Les cadres géographique, géomorphologique et climatique du littoral de l’ile d’Anjouan

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La nécessité d’une approche systémique

Le cadre scientifique et méthodologique mis en place pour analyser la dynamique des plages de l’île d’Anjouan dans un contexte de forte imbrication entre nature et société n’est pas le résultat d’une modélisation préétablie. Il est plutôt le cheminement d’une démarche de terrain qui s’est construite progressivement dès les premières observations sur les littoraux des Comores dans le cadre de recherches antérieures et notamment celles consacrées au cas d’Anjouan dans le mémoire de master 2 (Sinane, 2007). Ainsi en appui aux différents courants de pensée inventoriés dans la littérature scientifique (sédimentologie, géographie physique du littoral, géographie humaine du littoral) sur l’étude de la dynamique des plages, nous avons pu nous positionner sur l’approche à suivre tout en mettant en avant l’originalité de notre démarche. Les plages d’Anjouan connaissent actuellement une pression anthropique plus importante que celles des littoraux balnéaires des îles voisines du sud-ouest de l’océan Indien : Seychelles, Maurice, La Réunion et Mayotte par exemple (cf. § 5 intro.) Même si cette pression anthropique s’inscrit sous une forme d’occupation et d’activités traditionnelles, elle produit des effets graves en termes de dégradation et d’érosion du trait de côte de l’île. De ce constat, il est vite apparu que toute étude de la dynamique des plages de cette île doit s’inscrire dans un cadre d’analyse multidimensionnelle centré sur les rapports milieu-société, dans lequel les plages sont appréhendées sous la forme d’un système.

Le système-Plage insulaire

Objet de la présente thèse, le système-Plage insulaire (James, 2000) (fig.1-1) constitue un sous-ensemble du système-Littoral (Corlay, 1998) connu comme un ruban à géométrie variable et difficilement définissable ou délimitable. Il englobe une composante physique et biologique, formant un écosystème, et une composante humaine formant un socio-système.
L’écosystème-Plage peut être caractérisé par une accumulation sédimentaire soumit aux forçages météo-marins (vagues, houles, courant de dérive littoral) et par les biocénoses qui lui sont associées et forment son environnement proche (récifs coralliens, mangroves, végétation des hauts de plage). Les forçages météo-marins modifient la répartition spatiale des sédiments composants la plage qui eux même dissipent l’énergie des vagues jusqu’à ce qu’un état d’équilibre s’établisse quand n’ayant plus d’énergie, le jet de rive perd toute capacité de transport. Le socio-système-Plage présente une grande complexité. Il inclut : a) une composante humaine (les acteurs du système Plage), assimilable à un ensemble d’individus formé des usagers de la plage et de la population riveraine et à un ensemble d’institutions composé d’ONG (locales, nationales et internationales) et des pouvoirs publics œuvrant de manière directe ou indirecte sur l’écosystème Plage ; b) une composante économique, assimilable à l’ensemble des activités monétaires ou vivrière ayant pour objet la plage ; c) une composante sociale formée de l’ensemble des représentations et perceptions des acteurs ; d) une composante réglementaire intégrant l’ensemble des règles administratives et de gouvernance présidant à l’accès, à l’usage et à la gestion des plages.
La dynamique du socio-système-Plage sur l’écosystème-Plage produit un espace aménagé, un géo-système qui est caractérisé par des activités, des comportements, des représentations, des réglementations et des paysages représentatifs des rapports entre la nature et la société (David, 2005). Définir et délimiter le système-Plage dans un contexte d’interactions entre la nature et la société n’est pas un exercice facile. Selon Corlay (1995), il faut tenir compte à la fois « des notions de la géographie physique celle qui étudie un espace dont la spécificité résulte d’un fait de nature et de la géographie sociale celle qui vise à appréhender les interactions multiformes qui existent entre rapports sociaux et rapports spatiaux, en fixant comme postulat que les faits sociaux jouent un rôle essentiel dans la détermination des espaces géographiques ». Ces considérations physiques et humaines demeurent capitales sur les littoraux de petits espaces insulaires très peuplés.

