Les Cordillères Bétiques dans le contexte de l’ouverture de la Méditerranée occidentale

Modèles géodynamiques de formation de la Méditerranée Occidentale

De nombreux modèles visant à expliquer l’ouverture de la Méditerranée occidentale et la formation des chaînes du pourtour méditerranéen ont été proposés suite au modèle fondateur d’Andrieux et al. (1971). Ce modèle fut le premier à mentionner l’existence d’une microplaque continentale, la microplaque d’Alboran, dont la collision avec les plaques Afrique et Ibérie aurait donné lieu à la formation de l’Arc de Gibraltar. Trois grandes familles de modèles ont été depuis proposées pour expliquer la géodynamique de la Méditerranée occidentale depuis environ 30 Ma (Fig. 5-6-7). Une première famille de modèles (Fig. 5) se fonde sur la migration vers l’ouest d’une sous-partie du bloc d’AlKaPeCa, le bloc d’Alboran en raison de la convergence entre les plaques Afrique et Europe (Bouillin et al., 1986). Le terme d’AlKaPeCa fut introduit par Bouillin et al. en 1986 pour décrire les unités qui forment aujourd’hui les unités internes des chaines des Bétiques du Rif, des Kabylies, de Sicile et de Calabre.
Ces deux familles de modèles expliquent la formation de l’arc betico-rifain mais aussi des autres chaînes péri-méditerranéennes tel que les Kabylides, ou du Sud de l’Italie (de Jong, 1992 ; Lonergan and White, 1997 ; Jolivet and Faccenna, 2000 ; Spakman and Wortel, 2004 ; Rosenbaum and Lister, 2004 ; Faccenna et al., 2004 ; Booth-Rea et al., 2007 ; van Hinsbergen et al., 2014). Les modèles de retrait de la zone de subduction en Méditerranée Occidentale se fondent à l’origine sur un concept développé pour l’ouverture de la Méditerranée centrale (Malinverno and Ryan, 1986). Ce modèle a ensuite été appuyé par le développement de l’imagerie tomographique sismologique (Spakman and Wortel, 2004 ; Bezada et al., 2013 ; Villaseñor et al., 2015). Des orogènes de subduction sont aussi observés dans d’autres régions du bassin méditerranéen et semblent contrôler la géodynamique à grande échelle de la région (Jolivet et al., 2013 ; Royden and Faccenna, 2018). Les modèles fondés sur le retrait du slab expliquent la géométrie actuelle de l’anomalie de vitesse sous l’arc Bétique-Rif par la combinaison de la déchirure et du détachement du slab lors de son retrait vers l’ouest (Fig. 6). Cette famille de modèles explique aussi l’évolution néogène du magmatisme (Duggen et al., 2005) dans le bassin d’Alboran.
Enfin, le dernier grand groupe de modèles (Fig. 7) ne s’applique qu’à l’ouverture de la mer d’Alboran.
Dans ces modèles, l’ouverture de la mer d’Alboran serait le résultat d’un amincissement lithosphérique lié à des processus de délamination de la racine lithosphérique par instabilité gravitaire type Rayleigh-Taylor (Platt and Vissers, 1989) et par le détachement du manteau lithosphérique (Docherty and Banda, 1995 ; Calvert et al., 2000 ; Petit et al., 2015). Le modèle de Platt and Vissers (1989) et de Platt et al. (2013) réconcilient lui aussi un grand nombre d’observations telles que l’évolution P-T des roches métamorphiques, formant le substratum du bassin d’Alboran et notamment le réchauffement lors du trajet rétrograde, le calendrier du métamorphisme de subduction, la structure lithosphérique actuelle et enfin les rotations dans la partie Ouest de l’arc de Gibraltar (Platt et al., 2003a)
D’autres modèles que celui de Vergés et Fernandez (2012) s’intéressent aussi à l’histoire antérieure à l’initiation du roll–back. Ces modèles considèrent une première subduction à vergence sud de la terminaison occidentale de la Téthys alpine. Cette subduction expliquerait le métamorphisme de haute pression dans les unités d’AlKaPeCa (Michard et al., 2002 ; Leprêtre et al., 2018). A partir de l’Eo-Oligocène, la géodynamique régionale est dominée par la subduction téthysienne à vergence Nord comme dans les modèles proposés par Jolivet et Faccenna en 2000, Jolivet et al. 2006, Jolivet et al.2008 et par Rosenbaum et al. en 2002. L’ouverture du bassin méditerranéen est de plus en plus communément expliquée par des modèles associant subduction et rollback du slab téthysien. Certains points majeurs de ces modèles restent néanmoins discutés. Ces zones d’ombres concernent essentiellement le nombre, la vergence et l’âge des subductions. Par association, l’histoire géodynamique de la mer d’Alboran est souvent rattachée à celle de l’ouverture méditerranéenne mais les processus géodynamiques responsables de laformation de l’Arc de Gibraltar et de l’ouverture de la mer d’Alboran sont moins clairs.
Des points moins soulevés dans les reconstructions géodynamiques, car souvent tenus pour acquis, concernent par exemple la nature de la croûte à la limite de plaque entre l’Ibérie et l’Afrique, toujours considérée comme un domaine océanisé, ou encore la position initiale des unités d’AlKaPeCa avant l’ouverture de la mer d’Alboran. À titre d’exemple, des modèles tels que ceuxproposés par Vergés et Fernandez (2012), Gelabert et al. (2002) ou Platt et al. (2013), bien que fondés sur des processus géodynamiques différents, placent les unités d’Alboran assez proches de leur position actuelle (~200-400 km) au début du Miocène. En comparaison, les modèles de van Hinsbergen et al. (2014), et Booth-Rea et al. (2007), parmi d’autres, considèrent eux des déplacements de plus de 600 km.

