Les frontières urbaines à travers le monde

Les frontières urbaines à travers le monde

Le travail conceptuel précédent nous permet d’aborder les frontières de manière théorique et générale. Les deux processus phares que sont la séparation et la liaison se retrouvent dans les différents aspects de la frontière qui ont été développés. Bien que la frontière renvoie à des réalités multiples et variées, les éléments abordés précédemment nous permettent de comprendre la logique générale et les enjeux des frontières. Ce travail est complété par l’étude d’exemples de frontières à travers le monde. Les quatre frontières étudiées ici correspondent à des frontières urbaines. L’étude de ces frontières a un intérêt double dans le cadre de cette recherche. Il s’agit d’une part d’illustrer la définition conceptuelle de la frontière. Pour cela, les cas d’étude ont été retenus puisqu’ils illustrent chacun différents aspects de la frontière, en mettant en jeu des caractéristiques diverses comme la pauvreté, la religion ou encore l’identité communautaire. Bien qu’il s’agisse ici d’exemples relativement emblématiques de frontières urbaines, ces derniers présentent l’avantage d’avoir fait l’objet d’études, notamment de la part de chercheurs. Il est donc possible de se rattacher à des documents traitant ces cas sous l’angle de la frontière. D’autre part, l’analyse de ces frontières permet également de recentrer la recherche sur le milieu urbain. En effet, la finalité de ce travail concerne l’interterritoire urbain entre Tours et Saint-Pierre-des-Corps, cela nécessite donc de s’intéresser particulièrement aux problématiques urbaines que l’on peut affiner à travers ces exemples. Dans le but d’observer ces différentes frontières, étudiées en parallèle des recherches menées pour réaliser notre définition de la frontière, nous avons créé une fiche « type » d’exemple. Celle-ci nous a permis de rationnaliser l’étude de ces frontières de manière à pouvoir rapidement établir en quoi ces exemples se distinguent les uns des autres. En se basant sur la définition et sur les premiers éléments que nous avons pu juger importants dans la compréhension des frontières, nous avons dégagé quatre axes d’étude. Dans un premier temps, nous avons cherché à recontextualiser ces exemples de frontières à l’aide de la cartographie, d’un rapide historique (résumé dans une frise chronologique) et enfin d’une explication à propos du statut et de la gestion administrative de la frontière. Par la suite, chaque exemple a été étudié du point de vue de la représentation spatiale, ce qui implique l’étude des marqueurs visuels et physiques, de la perméabilité et la création d’un schéma récapitulatif. Le point suivant correspond à la représentation sociale de la frontière, par les usagers mais également par les pratiques qu’elle amène. Enfin, nous avons cherché à savoir quel était l’état actuel de la frontière, ce qui peut prendre la forme de l’étude des conflits récents, de pistes de réconciliations, de projets d’aménagement sur la frontière… Les fiches exemple se terminent sur la bibliographie qui a permis de les rédiger.

Origine et histoire de la frontière 

Belfast fut le théâtre d’un conflit intra-étatique (Ballif, 2006) pendant de nombreuses années au cours de la seconde moitié du 20ème siècle. En effet, la capitale de l’Irlande du Nord est peuplée par deux communautés, aux religions différentes, protestante et catholique, aux identités nationales conflictuelles, britannique et irlandaise, et aux aspirations politiques divergentes, nationaliste et unioniste (Ibid.). Cette opposition entre protestants et catholiques résulte d’une situation coloniale particulière (Ibid.). En effet, les colons venant du Royaume-Unis sont protestants, tandis que les autochtones, militant pour la réunification et l’indépendance de l’Irlande à partir du début du 20ème siècle, sont catholiques. L’origine de ce conflit est donc davantage politique que religieux. L’opposition entre ces deux groupes confessionnels s’est amplifiée à la fin des années 1960. Cela s’est traduit par des émeutes, des attentats et des assassinats, impliquant à la fois les civils et les forces de l’ordre. Face à cette « guerre civile », les autorités ont pris la décision de bâtir des murs, les peacelines, entre les quartiers protestants et les quartiers catholiques, afin de freiner les débordements et de rendre plus sûr l’accès aux habitations (Ibid.). Ces murs, situés dans les quartiers ouvriers du centreville de Belfast, ont été érigés en plusieurs phases de 1969 jusqu’au début des années 2000, c’est-àdire après la ratification du traité de paix en 1998. 