L’écosystème-Plage insulaire

Dans les petits îles volcaniques telles que les Comores et Anjouan, les écosystèmes-Plages sont les produits de l’histoire géologique locale. Conformément à la théorie de Darwin (1842), les îles volcaniques connaissent quatre phases d’évolution (fig. 1-2). A une phase initiale de volcanisme à partir d’un point chaud sous-marin, succède une phase de subsidence où se forment dans un premier temps des récifs frangeant ensuite des récifs barrières. La phase finale de l’évolution d’une l’île est caractérisée par sa transformation en atoll corallien avec un lagon central.
De ces différentes phases d’évolution, les îles héritent d’un linéaire côtier sédimentaire de type plage proportionnel à leurs âges (Richmond, 2002). Qu’elles soient de nature bioclastique (corallienne), silliciclastique (volcanique) ou mixte (Calhoun et Field, 2008), les plages sont, selon Paskoff (1998), le résultat d’un transport sédimentaire par la dérive littorale : un courant né de l’obliquité de la houle par rapport au rivage qui redépose les sédiments là où la houle s’affaiblit formant ainsi le stock sédimentaire de la plage. Les plages peuvent être classées selon le degré d’évolution des compartiments littoraux dans lesquels elles s’insèrent. En Océanie, six principaux types de plage d’îles hautes ont été définies par Richmond (2002) : les plages situées au débouché des cours d’eau drainant de petites vallées ; les plages occupant des dépressions structurelles occupées par la mer ; les plages de « poche », généralement adossées à des falaises ; les plages en bordure de plaine côtière, les plages coralliennes jouxtant un récif frangeant, les plages « perchées » dont le matériel sédimentaire a été apporté lors de tempêtes. En complément de ces plages d’îles hautes, on rencontre également des plages d’îles basses, classées selon le type d’île basse et leur exposition à la houle et aux vents dominants. Cette classification des plages d’îles hautes nous semble la plus pertinente à ce jour et nous nous en inspirerons pour classer les plages d’Anjouan par la suite (cf. §. 4.4.1. chap.2).
Pour délimiter physiquement les plages, les géomorphologues marins, sédimentologues et géographes physiciens s’appuient sur les données des régimes de la marée ou des houles (en mer sans marée) (Otvos, 2000 ; Finkl, 2004). Pour Troadec et al. (2002), quatre principales sections peuvent être distinguées pour les plages des îles du sud-ouest de l’océan Indien: l’avant-plage, l’estran, la haute-plage et l’arrière-plage comme nous les délimiterons par la suite pour l’île d’Anjouan (cf. §4.3.4. et fig. 2-14 chap. 2). Les mouvements sédimentaires au sein d’une plage, que régit l’énergie libérée par les forçages météo-marins, sont révélateurs de l’interdépendance de ces différentes sections de la plage et sont nécessaires à l’équilibre de la plage. Ils peuvent se lire selon deux axes (Troadec et al. 2002) :
– « dans le profil, c’est-à-dire de l’avant-plage vers la haute-plage et inversement. Les sédiments sont caractérisés par une mobilité globalement perpendiculaire au rivage et dans les deux sens, sous l’action des agents dynamiques » ;
