratique du travaiL
4.3.3 Les manifestations de la reconnaissance de l’investissement du travail
4.3.4 Les manifestations de la reconnaissance des résultats du travail
4.4 MISE EN PRIORITÉ DES BESOINS DE RECONNAISSANCE AU TRAVAIL DES INFIRMIÈRES
4.5 EN RÉSUMÉ
CHAPITRE 5 DISCUSSION
5.1 D ISCUSSION RELATIVE AUX RÉSULTATS DE RECHERCHE
5.1.1 La méthode
5.1.2 Les besoins de la reconnaissance existentielle au travail
5.1.3 Les besoins de la reconnaissance de la pratique du travail
5.1.4 Les besoins de la reconnaissance de l’investissement du travail
5.1.5 Les besoins de la reconnaissance des résultats du travail
5.1.6 La mise en priorité de l’ensemble des besoins de reconnaissance au travail
5.2 CONTRIBUTION DE L’ÉTUDE
5.2.1 Contribution de l’étude à l’avancement des connaissances en sciences infirmières
5.2.2 Contribution de l’étude pour les gestionnaires
5.3 LIMITES DE L’ÉTUDE
5.4 RECOMMANDATIONS POUR LA GESTION
5.5 RECOMMANDATIONS POUR LA RECHERCHE
CONCLUSION

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