Gestion de la frontière 

Les dispositifs de sécurité sont le fruit de décisions politiques, prises dans l’urgence, en faveur du maintien de l’ordre. Les peacelines sont donc gérées par les autorités de police qui tentent de rester relativement neutres dans ce conflit. Cependant, les milices paramilitaires de chaque camp, aujourd’hui démobilisées, opéraient également, au moment des conflits, un certain contrôle des points de passage. Représentation spatiale Marqueurs physiques et visuels de la frontière : La frontière entre les différents quartiers de Belfast s’est majoritairement traduite par la construction de murs. Cependant, des zones industrielles et des marécages bloquant l’urbanisation font aussi office de frontière, séparant ainsi les quartiers protestants des quartiers catholiques. L’identité confessionnelle s’affiche à-même la rue dans certains quartiers. En effet, on remarque sur le mobilier urbain (trottoirs, lampadaires, panneaux de signalisation) différentes couleurs peintes, faisant foi de l’appartenance du lieu à l’une des deux confessions. Les graffitis, les slogans des milices paramilitaires de chaque communauté se retrouvent à la limite des quartiers souvent très homogènes comme un signe d’entrée chez l’autre. Les fresques murales, par exemple, sont un élément de la culture protestante. Tous ces éléments, aussi éphémères soient-ils, ont contribué à renforcer l’appartenance à une confession et donc le clivage des deux communautés. Au-delà d’une démonstration identitaire, ils sont également un moyen de contrôle de l’espace public et un acte de provocation envers l’autre communauté (Ballif, 2006). La spatialisation et la matérialisation de la frontière se ressentent également en des lieux précis, nommés flashpoint, des lieux frontières entre les quartiers qui, par leur position, sont des terrains d’affrontement récurrent.

Représentation sociale

Perception de la frontière par des usagers 

Dans les années 1970-1980, beaucoup d’habitants des quartiers sensibles souhaitaient la construction de peacelines afin de se sentir davantage en sécurité. En janvier 2008, une enquête commandée par l’US Ireland Alliance a montré que 81% des personnes interrogées étaient favorables à la destruction des murs, dans un futur plus ou moins proche. De plus, elle a aussi montré que « les murs ont aidé les habitants à se sentir plus en sécurité en contribuant à séparer les communautés» (Ballif, 2009). Le rapport qu’ont les habitants à cette forme de frontière entre quartiers était donc relativement positif. Cependant, pour la municipalité, le sentiment n’est pas le même puisque la construction des murs reflète un échec quant à la gestion du conflit entre les confessions (Ballif, 2006). Pratiques de la frontière : Les peacelines étaient et sont encore, pour celles toujours debout, discontinues. Ainsi, les échanges, légaux et illégaux, de personnes, de biens ou de services ont eu lieu très fréquemment et se déroulent toujours aujourd’hui. Certains lieux de passage étaient sous le contrôle des milices paramilitaires, alors que d’autres étaient des portes dont la gestion (fermeture et ouverture) était laissée soit aux riverains soit aux autorités de police. A l’heure actuelle, on note de moins en moins de contrôle aux points de passage, cependant il arrive encore que les riverains ferment certaines portes lorsque le besoin de s’isoler et de se sentir protéger se fait ressentir. Les peacelines font également l’objet de pratiques artistiques. En effet, elles sont un réel espace d’expression, avec la présence de fresques, de peinture ou de messages qui ont une intense portée politique. Ces pratiques artistiques procurent une dimension pacifique à cette frontière.

État actuel de la frontière

Actuellement, les murs de paix sont toujours debout et composent l’espace urbain. Plusieurs études réalisées par le ministère de l’habitat nord-irlandais, le NIHE (Northern Ireland Housing Executive), s’accordent sur le fait qu’une trentaine de peacelines sont encore présents dans la capitale d’Irlande du Nord, certains murs ayant été démolis. Les autorités n’envisagent cependant pas de tous les détruire (Ballif, 2006). Projets d’aménagement de la frontière Vers la fin des années 1980, les peacelines, en tant que mobilier urbain, sont reconsidérés et font l’objet de programme d’intégration paysagère. En effet, les aménageurs cherchent à incorporer ces murs dans la composition urbaine. Des « zones tampons » sous forme de parcs et jardins, d’espaces de jeux pour enfants, sont apparues dans les lieux où les conflits étaient relativement violents. Elles continuent de mettre de la distance entre les quartiers protestants et les quartiers catholiques. Des jardins paysagers sont par exemple aménagés pour embellir ces espaces souvent marginalisés. De plus, on remarque, depuis une dizaine d’années maintenant, des initiatives de la municipalité en faveur de la ville partagée et des « bonnes relations » qui encouragent le développement de la mixité sociale et le partage de l’espace urbain. Cependant, la politique de logement du NIHE reste relativement prudente sur ces aspects de mixité puisque les tensions se font encore parfois ressentir. Un projet de création de musée de la culture et de l’héritage à Belfast, afin de permettre une « réunification culturelle » en Irlande du Nord, a été lancé en 2012. Conclusion Le conflit en Irlande du Nord a plusieurs origines, à la fois politique, culturel, religieux et social. En effet, les croyances religieuses et les aspirations politiques influent ici sur l’identité culturelle de chaque communauté. La faible mixité sociale déjà présente dans les années 1960 n’a pas apaisé ces clivages qui ont conduits ces deux confessions à se battre, revendiquant chacune légitimité et droits sur ce territoire. Les marqueurs sociaux d’appartenance à l’une des deux confessions sont nombreux et ont entériné au fil du temps les différences de mode de vie propres à chaque groupe (Ballif, 2001), ce qui a renforcé l’opposition entre catholiques et protestants. À Belfast, la construction des peacelines s’est faite dans l’urgence, comme une mesure temporaire face à une situation donnée. Cependant, les peacelines se pérennisent et se banalisent dans le paysage de Belfast, devenant aujourd’hui des lieux à caractère touristique comme un témoin de l’histoire de la ville. 

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