 le long du littoral : d’une part « parallèlement à lui, au niveau des avants-plages, sous l’action des dérives littorales et en liaison avec les mouvements de la mer par rapport au trait de côte » et d’autre part « en dent de scie sur les estrans, sous l’action des déferlements obliques avec des résultantes dans les sens préférentiel du transit ».
Le stock sédimentaire d’une plage s’adapte aux différents régimes hydrodynamiques qui l’affectent. La plage est ainsi caractérisée par l’alternance de périodes d’engraissement/accrétion et de périodes d’amaigrissement/érosion que révèlent les profils topographiques. L’accrétion s’observe par une tendance à la convexité du profil topographique lorsque les rentrées de sédiments sont plus importantes que les sorties. L’érosion correspond à des sorties plus importantes que les entrées, elle est caractérisée par une tendance à la concavité. Lorsque les entrées égalent les sorties, le profil topographique de la plage atteint un état d’équilibre. Dans un contexte de changement climatique, un état d’équilibre implique que « les sédiments qui sont enlevés sur la plage se déposent sur l’avant-plage avec une épaisseur qui compense l’élévation du niveau de la mer » ; c’est le « principe de Brünn » (in Paskoff, 1993).
Néanmoins, la tendance générale montre que l’érosion l’emporte un peu partout à l’échelle de la planète (Paskoff, 1993, Bird, 1996). Caractérisée par une augmentation de la fréquence des événements climatiques exceptionnels (surcotes, fortes houles), les effets du changement climatique nous montrent que l’étude de la dynamique d’une plage ne peut se cantonner aux seuls suivis des profils topographiques sur les sections affectées par les forçages météo-marins pendant les périodes de beaux temps. La pénétration des eaux de la mer sur l’arrière-plage lors des événements climatiques exceptionnels comme les cyclones (Pagney Bénito-Espinal, 2007) nous montre à quel niveau les limites physiques conventionnelles de la plage peuvent être repoussées. Ainsi la compréhension globale de la dynamique des plages exige de prendre en compte la connectivité qui existe entre la plage et les autres écosystèmes littoraux. Comme le souligne Miossec (2004) « ces formes s’inscrivent dans un espace et non sur un alignement qui n’a guère de sens : l’espace est celui de la solidarité des éléments que l’on doit comprendre comme évoluant au sein d’un système ».
Cette considération vaut particulièrement pour les petits espaces insulaires où la plage est étroitement reliée à d’autres composantes du littoral : la mangrove, les récifs coralliens, la végétation littorale et les écoulements terrestres. Les plages des petites îles ne sont donc pas seulement des accumulations sédimentaires mis en mouvement par l’énergie des forçages météo-marins mais aussi des viviers faunistiques et floristiques (Joseph, 2009). L’ensemble plage, mangrove, végétation littorale, récif corallien, partie basse des bassins versants et cours d’eau qui la traverse constitue le « seascape » ou paysage littoral (Moberg et Rönnbäck, 2003) qui fait donc partie de l’écosystème-Plage insulaire. Ces considérations nécessaires à la bonne gestion des zones côtières des petites îles nous permettent d’appréhender encore plus les difficultés de donner uniquement des frontières physiques à notre système-Plage et cela dans un contexte de forte anthropisation des littoraux insulaires qu’il faudrait aussi prendre en compte.

