Les éléments influençant la reconnaissance de la responsabilité

Les éléments influençant la reconnaissance de la responsabilité

Le forum de compétence (I), choisi par la lettre de garantie aura une influence directe sur l’existence même de la reconnaissance de responsabilité. Il en va de même pour la procédure de nomination des arbitres (II) dans le cas où une clause compromissoire a été insérée dans la lettre.

Le forum de compétence

A la lumière des développements présentés dans le chapitre précédent, il est clair que le premier élément de la lettre de garantie à influencer la reconnaissance de responsabilité est la compétence attribuée à un tribunal pour connaître le litige afférent à cette responsabilité. En effet, la clause de juridiction, qui relève plus d’une clause d’adhésion que d’une réelle négociation, va souvent élire les tribunaux anglais comme étant compétents pour trancher le litige afférent à la responsabilité du transporteur. Ces tribunaux se prononceront le plus souvent possible en faveur du transporteur maritime et empêcheront une reconnaissance de responsabilité, que cela soit sur la base de la Convention de Bruxelles du 26 mai 1924 ou sur la base du droit anglais.

L’uniformisation juridique souhaitée, se reflétant dans le consensus posé par ladite Convention de Bruxelles, est effectivement mise à mal par les divergences entre les interprétations données par les différents tribunaux judiciaires nationaux. Cette différence conduit inéluctablement à installer, en matière d’action contre le transporteur maritime, un forum shopping, en la défaveur des juridictions françaises et au profit des juridictions anglaises. Conséquemment, le choix de ces juridictions dans la lettre de garantie rendra plus difficile les négociations pour le gestionnaire de recours lorsqu’il s’agira d’engager amiablement la responsabilité du transporteur.

Dans ce cadre, deux décisions rendues par le Tribunal de Commerce de Marseille peuvent faire penser que les tribunaux français pourront, dans un futur plus ou moins proche, se mettre également à défendre les intérêts des armateurs, pour rester compétitifs sur le marché de la compétence afférente aux contentieux maritimes.
En effet, il semblerait que le Tribunal de Commerce de Marseille, en général compétent pour trancher les litiges afférents à un transporteur international dont le siège social se trouve à Marseille, ait amorcé un tournant en n’hésitant plus à se prononcer en faveur des intérêts des armateurs, parfois même au mépris du bon sens.

Témoins de ce tournant, deux décisions. La première, rendue le 19 mai 201799 dans une affaire opposant la CMA CGM aux assureurs subrogés des ayants droits à la marchandise, concernait le transport d’un conteneur contenant des poissons congelés arrivés avariés à Dakar. Ici les juges ont déclaré l’action introduite par les assureurs irrecevable au motif que les conditions de la subrogation conventionnelle ne seraient pas réunies. En réalité, les juges ont ici purement et simplement mélangé les conditions de la subrogation légale et celles de la subrogation conventionnelle.

Le Tribunal a en effet jugé, s’agissant de la subrogation conventionnelle, qu’étant donné que le signataire de l’acte de subrogation n’est pas le bénéficiaire de la police d’assurance fournie, il y avait lieu de constater que le signataire de l’acte était dans l’impossibilité de subroger ses droits à des compagnies d’assurance découlant d’une police qu’elle n’a pas souscrite et que les conditions requises pour reconnaître la subrogation conventionnelle n’étaient donc pas réunies. Le tribunal aurait pourtant dû se limiter à vérifier si le paiement était intervenu concomitamment à la signature de la quittance en exécution de la police d’assurance, comme le prévoit l’article 1346-1 du Code civil100.
La seconde décision a été rendue par le Tribunal commercial de Marseille, en même composition, le 12 mai 2017.

Cette affaire opposant, une fois encore, la CMA

CGM aux assureurs subrogés dans les droits des ayants droits à la marchandise. Le tribunal déclare l’action des assureurs subrogés irrecevable au motif que la police d’assurance ne pouvait être consultée dans son intégralité. Or, il ressort du numéro de la police d’assurance visée que le tribunal a tout simplement inversé ladite police d’assurance avec une autre, versée par un des assureurs de la CMA CGM.

Ces erreurs, qui apparaissent quelque peu consternantes pour les personnes défendant les ayants droits à la marchandise et leurs assureurs subrogés, témoignent peut-être de la volonté du Tribunal de Commerce de Marseille de garder sous sa compétence, le contentieux afférent au transporteur maritime en question, en essayant de ne pas trop apparaître favorable aux intérêts cargaison.

