Les exigences de qualité posées dans la négociation de la convention cadre engagements partagés et enjeux pour chacune des parties

Pour la qualité urbaine du quartier, des exigences négociées pied à pied 103

La convention cadre, outre les principes contractuels de fonctionnement du partenariat et les éléments cités plus hauts, détaille les engagements pris par les partenaires suite aux négociations et qui portent sur la qualité du projet. Par souci de synthèse, ne sont détaillés ci-après que certains d’entre eux, qui sont les plus marquants pour le projet.

Du tracé urbain à la conception des îlots

Les orientations d’aménagement voulues par l’EPAEM et formalisées par le plan-guide de l’extension Euromed 2 conçu par l’agence François Leclercq104, ont posé, pour l’ensemble du périmètre, des principes d’aménagement qui se veulent la base du développement de tout le secteur. Le travail de l’architecte-urbaniste associé au groupement de l’opérateur a consisté à suivre ces orientations tout en concevant un projet original, porteur de qualité urbaine.

Le premier objectif recherché est une qualité d’usage du quartier

La réponse est apportée par le principe d’une irrigation est-ouest du quartier depuis la rue de Lyon vers le front littoral, posée dans le plan guide, qui a été conservée par l’opérateur. Ce principe est adapté aux propositions d’organisation de l’ensemble, dans une logique d’accessibilité et d’attractivité, chaque voie étant dédiée à une activité particulière (commerces, logements, évènements) et donc conçue à cet effet (mail piéton ou voies carrossables, largeur, revêtements, mobilier urbain…). Cette disposition est liée à la prise en compte de l’usage des lieux.
Les enjeux pour l’aménageur sont d’assurer un libre accès au quartier, la multiplicité des publics, et le caractère hétérogène des activités, gage d’une ville en mouvement ; quand l’opérateur s’attache à la valorisation des programmes, et notamment de logements, par la facilité d’accès à pied ou en voiture, la présence de larges îlots végétalisés, le calme et la proximité des activités et commerces.
Le second objectif visé par la forme urbaine du quartier est de répondre aux exigences du SCOT et du PLU en matière de densité et aux enjeux de construction de la ville sur la ville, alors que Marseille ceinte par les collines qui l’entourent ne peut de toute façon plus s’étendre et où le foncier disponible est quasi inexistant.
Le programme, qui prévoit environ 250.000 m2 de surfaces de planchers, induit à une densité relativement élevée, là où aujourd’hui, on ne compte qu’une poignée d’habitants.
La prise en compte de cette densité programmée sur l’îlot XXL devrait comprendre aussi une attention particulière à la mixité sociale et fonctionnelle. Par ailleurs, le principe de réversibilité est également souhaité pour certains programmes de bureaux, qui devront pouvoir être reconvertis en logements en fonction de l’évolution du quartier et des besoins des usagers, et inversement.
Les enjeux pour l’EPAEM sont la création d’un nouveau morceau de ville habitée, vivante, productive, permettant de relier les nouvelles constructions du périmètre d’Euromed 1 avec les quartiers qui s’étendent au nord, jusqu’ici coupés du centre névralgique de la ville par des friches infranchissables. L’arrivée du métro à la station « Capitaine Gèze » va participer pour une grande part à ce désenclavement.
Pour l’opérateur, l’enjeu de la densité est d’atteindre la surface bâtie promise dès l’AMI pour pouvoir équilibrer son bilan financier et dégager une marge suffisante.