Le socio-système-Plage

Le socio-système-Plage insulaire est encore plus complexe à définir et à délimiter que l’écosystème-Plage puisqu’il intègre des populations humaines, des activités économiques et des pratiques sociales, des perceptions et représentations, des réglementations et règles de gouvernance. De manière synthétique et opérationnelle, il sera considéré que le socio-système-Plage est formé de deux grands ensembles : la population des usagers et résidents du littoral, ainsi que leurs activités, représentations, perceptions et règle, d’une part, et d’autre part, les gestionnaires effectifs ou potentiels de ce milieu, en l’occurrence les organismes internationaux, régionaux, les pouvoirs publiques, le pouvoir local, les ONG, les associations communautaires et leurs politiques de gouvernance, programmes de GIZC, lois et réglementations. Il est ainsi intéressant d’étudier l’insertion de ces facteurs humains dans le système-Plage insulaire.

Les usagers, leurs activités, représentations et perceptions

Si dans les pays continentaux, les plages ont été pendant longtemps considérées comme des espaces répulsifs, dans les petites îles tropicales, elles restent des espaces propices à une occupation humaine du littoral (Lageiste et Rieucau, 2008). C’est ainsi que Dupon (1991) pense que « dire que la côte est la partie la plus importante d’une île est une vérité d’évidence ». En tant que zones d’atterrage des embarcations, les plages constituent très souvent les premiers espaces de contact entre l’Homme et les îles. L’étroitesse du territoire rend la proximité entre l’Homme et la plage presque inéluctable. La plage et ses écosystèmes associés que sont le récif corallien, la mangrove, les embouchures de rivière, et les cours d’eau en amont sont autant d’espace-ressources pour les populations insulaires (Mirault et David, 2009). Au cours des siècles, ce rôle n’a pas décliné, bien au contraire, avec l’héliotropisme et l’émergence de nouveaux usages récréatifs comme la baignade, les sports nautiques qui ont engendré de nouvelles activités économiques, rassemblées sous le vocable de tourisme balnéaire (Corlay, 1998).
L’enracinement de ces différentes formes d’usages de la plage dans les sociétés insulaires dépend de leur évolution socio-économique et de leur niveau d’insularité qui influencent également les perceptions, les représentations des populations et les activités qu’elles exercent sur le littoral. Taglioni (2003) définit une gradation de l’insularité selon trois critères : leur développement, leur statut institutionnel et leur architecture géographique. Dans les îles classées comme relevant de l’hypo-insularité (îles-États développées où îles-territoires intégrés à une métropole industrialisée) ou de l’insularité (îles-États en développement, îles principales d’un archipel indépendant en développement, îles secondaires d’un archipel intégré à une métropole industrialisée), les usages récréatifs des plages sont plus affirmés que dans les îles figurant dans la catégorie de la sur-insularité (îles secondaires d’un archipel indépendant en développement) où l’économie traditionnelle de survie polarise encore les littoraux. Tel est le cas des Comores et de l’île d’Anjouan.

Les gestionnaires, leur politique de gouvernance et programme de gestion des zones côtières

La régulation positive ou négative des activités des usagers sur l’ensemble du littoral est le fait de gestionnaires qui à Anjouan recouvrent plusieurs niveaux et échelles de gouvernance : des organismes internationaux et régionaux en passant par les pouvoirs publics jusqu’aux ONG locales et associations communautaires qui s’efforcent de mettre en œuvre des programmes de gestion intégrée des zones côtières. Ces programmes ont été initiés suite à la conférence mondiale sur le développement durable des PEID, tenue du 25 avril au 6 mai 1994 au Barbade9 pour appliquer aux îles l’agenda 21 de Nations Unies adopté à Rio en 1992. Le plan de la Barbade adopté à l’issue de cette conférence et qui a été réaffirmé à Port-Louis (Maurice) en 2005 propose ainsi trois niveaux scalaires d’intervention.
Au niveau international, il est suggéré « de fournir une assistance pour l’instauration et /ou le renforcement, selon les besoins, de nouveaux arrangements institutionnels et administratifs en vue de l’élaboration des plans intégrés de gestion des zones côtières et de leur application ».
Au niveau régional, quatre types d’action sont listées :
 développer et /ou renforcer la capacité des organisations régionales d’entreprendre des activités dans les zones côtières,
 réaliser des enquêtes sur les ressources des récifs, des estuaires et des terrains marécageux et des lagunes
 mettre en œuvre des méthodes de gestion intégrée des zones côtières qui soient adaptées au PEID ;
 et/ou renforcer la capacité nationale d’exploitation viable des ressources halieutiques et organiser des programmes de formation et de sensibilisation à l’intention des gestionnaires (gouvernement et collectivités locales) des ressources côtières.
Au niveau national, il convient « de mettre en place et /ou de renforcer selon les besoins, les arrangements institutionnels, administratifs, législatifs en vue d’établir et d’appliquer des plans et stratégies de gestion intégrée des zones côtières dans le cadre des complexes hydrographiques côtier et des zones économiques exclusive et notamment de les intégrer dans les plans nationaux de développement ».