Même si ces décisions seront très certainement renversées en appel, cela permet de comprendre les enjeux entourant le forum de compétence concernant le contentieux sur la responsabilité du transporteur, notamment pour les tribunaux français qui veulent garder sous leur coupe une partie, bien que restreinte, du contentieux maritime. Il est donc clair qu’à l’heure actuelle, l’élection des juridictions anglaises réduira, ou empêchera dans certains cas, l’établissement de la responsabilité du transporteur maritime. Cette affirmation n’est pas encore vraie en présence d’un forum de compétence français, les deux décisions rendues par le Tribunal de Commerce de Marseille étant marginales. Néanmoins, ces dernières font réfléchir quant au futur s’agissant de l’attitude des tribunaux français devant les contentieux maritimes.
Si la lettre de garantie prévoit une clause compromissoire, la procédure de nomination des arbitres (II) pourra également avoir un grand impact sur la reconnaissance de responsabilité.

La procédure de nomination des arbitres

Compte tenu de la tradition arbitrale existante dans le commerce maritime, l’insertion d’une clause compromissoire n’est pas rare au regard de la reconnaissance de responsabilité du transporteur. Plus particulièrement, les arbitrages dépendants de la
LMAA se trouvent souvent élus pour trancher ces litiges, en cas d’échec des négociations amiables.
Les inconsistances entre les sentences arbitrales, comme celles étudiées plus haut, permettent de souligner le fait que la procédure de nomination des arbitres aura une grande influence sur l’existence de la reconnaissance de responsabilité du transporteur. Si une telle procédure prévoit l’élection d’un arbitre unique, il suffira que cet arbitre soit sensible aux intérêts cargaison pour que la décision aboutisse à une reconnaissance de responsabilité du transporteur, a fortiori si l’arbitre est choisi par les intérêts cargaison.
Ainsi, si la procédure prévoit que chacune des parties doit choisir un arbitre et si l’une d’entre elles fait défaut, en ne nommant pas un arbitre dans le temps qui lui est imparti, l’arbitre choisi par l’autre partie constituera, seul, le tribunal arbitral. Etant donné que les intérêts cargaison seront, du fait de leur situation de précarité, toujours très prompts à nommer un arbitre, la situation peut jouer à leur avantage, si l’autre partie ne procède donc pas à une telle nomination.
Il en va de même si les parties ont prévu, dans la lettre de garantie, que le tribunal ne sera constitué que d’un arbitre, choisi par les intérêts cargaison.

A l’inverse, si la procédure prévoit l’élection d’un collège arbitral, les chances de voir l’établissement de la reconnaissance de responsabilité du transporteur aboutir, s’affaiblissent. Il y a aura, en effet, de fortes chances pour que la majorité des arbitres présentent une sensibilité particulière pour les intérêts des armateurs, puisqu’au moins l’un d’entre eux aura été choisi par ces derniers.
Cette influence résulte évidemment du fait que les parties auront à choisir les arbitres qui composeront le tribunal arbitral. Conséquemment, elles choisiront la personne qui, tout en répondant aux exigences de la LMAA, saura le mieux faire écho à leurs intérêts. L’arbitre sera donc certes choisi en fonction de ses compétences et de sa connaissance sur l’objet du litige, mais également en fonction de ses sensibilités. Ainsi les termes de la lettre de garantie influencent l’établissement de la reconnaissance de responsabilité du transporteur, mais pas seulement car elles peuvent avoir un impact sur les modalités de l’action contre le transporteur (Section 2).

Les éléments influençant les modalités de l’action contre le transporteur

En cas d’échec des négociations sur la responsabilité du transporteur, la clause de juridiction ou compromissoire contenue dans la lettre de garantie sera alors mise en œuvre, via l’introduction d’une action en responsabilité contre le transporteur. Les modalités de cette action vont d’abord être influencées par la nature juridique de la lettre de garantie (I), en ce qu’elle pourra éventuellement permettre au gestionnaire de recours d’envisager une demande de réparation in solidum concernant à la fois le transporteur et son P&I Club et, accessoirement, conditionnera l’action directe contre ce dernier.
Ensuite ces modalités vont être impactées par le cadre contractuel posé par la lettre de garantie (II).

Le cadre contractuel

Tout d’abord, les lettres sont généralement émises avec une validité allant jusqu’à l’extinction des obligations du P&I Club, qui intervient lors de l’exécution de la garantie ou par la reconnaissance de la non responsabilité du transporteur. Nonobstant, certaines lettres de garantie peuvent être émises avec une validité limitée dans le temps, ce qui imposera au gestionnaire de recours d’obtenir, dans le temps imparti, une reconnaissance de responsabilité. La date de validité va donc peser sur l’obtention de cette reconnaissance en ce que cette date va imposer au gestionnaire de recours d’agir dans les temps déterminés par la lettre, dans le cadre de la phase amiable. En effet, en cas d’échec des négociations, l’assignation mettra un terme au délai. Cela impactera les modalités de l’action contre le transporteur en ce que le gestionnaire de recours devra donc prendre la décision d’assigner le transporteur, avant le délai prévu.
De plus, il devra prendre garde à la prescription annale, qui elle, pèse directement sur l’action en responsabilité contre le transporteur.

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