À la poursuite du vivre ensemble

Le sujet du vivre ensemble et de la solidarité est particulièrement détaillé dans la convention. Il s’agit là de l’un des plus gros enjeux du projet.
Le sujet des rez-de-chaussée actifs est un point très important de la réussite du quartier, et un point de friction entre l’EPAEM et Bouygues. En effet, la vision idéale de l’aménageur pour ce quartier est que les rez-de-chaussée des immeubles, en connexion avec la rue soient pensés comme animés par des locaux commerciaux.
Certes, cette disposition est louable, une rue animée par des commerces ou des activités est bien plus vivante, gage de réussite du quartier, surtout lorsque l’on sait que les logements à ce niveau se louent plus difficilement.
Si Bouygues s’accorde bien avec cette perception des rez-de-chaussée, notamment dans sa présentation du rendu de phase 1 où ils sont décrits ainsi : « La ville des rez-de-chaussée est celle de l’espace vécu, des parcours de l’habitant, du salarié, du visiteur […] Le commerce et l’équipement public y sont des amplifications de l’espace public […] », l’opérateur émet néanmoins des réserves quant à la viabilité de commerces qui seraient situés en façade littorale, actuellement sous la passerelle autoroutière. Tant que la corniche ne sera pas créée105 et l’autoroute encoffrée dans un sarcophage libérant la vue, il y a peu de chances que des commerces survivent ici. C’est pourquoi le projet de l’opérateur prévoit plutôt des surfaces de stationnement à cet endroit, mutables en surfaces commerciales dès que la passerelle aura disparu.
Dans son modèle économique, l’opérateur sait que la disposition de locaux commerciaux au rez-de-chaussée n’est viable que si les abords sont accessibles, que les espaces publics sont attractifs et qu’il y a réellement le passage du public. Sans cela, un emplacement n’est pas valorisable et il risque de se retrouver vide. Commence alors une spirale difficile à enrayer qui veut qu’un local vide au rez-de-chaussée entraine une désaffection des espaces publics par les piétons qui, à son tour, dévaluent les emplacements voisins qui sont alors désertés.
C’est pourquoi cette question fait l’objet d’engagements précis pour les deux parties. Il s’agira pour l’opérateur d’accompagner les porteurs de projets dans leurs démarches de création et de créer une structure ad-hoc pour porter le risque d’exploitation des locaux commerciaux du quartier. L’aménageur sera chargé de la conception et la réalisation d’espaces publics qui soient propices à l’installation de ces commerces et à leur accessibilité par les clients.
Le marché aux puces, actuellement situé au nord de l’îlot XXL, est un ensemble de quatre hectares composé d’une grande halle qui accueille 300 stands de ventes alimentaire et 100 emplacements pour d’antiquaires, auxquels s’ajoutent 300 autres stands à l’extérieur. Il génère environ 1.000 emplois et draine plus de 50.000 visiteurs par semaine, surtout le dimanche, essentiellement des habitants des quartiers nord et bien au-delà.
Dans le cadre du projet, l’EPAEM s’est engagé à préserver la halle principale du marché.
L’opérateur, quant à lui, doit concevoir une nouvelle façon d’organiser ce lieu,en préservant les équilibres existants, commercial mais aussi social et culturel, afin d’améliorer son fonctionnement et notamment les conditions d’accès, de desserte, de stationnement.
Les partenaires s’engagent également à prendre part à la vie culturelle du quartier.
Outre le marché aux puces, lui-même porteur de la culture du quartier, de grands équipements culturels vont venir prendre place dans l’îlot XXL. Sous maîtrise d’ouvrage publique, une médiathèque doit prendre place sur l’îlot Phare (dans l’angle nord-est de l’ilot XXL). Les « makers » du projet Bouygues pourront programmer et animer des évènements. Par ailleurs, l’emplacement d’une œuvre monumentale doit être prévue par l’opérateur dans le cadre de son projet.
Ces engagements semblent modestes eu égard à l’ampleur du quartier. Cependant, le lien avec la culture du lieu et de ses habitants est demandé par l’EPAEM et mentionné dans les documents produits par Bouygues, sans qu’en soient précisé les modalités.
Concernant le logement, un effort important est fait de la part de l’opérateur, qui porte seul les engagements pris sur ce sujet, et notamment sur la programmation et la diversification de l’offre, qui s’étalera du T1 au T4. La proportion de chaque type n’est pas encore définie à ce stade, mais on peut présager de la difficulté à traiter le sujet. Les besoins de la population locale vont plutôt vers de grands logements pour accueillir des familles (types 3 et 4). Mais le mode actuel de financement de logement implique que les promoteurs préfèrent toujours créer de petites surfaces, plus facilement vendues aux investisseurs. Cette diversification devrait néanmoins être facilitée par l’exigence posée par l’aménageur de privilégier les propriétaires occupants et de commercialiser les logements en priorité aux habitants des 15ème et 16ème arrondissements.
L’opérateur s’engage en outre à faciliter les accessions, en proposant un accompagnement au montage des dossiers de financement, et toute une gamme de services aux futurs habitants.
Enfin, des logement « prêts à finir » favoriseront l’appropriation par les habitants et réduiront les coûts d’achat pour les futurs propriétaires.
Sur les terrains dont il est propriétaire, en dehors des lots cédés à l’opérateur, l’aménageur devrait implanter des installations sportives ou évènementielles.
Le développement durable comme enjeu primordial : les labels d’EcoCité et d’EcoQuartier au cœur des critères de l’EPAEM
Les enjeux liés au critères environnementaux du quartier ont déjà été cités et font partie du caractère de celui-ci, de sa définition. Il s’agit d’un quartier certifié, labellisé. A ce titre, de nombreuses dispositions visant à la sobriété énergétique, la gestion économe des ressources, la limitation de production de déchets, et la « pacification » des espaces publics vont être mises en place dans l’îlot XXL.
A titre d’exemples, on peut citer dans les engagements de l’opérateur la dépollution du site, éviter autant que possible le recours à la climatisation, la lutte contre les îlots de chaleur urbains par une végétalisation adaptée des espaces extérieurs, une étude de stratégie pour la gestion de l’eau, mettre en place une ressourcerie, …
L’aménageur, lui, devrait s’engager à mettre en place des bornes de recharges véhicules pour électriques, mettre à disposition gracieusement une plateforme de dépollution sur le site, prévoir un traitement des voiries et espaces publics favorable à la pacification (revêtement anti-bruit, zones 30). La navette autonome pour les déplacements à l’intérieur de l’îlot, initialement évoquée a été supprimée en raison d’un coût trop élevé.
Enfin, il est également question de l’implantation d’un bâtiment tertiaire démonstrateur par l’opérateur, répondant à la réglementation E+ C- (Bâtiment à énergie positive et réduction de carbone), dans le cadre de la démarche EMUL106 en juin 2017, dont l’objet est de « favoriser l’émergence de nouvelles avancées significatives en matière d’innovation », dans le cadre du second appel à projet DIVD lancé par le PUCA (cf. fiche EMUL en annexe). Un comité d’orientation sera mis en place pour suivre et évaluer les évolutions de la ville et des usages, afin de faire évoluer également les services proposés dans le quartier.