Les interactions entre l’écosystème et le socio-système au sein du système-Plage

Les interactions entre le socio-système et l’écosystème au sein du système-Plage ont plusieurs faciès (James, 2000). Nous les regroupons en deux cas principaux : les actions du socio-système vers l’écosystème, les actions de l’écosystème vers le socio-système. Les premières sont à l’origine de la dégradation et de l’érosion des plages ; les secondes sont à l’origine des problèmes que rencontrent les usagers et les gestionnaires des plages.

Les actions du socio-système vers l’écosystème

Dans leur article intitulé « threat to sandy beach ecosystem »10, Defoe et al. (2009) présentent la pression anthropique comme le principal facteur de déstabilisation des plages, devant les changements climatiques, notamment l’élévation du niveau de la mer, qui relève d’un référentiel spatio-temporel très différent. Les effets des activités que l’Homme conduit sur les écosystèmes-Plages s’inscrivent dans le temps court (de la semaine à l’année), les plus long d’entre eux pouvant aller jusqu’à la décennie. En revanche, les effets de l’élévation du niveau de la mer dus aux changements climatiques s’inscrivent dans le temps long, celui du siècle (fig.1-3). Les atermoiements de la communauté internationale pour mettre en place une réduction drastique des gaz à effet de serre laissent à penser que le réchauffement de la planète pourrait concerner de nombreuses générations humaines (David, 2011).
Figure 1-3: Manifestations des effets de la pression anthropique et de l’élévation du niveau de la mer à l’échelle du temps et de l’espace (Source : Defoe et al. 2009).
L’héliotropisme est caractérisé par la double pression de l’urbanisation et des activités économiques sur la plage, il s’inscrit dans un temps intermédiaire de la décennie au siècle (fig.1-3). L’expérience montre que cette emprise du littoral par l’Homme est généralement définitive. Personne n’a encore détruit des zones d’habitation qui s’étaient mises en place sur l’arrière plage couvert par la forêt littorale pour replanter cette dernière. Cette urbanisation des littoraux meubles insulaires piège les sédiments de l’arrière plage sous une « couverture » de béton, bitume ou terre végétale, déséquilibrant ainsi totalement le stock sédimentaire de la plage et provoquant l’érosion. Sans rechargement de la plage ou libération des sédiments de l’arrière plage immobilisés par l’urbanisation, ce processus érosif est appelé à durer. Il peut être accentué par les activités des usagers, notamment l’extraction du sable de plage, très commune dans les petites îles. Cette pratique est favorisée par les mutations socio-économiques que connaissent les sociétés insulaires qui se sont traduites dans les 50 dernières années par le passage d’un type d’habitation traditionnelle, totalement réalisée à l’aide de végétaux, à un type d’habitation en dure (Allenbach et Hoiban, 2003). De la même manière que l’extraction des sédiments des plages, les dépôts des macro-déchets (Dehoorne et Saffache, 2008) sont aussi très impactants d’un point de vue environnemental car la plupart des déchets livrés à la mer ne sont pas biodégradables. Tout comme l’extraction du sable, cette activité s’inscrit dans un décalage entre une mutation socio-économique qui induit l’utilisation de nouveaux matériaux tirés de la chimie du pétrole et des représentations de la population qui continuent à s’inscrire dans un passé non technologique dominé par le végétal, par définition biodégradable. Les effets de ces différentes formes de pressions anthropiques sur les plages des petites îles commencent à soulever des interrogations. « Where have all the beaches gones11 » s’interroge Wong (2003).
Que la dégradation des plages soit favorisée par l’urbanisation, l’extraction des sédiments ou par la pollution, les interventions des gestionnaires sont souvent peu efficaces car, faute d’analyse approfondie, elles ne cherchent pas à réguler les causes de la dégradation mais visent uniquement à combattre la dégradation elle-même, avec de surcroit des moyens disproportionnés. C’est le cas de la construction systématique d’ouvrages lourds, de type mur, pour lutter contre l’érosion devenue une pratique courante dans les petites îles en développement (Mimura et Nunn, 1998). Cette pratique se fonde sur le postulat, avancé par la plupart des gestionnaires internationaux, selon lequel l’érosion des plages résulte de la hausse du niveau de la mer associée aux changements climatiques. Dans ce contexte, la construction de murs est présentée comme une mesure d’adaptation à cette remontée des océans, sans que les contextes locaux soient examinés et que les causes anthropiques de la dégradation des plages, qui s’inscrivent rappelons-le dans une temporalité courte (Defoe et al. 2009), soient recherchées. Pourtant il est reconnu que la défense lourde accentue l’altération des plages. Car, si les murs favorisent dans une certaine mesure la fixation de la ligne de rivage, en revanche, ils modifient les échanges sédimentaires au sein de l’écosystème-Plage. C’est ce qui explique leur abandon progressif dans plusieurs pays développés au profit de la défense dite « douce » qui a pour objectif de rétablir l’équilibre de la plage (Goudas et al. 2003).

