Les clauses relatives à l’exécution du contrat

Le champ d’application ratione materiae

La directive sur l’élimination des clauses abusives est une directive horizontale, elle s’applique à tous les secteurs et à tous les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur. La date d’expiration du délai de transposition était fixé au 31 décembre 1994, les dispositions étaient donc destinées à s’appliquer aux contrats conclus après cette date. Cependant il semblerait que certains contrats conclus après cette date peuvent tout de même entrer dans le champ d’application de la directive. Il en va ainsi pour les contrats dont l’exécution se prolonge après le 31 décembre 1994. Comme l’affirme Mario Tenreiro « il serait effectivement déraisonnable d’imposer aux consommateurs de résilier leurs contrats ou de s’opposer à leur renouvellement, puis de conclure à nouveau des contrats identiques afin d’être protégés contre les clauses abusives » 688.
Le dixième considérant de la directive prévoit que sont exclus de son champ d’application, les contrats de travail, les contrats relatifs aux droits de succession, ceux relatifs au statut familial et à la constitution et aux statuts de sociétés. Cette exclusion expresse n’est pas, à notre avis, véritablement utile : les relations en cause ne sont pas, par nature, des relations qui peuvent être régies par des contrats d’adhésion.
285. Sont par ailleurs exclues du champ d’application de la directive, en vertu de l’article 1-2, les clauses contractuelles « qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ainsi que des dispositions ou principes des conventions internationales ». Cette restriction est justifiée par le fait que ce type de dispositions n’est pas censé contenir de clause abusive et doit s’expliquer à la lumière du considérant suivant qui dispose que l’exclusion de ce type de clause ne doit pas avoir pour effet de permettre aux entreprises, ayant des activités professionnelles à caractère public, de s’exonérer des dispositions de la directive. Il faut noter que l’expression « dispositions impératives » ne correspond pas la distinction traditionnelle en droit civil entre dispositions « impératives » et « supplétives » mais vise « les règles qui, selon la loi, s’appliquent entre les parties contractantes lorsque aucun autre arrangement n’a été convenu » 689. Les services publics ne peuvent pas être exclus du champ d’application de la directive en référence à la notion de «dispositions impératives ». Dans sa déclaration au procès-verbal lors de l’adoption de la position commune concernant l’article 1-2, la Commission européenne a précisé que « la notion de contrat inclut également les transactions par lesquelles sont effectuées des fournitures ou des prestations dans le cadre réglementaire ». La loi française de transposition n’a pas repris cette restriction. Selon ses rédacteurs, ce choix volontaire 690 a pour but de permettre le contrôle des dispositions réglementaires souvent contenues dans les contrats administratifs et les contrats de transport aérien. Dans son rapport d’évaluation sur l’application de la directive, la Commission a constaté qu’il subsiste des obstacles au contrôle des contrats passés par les services publics nationaux, les juges hésitant à exécuter un tel contrôle 691.

Le champ d’application rationae personae

Si tous les contrats sont visés par la directive, le champ d’application rationae personae est doublement limité. Il ne vise que les rapports entre consommateur et professionnel (A), et ne protège que les personnes physiques (B).

La limitation aux rapports consommateur-professionnel

En vertu de l’article 1er, les dispositions de la directive ne s’appliquent qu’aux contrats passés entre un professionnel et un consommateur, les deux notions étant définies de façon tout à fait classique. Le consommateur est « toute personne physique, qui […] agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle ». Contrairement aux législations de certains Etats membres contenant des dispositions sur les clauses abusives dans
des contrats entre entreprises 692, l’intervention communautaire n’a entendu protéger que le contractant qui est, par nature, ignorant. Il est possible de voir dans cette restriction significative du champ de la protection, une volonté des institutions communautaires de limiter leur intervention aux seules actions dont la base juridique est incontestable. Le lien qui est établi pas la Commission, dans son rapport d’évaluation, entre l’idée « d’une plus grande convergence du droit privé » et le champ d’application de la directive, semble révélateur de cette autolimitation. Remarquons, tout de même, que la Commission, à l’issu de ce rapport 693, s’interroge vivement sur l’extension du champ d’application ratione personae, constatant qu’il est difficile de trouver une quelconque différence dans la situation de « l’adhérent » aux clauses contractuelles selon qu’il agit ou non « dans le cadre de son activité professionnelle ».
288. La loi française du 1er février 1995 transposant la directive 694 aux contrats conclus « entre professionnels et non professionnels ou consommateurs » présente, sur ce point, une particularité. Les rédacteurs du texte de 1995 rappellent qu’est prise en compte « la situation d’un professionnel concluant un contrat pour ses besoins personnels ou dans le cadre de son activité professionnelle mais en dehors de sa spécialité » 695. Cette disposition correspond à l’interprétation extensive de la notion de consommateur, retenue par la jurisprudence française 696. Il semble ressortir d’une jurisprudence, au demeurant fort variable 697, qu’en droit français, le contrat qui échappe à la compétence professionnelle de l’intéressé n’est pas tout simplement celui qui n’a pas de rapport direct avec l’activité exercée 698. Dans cette optique il faudrait considérer que le droit français protège le professionnel à condition qu’il soit « placé dans la même position d’ignorance que n’importe quel autre consommateur ». Dès lors ne peut-on pas conclure avec le professeur Larroumet 699 que dans tous les cas le non professionnel est un consommateur, qu’il ne puisse pas être un professionnel selon les termes même de la loi ou que ce professionnel dusse ponctuellement être considéré comme un consommateur ? Quoi qu’il en soit, la directive prévoit expressément que les Etats membres sont libres d’accorder une protection plus large que celle contenue dans ses dispositions.