Structure profonde dans la région d’Alboran

Structure lithosphérique

La structure profonde sous l’arc de Gibraltar est contrainte grâce aux nombreuses études sismologiques réalisées dans cette région (Spakman and Wortel, 2004 ; Bezada et al., 2013 ; Villaseñor et al., 2015 ; Monna et al., 2015 ; Palomeras et al., 2017). Ces études ont permis d’imager par tomographie des ondes sismiques une anomalie positive de vitesse sous l’arc de Gibraltar. Cetteanomalie positive de vitesse suit la courbure de l’arc et plonge presque à la verticale jusqu’à près de 700 km de profondeur (Fig. 9). On interprète généralement cette anomalie comme la trace de la subduction et du retrait associé de la lithosphère océanique téthysienne sous la plaque européenne (Lonergan and White, 1997 ; Faccenna et al., 2004 ; Spakman and Wortel, 2004 ; Jolivet et al., 2009). Bien que la géométrie observée soit compatible avec celle d’un slab, d’autres modèles considèrent cette anomalie comme représentant la lithosphère délaminée, postérieurement à son épaississement pendant l’orogénèse alpine (Platt and Vissers, 1989). Dans la partie Est des Bétiques  et du Rif, l’épaisseur de la croûte diminue fortement. Cette diminution d’épaisseur est due à la délamination et/ou à la déchirure de la lithosphère continentale sous les marges ibériques et africaines, entrainant aussi la perte d’une partie de la croûte inférieure (Thurner et al., 2014 ; Mancilla et al., 2015 ; Palomeras et al., 2014, 2017).