Les actions de l’écosystème sur le socio-système

Les écosystèmes-Plages offrent de nombreux usages, assimilables à de services écosystémiques, aux sociétés insulaires et aux usagers en particulier (MEA, 200512). Ces services se maintiennent lorsque les écosystèmes-Plages sont en bonne santé, qu’il s’agisse des activités pratiquées par les usagers sur les plages, de la protection des côtes contre l’érosion, de l’absorption de carbone, de la production de biomasse de poissons, voire de l’épuration de l’eau lorsque les plages sont bordées de mangroves. L’extraction du sable et la pollution altèrent l’écosystème-Plage avec des conséquences indéniables sur le socio-système-Plage et un coût non négligeable sur la politique de développement des petites îles. Il convient de porter une attention particulière aux activités du socio-système sur l’écosystème si on veut maintenir la viabilité du système-Plage.

Le protocole de recherche

La méthode et les outils utilisés dans le cadre cette étude du système-Plage de l’île d’Anjouan sont empruntés aussi bien à la géographie physique qu’à la géographie sociale du littoral (Williams et Micallef, 2009). Selon Corlay (1995) pour analyser le système socio-spatial littoral « …rien ne doit être laissé au hasard – l’information quantitative et qualitative, le fait, le dit, le non-dit». Le terrain étant « … le lieu où la connaissance géographique prend forme » Elissalde (2004), quatre missions de terrains ont été effectuées sur Anjouan de 2007 à 2009, soit un total d’une centaine de jours. Par ailleurs, il faut noter que nous avions déjà étudié ce terrain dans le cadre d’un mémoire de master 2 sur les relations homme/littoral (Sinane, 2007). La première mission a été réalisée du 19 novembre 2007 au 14 janvier 2008, avec un passage sur les îles de la Grande Comore et de Mohéli où la problématique de la dégradation et de l’érosion des plages est aussi présente, mais à une échelle de gravité plus faible qu’à Anjouan. La deuxième mission s’est déroulée du 3 juin 2009 au 22 juillet 2009. La troisième mission (du 6 au 25 novembre 2009) a été effectuée en compagnie de Gilbert David, Roland Troadec, et Gwennaelle Pennober, chercheurs spécialistes des littoraux des petites îles ce qui nous a permis de valider de manière définitive le caractère multidisciplinaire du protocole de recherche qui repose à la fois sur un diagnostic environnemental et un diagnostic social, comme le montre l’article publié dans la revue canadienne Vertigo (Sinane et al. 2010) dans un numéro consacré aux petits espaces insulaires face aux changements climatiques. Une mission complémentaire a été réalisée de juin à août 2012. Cette présentation du protocole de recherche s’organise en trois étapes : un diagnostic environnemental suivi d’un diagnostic socio-économique, la troisième étape étant réservée à la présentation des sites d’étude.