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L’évaluation, indispensable et bien encadrée

Le sujet de l’évaluation du quartier est e effet traité dans une logique d’amélioration continue, mais également pour envisager la création d’un modèle reproductible, à Marseille ou ailleurs. En lien avec les critères de la charte EcoQuartier, dans laquelle l’évaluation est exigée, mais également pour répondre à la nécessité de reporting dans le cadre de l’OIN, les partenaires sont enjoints à mettre en place une méthode et des outils pour permettre cette évaluation. Les critères sont multiples et concernent aussi bien la qualité de vie que les performances environnementales ou la maîtrise des coûts.
Des enquêtes après des habitants et usagers vont ainsi être réalisées parallèlement, par l’EPAEM et Bouygues, dès que le quartier recevra ses premiers publics. Les résultats de ces enquêtes seront partagés et serviront notamment à adapter les prestations proposées sur le site par l’un ou l’autre des partenaires selon ses responsabilités.
Cette démarche au service de la qualité de vie du quartier est primordiale, si l’on s’inscrit dans la logique de concertation et de participation qui souhaite être initiée. Reste à savoir comment seront réellement menées ces enquêtes et surtout quelles seront les répercussions des commentaires et demandes des usagers.
Sans surprise, les engagements de chaque partenaire sur ces critères de qualité sont différents selon les sujets. On sent que chacun a posé ses limites, mais a également pris sa part de responsabilité. Le dialogue autour de la conception du projet urbain et de la convention cadre a permis la mise en place d’objectifs communs qui tendent à propulser le projet vers des performances de qualité élevées. Le dialogue a aussi permis aux acteurs de véritablement prendre la mesure de leur interdépendance dans la réussite du projet et cela est fondamental dans la poursuite du partenariat. Ainsi, les réflexions menées par chaque partie seront partagées et serviront à alimenter les démarches de son partenaire. Mais cette apparente réussite ne doit pas faire oublier la présence de risques qui pèsent encore sur le projet jusqu’à sa réalisation.

Des enjeux liés aux risques pris par les partenaires

Produit urbain, standardisation et effacement de certaines catégories de population.
Après analyse des ambitions annoncées par l’EPAEM pour ce nouveau quartier, les dispositions et innovations prévues dans le cadre du projet semblent tout droit sorties d’un catalogue de « la ville de demain », comme si on avait voulu faire une compilation de toutes les idées qui ont émergé ces dernières années pour faire une « ville intelligente ».
En revanche, dans son projet, Bouygues semble avoir plutôt pris la mesure d’une nécessaire adaptation au territoire, afin d’assurer la réussite du quartier qui lui importe tant, et propose des solutions qui sont cohérentes avec le contexte local. Il résulte des échanges entre l’EPAEM et Bouygues une émulation tangible, source infinie de concepts novateurs sur les modes d’habiter, de travailler, de se déplacer, d’interagir avec le numérique, d’avoir accès à des services (et des e-services). Mais, cette volonté d’amélioration, « de montée en gamme » de ce morceau de ville, risque également de laisser de côté une certaine catégorie de la population qui ne pourra pas y avoir accès.
Même si elle est souhaitée, en lien avec les quartiers alentours et le contexte existant, cette transformation de l’image du quartier sera difficile à mettre en place au regard de la situation actuelle. Le danger d’un marketing trop poussé et d’une volonté affichée de créer un modèle de ville, même méditerranéenne, est de tomber dans la standardisation, le « produit urbain » dénoncé par David Mangin107 qui annihile complètement toute hétérogénéité et donc toute vie de la ville. Le risque de créer un « parc urbain », comme une enclave dans un tissu trop différent est bien réel et nécessite d’être anticipé.

Faire adhérer habitants, usagers et institutionnels

L’adhésion d’une large part des futurs usagers du quartier est également un critère hautement important dans la réussite du quartier et l’atteinte des objectifs mis en place par la convention. Dans le cadre de la labellisation BiodiverCity proposée par Bouygues pour le quartier, les deux partenaires se sont accordés pour mettre en place une stratégie de sensibilisation et un accompagnement personnalisé à destination de chaque nouvel utilisateur (habitant ou usager).

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