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Magmatisme et volcanisme

Le magmatisme à l’échelle du bassin d’Alboran permet de mieux comprendre les événements géodynamiques profonds qui ont eu lieu dans la zone. Les différents événements magmatiques et volcaniques depuis l’Oligocène à l’actuel sont décrits dans les études de Duggen et al. (2004, 2005) et Lustrino et al., (2011). Brièvement, l’âge du volcanisme calco-alcalin lié à la subduction téthysienne montre un rajeunissement depuis des âges oligocènes (~30Ma) dans le Sud de la France jusqu’à des âges miocènes supérieur (11.5-5.5Ma) dans la région d’Alboran (Fig. 10) voire même Quaternaire en Calabre. Ces âges sont liés au retrait de la zone de subduction et à la migration d’un arc volcanique (Rosenbaum et al., 2002). Le magmatisme le plus ancien retrouvé est daté de l’Eocène supérieur (~38-30 Ma) (Turner et al., 1999) et se manifeste par l’intrusion de dykes dans la région de Malaga. Ces dykes marqueraient, selon ces auteurs, les premiers stades de l’extension arrière arc dans larégion.
Bien que le magmatisme nous renseigne sur les phénomènes en profondeur, le rôle joué par les processus de délamination ou de déchirure du slab est difficile à évaluer. Ces processus sont tous les deux compatibles avec les phénomènes observés en surface. Duggen et al. (2004, 2005) proposent, d’après l’étude de l’âge et de l’évolution de la géochimie du magmatisme, que l’ouverture du bassin d’Alboran soit le résultat du retrait du slab depuis le Miocène moyen et de la délamination d’une partie du manteau sous-continental sous la partie sud de l’Ibérie et le NO du Maroc.

Structure crustale

Épaisseurs de la croûte

Les épaisseurs crustales dans l’arc de Gibraltar, reconstruites par le biais d’études tomographiques, permettent de distinguer un domaine de croûte épaissie (au niveau de la partie occidentale des Bétiques et du Rif où la croûte atteint des épaisseurs supérieures à 50km), d’un domaine de croûte amincie sous le bassin d’Alboran où la croûte résiduelle ne mesure que 15 à 20 km d’épaisseur (Fig. 11) (Thurner et al., 2014 ; Mancilla et al., 2105; Palomeras et al., 2017)). Cet épaississement crustal est lié aux déformations compressives et au sous-charriage au Miocène inférieur des marges ibérique et africaine, sous les unités internes qui constituent le socle du bassin d’Alboran. Pendant que cet épaississement avait lieu à la périphérie des unités d’Alboran, les parties les plus internes, quant à elles, ont été soumises à partir de la fin de l’Oligocène à un régime extensif, permettant l’exhumation des zones internes métamorphiques et la formation du bassin d’Alboran.

Soulèvement et topographie

La délamination et le déchirement du slab sous les marges ibérique et marocaine permettent aussi d’expliquer le soulèvement récent qui a affecté les Bétiques depuis le Miocène supérieur. Le soulèvement général des Bétiques est marqué par l’enregistrement sédimentaire des bassins intramontagneux (Iribarren et al., 2009). Ces bassins enregistrent simultanément d’est en ouest la transition d’une sédimentation marine à continentale autour de 5Ma qui pourrait être reliée à la déchirure du slab au Miocène supérieur (Duggen et al., 2009 ; Mancilla et al., 2015) (Fig. 11 et 12) En effet, la topographie actuelle des Bétiques et du Rif est hors équilibre isostatique. Les zones où l’épaisseur crustale est la plus importante, c’est-à-dire la partie ouest (Fig. 11), sont associées à des altitudes plus faibles que dans l’est des Bétiques. Actuellement, le slab est encore attaché à la croûte dans une zone entre Grenade et Malaga (GarciaCastellanos and Villaseñor, 2011 ; Palomeras et al., 2014 ; Mancilla et al., 2015). A l’ouest de Grenade, la force de traction exercée par le panneau lithosphérique entraine un relief anormalement bas comparé aux reliefs attendus pour de telles épaisseurs crustales. Dans l’Ouest des Bétiques, à contrario, les forts reliefs observés sont le résultat des processus de topographie dynamique engendrés par une remontée asthénosphérique ou un rebond lithosphérique suite à la déchirure lithosphérique

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