Table des matières

Introduction générale
PREMIERE PARTIE La dynamique paysagère et morphosédimentaire du littoral
Introduction
Chapitre 1-Les interactions nature/société, une problématique au coeur de l’avenir des littoraux des Comores et d’Anjouan
1. La nécessité d’une approche systémique
2. Le protocole de recherche
3. Les sites d’étude
Chapitre 2- Les cadres géographique, géomorphologique et climatique du littoral de l’ile d’Anjouan
1. Disposition et structure générale de l’archipel des Comores
2. Les vecteurs naturels régionaux des dynamiques côtières
3. Les grands traits de l’évolution du relief de l’île d’Anjouan et de son littoral
4. Les paysages sensibles du littoral
Chapitre 3-La dynamique paysagère des plages : du satellite aux géo-indicateurs
1. Quelle mesure des dynamiques paysagères des plages ?
2. Un paysage côtier très marqué par l’érosion
3. Les différentes figures de l’érosion des plages
Chapitre 4-L’évolution morpho-sédimentaire des plages
1. La méthodologie du suivi des profils topographiques des plages
2. Morphotypes des plages
3. Les apports des variations des morphotypes
DEUXIEME PARTIE Les mécanismes de la fragilisation du littoral
Introduction
Chapitre 5 – Occupation et pression foncière sur le littoral ouvert sur des plages
1. Les facteurs et formes d’occupation du littoral
2. Pressions anthropique et foncière sur une frange côtière étriquée
3. Des insuffisances en termes de gouvernance socio-économique et environnementale qui impactent le littoral
Chapitre 6 – Les extractions sur les stocks sédimentaires des plages
1. Des volumes importants de matériaux extraits du littoral
2. La spatialisation des extractions sédimentaires
3. Les effets des extractions des sédiments sur le trait de côte
Chapitre 7-Les impacts de la fragilisation du littoral
1. Les impacts de l’érosion au niveau économique
2. Les impacts sociaux
3. Les impacts au niveau de la faune et de la flore côtières
Chapitre 8- Quand la protection du littoral tend à le fragiliser, la construction des murs en question
1. Les types d’ouvrage de protection contre l’érosion
2. La politique de gestion de l’érosion côtière : jeux et enjeux des autorités locales et de la communauté internationale
3. L’appréciation des coûts financiers réels des ouvrages de protection du littoral
4. Les effets des ouvrages sur le littoral
5. Les méthodes informelles utilisées pour lutter contre l’érosion des plages
6. Les études des cas des digues sur le littoral
7 . Quelques initiatives de défenses douces
TROISIEME PARTIE Pratiques et perceptions des usagers du littoral
Introduction
Chapitre 9 : Acteurs et pratique de l’extraction des matériaux sur le littoral
1. Les incertitudes sur l’effectif des extracteurs
2. Les acteurs et leurs degrés d’implication dans l’extraction des matériaux
3. Les acteurs tertiaires
4. Pratique et effort de l’extraction des matériaux des plages
5. Le circuit de commercialisation des matériaux des plages
Chapitre 10: Pratique et acteurs des dépôts des macro-déchets sur les plages
1. Les acteurs de la pollution du littoral
2. La pratique des dépôts des macro-déchets sur les plages
3.La spatialisation de la pollution sur le littoral
4. La lutte contre les macro-déchets sur les plages une équation difficile à résoudre
Chapitre 11 : La co-construction des solutions, pour préserver le littoral
1.Les différentes perceptions des usagers sur l’état de l’environnement littoral
2. La lutte contre les usages destructeurs de l’écosystème-Plage
3. Quel recourt technique pour protéger les plages
4. Une réconciliation entre la population et le littoral
5. Une révision des rôles des différents gestionnaires dans la politique de gestion du littoral et des plages
Conclusion générale
Bibliographie

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