La limitation aux seules personnes physiques

L’inapplicabilité des dispositions de la directive aux personnes morales a été confirmée par la Cour de Justice des Communautés européennes, dans un très récent arrêt Idealservice 700. En assimilant le consommateur aux seules personnes physiques, la directive exclut de sa protection des parties contractantes qui peuvent tout aussi bien être en position de faiblesse face à un professionnel : les petites entreprises 701.
Dans un souci d’équité et de logique, la directive oblige les Etats membres à prendre les mesures nécessaires afin d’éviter qu’un consommateur ne soit privé de la protection du droit communautaire du fait du choix d’un pays non-membre comme droit applicable au contrat, au moins lorsque que le contrat en question présente un lien étroit avec le territoire d’un des Etats membres.

La dÉfinition de la clause abusive

Pour définir la clause abusive, la directive utilise deux moyens : un principal et un complémentaire. Le premier consiste en une définition générale de la clause abusive (I) dont la souplesse est source d’insécurité juridique et l’imprécision susceptible de nuire à son effet préventif 702. Le second réside dans l’établissement d’une liste des clauses présumées abusives (II).

La définition générale

Selon la définition générale donnée à l’article 3 de la directive et largement inspirée des critères retenus par la loi française du 10 janvier 1978, une clause est considérée comme abusive lorsque « n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle » et « en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat ».

Une clause n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle

Le fait que le contrôle ne porte que sur « les clauses n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle » constitue une restriction significative du champ d’application du texte. Cette restriction est intervenue après une âpre bataille entre la Commission et le Parlement, d’un côté, et le Conseil, de l’autre. La proposition initiale de la Commission ne faisait aucune différence entre les clauses standardisées et celles ayant fait l’objet d’une négociation individuelle. Cette restriction du domaine d’application de la directive s’explique aisément. D’une part, on voit mal pourquoi il conviendrait de protéger une partie qui a été en mesure de négocier librement les stipulations du contrat. D’autre part, il semble peu probable que les contrats de consommation de masse puissent véritablement contenir des clauses négociées individuellement. Le législateur communautaire ne pouvait se permettre d’opter pour les dispositions du projet de la Commission, il aurait probablement été accusé de porter atteinte de façon injustifiée à la force obligatoire des contrats 703. Le bien fondé de la solution adoptée a été établi en pratique, puisque dans la base de données sur les clauses abusives 704, aucun des cas répertoriés, la négociation individuelle d’une clause n’a été soulevée. En revanche, selon le rapport sur l’application de la directive, il semble que cette restriction au champ d’application ait entraîné des pratiques douteuses chez les professionnels, profitant de la confusion qui peut exister dans l’esprit des consommateurs entre les termes « négociées » et « acceptées » afin d’induire ceux-ci en erreur sur les droits qui leurs sont accordés 705.
Pour contrebalancer le choix de cette conception stricte des clauses pouvant être considérées comme abusives, la directive établit une présomption irréfragable d’absence de négociation lorsque la clause a été rédigée préalablement empêchant ainsi le consommateur d’influencer son contenu. Il s’agit d’une référence directe aux contrats d’adhésion. Or, nous l’avons vu, la majorité des contrats conclus avec des consommateurs peut être qualifiée de la sorte. Il convient de souligner que pour compenser encore sa définition stricte, la directive prévoit que le fait que certains éléments d’une clause ou qu’une clause isolée aient fait l’objet d’une négociation individuelle, n’exclut pas le contrôle du reste d’un contrat dès lors qu’il apparaît qu’il s’agit d’un contrat d’adhésion. Il convient enfin de relever que le dernier alinéa de l’article 3 paragraphe 2, de la directive fait peser la charge de la preuve sur le professionnel, lorsque celui-ci prétend qu’une clause standardisée a fait l’objet d’une négociation individuelle. Dès lors la restriction opérée n’a que peu d’importance et la définition donnée des clauses abusives reste suffisamment large pour trouver à s’appliquer dans de très nombreux cas.
La conception communautaire a pu sembler être insuffisamment protectrice. C’est en tout cas l’opinion du législateur français puisqu’il ne reprend pas la restriction relative au caractère non négocié des clauses abusives 706. Comme le suggérait le Comité Consultatif des Consommateurs : le professionnel peut abuser le consommateur en profitant de sa puissance économique ou de la faiblesse du consommateur, alors même que les clauses ont fait l’objet d’une négociation individuelle. L’article 1er de la loi française dispose donc simplement que les clauses abusives sont des clauses qui « ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du non-consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat », sans qu’aucune référence soit faite à leur négociation éventuelle. La directive précise, de manière tout à fait logique, que le caractère abusif d’une clause est apprécié en tenant compte de la nature des biens et services faisant l’objet du contrat, et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toute autre clause du contrat ou d’un autre contrat dont il dépend, la force des positions respectives de négociation des parties entrant en ligne de compte. L’ancien article L 132-1 du code de la consommation, tel qu’il résultait de la loi du 10 janvier 1978, retenait comme critère révélant le caractère abusif d’une clause celui de l’abus de puissance économique du professionnel. Ce critère n’ayant pas été retenu par le législateur communautaire, les rédacteurs de la loi française de transposition ont choisi de le faire disparaître contre la volonté de certains parlementaires. En effet, réintroduire ce critère dans la définition de la clause abusive aurait conduit à rendre le texte français moins protecteur que le texte communautaire 707.

Formation et coursTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *